Visioconférence organisée à Paris par Louis Gautier pour la Chaire Grands Enjeux Stratégiques Contemporains, le 15 février 2021. Intervenant : Pierre Vimont, chercheur associé à Carnegie Europe et ancien Ambassadeur de la France auprès de l’Union européenne (1999-2002) et des États-Unis (2007-2010). Louis Gautier, directeur de la Chaire Grands enjeux stratégiques contemporains, professeur associé à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Synthèse par Anna Monti pour Diploweb.com, validée par P. Vimont.
Au cours de ce passionnant entretien avec Pierre Vimont conduit par Louis Gautier, il est question du cheminement de la France, de ses nécessaires évolutions, et des grandes problématiques auxquelles elle fait face pour finalement tirer un bilan de la diplomatie européenne. Avec un résumé inédit rédigé par Anna Monti pour Diploweb.com, validé par Pierre Vimont.
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Résumé pour Diploweb.com par Anna Monti, validé par Pierre Vimont
Au cours de ce passionnant entretien conduit par Louis Gautier, il est question du cheminement de la France, de ses nécessaires évolutions, et des grandes problématiques auxquelles elle fait face pour finalement tirer un bilan de la diplomatie européenne. L’Ambassadeur Pierre Vimont débute cette conférence en définissant le concept de puissance stratégique. Selon lui, une nation qui possède une vision assez claire de ses intérêts, de la stratégie qu’elle souhaite mener et qui se donne les moyens de la réaliser est une puissance stratégique.
A l’instar du Royaume-Uni, la France est une puissance fondamentalement coloniale, puis postcoloniale et finalement européenne. De puissance solitaire, elle devient une puissance qui collabore avec 26 autres États à ce jour. Elle réfléchit donc dans une approche multilatérale à l’échelle régionale et mondiale. Cette transition ne s’est pas faite sans difficulté.
Valéry Giscard d’Estaing a le premier essayé de familiariser les Français avec l’idée que la France était désormais une puissance moyenne. Cette idée a soulevé une forte indignation dans notre pays. L’Ambassadeur P. Vimont estime que cette opposition peut être surmontée en considérant cette évolution comme celle d’une puissance devant compter et travailler avec d’autres.
Parallèlement, il a été nécessaire d’adapter et de redéfinir les intérêts français. Il y a un effort permanent des présidents de la République successifs d’offrir à la force stratégique française une dimension européenne. Les champs de la diplomatie s’étendent désormais aux questions économiques, à la gouvernance et à la promotion du modèle démocratique. Actuellement, une nouvelle diplomatie naît, celle du vaccin contre la COVID-19, il en va de même pour le secteur du numérique et de l’environnement.
Ainsi, une transformation continuelle est en cours, obligeant alors la diplomatie à s’adapter et à finalement changer de paradigme. Les deux puissances nucléaires européennes, le Royaume-Uni (RU) et la France ont, par exemple, suivi deux chemins très différents. Aujourd’hui, la première a fait le choix du Brexit, tandis que la deuxième défend une Union européenne souveraine. Cette comparaison illustre tout à fait les changements à l’œuvre.
À cet effet, la France se voit dans la nécessité d’accepter son nouveau statut qui lui confère toujours un rôle essentiel. En termes de politique étrangère, de politique de défense et de sécurité ou de diplomatie, la France donne souvent le ton. L’évolution du cadre institutionnel européen est stimulée par la France. Autrefois, Paris parlait d’ « Europe puissance », désormais elle soutient les concepts de souveraineté et d’autonomie stratégique. La France a bien un rôle européen majeur, ses partenaires en sont conscients et s’en inquiètent parfois. À Bruxelles, la France est souvent taxée d’arrogante, ses gouvernements n’ont pas toujours avancé leurs idées avec assez d’humilité, d’écoute et de prudence. Ses présidents se sont souvent vus reprocher d’annoncer des initiatives et de les imposer aux autres sans beaucoup de concertation. L’Ambassadeur Pierre Vimont met alors en lumière les défis de la diplomatie française.
Le couple franco-allemand est la première problématique. Ce tandem au sein de l’Union européenne et du monde entretient des relations souvent conflictuelles en raison de la situation géographique, de l’Histoire et des positionnements géopolitiques. Souvent, leurs positions sont au départ opposées sur de nombreux sujets. C’est, au demeurant, ce qui fait la force des compromis auxquels les deux pays parviennent et qui sont approuvés en général par une majorité d’États membres pour deux raisons : d’une part parce qu’ils sont généralement plus ou moins en accord avec l’une des deux visions, française ou allemande, et d’autre part car ils sont impliqués dans l’ensemble du processus. De ce fait, le couple franco-allemand mène au consensus.
La deuxième problématique est sa relation avec le Royaume-Uni. Ce dernier a pendant longtemps joui d’une position unique au sein de l’Union européenne (UE), en étant à la fois dedans et dehors en fonction de ses intérêts. Par conséquent, il a été souvent difficile pour le Royaume-Uni de convaincre ses partenaires européens de son total engagement européen, ce qui a pu entraver ses efforts pour initier des alliances, voire prendre la tête d’un groupe de pays de manière permanente dans une volonté de jeu collectif. Sa diplomatie est bien plus solitaire. Depuis le 31 janvier 2021, le Royaume-Uni s’est retiré de l’UE, un nouveau partenariat est donc à inventer. Cela sera probablement difficile dans les prochaines années car le dialogue risque d’être très émotionnel. Les britanniques veulent démontrer que le Royaume-Uni a eu raison de partir et espèrent voir l’UE se fragiliser, tandis que l’UE souhaite, au contraire, prouver que le Royaume-Uni est dans l’erreur et qu’elle va se renforcer alors que le Royaume-Uni va s’affaiblir.
Les liens avec l’allié américain constituent la troisième problématique.Il y a une volonté française de rester un allié des États-Unis (EU) mais sans s’aligner. Un débat s’exerce au sein de l’UE entre ceux favorables à l’approche défendue par la France et ceux qui craignent qu’elle mette à mal la relation transatlantique. Bien que le multilatéralisme et la coopération transatlantique soient relancés par l’élection de Joe Biden (2020), deux autres phénomènes sont à mettre en lumière. Le premier est l’intérêt croissant des EU pour la région indopacifique et le second est la volonté de la nouvelle administration de mener une diplomatie au service des classes moyennes américaines. Cette double orientation peut donner un nouveau rôle à l’UE dans lequel elle aidera les Américains à redonner de la solidité à la relation transatlantique, notamment en augmentant sa participation financière, le fameux objectif des 2% du PIB consacrés aux dépenses militaires. Ce partenariat doit prendre une dimension de plus en plus complémentaire. Sur toute une série de crises, les EU seront moins présents afin de tenir compte des réserves croissantes de l’opinion américaine pour les interventions militaires à l’étranger. L’UE pourra alors jouer un rôle plus important dans les crises de voisinage. Parallèlement, l’UE doit elle aussi construire sa souveraineté afin d’être l’acteur international et géopolitique souhaité notamment par Ursula von der Leyen, Josep Borrell et Charles Michel. Elle doit notamment être en capacité de défendre ses industries d’armements afin de ne pas acheter uniquement du matériel américain. L’Ambassadeur P. Vimont insiste sur le rôle premier que la France peut jouer dans cette stratégie européenne et se propose de faire un bilan factuel de l’Union.
Quand il s’agit de faire le bilan de l’UE en politique étrangère, les jugements sont rarement fondés sur des analyses sereines selon lui, le discours reste plutôt idéologique et émotionnel. Il rappelle que la diplomatie européenne débute réellement après le Traité de Maastricht (1992). La diplomatie n’était même pas inscrite dans le Traité de Rome (1957). Elle est donc entrée en jeu bien après les débuts de l’UE et reste marquée par une certaine suspicion des États membres. De plus, le cadre institutionnel et juridique est spécifique. Les décisions sont prises à l’unanimité, la Commission n’a pas l’initiative, le Parlement européen est laissé à l’écart et la Cour de justice de l’UE également. Ainsi, les acteurs principaux sont toujours les États. Le traité de Lisbonne (2007, effectif en 2009) a complété l’édifice par la création du Service européen de l’action extérieure (SEAE), la mise en place d’un vrai réseau diplomatique avec plus de 130 délégations à l’étranger et une administration centrale à Bruxelles, soit au total plus de 3 500 fonctionnaires. Toutefois, cette diplomatie européenne avance avec lenteur car fortement surveillée par les États, elle demeure également hésitante faute d’avoir su encore définir son rôle. L’Ambassadeur Pierre Vimont conclut en expliquant que la diplomatie européenne hésite encore, selon lui, entre plusieurs rôles, celui d’un 28ème ministère des Affaire étrangères, celui d’un secrétariat général chargé de la coordination, celui de simple porte-parole d’une diplomatie européenne limitée à une forme de plus petit commun dénominateur ou encore celui d’un centre d’analyse et de prévision, proposant aux États membres pistes nouvelles d’action.
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