Vidéo. R. Perron et A. Le Roy Puissance, guerre et paix : quels rôles pour le multilatéralisme ?

Par Alain LE ROY , Jérémie ROCQUES, Joséphine BOUCHER, Pierre VERLUISE, Régine PERRON, le 8 avril 2020  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Régine Perron, maîtresse de conférences Habilitée à diriger des recherches en Histoire des relations internationales à l’Université de Cergy-Pontoise, spécialiste des relations internationales économiques entre l’Europe et les États-Unis, puis avec le Tiers-Monde. Alain Le Roy, diplomate, ambassadeur de France et ex-Secrétaire général adjoint de l’ONU et ex-Secrétaire général adjoint du Service européen pour l’action extérieure (UE). Images, son, photos et montage : Jérémie Rocques et Pierre Verluise. Une conférence Diploweb.com organisée avec la Prépa ENC Blomet et en partenariat avec le Centre Géopolitique. Résumé pour Diploweb.com : Joséphine Boucher.

La pandémie du Covid-19 démontre avec une terrible force la nécessité de repenser le multilatéralisme. Pour comprendre la période contemporaine et construire l’avenir, nous bénéficions dans cette conférence des regards croisés d’une historienne du multilatéralisme, Régine Perron, et d’un diplomate praticien du multilatéralisme à l’ONU, à l’UE et au G7/8, Alain Le Roy. La richesse de ces deux points de vue et expériences est bienvenue pour aborder un sujet d’autant plus essentiel que la France tente de réinventer ce système international, notamment via le Forum de Paris pour la Paix.

Résumé par Joséphine Boucher pour Diploweb.com

La pandémie du Covid-19 démontre avec une terrible force la nécessité de repenser le multilatéralisme. Pour comprendre la période contemporaine et construire l’avenir, nous bénéficions dans cette conférence du 2 décembre 2019 des regards croisés d’une historienne du multilatéralisme, Régine Perron, et d’un diplomate praticien du multilatéralisme à l’ONU, à l’UE et au G7/8, Alain Le Roy. La richesse de ces deux points de vue et expériences est bienvenue pour aborder un sujet d’autant plus essentiel que la France tente de réinventer ce système international, notamment via le Forum de Paris pour la Paix.

Qu’est-ce que le multilatéralisme ? En 1945, les États-Unis sont désormais une puissance à part entière, économique, financière, militaire et politique. Ils organisent le monde pour établir la paix sur la base d’un système international dont l’armature est le droit international fortement inspiré par la société et le droit américains, lesquels reposent sur la loi, le marché et l’individu. C’est le multilatéralisme. À partir de 1947, dans le contexte de la Guerre froide, il se régionalise : se concentrant d’abord sur l’Europe de l’Ouest dont les institutions naissent alors, les États-Unis ciblent ensuite le Tiers Monde allié (Amérique latine, Afrique, Asie) en créant des institutions régionales qui sont autant de remparts au communisme. Système international pour un et pour tous avec les États-Unis comme pôle dominant, la naissance du multilatéralisme marque alors l’entrée dans le siècle américain. Ce n’est pas une théorie économique comme peut l’être le libéralisme, mais plutôt un système international qui établit un équilibre entre le libéralisme de Smith et l’interventionnisme de Keynes. À une 1re phase d’inspiration keynésienne de 1945 à 1971 fait suite une 2e incarnée jusqu’à aujourd’hui par un courant néo-libéral. Ce système s’appuie sur des institutions multilatérales c’est-à-dire internationales et régionales définies par des principes moraux de non-ingérence, de non-discrimination et de respect des droits de l’Homme. Les pays qui y adhérent sont liés par la réciprocité et l’intérêt mutuel. Afin de réaliser l’ordre au-dessus du chaos, ils se fondent sur une base ternaire et égalitaire : la sécurité et la paix, la prospérité et le bien-être. Ces concepts de base sont omniprésents et dessinent une trame commune aux institutions du multilatéralisme qui, si elles ont pu être à l’origine de réalisations, ont aussi démontré leurs faiblesses. Notons en guise d’exemple le GATT et l’OMC qui ont certes mené au renforcement des échanges commerciaux et à la baisse des droits de douane, mais sans toutefois parvenir à inclure les pays du Sud au même niveau que les échanges des pays du Nord, et ce malgré le principe de non-discrimination. Quant au FMI, s’il a permis d’atteindre la stabilité du système monétaire (dollar, convertibilité des monnaies, stabilité des taux de change), il s’est engagé à partir des années 1970 dans la gestion des déficits des pays du Tiers-Monde avec des politiques d’austérité assez difficiles.

Véritable mode d’organisation des relations internationales, le multilatéralisme se traduit donc par la coopération d’au moins 3 États dans le but d’instaurer des règles communes. Il s’est incarné par des clubs, le G7 d’abord, créé en 1975, puis le G20 créé en 1999.

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Alain Le Roy et Régine Perron
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Mais son 1er symbole est évidemment l’ONU, créée en 1945 et garante proclamée du maintien de la paix internationale. La Charte des Nations Unies concentre et rassemble les principes fondamentaux, sinon les espoirs de 1945. Rappelons les premiers mots de son préambule : « Nous, peuples et nations unis, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ». L’article 24 du chapitre 5, consacré au Conseil de sécurité, affirme quant à lui la responsabilité principale de l’organe exécutif dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, en lui reconnaissant un rôle d’action et de décision au nom de ses États membres. Toutefois, 2011 marque pour certains une césure dans l’état d’esprit du Conseil de sécurité, et plus précisément lors du vote de la résolution sur la Libye le 15 mars 2011. La Russie de Medvedev n’oppose alors pas son veto et accepte de s’abstenir. Pour certains, la méfiance de la Russie de Poutine à l’égard des Nations Unies et le durcissement de son rôle en particulier dans l’affaire syrienne (2011 - ) doivent beaucoup de cette résolution outrepassée. Hormis le cas russe, la vision post-2011 semble également être celle d’une paralysie sur certaines questions épineuses. Le Conseil de sécurité est en effet paralysé sur le processus de paix au Proche-Orient en raison des menaces de veto américain, et sur la Syrie à cause du veto russe. L’existence de ce droit de veto a d’ailleurs pu être remise en cause par les autorités françaises qui ont proposé une mesure en 2015 pour réduire son usage en cas d’atrocités de masse. Sans pour autant modifier la Charte des Nations Unies, une déclaration franco-mexicaine a ainsi été adoptée et signée depuis par 102 pays, qui s’engagent volontairement et collectivement à restreindre le recours au droit de veto. Malgré l’exercice de plus en plus fort du droit de veto dans l’enceinte onusienne, l’ONU, organe multilatéral s’il en est, a indéniablement un rôle toujours légitime aujourd’hui, à l’image de ses organisations multilatérales et de ses programmes, des Conférences des Parties (COP) au Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) en passant par le Programme alimentaire mondial (PAM).

Toutefois, force est de constater que le multilatéralisme souffre aujourd’hui de l’évolution des positions américaine et chinoise. Le retrait américain n’occulte en effet pas totalement leur intérêt pour les instances multilatérales. Était ainsi présente à la COP25 de Madrid non pas le président républicain Trump mais la présidente démocrate de la Chambre des représentants Nancy Pelosi. Quant à l’émergence de la Chine, elle reflète une tendance, celle de l’affirmation de son rôle et de sa position aux Nations Unies. À titre d’exemple, elle est à l’origine de la création d’organisations comme la Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures (2014) ou BAII qui se pose comme véritable concurrente de la Banque mondiale et confirme alors le poids émergent de la puissance chinoise dans le jeu global et dans un multilatéralisme selon ses normes.

Alors, quelles sont les évolutions possibles ou souhaitables du multilatéralisme ? À l’inverse d’une forteresse figée, il s’agit d’un système évolutif, miroir de son époque : keynésien au lendemain de la guerre, néolibéral et en crise aujourd’hui. Critiquées, les institutions multilatérales semblent être dans l’impasse face à des conflits qui s’enlisent, face à la guerre commerciale sino-américaine, face à une Chine ambitieuse voire source d’inquiétudes, et face à la crise climatique et environnementale qui s’impose comme le défi de ce siècle. Dès lors, quelles évolutions envisager ?

Tout d’abord, il ne faut pas oublier que le multilatéralisme est un système en constante évolution depuis 1945, et ce conjointement au capitalisme et aux enjeux de son temps. Depuis ses débuts, il est guidé par une théorie économique et un cadre contextuel donné. De 1945 à 1971, le système multilatéral était keynésien, en réaction au libéralisme spéculatif de 1929, à la crise sociale des années 1930 et au fascisme né des désordres de la Grande Guerre et de la crise. De 1971 à nos jours, le néo-libéralisme s’est forgé en réaction à la perte de valeur du dollar et face aux besoins de plus de facilité bancaire. Depuis les années 1970, le multilatéralisme avait intégré la théorie néo-libérale comme mode d’action (privatisation, dérégulation, libéralisation). En 2019, le néo-libéralisme a aussi atteint ses limites, sous la forme d’une crise du libéralisme accompagnée d’une crise du capitalisme accentuée depuis 2008. Ainsi, pour répondre aux enjeux et aux défis de notre temps quant à l’évolution du système multilatéral et du capitalisme, il peut être pertinent, pour penser des relations internationales renouvelées, transformées, de penser des utopies pour avancer.

En ce qui concerne la puissance américaine, cette crise est alimentée par le président Trump pour qui ce système est une émanation de la vision idéaliste des démocrates américains. Si les États-Unis ne veulent plus y participer alors qu’ils en sont encore aujourd’hui le moteur, devons-nous les laisser partir ou les convaincre de rester car il en va de notre survie ? Devrons-nous envisager une nouvelle puissance ? S’agira t-il de la Chine, celle-là même qui exerce son influence dans le jeu global et organise en même temps, en périphérie, son propre maillage international avec les Nouvelles Routes de la Soie, véritable réseau d’obligations entre les États qui y adhèrent au niveau économique et financier ? Pourra-t-on parler d’une évolution du multilatéralisme à l’image de la Chine ?

Peut-être une autre solution serait-elle une coopération entre des institutions régionales, dont les représentants élus mettraient en place une gouvernance mondiale fondée sur les régions et non plus sur les États.

Tous ces périls auquel fait face le multilatéralisme sont autant de dangers d’une désorganisation des échanges mondiaux, commerciaux et du système monétaire international, et de la montée du protectionnisme qui se double d’une idéologie marquée par un rejet du libre-échange. Ce sont aussi les dangers d’une restriction des libertés d’expression, de conscience, de la libre-circulation des personnes et de l’accès à la nourriture pour tous. Ces 4 dernières libertés, énoncées par Roosevelt avant-guerre, sont le fondement même de la Charte des Nations Unies et donc du système multilatéral de 1945 qui défendait la paix des armes, la paix économique et la paix sociale.

Voir aussi Christian Lequesne, Elena Roney, Comment développer la puissance par l’image ? Entretien avec Christian Lequesne
La diplomatie publique est-elle aujourd’hui plus efficace que la diplomatie dite traditionnelle ? Une nouvelle forme de guerre, celle de l’information, remplace-t-elle la guerre “traditionnelle” caractérisée par des combats armés ? Comment la France pourrait-elle améliorer l’efficacité de sa diplomatie publique ? Voici quelques-unes des questions posées par Eléna Roney à Christian Lequesne qui vient de diriger « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021

Pour conclure, ce sont 3 urgences auxquelles le multilatéralisme pourrait ou devrait répondre aujourd’hui : l’urgence sociale et la construction d’une vision à long terme, la mise en place d’une institution phare pour l’environnement, et l’inclusion réelle des pays du Sud dans le système multilatéral. Il en va de l’équilibre et d’une certaine idée de l’ordre mondial, de l’humanité et du sens commun, pour forger un multilatéralisme rénové, plus inclusif et plus ouvert.

Copyright Mars 2020-Boucher/Diploweb.com


Bonus

Photos de la conférence de l’Ambassadeur Alain Le Roy et de la MCF HDR Régine Perron : "Puissance, Guerre et Paix : quels rôles pour le multilatéralisme ?"


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