Quelles sont les facettes du métier de diplomate aujourd’hui ?

Par Raoul DELCORDE, le 12 août 2023  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Ambassadeur (hon.) de Belgique. Diplomate depuis 1985, Raoul Delcorde a été successivement ambassadeur pour la Belgique en Suède, en Pologne et au Canada. Il est professeur invité à l’Université Catholique de Louvain et membre de l’Académie royale de Belgique. Raoul Delcorde publie « La diplomatie d’hier à demain », préface de Herman Van Rompuy, Bruxelles, éd. Mardaga.

Quelles sont les qualités du diplomate d’aujourd’hui ? Loin des manœuvres de couloir, il est amené à déployer ses activités dans un vaste champ d’actions, qui va de la politique commerciale à l’action culturelle, en passant par les questions militaires et celles de développement. Il ne prétend pas en être un expert mais plutôt quelqu’un qui est capable d’en faire une synthèse destinée à nourrir une action. L’Ambassadeur (hon.) de Belgique Raoul Delcorde partage à la fois sa passion et sa compréhension d’un métier confronté au chaos du monde.

Dépasser les clichés

AU MOMENT où de nouvelles générations de diplomates s’apprêtent à représenter leur pays aux quatre coins du globe, il peut être intéressant, pour tout jeune diplomate, de se poser la question fondamentale : “Vais-je être utile à mon pays ? Vais-je mener une carrière en adéquation avec les valeurs qui m’ont été inculquées ?”.

D’aucuns diront que ce sont là des préoccupations qui relèvent de l’introspection philosophique et que le succès d’une carrière diplomatique se mesure en termes de visites bilatérales réussies, de contrats économiques engrangés, de la réputation que l’on a laissé dans le pays d’accueil. Les mêmes vous demanderont si le diplomate exerce véritablement un métier. Et, dans le meilleur des cas, ils vous diront que le diplomate n’est qu’un généraliste, et qu’il se complait dans les généralités. Les Anglophones accolent facilement aux diplomates l’étiquette “Jack of all trades and master of none” que l’on pourrait traduire par “Bon à tout, bon à rien”.

D’autres, encore plus moqueurs, vous ressortiront les clichés bien connus sur les diplomates mondains et oisifs. Il y aurait, d’ailleurs, une étude à faire sur la représentation du diplomate dans la littérature : on y retrouverait les clichés qui réduisent ce métier tantôt à une forme d’oisiveté élégante, tantôt a une fonction s’apparentant à celle d’agent secret. La diplomatie de salon ou “diplomatie de la tasse de thé” a inspiré les auteurs de théâtre et les romanciers sans faire justice au métier de diplomate. Témoin le dramaturge français Georges de Porto-Riche, bien oublié aujourd’hui, mais qui écrivit dans sa pièce “Le Passé” cette phrase assez drôle qui circule dans tous les dictionnaires de citations : “Un diplomate qui s’amuse est moins dangereux qu’un diplomate qui travaille”. Pour d’autres, le diplomate est quelqu’un qui est presque toujours tenu en marge des décisions importantes en raison des relations directes existant entre les chefs d’Etat et les ministres de tous les pays du monde, comme si le téléphone, le courriel et la visioconférence avaient remplacé la diplomatie. Il y a, heureusement, des exceptions à ces représentations assez caricaturales de la diplomatie. Ainsi la remarquable pièce du dramaturge français d’origine polonaise Slawomir Mrozek, intitulée “L’Ambassade” : le rôle principal est celui d’un ambassadeur dont le pays disparaît progressivement et qui est confronté à une réflexion tragique sur sa raison d’être. Ceux qui eurent le privilège d’assister à la création de la pièce à Paris en 1963, avec Laurent Terzieff dans le rôle de l’ambassadeur, auront longtemps gardé en mémoire l’image de ce diplomate déchiré entre ses devoirs de représentation et l’absurdité d’une situation où le pays qui l’a envoyé n’existe plus.

Quelles sont les facettes du métier de diplomate aujourd'hui ?
Fonctionnaire à hélice. Extrait d’une oeuvre de Stéphane Halleux
Photographie : Raoul Delcorde pour qui cette oeuvre de Stéphane Halleux illustre assez finement le métier de diplomate

Un métier au diapason des réalités contemporaines

Il n’est pas possible d’évoquer ce métier sans prendre en compte certains des grands changements qui ont marqué notre monde dans un passé récent. Il y a tout d’abord la fin du monde bipolaire. En novembre 1989 s’effondrait le mur qui séparait l’Europe géographique - et le monde – en deux blocs et avec lui volait en éclats le monde bipolaire que nous avions connu depuis la fin de Seconde Guerre mondiale. La disparition soudaine de cet ordre mondial qui paraissait inébranlable laissa un moment penser à l’avènement d’un ordre nouveau, à l’échelle de la planète entière. On parla, à l’instar de Fukuyama, de la “fin de l’Histoire”. Nous savons aujourd’hui qu’il s’agissait d’une illusion et nous avons appris qu’il nous fallait d’abord vivre avec le désordre – nous le constatons chaque jour ! Le voisinage immédiat de l’Union européenne est en crise, de l’Ukraine à la Syrie et nous avons basculé dans un monde incertain, un monde beaucoup plus complexe qu’il ne l’était à l’époque de la Guerre froide (1947-1990). On ne peut plus penser en termes de gains ou de pertes pour son pays ou pour le groupe d’Etats auxquels notre pays appartient ; il est illusoire de concevoir les relations internationales sur le modèle du jeu à somme nulle. Aujourd’hui le diplomate se meut dans un monde que l’on pourrait qualifier de “disruptif” car tous nos repères - non seulement géopolitiques, mais aussi économiques, culturels, technologiques… - ont été ébranlés ! Tout ce qui constituait la trame des relations internationales a subi de profondes secousses. C’est ainsi que le multilatéralisme aujourd’hui est en déclin (par rapport à 1945 et aux années qui ont suivi) et ce à cause de la difficulté de mettre en œuvre les traités internationaux et du regain de l’unilatéralisme. C’est ainsi que le principe d’inviolabilité des frontières qui figure dans l’Acte final de la Conférence d’Helsinki a été mis a mal par l’annexion illégale de la Crimée par la Russie (2014). C’est ainsi aussi que le libre-échange cher au GATT et prôné par l’OMC connaît des obstacles multiples ou, en tous cas, une évolution bridée. Et les grands principes du droit international sont, eux aussi, battus en brèche par l’usage du principe d’extraterritorialité ou le pouvoir discrétionnaire des GAFA. Certes, les grands instruments multilatéraux sont toujours présents, tant dans le domaine commercial que dans celui du contrôle des armements, et notamment des armements nucléaires. Mais ils sont davantage une boite à outils (c’est ainsi, en tous cas, qu’ils sont perçus par les Américains et les Chinois ) qu’une véritable boussole diplomatique.

Dans ce contexte, la diplomatie est surtout conçue en termes d’influence, non en termes de conquête, dans nos pays occidentaux. A ces changements qui affectent l’exercice de la diplomatie, il faut ajouter la place grandissante occupée de nos jours par les regroupements d’Etats, à l’échelle mondiale comme le G7 ou le G20, ou à l’échelle régionale, de l’Union européenne à l’ASEAN en passant par l’Union Africaine ou encore le Conseil de Coopération du Golfe.

Il est un autre élément qui a modifié le travail diplomatique : l’irruption de sujets transversaux regroupés sous l’expression « diplomatie de la globalisation ». Il s’agit des négociations internationales concernant l’environnement, la lutte contre le terrorisme ou la politique commerciale. Le diplomate devient donc un spécialiste de la négociation, quel que soit le domaine concerné. Et de plus en plus de dossiers qu’il traite ont des répercussions concrètes et immédiates sur la vie quotidienne des gens.

Les nouveaux défis de la diplomatie globale

En passant de la Guerre froide à l’ère de la mondialisation, les questions de développement ont supplanté celles de la défense en tant que fondements sur lesquels on peut bâtir un avenir commun. L’éventail des menaces et défis générés par ce changement dans les relations internationales nécessite une réponse adéquate, non pas en termes de forces armées, mais sous la forme d’une recherche inlassable d’un développement centré autour des besoins de l’humanité (“human-centred development”). La qualité de la vie dans les mégalopoles, les armes de destruction massive, les fournitures d’énergie, les pandémies, le changement climatique − sont fondamentaux tant pour la sécurité que pour le développement. Il faudra à la diplomatie de nouvelles aptitudes et de nouveaux instruments pour les insérer dans les négociations internationales. Face à ces nouveaux défis la diplomatie doit s’adapter. Jusqu’à présent, on doit bien reconnaître que la diplomatie a tardé à prendre la mesure de la mondialisation. Longtemps la politique étrangère a été conçue comme la conduite des affaires entre les Etats et ressortait du domaine exclusif des gouvernements. Aujourd’hui, la politique internationale inclut un grand nombre d’acteurs extérieurs au ministère des Affaires étrangères : départements techniques, défense nationale, parlements, villes, entreprises, société civile, etc. Cela est évidemment le reflet de la disparition progressive des démarcations entre affaires étrangères et affaires intérieures et la manifestation du passage de l’ère de Guerre froide à celle de la mondialisation. Les relations internationales se sont complexifiées.

Le diplomate moderne est celui qui est capable de se connecter directement aux acteurs de la mondialisation et à prévoir les conséquences des changements sociétaux.

En 2021 il y a des négociations entre 193 Etats à l’ONU, 164 à l’OMC, 27 au sein de l’Union européenne, et dans de nombreuses autres organisations multilatérales. Les règles du jeu sont devenues plus complexes, les interférences extérieures dans les négociations diplomatiques viennent ajouter encore un élément de complexité à un ensemble déjà très chargé. Garder les idées claires en négociant en permanence devient le véritable défi du diplomate d’aujourd’hui. Cet état de choses traduit une réalité plus profonde : les questions internationales sont toujours plus liées entre elles et concernent davantage de pays, ce qui explique la montée en puissance des négociations multilatérales. Les missions classiques du diplomate ne disparaissent pas mais elles doivent tenir compte de leur nouvel environnement, et par conséquent elles se complexifient. La figure du diplomate classique était celle d’un généraliste qui menait son action dans un domaine très vaste : tout ce qui relevait d’un contact avec l’extérieur. Le diplomate d’aujourd’hui conserve cette capacité à percevoir globalement les questions internationales que l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, a bien résumé en ces termes : « Avoir une véritable expérience de la négociation, éprouvée sur toute une carrière, suppose une connaissance du passé des négociations et des relations internationales, une connaissance globale et intime à la fois de l’interlocuteur, un savoir-négocier qui s’apprend et se transmet. On ne négocie pas seulement avec un ministre de l’Agriculture ou de la Culture, mais avec un pays. Il faut avoir une vision large des autres intérêts qui peuvent contredire les intérêts précis en jeu dans la négociation. Une appréciation globale est indispensable » [1].

Le diplomate moderne est celui qui est capable de se connecter directement aux acteurs de la mondialisation et à prévoir les conséquences des changements sociétaux. Dans cette conception du travail diplomatique, il devient aussi important de nouer des relations avec les citoyens d’un pays que de parler aux représentants du gouvernement. Aujourd’hui le diplomate occidental est impliqué dans des négociations sur « la responsabilité de protéger », la lutte contre le trafic des diamants ou les mines antipersonnel. Ce sont là des thèmes qui le connectent directement avec les préoccupations de l’opinion publique. Dans la pratique contemporaine, la politique étrangère doit prendre en compte les vues des citoyens et plus seulement des Etats. On est entré dans l’ère des groupes d’opinion et des intérêts particuliers. Selon Bertrand Badie on assiste à une « communauté politique cosmopolitique, faite de sensibilité croissante à l’international, de compassion, de solidarité et de mobilisation, s’indignant de la passivité des Etats en Bosnie-Herzégovine, poussant à l’intervention au Kosovo ou, naguère, dans la région des Grands Lacs, rendant publics les manquements aux droits de l’homme en Tchétchénie ou en Tunisie, plaçant la question du Timor Oriental au centre des enjeux internationaux » [2] (2). Le diplomate doit s’insérer dans ce nouveau contexte des relations internationales qui s’inscrit dans une vision renouvelée de l’action diplomatique, caractérisée par les sujets dits transversaux davantage que par une grammaire strictement interétatique.

Diffuseur de culture

La culture est une autre dimension de la diplomatie moderne. Les ambassades sont des diffuseurs de culture. Dans certains cas, elles disposent d’un véritable service culturel, qui abrite une bibliothèque, organise des conférences ou des récitals, faisant venir dans le pays tel ou tel écrivain ou artiste renommé. Un orchestre national en tournée, c’est un événement culturel mais aussi diplomatique dans la mesure où les artistes sont les ambassadeurs de la culture de leur pays.

Enfin, tout cela n’est pas sans retombées économiques : un festival de la bande dessinée belge, organisé avec l’appui d’une ambassade, donnera à des jeunes artistes l’envie d’aller se perfectionner dans les écoles de dessin de Bruxelles ou de Charleroi.

Ainsi n’est-il nullement incongru qu’une ambassade organise un séminaire littéraire, avec des auteurs du pays représenté, pour familiariser le public des amateurs de littérature avec tel romancier ou tel poète, dont les œuvres sont en partie traduites dans la langue locale. Une représentation de “Britannicus” donnée par la troupe de la Comédie française en 1970 dans la plus belle salle de spectacles de Téhéran laissera des souvenirs éblouis à l’auteur de ces lignes, qui découvrit avec ravissement le théâtre français. L’académicien Hector Bianciotti rappelle volontiers que c’est le passage à Buenos Aires de la célèbre comédienne Simone Valère qui lui fit découvrir et aimer le français.

Une résidence d’ambassadeur peut se transformer en salle de concert de musique de chambre, voire, quand il s’agit d’un palais, en décor d’opéra. Ainsi un article du Monde [3] nous apprend que Pierre Sellal, l’ancien Représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne, organisa avec Placido Domingo une représentation de la “Tosca” de Puccini sur les lieux même de l’opéra dont le second acte avait pour décor le Palais Farnèse, qui est la résidence de l’ambassadeur de France à Rome.

Un métier à risques

Tout ceci pourrait faire croire que le diplomate mène, somme toute, une vie de patachon, sans risque particulier. Ce serait oublier que la diplomatie est confrontée, davantage qu’avant, à l’irruption de crises, souvent imprévisibles. Qu’il soit en Côte d’Ivoire ou au Liban, le diplomate se voit confronté à ce qu’on a appelé la « dictature de l’urgence » ; il doit venir en aide à ses compatriotes [4], négocier avec les autorités, gagner du temps aussi pour éviter que les canaux diplomatiques ne soient complètement fermés. Tant que les hommes se parlent, on peut éviter la guerre dit la sagesse populaire. La crise est également gérée dans les enceintes internationales (ONU, Union européenne) : la concertation diplomatique tend à freiner la crise et à conduire à son règlement [5]. Mais, sur le terrain, l’ambassadeur reste un acteur important dans une situation de tension : il doit être capable de détecter des signaux d’apaisement, trouver un «  modus vivendi  » pour que subsiste le dialogue. Comme il est le plus haut représentant de l’Etat dans un Etat étranger, il est également une cible de choix lors des situations de crise. Ce sont les actions terroristes qui sont le plus à craindre : l’ambassadeur américain Dodd à Kaboul (février 1979), l’ambassadeur de France Louis Delamare à Beyrouth (septembre 1981) ou encore le consul général britannique à Istanbul (janvier 2004), ont perdu la vie suite à des attentats terroristes les visant directement. L’ambassadeur britannique à Montevideo fut, quant à lui, kidnappé et maintenu dans une cellule pendant neuf mois, en 1971, par l’organisation des Tupamaros. L’ambassadeur de Belgique à Rabat, Marcel Dupret, fut tué lors d’un attentat mené par les cadets de l’armée marocaine contre le Roi Hassan II, au Palais d’été de Skhirat, le 10 juillet 1971. Son collègue au Caire, Claude Ruelle, fut blessé lors de l’attentat qui coûta la vie au Président Sadate, le 6 octobre 1981. On peut aussi citer la mort tragique de l’ambassadeur de France dans l’ex-Zaïre (la République Démocratique du Congo), Philippe Bernard, qui survint le 28 janvier 1993 au cours d’une mutinerie de militaires qui fit une cinquantaine de victimes. Le 22 février 2021, l’ambassadeur d’Italie en RDC, Luca Attanasio, fut tué dans une attaque armée près de Goma. Des ambassadeurs doivent se déplacer en voitures blindées, reçoivent des primes de risque et en viennent à transformer leur résidence en véritable forteresse.

L’occupation pendant plusieurs mois de la résidence de l’ambassadeur du Japon à Lima en décembre 1996 (par des combattants du mouvement révolutionnaire Tupac Amaru), la destruction des ambassades américaines à Dar es Salam et Nairobi en 2001 (par al-Qaïda), l’attentat qui endommagea l’ambassade du Danemark à Islamabad en juin 2008 (par une organisation wahhabite agissant avec l’aval d’al-Qaïda), démontrent la vulnérabilité des bâtiments diplomatiques [6]dans un contexte d’internationalisation du terrorisme. Certes, cette insécurité n’existe que dans un certain nombre de pays mais elle requière des qualités particulières de la part des diplomates qui y travaillent. Dans son intéressante typologie des diplomates, Yvan Bazouni [7] évoque les « baroudeurs » qui ont un penchant pour l’aventure et aiment les missions difficiles. Sans doute ces diplomates-là acceptent plus facilement les postes dits à risque en espérant souvent de réelles compensations professionnelles ou personnelles. Plus généralement, exercer son métier en période de crise peut être valorisant pour un diplomate. Il est celui qui mettra de l’huile dans les engrenages pour faire retomber la tension entre deux pays, celui qui proposera à ses autorités un compromis pour rétablir des relations apaisées avec un Etat avec lequel on est en froid. Et même dans les périodes de tension extrême, le diplomate peut trouver des occasions de démontrer son savoir-faire et devenir l’interlocuteur prioritaire de son gouvernement. En ce mois d’août 2021, les diplomates occidentaux à Kaboul ont bénéficié d’une visibilité liée aux défis sécuritaires qu’ils devaient assumer. Nul doute que cela aura des répercussions positives sur leur parcours professionnel.


Bonus vidéo. Que font les diplomates ?

Diploweb.com vous offre les réponses du Professeur Christian Lesquesne, auteur de "Ethnographie du Quai d’Orsay. Les pratiques des diplomates français" (CNRS édition) ; Pierre Morel, Ambassadeur ; et Maurice Vaïsse, Professeur d’histoire des relations internationales.


Les qualités du diplomate

On a beaucoup daubé sur la soi-disant duplicité du diplomate. Dans ses “Caractères”, La Bruyère compare le diplomate à un caméléon : « Toutes ses vues, (…), tous les raffinements de sa politique tendent à une seule fin, qui est de n’être point trompé, et de tromper les autres ». C’est pourtant vouloir lui faire un mauvais procès : le diplomate qui ment arrive rarement à ses fins. La sincérité est une qualité appréciée chez le diplomate, de même qu’une réelle capacité d’écoute, comme le résume joliment la formule du diplomate japonais Komura Jutaro : « Un diplomate doit utiliser ses oreilles, et non sa bouche ».

Si l’on veut résumer les qualités du diplomate d’aujourd’hui on perçoit bien les différences avec le passé. Loin des manœuvres de couloir, il est amené à déployer ses activités dans un vaste champ d’actions, qui va de la politique commerciale à l’action culturelle, en passant par les questions militaires et celles de développement. Il ne prétend pas en être un expert mais plutôt quelqu’un qui est capable d’en faire une synthèse destinée à nourrir une action.

Même s’il lui arrive de négocier en secret, il lui faut aussi savoir communiquer tant avec les partenaires qu’avec un plus large public. Pour autant, il n’est pas possible de faire ce métier sans être animé d’une foi dans l’aptitude de l’humanité à ordonner son développement, et d’une capacité à privilégier le dialogue sur la force, l’intelligence sur les passions, les projets à long terme sur les « coups ». Il y a des constantes dans ce métier : intérêt pour les relations entre les Etats et entre les nations, attirance pour les autres cultures, sens du service de l’Etat. En ces temps de turbulence internationale, l’ambassade reste ce lieu d’accueil où l’on s’efforcera toujours d’apporter l’assistance (consulaire, économique, culturelle) que l’on est en droit d’attendre d’un service public incarnant la représentation d’un Etat auprès d’un autre Etat.

Tous les diplomates ne sont pas des héros. Mais, la plupart, du temps, ils se sont montrés à la hauteur des attentes de leur gouvernement, que ce soit dans la transmission d’informations, l’analyse de la situation ou l’aide aux compatriotes. Ensuite, ils ont une connaissance du terrain qui est très précieuse et que nos milieux économiques leur reconnaissent très souvent. Ils sont aussi portés par un sens de l’Etat, qui en font des serviteurs loyaux des gouvernements qui les ont nommés. Ils sont au service de l’intérêt général. Et, ne l’oublions pas, ils sont sélectionnés à l’issue d’un concours exigeant, complété par un stage approfondi. La qualité et la réputation d’un corps diplomatique tiennent en bonne part au niveau élevé des procédures de recrutement et de nomination.

N’oublions pas que l’on assiste aujourd’hui à une dégradation du climat international, marquée par la multipolarité et le durcissement des relations entre les Etats, partout dans le monde. La diplomatie est l’engrenage indispensable des relations internationales. Les menaces sont tangibles ou diffuses, et la politique internationale est devenue un terrain mouvant, imprévisible. Nous avons besoin des diplomates pour qu’ils conseillent leurs dirigeants sur les menaces à prévoir, les crises à surmonter, les opportunités à saisir, les négociations à mener. Nous avons besoin du sens de l’initiative des diplomates, de leur analyse froide et objective, bien informée, pour défendre au mieux nos intérêts. Plus que jamais notre quotidien est influencé par le monde extérieur. La diplomatie est notre indispensable boussole.

Le métier a évolué. La figure aristocratique du diplomate d’antan est révolue. Elle a laissé place à celle du diplomate ouvert sur la société et à son écoute.

La maîtrise de soi, dans les situations les plus troublées, est une qualité indispensable du diplomate, lorsqu’il doit, par exemple, organiser le rapatriement de ses compatriotes dans un pays en proie à une catastrophe naturelle, à un conflit armé ou à une pandémie. Ou encore lorsqu’une ambassade doit subir des critiques pour telle position adoptée par son gouvernement.

Enfin la modestie - quoi qu’on en pense - est une qualité importante pour un diplomate car son contraire, la vanité, est la mère de toutes les indiscrétions.

Le métier a évolué. La figure aristocratique du diplomate d’antan est révolue. Elle a laissé place à celle du diplomate ouvert sur la société et à son écoute. L’époque de la diplomatie de la tasse de thé relève du cliché. Aujourd’hui le diplomate préfère souvent se mêler à la population du pays où il se trouve plutôt que fréquenter ses collègues dans les salons d’un club huppé. Le diplomate devient homme ou femme de terrain. On le retrouve dans un "barrio", ou dans un souk, dans la blogosphère, sur l’avenue principale d’une ville ou à proximité d’une zone de guerre.

Ce qui est au cœur de ce métier, c’est la compréhension de l’autre. Qu’il soit partenaire économique, adversaire stratégique, ou allié idéologique, c’est toujours et chaque fois de l’autre qu’il s’agit. L’instrument privilégié de la rencontre de l’autre, sur la scène internationale, est la négociation diplomatique.

Pour mieux connaître cet autre, il faut en étudier la culture, la langue parfois, le fréquenter, dialoguer avec lui. La relation avec l’autre peut devenir elle-même un élément de la vie internationale ; en elle, moi et les "autres" forment en quelque sorte un "nous", qui devient la communauté des nations.

Aux jeunes diplomates au début de leur carrière, je voudrais dire que pour faire ce métier, il faut aimer les autres êtres, leur vouloir du bien, s’intéresser à eux pour bien faire son travail et réussir comme diplomate. Et peut-être faut-il aussi quelque chose de l’idéal chevaleresque de ces personnages des romans d’aventure qui ont baigné notre jeunesse.

Copyright Septembre 2021-Delcorde/Diploweb.com

Publication initiale 5 septembre 2021


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Alors qu’elle est souvent imaginée comme un exercice de mondanités réservé à une élite, la fonction diplomatique va bien au-delà de la représentation lors d’échanges internationaux. Le diplomate joue un rôle clé dans le développement de la politique étrangère de son pays : il lui incombe de négocier des accords politiques, économiques ou écologiques avec des nations étrangères. Et cela exige d’importantes qualités de rhétorique, une connaissance très claire des rouages politiques et une grande capacité d’influence.

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[1Hubert Védrine, “Le monde va rester dur” in Samy Cohen (dir.), Les Diplomates : négocier dans un monde chaotique. Autrement, Paris, 2002, p. 74

[2Bertrand Badie, Le Diplomate et l’intrus, Fayard, Paris, 2008, p. 285

[3« Pierre Sellal, L’homme de la France à Bruxelles », Le Monde, 1/07/08, p.15

[4NDLR : Le mois d’août 2021, à Kaboul, l’a rappelé.

[5NDLR : Un diplomate confiait cependant lors d’une conversation informelle avec le fondateur du Diploweb.com « qu’une crise est aussi une opportunité pour faire avancer ses intérêts dans un contexte plus fluide où le champ des possibles s’ouvre. »

[6NDLR : En août 2021, à Kaboul, la zone ultrasécurisée des ambassades puis l’aéroport sont tombées l’une après l’autre sous le contrôle des taliban.

[7Yvan Bazouni, Le métier de diplomate, L’Harmattan, Paris, 2005, p.236


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