Chargé d’enseignement à Sciences Po Paris, Nicolas Tenzer est spécialiste des questions internationales, ancien chef de service au Commissariat général du Plan, ancien président d’Initiative pour le développement de l’expertise française et francophone à l’international et en Europe (IDEFFIE), président fondateur du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP) et directeur de la publication et de la rédaction de la revue Le Banquet. Auteur de plusieurs rapports et ouvrages.
L’autonomie stratégique est assurément un élément de la puissance européenne. Sans cette capacité et les instruments de décision qui en sont l’accompagnement nécessaire, l’Union européenne restera une puissance incomplète. Mais cette autonomie ne saurait être ni pensée, ni perçue, ni vendue comme un signe de défiance à l’égard de nos alliés, en particulier les États-Unis.
Un texte de référence, solidement argumenté, publié en amont du Conseil des Ministres des affaires étrangères (UE) du 7 décembre 2020 à l’agenda duquel le thème sera abordé en même temps que celui de la relation transatlantique.
DEPUIS quelque temps, les dirigeants français, Emmanuel Macron et plus encore Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes – dont le titre modeste ne rend pas compte du rôle central -, n’hésitent plus, dans leur plaidoyer en faveur de l’Europe, à accoler à celle-ci le terme de puissance [1]. L’emploi du terme d’Europe-puissance n’est certes pas entièrement nouveau, mais c’est la première fois que, en particulier du côté français, on l’utilise aussi fréquemment et de manière volontariste, voire offensive, souvent couplée avec la notion de « souveraineté européenne ». Cela n’est pas dépourvu de lien avec la centralité nouvelle de l’Europe d’abord dans le discours politique d’un candidat à la présidence de la République, puis, de manière quasi structurelle, du président depuis devenu. François Mitterrand, puis François Hollande, furent certes des présidents très européens et ni Jacques Chirac, ni Nicolas Sarkozy, élus présidents, ne se montrèrent eurosceptiques. Mais aucun n’aurait utilisé avec autant de volontarisme le terme de puissance, à gauche parce qu’il reste toujours largement une forme de tabou – dans la lignée d’ailleurs de Jacques Delors -, à droite parce qu’il lui est difficile de l’utiliser pour une entité d’un niveau supérieur à celui de la nation. De leur côté, des dirigeants européens, comme la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et le Haut Représentant, Josep Borrell, n’hésitent pas à emboîter le pas.
Pour avoir plaidé pour que cette notion soit indissolublement attachée à l’Europe [2], je ne puis que me réjouir de cette conversion du regard. Elle me paraît potentiellement sonner le coup d’arrêt à des visions de l’Europe institutionnelle tantôt iréniques, tantôt frappées d’un économisme un peu court, tantôt aussi marquées par un fatalisme du déclin. Parler d’Europe-puissance pourrait signifier la fin des utopies européennes, mais on ne saurait considérer qu’elle met un terme à l’Europe comme continent caractérisé d’abord par des valeurs. Or, il existe aussi un risque que le mot lui-même, qui peut recouvrir des acceptions différentes [3], résonne comme une utopie de plus, qu’il exprime une intention dépourvue du support nécessaire de la réalisation et qu’au lieu de mobiliser et d’unir les Européens, il ne finisse au mieux par accroître leur incrédulité, voire leur scepticisme, au pire par exaspérer leurs divisions. Entre autres, le débat sur la notion d’autonomie stratégique en témoigne.
La seule question qui compte est dès lors de nouer la nécessité pour l’Union européenne – car nécessité il y a – d’être une puissance et ce qu’il convient d’appeler le « réalisme ». Ce réalisme, qu’on ne confondra pas avec le pseudo-réalisme dont parlait Raymond Aron [4], requiert qu’on s’attache aux objectifs essentiels qu’on entend assigner à l’Union européenne, qu’on perçoive adéquatement les menaces auxquelles elle doit répondre et qu’on comprenne le mode opératoire pour faire de ce dessein une ambition partagée. Cela sera d’ailleurs impossible sans évaluation partagée en amont des menaces pour la survie de l’Europe dont on devra noter qu’elle ne se limite pas à l’Union européenne.
Pendant longtemps, la puissance n’a pas été considérée comme un attribut nécessaire de la Communauté, puis de l’Union, européenne, ou, quand elle le fut, ce fut accessoirement ou partiellement. Le but originel de la construction institutionnelle de l’Europe était de garantir la paix et, à cette fin, d’intégrer, sinon de rendre dépendantes, les économies les unes avec les autres. Ce fut aussi de renforcer la prospérité de ses membres. Puis, ce fut très vite aussi – c’était indissolublement lié aux conditions d’une paix durable - garantir et consolider l’esprit démocratique et les garanties liées à la règle de droit. Cette affirmation fut d’abord appliquée dans l’ordre interne, avec comme couronnement la Charte des Droits fondamentaux [5], puis dans l’ordre externe avec la mise en place, lente et mesurée, d’une politique de sécurité et de défense commune et l’institution d’un Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité. Les élargissements successifs changèrent aussi le contour de l’espace européen de paix, avec en particulier l’intégration d’un certain nombre de pays de l’Europe centrale et orientale. Pour autant, s’agissant de la sécurité et de la défense, l’OTAN en était chargée, quand bien même certains pays de l’Union européenne n’y avaient pas adhéré. De surcroît, la chute du Mur (1989) a, pendant un bref temps, laissé croire que l’Europe n’avait plus d’ennemi, et cette pensée a, contre toute évidence, perduré de manière rémanente alors que des signaux lourds, venant de la Russie, du Moyen-Orient, puis de la Chine, apparaissaient.
Il reste que, pour beaucoup, la puissance appliquée à l’Union européenne reste essentiellement économique. L’idée n’est certes pas erronée, mais elle reste d’une portée concrète encore incomplète, sinon bancale. Certains pensent encore l’Union comme un ensemble économique large qui peut peser dans les négociations internationales dans ce domaine grâce à sa politique commerciale unifiée, au rôle mondial de l’euro et aux bénéfices que procure le marché unique. L’Europe comme ensemble géographique et construction politique apparaît ainsi comme l’un des pôles en face des États-Unis et de la Chine principalement, mais sans que le lien entre cette dimension et les questions de sécurité soient clairement établi, malgré une perception légèrement rectifiée depuis la pandémie de coronavirus (2019-2020). Une vision ainsi limitée comporte deux écueils. Le premier consiste à mettre sur le même plan les États-Unis, d’un côté, la Chine, de l’autre. Nous avons des différents commerciaux sévères avec les premiers, probablement appelés à perdurer, et nous pouvons assurément dénoncer des pratiques commerciales déloyales, une tentative hégémonique de ses géants technologiques et une offensive juridique de la Common Law [6], mais ce n’est pas à mettre sur le même plan que la menace chinoise qui n’est à l’évidence pas qu’économique. Le second écueil consiste à estimer qu’on peut affirmer sa puissance économique sans renforcer aussi sa capacité à répondre conjointement aux menaces en termes de sécurité et de valeurs. Cette déconnexion reste encore l’un des points aveugles de la puissance européenne.
Les rapports Albert-Ball et Cecchini de 1983 et 1988 avaient fait entrer dans la conscience européenne la notion de « coût de la non-Europe » [7]. On devrait aujourd’hui procéder à l’évaluation du coût, pour l’Union européenne, de la non-puissance, ou d’une puissance trop limitée par rapport aux objectifs qu’elle pourrait ou devrait se fixer. La puissance d’une entité constituée comme l’Union européenne concerne indissolublement trois champs.
Le premier est celui de l’économie ; elle requiert de l’ensemble européen, c’est-à-dire des nations qui le composent, non seulement des géants économiques de taille mondiale, mais aussi de vastes réseaux de petites et moyennes entreprises leaders dans leur secteur et des infrastructures, au sens large (y compris éducation, recherche et innovation), qui créent un environnement favorable. L’Union européenne doit favoriser ces capacités et leur permettre de lutte à armes égales avec leurs concurrents extra-européens et éviter de donner prise à une intrusion non maîtrisée d’acteurs menaçants [8]. Dans ce cadre aussi, il lui faut faire preuve de cohérence stratégique : c’est vrai pour la 5G chinoise qui ne saurait être acceptée dans l’UE, mais c’est indispensable aussi pour l’oléoduc Nord Stream 2 [9]. Dans ce dernier cas, l’Union européenne s’est, à raison sur le principe, élevée contre les sanctions extraterritoriales décidées par les États-Unis qui visent les entreprises impliquées, mais elle ne saurait s’asseoir sur les risques considérables, soulignés aussi par de nombreux parlementaires allemands, pour la sécurité énergétique de l’UE et, plus largement, en termes de gains stratégiques donnés au régime russe, première menace systémique aujourd’hui pour la sécurité de l’UE. Par leurs sanctions, les États-Unis appellent aussi l’UE à la cohérence, et le principal regret serait plutôt que les pays membres de l’Union n’aient pas eu le courage de prendre, collectivement, les décisions qui s’imposaient.
Le deuxième domaine de la puissance pour l’Union européenne est celui de la sécurité. Au-delà de l’évidence de l’énonciation, cela requiert de comprendre que l’UE en tant que projet est menacée. Elle l’est naturellement par le terrorisme sous toutes ses formes et des partis et des groupes en son sein qui font le jeu de puissances étrangères hostiles, mais elle l’est aussi parce que ces dernières ont ourdi un projet de destruction de celle-ci. Cette intention de délabrement n’est pas directement de nature guerrière, mais elle porte sur les principes démocratiques qui fondent la communauté européenne de destin. Pour ce faire, ces puissances, essentiellement la Russie de Poutine, entend attiser les facteurs de division internes aux sociétés, renforcer tout ce qui porte atteinte à la cohésion nationale et rendre plus difficile la rétorsion de l’UE à ses opérations de déstabilisation à l’extérieur. Lorsque l’Europe ne réagit que trop timidement à l’annexion de facto de 20 % du territoire géorgien (2008), à l’annexion de la Crimée et à l’occupation d’une large partie du Donbass ukrainien (2014), aux crimes de guerre qu’elle a perpétrés en Syrie et à un appui au régime criminel de Loukachenko au Bélarus, c’est l’Europe dans sa crédibilité sur le plan de la dissuasion et sa fidélité à ses principes qui est atteinte. La puissance de l’UE n’est qu’une illusion sans capacité de réponse et c’est sa sécurité à moyen terme qui se trouve mise en cause.
Le troisième champ de la puissance concerne dès lors nos principes, nos lois et les fondements constitutionnels de l’UE, non seulement parce qu’ils sont en danger, mais parce qu’une UE qui, en tout ou en partie, les répudierait, détricoterait aussi les éléments de sa puissance. Par cet abandon, elle signifierait qu’elle renonce à ce qui fonde la légitimité de sa puissance. Elle pourrait, en théorie, devenir une pure force, mais on douterait fort qu’elle y parvienne sans la référence à un corpus de valeurs. Les menaces qui pèsent sur elle ne sont d’ailleurs que pour partie liées aux éléments qui classiquement les constituent : certaines dictatures livrent à l’Europe un combat de nature idéologique. Nul ne peut, d’un côté, exprimer son alarme devant les risques de sécurité qu’elles représentent - et ce à raison -, et, de l’autre, ce qui est le cas dans certains pays de l’Europe centrale et orientale, reprendre leurs théories illibérales ou complotistes. Ils font concrètement le jeu de Poutine en conduisant des politiques qui menacent l’équilibre des pouvoirs et notamment l’autorité judiciaire et les médias libres, sans parler parfois d’une corruption protégée au plus haut niveau de certains États. Sans cette cohérence, la puissance s’érode, puis s’efface.
Il n’y a certes pas de puissance possible sans objectifs qui sous-tendent sa nécessité. Ceux-ci sont liés aux menaces qui viennent d’être évoquées, qu’il importe de percevoir dans une perspective large. Celles-ci peuvent être directes autant qu’indirectes et prendre place bien à l’extérieur de l’espace européen – au-delà de son « étranger proche ». Cette nécessité oblige à repérer ceux qu’il convient d’appeler « nos ennemis », non point que nous devrions artificiellement en fabriquer dans une démarche à la Carl Schmitt, mais parce qu’ils existent. Une telle entreprise requiert une réponse concrète et pratique qui ne s’embarrasse pas d’une conception géopolitique approximative et fondée sur des schémas abstraits donnant cours à une globalisation géographique et historique. L’UE se perd si elle embrasse une conception inspirée des anciens romans impériaux.
Le premier de ces présupposés erronés paraît presque dérivé des théories de Samuel Huntington sur le « choc des civilisations » et ses aires, même si elle les précède historiquement. Il fait droit à l’idée que l’Europe pourrait être une forme de « puissance d’équilibre » entre, d’un côté, les États-Unis, et, de l’autre, la Chine [10]. Mais outre que le concept est historiquement douteux, a fortiori dans le contexte international propre au XXIe siècle, il repose sur l’assomption d’une précellence de la géographie par rapport au politique. Ou, pour prendre une référence plus récente, il ressuscite implicitement une logique de blocs, où la Chine aurait remplacé l’Union soviétique, et où l’Europe, tant institutionnelle que géographique, se devrait de figurer une troisième voie entre des puissances impériales. Même si l’on peut faire l’hypothèse que la Chine de Xi Jinping obéit pour partie à une telle logique, ce n’est plus celle des siècles précédents. Il n’en est évidemment rien des États-Unis à l’époque actuelle quel qu’en soit d’ailleurs le président. Si la Russie n’est aujourd’hui en rien un « empire », elle conduit toutefois des politiques de nature impérialiste sous la direction de V. Poutine, et politiquement rien ne permet de rattacher ce qu’elle est devenue à l’Europe contre laquelle elle mène une politique agressive. Il faut, là aussi, reprendre l’analyse de Raymond Aron selon laquelle les régimes ont plus d’importance que des données prétendument intemporelles, qu’elles soient historiques ou géographiques. Ce ne sont pas ces données qui forgent la notion « d’intérêts » [11] tels que les dirigeants se la réapproprient, mais bien des choix politiques. Il serait dès lors malvenu de pousser l’UE vers la quête d’un improbable équilibre, ce qui serait de manière logique antagoniste de toute affirmation de puissance. Une telle conception éternitariste serait opposée à toute compréhension des risques liés non à une forme de géomorphologie des plaques géographiques mais à des facteurs politiques liés à des régimes précis. Elle a moins à se définir « par rapport » aux autres puissances qu’à chercher comment se protéger contre les menaces.
Le second présupposé faux repose, de manière dérivée, sur une conception à la fois géographique et culturelle de la frontière. On peut s’accorder sur le fait que l’Union européenne en tant que puissance et construction institutionnelle et politique a besoin de frontières. Au-delà des raisons pratiques – une puissance ne peut s’affirmer si elle se compose d’un trop grand nombre d’États aux intérêts et aux valeurs divergents -, une extension indéfinie marquerait comme une hésitation sur la cohérence de l’affirmation. Faut-il faire droit aux données géographiques pour autant ? Oui, certainement, si l’on considère la nécessaire continuité territoriale et maritime. Personne ne songe sérieusement à intégrer à l’Union européenne les pays de la rive sud de la Méditerranée. Sur le papier, l’espace demeure large. Où faut-il donc arrêter les frontières de l’Europe ? Au-delà de ces évidences, la géographie est d’un piètre secours. Sur le plan culturel, la réponse est d’autant moins évidente qu’une large partie du monde partage les éléments culturels propres à l’Europe. La religion est-elle un facteur déterminant d’exclusion ? Oui, si elle prévaut sur les lois civiles et politiques. Non, si elle demeure dans la sphère privée. La question peut d’ailleurs se poser dans des États aujourd’hui membres de l’Union si, instrumentalisée par le politique, la religion joue un rôle contraire aux principes sanctionnés par les traités qui la constituent ou conduit à des solidarités religieuses avec des régimes menaçants. Mais sur le principe, la religion de la majorité de la population n’offre pas une indication sur l’adhésion ou non aux règles de l’Union. Le critère premier est d’ordre politique avec une double dimension, interne et externe. D’abord, et c’est clairement établi par les traités, les conditions d’adhésion sont claires : reprise de l’acquis communautaire et, en particulier, des principes qui gouvernent toute démocratie, notamment indépendance de la justice, lutte contre la corruption, libertés universitaires et liberté des médias et respect de la Charte des droits fondamentaux. Les dérives de certains régimes – aucun pays ne peut d’ailleurs prétendre être totalement immunisé sur le moyen terme - laissent augurer que l’application de ces principes sera plus stricte. Sur le plan externe, la question porte sur l’intérêt – lequel inclut nos valeurs - que nous avons à accueillir de nouveaux membres. Pouvons-nous, d’une part, sans blesser notre légitimité, laisser de côté les pays de l’espace européen qui frappent à nos portes au nom de valeurs partagées ? La question pourra se poser pour l’Ukraine comme pour le Bélarus. Pouvons-nous, d’autre part, négliger nos intérêts de sécurité, liés à ceux de nos voisins, qui commandent l’arrimage d’autres pays de l’Europe à l’Union européenne ? Ne faut-il pas considérer que nos intérêts de sécurité sont mieux garantis si certains pays, notamment ceux des Balkans occidentaux qui n’en font pas encore partie, adhèrent à l’Union ? Les accords d’association sont-ils suffisants pour que ces pays ne soient pas tentés de détourner leur regard vers d’autres puissances ? Certains pourront toujours rétorquer, à bon droit, qu’une adhésion ne garantit rien et que, une fois membres, certains pourraient se comporter comme des chevaux de Troie en privilégiant des relations vers la Russie, la Chine ou la Turquie. Cette objection ne pourra être valablement levée que si l’Union européenne tout entière a clarifié ses positions par rapport aux puissances hostiles ou potentiellement telles tant sur le plan économique que stratégique. Nous ne pouvons attendre de position claire des nouveaux membres potentiels que si nos propres règles de comportement par rapport à ces puissances sont transparentes et sans faille.
Enfin, un troisième présupposé limite les intérêts européens aux événements liés à l’intérieur des frontières de l’Union européenne et reconnaît implicitement la légitimité de zones d’influence. Si l’on considère que le destin de l’UE est lié à l’extension de la zone de droit - ce qui est une manière de garantir sa sécurité à long terme -, elle ne peut faire comme si la destruction des règles de droit était inessentielle à ses intérêts vitaux. Dans son environnement proche, l’annexion illégale de la Crimée et l’invasion du Donbass par le Kremlin à la suite de la révolution de Maidan, et le soutien de fait à la politique de répression de Loukachenko au Bélarus que la Russie entend garder dans sa zone d’influence, ont un impact direct sur l’avenir de l’Union européenne. Lorsque le même régime, en appui à celui d’Assad, coupable de crimes contre l’humanité, bombarde impunément et tue de milliers de civils, dont de nombreux enfants, en Syrie et vise délibérément des hôpitaux et des marchés, ou encore bloque, souvent avec la Chine, par ses vetos, les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, c’est la loi internationale que l’Europe d’après-guerre avait portée qui est menacée – et le monde en devient moins sûr. Des dirigeants européens conséquents ne sauraient, en les taisant, banaliser les crimes de guerre, imprescriptibles, du régime russe. Il ne saurait y avoir de garantie d’une paix durable pour l’UE si celle-ci n’est pas capable – d’où la nécessaire puissance - de marquer un coup d’arrêt et donc d’intervenir si les États-Unis ne le souhaitent pas. C’est pour cette raison aussi que nous ne saurions accepter un ordonnancement du monde fondé sur des zones d’influence. Un tel monde donnerait de fait une prime aux zones de non-droit et renforcerait les régimes dictatoriaux. S’en laver les mains serait là aussi, à moyen terme, affaiblir l’UE, sa crédibilité internationale et sa sécurité.
C’est donc contre ces trois idées fausses qu’il convient de définir les missions essentielles de l’Union européenne. Celles-ci ne sont pas « naturelles » ou comme liées à une incertaine essence de l’Europe, mais entièrement nouées à un projet politique fondé sur la défense de la liberté et de la règle de droit. Il requiert que nous nous opposions à certains régimes, non pas pour « équilibrer » le monde en vertu d’une conception « géographisante » de l’espace européen, mais parce qu’ils portent atteinte à nos principes. Il suppose que nous préservions notre modèle social et, indissolublement, notre puissance économique, le premier parce qu’il correspond à un choix, la seconde parce que, sans elle, nous ne pouvons rien accomplir. Ainsi, si le renforcement de nos capacités de production s’impose et si nous ne pouvons être le point d’entrée des grands groupes mondiaux de technologie digitale, ce n’est pas par orgueil, mais parce que nos libertés pourraient être mises en danger. De même, nos alliances n’ont d’autre objectif que de trouver des renforts pour accomplir notre projet, puisque l’UE ne sera pas avant longtemps capable d’agir seule – mais cela requiert, nous y reviendrons, une cohérence totale dans notre action.
La notion d’autonomie stratégique, déjà mentionné dans la « stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’UE » en juin 2016, a été développée et mise au cœur de son projet par Emmanuel Macron. Dans un récent entretien [12], il a encore précisé son idée : « Il s’agit de penser les termes de la souveraineté et de l’autonomie stratégique européennes, pour pouvoir penser par nous-mêmes et non pas devenir le vassal de telle ou telle puissance et ne plus avoir notre mot à dire ». Un peu plus avant, il explicite ce point : « Sur le plan géostratégique, nous avons oublié de penser car nous pensions par le truchement de l’OTAN nos relations géopolitiques ». Plus loin encore, il exprime la volonté que « l’Europe retrouve les voies et les moyens de décider pour elle-même, de compter sur elle-même, de ne pas dépendre des autres (…) et de pouvoir coopérer avec qui elle choisit ». Depuis son appropriation par le président français, la notion a fait l’objet de discussions infinies dans les milieux spécialisés sur les questions stratégiques. Autant, en effet, la notion paraît relativement claire dans le domaine économique – notamment dans leurs dimensions technologiques et sanitaires (à la suite de la crise de la Covid-19) -, autant dans le domaine de la sécurité extérieure, la notion même divise. Certes, sur le plan économique, de nombreux débats existent, notamment sur le degré acceptable de dépendance par rapport aux fournisseurs extérieurs et le niveau nécessaire d’auto-approvisionnement de certains produits [13], mais dans le second domaine le terme même est en cause. Derrière les discussions terminologiques, se situent des débats concrets, dont le plus sensible est celui du rôle de l’OTAN dans la défense de l’UE et la dimension, première, indispensable ou relative, du lien transatlantique.
La présidence Trump (janvier 2017-janvier 2021) a été un catalyseur de cette réflexion en raison des doutes apparus sur l’engagement des États-Unis dans l’OTAN et la fiabilité de la garantie de sécurité qu’ils seraient, le cas échéant, prêts à apporter. Ce débat n’est pourtant pas nouveau. Il existait déjà en Asie, malgré le « pivot » d’Obama, chez les alliés asiatiques de l’Amérique, principalement Japon et Corée du Sud. Dans les pays de l’UE, en France en particulier, le refus final du président américain, en 2013, d’intervenir en Syrie après les massacres à l’arme chimique de la Ghouta alors que tous les plans militaires étaient prêts et, partant, de faire appliquer les lignes rouges qu’il avait lui-même définies, a révélé crûment notre dépendance par rapport à notre grand allié. Si la présidence Biden (20 janvier 2021 - ) laisse augurer un engagement solide dans l’OTAN, une attention plus grande, même que sous la présidence Obama, à l’endroit de l’UE et un net renforcement de la relation transatlantique autour de valeurs et d’actions communes, une perspective de moyen et long termes permet de penser que cette communauté de vues ne comporte aucune garantie de durée, en particulier si les États-Unis, un jour, élisaient un nouveau Trump.
Cette discussion, toutefois, ne porte que sur l’une des deux dimensions de l’autonomie stratégique en termes de sécurité. La première concerne effectivement la protection devant des menaces extérieures sur le sol européen. Devant une potentielle incertitude américaine, nous devons effectivement nous préparer et renforcer encore davantage notre effort de défense « défensive ». Mais le chemin à parcourir est assurément long et loin d’être a priori acquis. Comme me le disait récemment un haut responsable français, si nous voulions être parfaitement cohérents dans cette intention, nous devrions porter plutôt l’effort européen à la hauteur de 5 ou 6 % du PIB, et non pas de 2 % ! Il est peut-être prématuré de dire, comme l’a fait, dans l’entretien précité, Emmanuel Macron, que « l’Europe de la défense, nous l’avons faite », a fortiori quand on sait les déboires du Fonds européen de défense qui est loin d’être alimenté de manière optimale. L’UE est encore loin de disposer, sur le plan juridique et plus encore opérationnel, de l’équivalent de l’article 5 (défense collective) du Traité de Washington. Pour longtemps encore, nous aurons besoin de l’OTAN pour répondre aux menaces extérieures et la France devrait investir plus, de manière cohérente, volontariste et publique, dans la redéfinition de ses missions [14], en particulier à l’endroit de la Russie de Poutine et de la Chine de Xi Jinping.
La seconde dimension concerne la défense « offensive », autrement dit l’intervention sur des théâtres d’intervention extérieurs dès lors que les États-Unis, quelle qu’en soit la raison, ne le souhaitent pas, notamment au Moyen-Orient, en Afrique et dans le voisinage européen. Sur ce plan, l’autonomie stratégique relève moins d’une distance par rapport à l’Amérique que de la capacité de construire une force suffisamment puissante pour pallier cette absence. Pour l’instant, sauf pour certaines opérations de lutte antiterroriste, dans lesquelles toutefois les capacités du renseignement militaire américain restent en général un apport indispensable, les États-Unis ne sont certes pas toute la solution, mais une partie de celle-ci. Nul ne saurait imaginer une possible intervention sur le sol européen, au Moyen-Orient et dans l’Asie proche, sans leurs moyens militaires. Qui pourrait estimer aujourd’hui possible, en admettant qu’elle en forme l’intention, une intervention de l’Union européenne seule en Irak, en Syrie, en Libye ou en Afghanistan ? Aurait-elle même, le cas échéant, les moyens d’envisager une opération de maintien de la paix, par exemple, en Géorgie, en Ukraine ou dans le Haut-Karabakh ? L’Union européenne doit assurément s’en donner les moyens à terme, mais là aussi la route paraît longue, indépendamment même de sa capacité à formuler une politique extérieure cohérente et consensuelle sur certaines zones et d’en avoir la résolution.
En somme, l’autonomie stratégique est assurément un élément de la puissance européenne. Sans cette capacité et les instruments de décision qui en sont l’accompagnement nécessaire, l’Union européenne restera une puissance incomplète. Mais cette autonomie ne saurait être ni pensée, ni perçue, ni vendue comme un signe de défiance à l’égard de nos alliés, en particulier les États-Unis. C’est, encore pendant longtemps, avec eux que nous devrons agir et trouver les moyens d’entente et de mise en cohérence de nos actions et de nos principes. Pour paraphraser Aron, nous pourrions dire que, pour au moins la décennie qui vient, sans doute plus, nous resterons dans une forme d’« autonomie improbable, dépendance impossible ». On peut et l’on doit souhaiter s’affranchir de la seconde ; on ne peut que constater le temps qui reste au projet d’autonomie. La relation transatlantique restera pour longtemps encore, que nous le souhaitions ou non, l’horizon de la sécurité de l’Europe.
On a eu souvent coutume d’opposer l’Europe puissance à l’Europe de la règle de droit, ce conflit étant parfois présenté comme l’Europe de la singularité contre l’Europe de l’universalisme. Cette opposition ne tient pas : l’UE a besoin de la puissance pour faire respecter une idée universaliste de la règle de droit et la puissance elle-même ne peut acquérir une légitimité que sur l’horizon de la loi internationale. Au demeurant, la règle de droit, y compris sa dimension de droits de l’homme, quand bien même elle a été portée à l’origine, sur le plan interne et international, par des philosophes et des juristes essentiellement européens, n’est un apanage ni européen ni occidental [15] : c’est au nom de celle-ci que des peuples, en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe, se révoltent contre des tyrannies sans avoir lu aucun penseur européen. La puissance de l’UE ne saurait être, sur le plan des principes et de la sécurité [16], pensée d’abord dans les termes d’une opposition au reste du monde, mais dans ceux d’une convergence. L’UE n’a certes pas la vocation à jouer le rôle d’une puissance messianique au sens où l’on a parlé, à propos des États-Unis, d’un « messianisme botté », mais elle a vocation, dès lors que les peuples le demandent, à défendre les libertés, la démocratie et les droits. Elle ne saurait se tenir en retrait sauf à voir s’éroder un environnement qui lui est favorable. Les régimes qui assaillent la liberté dans le sang ne sauraient être ses amis, ni même ses partenaires. C’est aussi son intérêt de sécurité bien compris.
C’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre la pertinence de ses alliances. L’UE ne pourra jamais mettre sur le même plan et renvoyer dos à dos les États qui soutiennent les droits des êtres humains et ceux qui les bafouent : elle n’est pas une puissance neutre et elle ne saurait mettre en équivalence les agresseurs et les agressés. Dans une récente tribune [17], les ministres français et allemand des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian et Heiko Maas, mettaient au centre du renouveau de la relation transatlantique avec le président Joe Biden la question des droits et des valeurs. Ils avaient raison, mais cette affirmation ne saurait en rester au niveau des principes si l’on entend que la puissance européenne – américaine aussi - ne reste pas virtuelle. La pire guerre d’extermination du XXIe siècle, depuis 2011, en Syrie, avec ses 700 000 morts et ses crimes contre l’humanité et crimes de guerre sans fin témoigne du coût de la non-intervention contre un régime criminel à la fois sur le plan humain et sur le plan stratégique. Elle a jeté une ombre durable sur la cohérence et la fiabilité de nos proclamations. Elle a donné à deux puissances révisionnistes, la Russie et l’Iran, des avantages stratégiques et idéologiques déterminants [18].
Dans cet esprit, le président élu Joe Biden (novembre 2020) avait émis l’idée d’un « sommet mondial pour la démocratie » tandis que Boris Johnson, de manière peut-être moins crédible, avait lancé le projet d’un « D-10 ». Il est certainement possible de discuter le principe d’un tel sommet, sa composition – le cas de l’Inde, notamment, peut prêter à débat en raison de la politique de Narendra Modi -, ses objectifs concrets et les résolutions opérationnelles qui peuvent s’ensuivre. Mais l’idée elle-même rejoint la réalité du monde présent : quasiment partout dans le monde, les démocraties s’affrontent à des régimes illibéraux, voire dictatoriaux et criminels, et, souvent, à des tentatives de déstabilisation. Nous ne sommes certes plus dans la période de la Guerre froide et nous ne saurions faire droit à une nouvelle théorie des dominos. Nous n’avons plus des adversaires pourvus d’une idéologie au bloc constitué comme les communismes soviétique et maoïste, sans parler de l’Allemagne nazie et de l’Italie fasciste. Mais nous avons en face de nous des régimes à l’idéologie, certes syncrétiste [19] et d’apparence moins dure, qui agissent en ennemis et souhaitent imposer au monde, y compris au sein des organisations internationales, un système de valeurs qui facilite, voire légitime, leur politique agressive. Devant ce danger majeur pour le monde, l’Union européenne tout entière devra choisir et agir. La puissance ne saurait tolérer qu’on considère cette hostilité manifeste comme un fait accompli, déterminé et inévitable comme le font certains avocats en France [20] et dans certains pays de l’UE d’une complaisance envers notamment la Chine, la Russie et certains régimes moyen-orientaux. Là aussi, pendant une durée encore longue, nous ne saurions agir seuls et le renforcement de nos alliances, tant en Amérique du Nord que dans la zone Asie-Pacifique, reste la seule voie concrète.
Le risque, souvent souligné, pour l’UE est celui de l’incantation de la puissance. La nécessité, devant les dangers, est celle du réalisme. Celui-ci ne saurait être bâti qu’au regard de la considération des menaces et des moyens pour parvenir à les contrer. Il repose, nous l’avons dit, sur la considération des alliances qui demeurent indispensables et aussi, de manière immédiate, sur les moyens d’action dont nous disposons. Sans être encore parvenue à se doter de tous les instruments de la puissance – ou de l’autonomie stratégique -, l’Union européenne peut et doit faire plus. Dans bien des cas, elle ne saurait être réduite à un ministère de la parole qui répète, ad nauseam, les formules creuses de la « préoccupation », du « blâme » et d’ailleurs également du « soutien ». Nous pouvons aussi éviter de donner des armes à nos adversaires en reprenant leurs récits et leurs argumentaires, notamment en se gardant de faire état d’une « compréhension » à leurs égards ou de nos « fautes ». Nous pouvons et devons mieux les désigner et exposer ce qu’ils font – nous avons heureusement commencé à le faire, s’agissant du régime de Poutine, lors de la tentative d’empoisonnement de Navalny (2020), beaucoup moins sur la Syrie, et s’agissant de la Chine, sur les crimes contre l’humanité envers les Ouïghours, quoique trop peu, mais quasiment pas sur Hong Kong et les menaces envers Taïwan. Nous ne l’avons quasiment pas fait sur les Rohingyas de Birmanie et les crimes de guerre au Yémen. Notre plaidoyer en faveur des combattants de la liberté des Printemps Arabes a été quasiment nul, au nom sans doute d’une vision à courte vue d’une prétendue « stabilité ». Notre politique européenne a été aussi très insuffisante sur l’accueil des réfugiés en provenance des régimes persécutés, de la Syrie jusqu’à Hong Kong. Trop souvent aussi, nous pensons pouvoir conduire deux politiques contradictoires, sur le plan économique et stratégique, parce que nous les estimons disjointes : l’exemple déjà évoqué de Nord Stream 2 en est l’illustration emblématique. Nous paierons au prix fort cet aveuglement stratégique et ces compromissions.
Or, si nous souhaitons nous donner les moyens et la crédibilité de la puissance, nos actes doivent suivre. Il y a ainsi urgence à adopter un « Magnitsky Act » européen et un « César Act » sur la Syrie. Il y a urgence à mettre en place un tribunal international pour juger les crimes commis au Bélarus par le régime Loukachenko et à développer, là et ailleurs, une politique conséquente d’aide à la démocratie qui passe par le soutien à l’opposition, aux médias libres, aux ONG et aux universités. En Ukraine, au-delà des indispensables sanctions en place depuis 2014 et de l’aide économique considérable de l’Union européenne, nous devons plus clairement prendre parti sans, comme cela a pu être la tendance, prétendre à une neutralité. Le réalisme doit être uniquement dicté par les attaques, directes ou indirectes, dont nos principes – et derrière des personnes - sont la cible.
Ceci n’est qu’un premier et nécessaire commencement. Mais si nous ne sommes pas, dès à présent, mus par la volonté de faire respecter, autant qu’il est possible, les règles auxquelles nous tenons, comment, et au nom de quoi, la puissance que nous appelons de nos vœux pourra-t-elle devenir une réalité ? Ce sont les actes d’aujourd’hui qui déterminerons notre puissance future – il n’est pas certain que nous en ayons pris le chemin.
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Le monde change, tous les jours, peut-être plus vite que jamais, mais la puissance reste. La puissance reste, mais elle change elle aussi, tous les jours, dans ses modalités. Pourtant, il y a des fondamentaux. Lesquels ? C’est ce que vous allez découvrir et comprendre. Ainsi, vous marquerez des points. Des points décisifs à un moment clé.
[1] Dans son long article « L’Europe, par-delà le COVID-19 », Clément Beaune développe notamment l’idée d’un « agenda de puissance », Politique étrangère, vol. 85, n° 3, Automne 2020. Il y revient avec de nouvelles précisions dans son entretien au Grand Continent, « “L’Europe puissance”, une conversation avec Clément Beaune », 3 décembre 2020.
[2] J’avais notamment conclu ainsi mon article de 1996 « A quoi doit servir l’Europe ? », Le Banquet, 1er semestre 1996, n° 8. Voir aussi notamment mes papiers « L’Europe entre incompréhension et espoir », in A. Gattolin, F. Miquet-Marty, La France blessée, Paris, Denoël, 2003 ; « L’intégration par la puissance », Le Figaro, 16 avril 2002 ; « Une puissance qui ne sera pas banale », Le Figaro, 8 mars 2005 ; « EU : Decline or Rebirth ? », Le Banquet, n° 30, juin 2012 ; « Sauver l’Europe : quel agenda pour les dirigeants de l’Union européenne ? », The Conversation, 11 mai 2016 ; « Devant l’urgence historique, l’Europe géopolitique est la seule réponse », Le Huffington Post, 4 mars 2019.
[3] Voir notamment Bastien Nivet, « De quoi l’Europe puissance est-elle le nom ? », The Conversation, 29 octobre 2020.
[4] Voir notamment « Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales ? », Revue française de science politique, 17/5, 1967.
[5] Adoptée à Nice le 7 décembre 2000, elle a été officiellement proclamée le 12 décembre 2007 et elle est devenue contraignante avec la ratification du Traité de Lisbonne.
[6] Nous avions déjà abordé ce point dans notre rapport officiel de 2008, « L’expertise internationale au cœur de la diplomatie et de la coopération au XXIe siècle. Instruments pour une stratégie française de puissance et d’influence », La Documentation française, 2008, https://www.vie-publique.fr/rapport/29969-expertise-internationale-au-coeur-diplomatie-et-cooperation-du-xxi-siecl
[7] Pour un usage actuel, voir notamment le rapport au Parlement européen de Joseph Dunne, Evaluer le coût de la non-Europe, juillet 2014.
[8] Pour la Chine, nous renvoyons notamment à notre article « L’Union européenne doit protéger ses citoyens de l’intrusion technologique chinoise », La Tribune, 12 novembre 2020.
[9] Pour une vue d’ensemble, assez neutre, des enjeux, voir C. Marangé, A. Palle, S. Ramdani, Le gazoduc Nord Stream 2. Enjeux politiques et stratégiques, Etudes de l’IRSEM n° 62, décembre 2018. Voir aussi l’appel – cosigné par l’auteur de ces lignes - qui alerte sur les dangers du projet « Public Appeal of Security Experts From EU Member states. 6 Reasons Nord Stream 2 Will Be Germany’s Strategic Mistake For Decades To Come », European Values Center for Security Policy, https://www.europeanvalues.net/nordstream/
[10] Nous avions déjà développé ce point dans notre article « Diplomatie française, quelles alliances et quelles valeurs (2) ? », The Conversation, 14 octobre 2020. Nous présentons ici une discussion plus globale.
[11] Pour une discussion critique de l’utilisation des notions d’intérêt, de réalisme, de régime et de stabilité, nous renvoyer à notre papier « Le retour d’une géopolitique archaïque serait un désastre stratégique », The Conversation, 20 octobre 2019.
[12] « La doctrine Macron : une conversation avec le Président français », Le Grand Continent, 16 novembre 2020. Voir aussi la réponse que lui avait apportée la ministre de la Défense allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer (« Autonomie stratégique : la réponse d’AKK à Macron », Le Grand Continent, 17 novembre 2020) et le commentaire d’Ulrike Frank (« Sur quoi porte notre dispute ? L’Allemagne, la France et le spectre de l’autonomie européenne, Le Grand Continent, 18 novembre 2020).
[13] La discussion est certes plus complexe et n’est certainement anodine ni en termes de puissance, ni de conception du commerce international. Pour les uns, l’autonomie stratégique concerne essentiellement, voire exclusivement, les produits dits précisément « stratégiques » (dont la liste est, elle-même, l’objet de débats, et qui peut concerner d’abord les produits liés à la sécurité, l’aéronautique, les technologies essentielles, notamment numériques, les médicaments et produits médicaux, etc.). Pour les autres, cette autonomie nouée à la puissance suppose que nous reconquérions la possibilité d’héberger en Europe certaines chaînes de production de produits « secondaires » pour contrecarrer la puissance économique et commerciale de certains pays, principalement Chine, Inde et États-Unis, considérée comme un vecteur de notre affaiblissement. S’y ajoutent aussi des préoccupations écologiques.
[14] Le rapport du groupe d’experts, NATO 2030 : United For A New Era (https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/2020/12/pdf/201201-Reflection-Group-Final-Report-Uni.pdf) remis au secrétaire général de l’OTAN le 25 novembre 2020 pourrait, voire devrait, être l’occasion pour la France d’une prise de position proactive et appuyée sur le rôle de l’OTAN dans la défense de l’Union européenne et de l’Europe plus largement.
[15] Nous avions développé ce point notamment dans « L’universalisme occidental : illusion antique ou succès planétaire ? », Revue Défense nationale, n° 751, juin 2012.
[16] Nous ne parlons certes pas ici de l’opposition née de la compétition économique qui relève d’une autre logique.
[17] « Repenser le partenariat transatlantique à la lumière des bouleversements qui redessinent le monde », Le Monde, 17 novembre 2020.
[18] Nous avions développé cette idée en particulier dans « La guerre russe en Syrie change l’ordre du monde et le visage du XXIe siècle », Le Huffington Post, 20 décembre 2016 et dans « Sommes-nous trop lâches pour mettre fin à la guerre d’extermination en Syrie », Le Huffington Post, 27 décembre 2019.
[19] Pour le régime russe, la lecture de l’ouvrage de Timothy Snyder, The Road to Unfreedom, Londres et New York, Penguin Random House, 2018, est indispensable.
[20] Pour une illustration, voir Galia Ackerman, Nicolas Tenzer, Françoise Thom, Cécile Vaissié, « Le discours de Hubert Védrine analysé par des spécialistes », Political, 18 octobre 2020, https://www.political.fr/single-post/discours-hubert-v%C3%A9drine
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