Après avoir été élève au Collège Stanislas à Paris, Eléonore Lebon Schindler poursuit ses études en classe préparatoire littéraire au Lycée Blomet (Paris). Elle envisage de travailler dans le domaine de la diplomatie, de la géopolitique ou encore des relations internationales. Elle a réalisé en juin 2020 un stage à la rédaction du Diploweb.com.
EUvsdisinfo.eu déconstruit la propagande pro-russe diffusée au sein de l’UE et des pays du Partenariat oriental, dément la désinformation du Kremlin sur la scène internationale et sensibilise au danger de la désinformation en général. Une ressource à connaître.
AVEZ-VOUS déjà entendu parler du site EUvsDisinfo développé par East Stratcom pour la Commission européenne ? Rassurez-vous, rares sont les français qui le connaissent. Nous ne semblons pas faire partie du premier public visé puisque très peu d’articles ont été traduits en langue française. Pour autant, il serait dommage de ne pas s’intéresser à cette mine d’informations mise à la disposition de tous. En effet, ce site analyse des données, issues de médias souvent financés par le gouvernement russe, rédigées en plus de quinze langues différentes. Il a pour principal objectif de déconstruire les théories conspirationnistes véhiculées dans les pays de l’Union européenne (UE) et les pays du Partenariat oriental de l’UE : l’Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Soit six anciennes Républiques précédemment intégrées à l’URSS et que la Russie post-soviétique considère depuis les années 1990 comme son « étranger proche ». Depuis 2019, le site couvre également la désinformation émise en direction des Balkans, candidats à l’UE, et plus largement au sud de la Méditerranée.
Vous allez probablement vous demander : mais pourquoi ce site s’intéresse-t-il principalement à la propagande russe ? Parce qu’après l’annexion illégale de la Crimée et son soutien au "régime" indépendantiste du Donbass en Ukraine orientale en 2014, la Russie a financé une vaste campagne de désinformation visant l’UE, les pays du Partenariat oriental ainsi que les États-Unis. L’UE a, alors, mis en place diverses réponses, le site https://euvsdisinfo.eu/ est l’une d’entre elles. Quels sont les principaux objectifs et données du site EUvsdisinfo.eu ? EUvsdisinfo.eu dévoile la propagande pro-russe diffusée au sein de l’UE et des pays du Partenariat oriental (1), dément la désinformation du Kremlin sur la scène internationale (2) et sensibilise au danger de la désinformation en général (3).
D’un tableau peu flatteur de l’UE et de « l’étranger proche » peint par la propagande du Kremlin …
Le site EUvsDisinfo a pour objectif premier de déconstruire la désinformation massive du Kremlin visant les pays de l’UE et près de la moitié des pays qui constituent ce que la Russie appelle son « étranger proche ». Cette expression est apparue à la suite de la chute de l’URSS et désigne les anciennes Républiques Soviétiques. Elle démontre que la Russie souhaite garder une certaine influence sur ces pays et que l’intégration de certains d’entre eux à l’OTAN ou à l’UE ne lui convient pas du tout.
Le site a démenti des milliers d’articles depuis 2015 et propose en libre accès une base de données rassemblant ses analyses des articles de propagande, dont les sujets varient entre réécriture de l’histoire et diffusion de théories du complot destinées à entacher la réputation d’un pays. Une Revue de désinformation est également proposée chaque semaine et résume les nouvelles fausses informations.
Une des cibles privilégiées de cette campagne de désinformation est l’Ukraine, qui est régulièrement accusée d’être russophobe, d’être une marionnette à la solde des États-Unis, de molester ses vétérans de la Seconde Guerre mondiale… D’autres articles affirment encore que les manifestations de l’Euromaïdan [1] n’étaient que le fait des nationalistes, que l’armée ukrainienne tirait volontairement sur des civils et violait des femmes impunément. Ces accusations ont aussitôt été démenties par le site de EUvsDisinfo.
… à l’ingérence russe dans les élections d’autres pays
Des rubriques consacrées à des thématiques spécifiques sont également proposées par ce site. L’une d’elle est consacrée à l’ingérence russe dans des élections diverses, que ce soit celles des pays de l’UE, celles des institutions de l’UE, celles des pays de l’Europe géographique, notamment de son « étranger proche », ou encore celles de son ennemi traditionnel : les États-Unis.
L’ensemble des techniques de désinformation utilisées par le Kremlin a par exemple été employé pendant les élections présidentielles françaises de 2017 [2]. Le candidat Emmanuel Macron a ainsi été la cible d’attaques personnelles : il a été accusé d’être un espion américain ou encore d’être à la solde de l’Arabie Saoudite et des Rothschild. Quelques-uns de ses proches collaborateurs ont vu leur messagerie électronique piratée, leurs mails mélangés à d’autres faux mails et ainsi dévoilés. Ce procédé a permis de brouiller les pistes et de donner l’apparence de la réalité à de fausses informations. De ce fait, tous les ingrédients pour la désinformation la plus optimale étaient présents pendant la campagne présidentielle de 2017 : « attaques personnelles, piratage, falsification de documents, techniques de désinformation et fictions inventées. » [3]
Extrait du site EUvsDisinfo
Clause de non-responsabilité
"Les cas figurant dans la base de données EUvsDisinfo concernent principalement des messages circulant dans l’espace d’information international identifiés comme transmettant une représentation partielle, déformée ou erronée de la réalité et qui répandent des messages clés pro-Kremlin. Cela n’implique pas nécessairement qu’un média donné soit lié au Kremlin ou soit pro-Kremlin du point de vue éditorial, ou qu’il ait intentionnellement cherché à désinformer. Les publications de EUvsDisinfo ne représentent pas une position officielle de l’UE, les informations et opinions exprimées se fondent sur les rapports et analyses médiatiques du groupe de travail East Stratcom.
En résumé, la mission principale de ce site est de mettre en lumière l’ingérence russe lors de nombreuses campagnes électorales et de déconstruire la propagande du Kremlin diffusée à travers l’UE et certaines ex-Républiques soviétiques. Cependant, un récent développement de cette campagne russe a conduit EUvsDisinfo à s’intéresser à l’instrumentalisation de l’actualité internationale.
De l’association de la Chine aux théories du complot russe…
Depuis peu, la Russie a utilisé à son avantage la montée en puissance de la Chine sur la scène internationale. En effet, le système multipolaire mis en place dans le monde à la fin de la Guerre froide semble évoluer aujourd’hui vers un nouveau système bipolaire constitué des États-Unis et de la Chine. Cette dernière s’est récemment affirmée comme une des grandes puissances internationales et la Russie semble s’associer, dans la majorité des cas, à cette nouvelle puissance pour sa confrontation avec les États-Unis.
C’est pourquoi la campagne du Kremlin s’est élargie à la Chine, non pour la critiquer, à l’instar de ce qui est pratiqué à l’égard des pays européens, mais pour la soutenir, la plupart du temps, face aux États-Unis. Ainsi, les articles défendant la Chine ou ses intérêts se sont multipliés : l’Occident serait en train de l’encercler et de l’étouffer comme il l’a fait pour la Russie. Les États-Unis et l’Europe seraient à l’origine des manifestations à Hong Kong, la Chine se préparerait à affronter une attaque de destruction massive nord-américaine…
Ainsi, l’évolution de la campagne de propagande du gouvernement russe nous révèle l’évolution des rapports de force internationaux. La Russie a rapidement su adapter cette désinformation à l’émergence de la Chine en tant que grande puissance et l’utilise activement pour dénigrer l’Occident en diffusant des informations erronées à son propos pour l’affaiblir.
… à des campagnes de désinformation réellement opportunistes
Une autre facette de cette désinformation est l’instrumentalisation de l’actualité internationale et en particulier de la crise mondiale du coronavirus. Vu de Moscou, cette crise est une aubaine pour attaquer l’ex-bloc de l’Ouest quant à sa gestion de la crise : c’est tantôt Washington qui se réjouit de l’expansion de la pandémie en Chine, tantôt ces mêmes Américains qui auraient créé cette « arme biologique » qu’est le COVID-19, tantôt l’UE qui est détruite par le coronavirus…
La propagande organisée par la Russie ne semble pas avoir de limites : tous les événements internationaux peuvent être utilisés pour discréditer l’ancien bloc occidental. C’est le cas des manifestations contre l’injustice raciale qui ont lieu depuis le mois de juin 2020 aux États-Unis, et qui se sont étendues à de nombreux pays. La Russie, accompagnée cette fois de la Chine, détourne ces informations afin de servir leur cause commune en attisant la haine entre les Américains, ce qui affaiblit de facto le pays entier. Cette désinformation conjointe a inondé les réseaux sociaux et semble également être un moyen supplémentaire pour perturber les prochaines élections présidentielles américaines, en novembre prochain.
Ainsi, le site EUvsDisinfo a récemment étendu sa mission de déconstruction de la désinformation au domaine international en intégrant des articles de propagande mentionnant la Chine, la crise du coronavirus ou encore les manifestations contre l’injustice raciale à travers le monde. Et ce n’est pas tout ! Il s’agit, certes, de démentir les fausses informations et de traquer les théories complotistes en tous genre mais également, et surtout, de sensibiliser le plus grand nombre de lecteurs au sein de l’UE à l’existence de ce procédé et d’en démonter les mécanismes internes.
En dénonçant l’utilisation des réseaux sociaux comme Twitter…
Si la propagande s’est autant répandue ces dernières années, c’est en raison de la multiplicité des canaux qui la véhicule et oui, votre intuition est bonne, internet et les réseaux sociaux en sont de puissants relais. Le site EUvsDisinfo met en avant des articles sur le danger de ces différents outils de communication virtuels, en particulier celui du réseau social Twitter. [4]Car cette plateforme se targue d’être l’un des principaux réseaux sociaux où la parole est des plus libérée, où chacun, sans exception, peut s’exprimer.
Toutefois, s’il est très facile et très rapide de créer un profil en restant anonyme, cette liberté peut rapidement être détournée. En mars 2017, une étude menée par des chercheurs de l’Université de l’Indiana et de la Californie du Sud a estimé qu’environ 15 % des comptes Twitter étaient tenus par des robots. Néanmoins, la société Twitter, pour diverses raisons dont des raisons financières, ne supprime pas ces faux comptes repérés par les analystes, et permet, de facto, à la désinformation de continuer à se propager.
Par conséquent, les réseaux sociaux et en particulier Twitter sont devenus des espaces privilégiés pour tous ceux qui relaient la désinformation, et ceci grâce à la création de faux comptes tenus par des robots créés spécialement dans ce but.
… tout en donnant des solutions pour diminuer leur influence
Il n’est pas rare aujourd’hui que les fausses informations circulent plus vite que celles qui sont fiables en raison de l’influence croissante des réseaux sociaux. Une étude conduite par des chercheurs américains (Vosoughi, Roy et Aral) intitulée « The spread of true and false news online » [5] montre que des centaines de milliers de rumeurs ont été partagées par près de 3 millions de personnes sur Twitter de 2006 à 2017. Les informations vérifiées touchaient en moyenne 1000 personnes tandis que les 1 % des rumeurs les plus répandues atteignaient entre 1000 et 100 000 personnes. La diffusion de la propagande est un réel danger et nombreux sont les lecteurs qui la retransmettent en tombant dans son piège.
Mais il ne faut pas se laisser aller au désespoir face à de telles nouvelles et https://euvsdisinfo.eu/ l’a bien compris. Le site donne des conseils à ses lecteurs, afin qu’ils ne se prennent plus dans les filets de la désinformation. Dans leur article « Réfléchissez avant de partager » [6]datant du 29 avril 2020, il rappelle l’importance d’effectuer des vérifications avant de partager une information : vérification du contenu, du média, de l’auteur, des sources et des images de l’article. Il faut toujours se poser des questions : D’où viennent les faits ? La source est-elle fiable ? Cet expert est-il crédible ? L’auteur est-il connu ? Est-il facile d’obtenir des renseignements sur le média que vous consultez, ses auteurs ou son financement ? Ce compte n’est-il pas tenu par un robot, bien qu’il ait des centaines de « followers » ? Car, oui, les « followers » s’achètent par milliers de nos jours. Et enfin, il faut systématiquement s’interroger sur la véracité des images et, davantage encore des vidéos, car leur falsification est aujourd’hui devenue un jeu d’enfant…
Certes, de telles questions peuvent sembler triviales mais les appliquer dans votre vie quotidienne et à chaque fois que vous partagez un article a un réel impact et permet d’amoindrir si ce n’est d’éliminer la désinformation. Personne ne peut prétendre être hors d’atteinte, donc une vigilance s’impose à tous.
Mi-juillet 2020, EUvsDisinfo publiait son treizième article en français. Ses articles en français sont maintenant rassemblés dans ce sous-domaine https://euvsdisinfo.eu/fr/
Diploweb.com encourage EUvsDisinfo à poursuivre cet effort récent vers la langue de Molière, d’une part parce que le Brexit serait dit-on effectif, d’autre part parce que les Français ne lisent pas tous parfaitement l’anglais mais ont tous le droit de vote dès 18 ans. Et pour des raisons historiques présentées par Alexandra Viatteau et Laurent Chamontin, plusieurs composantes politiques françaises sont volontiers sensibles à la propagande du Kremlin. Ce que les promoteurs de ce site savent d’ailleurs parfaitement. Reste à en tirer les conséquences. Dr. P. Verluise, fondateur du Diploweb
Si la plupart des articles du site EUvsDisinfo sont en anglais et en russe le premier des publics visés étant les populations de l’Europe de l’Est un tel site ne devrait pas pour autant passer inaperçu en France. Certains médias pro-Kremlin tels que Russia Today ou Sputnik France ont une influence non négligeable sur des composantes de l’opinion publique française et réussissent à distiller de fausses informations concernant l’UE, les pays du Partenariat oriental, les États-Unis, le coronavirus… Le site les déconstruit systématiquement et donne également des pistes pour lutter efficacement contre la propagande grandissante, provenant de Russie.
Cependant, il semble étonnant que l’UE se préoccupe uniquement de la désinformation russe [7], délaissant celle diffusée par la Chine au sujet de l’UE, des États-Unis, ainsi que du coronavirus. Ne serait-il pas souhaitable de prendre davantage en compte cette désinformation chinoise ? « Last but not least », pourquoi ne pas décoder la désinformation venue des États-Unis ? Ce serait, à n’en pas douter, un nouveau pas sur le chemin d’une autonomie stratégique – et mentale – plus que jamais nécessaire pour une Commission européenne qui se veut « géopolitique ». A suivre.
Copyright Septembre 2020-Lebon Schindler/Diploweb.com
Bonus vidéo. UCMC. Comment les télévisions russes présentent-elles l’Union européenne ?
Passez de l’autre côté du miroir : on a peu l’occasion de se faire une idée par soi-même de l’image que donne la télévision russe de l’Union européenne. L’équipe de l’Ukraine Crisis Media Center (UCMC) a analysé pour vous 8 émissions des 3 chaînes principales sur une durée de 3 ans. Cette vidéo sous-titrée en français vous permet de voir les télévisions russes comme si vous étiez en Russie. La vidéo est accompagnée d’une présentation de l’étude et de ses enseignements.
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[1] L’Euromaïdan, également appelé « Révolution de la dignité », correspond à une vague de manifestations pro-européennes en Ukraine. Elle a débuté lorsque le gouvernement en place pro-russe a signé un accord avec la Russie tout en refusant d’en signer un avec l’UE. Ce mouvement a abouti à la destitution du président ukrainien Viktor Ianoukovytch.
[2] « Tackling Disinformation à la française », 2 avril 2019 (rubrique News et analysis) https://euvsdisinfo.eu/tackling-disinformation-a-la-francaise/?highlight=tackling%20, consulté le 13 juin 2020.
[3] « Personal attacks, hacking, falsifying documents, disinformation, false narratives – in the 2017 French elections, everything was there. », extrait de l’article : « Tackling Disinformation à la française », 2 avril 2019 (rubrique News et analysis). https://euvsdisinfo.eu/tackling-disinformation-a-la-francaise/?highlight=tackling%20, consulté le 15 juin 2020. Citation traduite par Éléonore Lebon.
[4] Article promu par le site dans la rubrique « Disinfo tools and tactics » (Les outils et stratégies de la désinformation) de « Studies and reports » (Études et rapports) : « Why Twitter is the best social media platform for disinformation » (« Pourquoi Twitter est le réseau social favori des désinformateurs ») publié par T. Rid, le 1er novembre 2017. https://www.vice.com/en_us/article/bj7vam/why-twitter-is-the-best-social-media-platform-for-disinformation, consulté le 17 juin 2020.
[5] Article promu par le site dans la rubrique « Dinsinfo tools and tactics » (Les outils et stratégies de la désinformation) de « Studies and reports » (Études et rapports) : « The spread of true and false news online » (La diffusion des vraies et fausses informations en ligne) par S. Vosoughi, D. Roy et S. Aral, le 9 mars 2018. https://science.sciencemag.org/content/359/6380/1146, consulté le 19 juin 2020.
[6] « Think before you share » (Réfléchissez avant de partager), 29 avril 2020. https://euvsdisinfo.eu/fr/reflechissez-avant-de-partager/, consulté le 19 juin 2020.
[7] NDLR : En fait, ce tropisme du site EUvsdisinfo sur la Russie est un produit historique. Il résulte à la fois d’un moment stratégique et des acteurs initialement à la manœuvre, marqués par des passifs avec la Russie et une admiration "un peu" naïve des Etats-Unis.
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