Défense européenne année zéro ?

Par Frédéric MAURO, le 15 juin 2025  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Frédéric Mauro est avocat, spécialisé dans le droit européen de la défense. Il est l’auteur de plusieurs rapports pour la Commission européenne et le Parlement européen, dont le futur de la recherche de défense européenne, la coopération structurée permanente, le fonds européen de défense ainsi que la planification de défense européenne et otanienne. Il a également écrit un rapport remarqué sur l’autonomie stratégique pour le GRIP en 2018. Chercheur associé à l’IRIS.

L’argent n’est pas le problème le plus important de la défense européenne. Son problème majeur est l’insuffisante intégration des capacités militaires existantes autour d’une chaine de commandement politico-militaire efficace, pérenne et légitime. En amont d’un important sommet de l’OTAN, Frédéric Mauro aborde sans faux-semblant les enjeux pour l’Union européenne et le Royaume-Uni dans le contexte des nouvelles relations Etats-Unis – Russie.

AUJOURD’HUI, une petite « coalition des volontaires » d’une dizaine d’États membres avec à leur tête le Royaume-Uni et la France est en train de se former. Elle semble prête à envoyer une force de « réassurance » en Ukraine, non pas pour se battre, mais pour faire respecter un hypothétique cessez-le-feu, aider à la reconstruction des forces armées ukrainiennes et assurer la liberté de circulation dans la mer Noire, sans doute avec l’aide de la Turquie. L’envoi d’une telle force, qui se ferait sans garantie de « back up » américain, et qui supposerait la constitution d’un quartier général ad hoc et de plusieurs commandements opérationnels européens, marquerait un pas en direction d’une défense européenne, c’est-à-dire d’une défense de l’Europe, par l’Europe et pour l’Europe. Mais quid si aucun accord de cessez-le-feu n’est conclu ? Cette force restera-t-elle dans les cartons des états-majors ?

Défense européenne année zéro ?
Frédéric Mauro

L’impuissance des États européens à aider l’Ukraine à repousser les forces d’invasion russes et la peur grandissante d’une interruption de l’aide militaire américaine envers ce pays montre au grand jour l’échec de ce qu’il est convenu d’appeler « l’Europe de la défense », c’est-à-dire un système fait de coopérations de toutes sortes dans les domaines opérationnels, capacitaires, industriels et institutionnels, le tout dans un cadre intergouvernemental où chacun fait ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut, avec qui il veut, et surtout s’il le veut.

Trente-trois ans après le traité de Maastricht, vingt-sept ans après la déclaration de Saint Malo, quinze ans après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et toutes les promesses d’une « défense commune » [1], la défense reste de la compétence des seuls États-Nations. Le résultat en est que ces vingt-sept États-nations, auxquels on peut adjoindre le Royaume-Uni et la Norvège, sont dans l’incapacité d’envoyer, au pied levé, 20 000 hommes en Ukraine alors qu’ils forment ensemble une population de 525 millions d’habitants, qu’ils paient plus d’un million et demi de soldats et dépensaient en 2024 plus de 420 milliards d’euros pour leur défense.

C’est bien la preuve que « l’Europe de la défense » sur une base nationale nous a conduit dans une impasse et qu’aucun État européen, y compris le Royaume-Uni et la France, n’est capable de projeter seul de la puissance hors de ses frontières pour défendre ses intérêts. Le temps est donc venu de penser « en dehors de la boite » c’est-à-dire repartir à zéro et construire une authentique défense commune, à la fois intégrée et consistante avec la menace.

Il faut pour cela être capable de s’abstraire du protecteur américain qui nous répète sur tous les tons, depuis fort longtemps, et à juste titre, qu’il ne veut plus jouer son rôle. Cela est d’autant plus nécessaire que la question est loin d’être théorique. Si l’Ukraine tombe, l’Union européenne, en tant qu’acteur « géopolitique », tombera avec elle, car elle se sera montrée impuissante à défendre ses alliés, ses intérêts et ses valeurs.

Donald Trump a pris fait et cause pour Vladimir Poutine. Il n’aidera ni l’Ukraine, ni l’Europe

Il faut avoir les yeux grand ouverts et non pas « grand fermés » comme le titre du célèbre film américain de Stanley Kubrick (Eyes wide shut) et que voyons-nous sinon que le seul objectif de Donald Trump est de ne pas contrecarrer les plans de Vladimir Poutine, de désengager son pays de cette guerre et de reprendre dès que possible le « business » avec la Russie, quelles qu’en soient les conséquences pour l’Ukraine et pour l’Union européenne que par ailleurs il déteste. Comble de la détestation, il refuse même de recevoir la présidente de la Commission pour mener des négociations commerciales avec elle, alors qu’elle seule est compétente pour parler au nom de l’Union européenne.

Quelles que soient les causes de cette attitude vis-à-vis de Poutine - corruption, compromission, proximité idéologique, ego surdimensionné – elle ne changera pas. L’administration Trump n’est pas une parenthèse et ce qui est en train de se passer aux Etats-Unis, n’est pas une simple évolution, mais bien une révolution. Même s’il cessait d’être président, son vice-président, J.D. Vance, semble encore plus radical que lui. Il se produit, comme dans le roman d’Orwell, une inversion des valeurs qui ont fondé l’Amérique. Qui aurait cru voir le descendant des libérateurs de l’Europe faire l’apologie du parti nazi en Allemagne ?

La crédibilité de la dissuasion américaine, qui était le génie de l’Alliance, est sorti de la bouteille et n’y retournera pas.

Quoi qu’il en soit, sans pression des Etats-Unis ou des Européens, Poutine n’a aucune raison d’accepter un cessez-le-feu, et peut continuer la guerre tant qu’il le voudra et tant qu’il le pourra. Ce d’autant plus que Trump a détruit la crédibilité de l’Alliance atlantique et personne ne peut croire raisonnablement qu’il serait prêt à s’engager dans un conflit avec la Russie pour sauver Narva, Vilnius ou même Varsovie. La crédibilité de la dissuasion américaine, qui était le génie de l’Alliance, est sorti de la bouteille et n’y retournera pas. Donald Trump est capable de dire tout et son contraire dans la même semaine. Un jour il menace la Russie, le lendemain il affirme que rien ne sera réglé avant qu’il ne rencontre Poutine et le surlendemain il dit s’en laver les mains. Sa politique est non seulement imprévisible. Elle est erratique. Va-t-il cesser toute aide militaire à l’Ukraine, voire annoncer le retrait des forces américaines en Europe ? Lui seul le sait et encore il n’en est pas sûr.

Dans ce contexte, Vladimir Poutine, a toutes les raisons de maintenir ses positions : « pas de cessez-le-feu sans accord de paix sur les causes profondes du conflit », c’est-à-dire : « dénazification », « démilitarisation », « neutralité ». A ce stade, le conflit ne cessera que faute de combattants.

La guerre en Ukraine ne s’arrêtera que lorsque Ukrainiens et Européens arrêteront Poutine

Pour Poutine la « dénazification » signifie le changement de régime à Kyiv en faveur d’un gouvernement pro-russe. La démilitarisation signifie la démobilisation de l’armée ukrainienne et donc la possibilité de réattaquer quand il le voudra. Quant à la neutralité, elle se conçoit sans doute sur le modèle de ce qu’a été la Finlande pendant des années : aucune critique ne doit émaner vis-à-vis de la Russie et surtout aucune arme occidentale ou autre ne doit parvenir aux forces ukrainiennes.

Il est indispensable de comprendre que cette guerre n’est pas une guerre pour quelques arpents de terre dans le Donbass, car s’il est bien quelque chose dont la Russie ne manque pas c’est de territoires et de richesses naturelles. Il s’agit malheureusement d’une guerre idéologique. Poutine continuera donc la guerre d’une façon ou d’une autre tant qu’il n’aura pas rattaché la plus grande partie de l’Ukraine – et impérativement sa capitale Kyev – à ce qu’il appelle « le monde russe » dont elle est supposée faire partie intégrante.

Pour mener cette guerre idéologique Poutine dispose d’atouts considérables. Outre un réservoir de population bien supérieur à celui de l’Ukraine et capable de lui fournir des soldats par centaines de milliers, une industrie de défense qui tourne à plein régime. Il dispose en la Chine de Xi-Jiping d’un allié bien plus fiable et au moins aussi puissant que l’Amérique de Donald Trump. Il a détruit toute opposition dans son régime, zombifié la plus grande partie de sa population, intimidé les Européens par une guerre hybride et des menaces nucléaires et pour couronner le tout, il peut maintenant compter sur la connivence du président des États-Unis. Il a toutes les raisons de penser que le fruit ukrainien tombera tôt ou tard de l’arbre européen et qu’il lui suffit d’attendre pour le cueillir.

Supposons que le front ukrainien s’effondre faute de matériel et d’hommes pour le défendre et, que les forces russes entrent dans la capitale ukrainienne, peut-on craindre qu’il pousse son avantage et envahisse un autre pays européen limitrophe ? C’est non seulement possible mais aussi probable.

En effet, si la guerre entre la Russie et l’Ukraine devait s’arrêter demain, pour autant l’industrie de défense russe, qui est réellement en mode économie de guerre, ne s’arrêterait certainement pas de tourner à plein, ne fût-ce que pour recompléter les stocks en matériel et en équipement et reconstituer les forces russes, au niveau où elles étaient en 2022. A ceci près que l’armée russe qui ferait front à l’Europe sera alors bien plus aguerrie que toutes les forces européennes mises ensemble, particulièrement dans le domaine des drones de bataille qu’elle possède désormais en très grand nombre et que l’industrie russe est capable de fabriquer en quantités industrielles. En outre, les forces aériennes et navales russes n’ont subi qu’une faible attrition et leur accroissement quantitatif et qualitatif est en cours. Quant aux forces terrestres, il semble que l’état-major russe ait prévu de les renforcer considérablement dans le district militaire de Léningrad, recréé en 2024. Leur masse de manœuvre devrait ainsi passer de deux divisions et six brigades à sept divisions et six brigades.

Quant aux probabilités d’une attaque, elles ne font guère de doutes pour les états-majors et les services de renseignement européens. Le chef d’état-major britannique, l’amiral Radakin, estime que les forces russes seront reconstituées d’ici cinq ans, et capables d’attaquer l’OTAN cinq années plus tard. Le chef d’état-major norvégien, le général Kristoffersen, estime pour sa part que l’Alliance atlantique ne dispose que d’une fenêtre de deux ou trois ans pour se préparer à une attaque. Enfin le renseignement danois a estimé que six mois après la fin de la guerre en Ukraine la Russie serait capable de mener une guerre limitée dans un pays limitrophe ; qu’il ne faudrait que deux ans pour qu’elle puisse mener une guerre régionale dans la mer baltique et cinq ans pour une guerre à grande échelle en Europe. Tous ces pronostics convergents ne sont guère rassurants.

Ce sont nos ennemis qui nous choisissent.

A défaut de prévoir l’avenir, on peut au moins être certain de deux choses. La première est que la Russie considère l’Europe d’une façon générale, et plus encore l’Union européenne en tant qu’entité politique, comme une ennemie et cela fait au moins une quinzaine d’années que son gouvernement mène des actions hybrides dans la quasi-totalité de nos États, qu’il s’agisse d’interférences électorales, d’assassinats ciblés, de cyber-attaques ou plus récemment d’attaques contre les câbles sous-marins. Par ailleurs, les dirigeants russes n’ont jamais fait mystère de revenir sur l’indépendance des États baltes. Il est toujours surprenant d’entendre nombre de commentateurs déclarer que les Russes ne sont pas nos ennemis alors que les Russes affirment au contraire que nous sommes les leurs. On peut certes choisir ses amis, mais ce sont nos ennemis qui nous choisissent en tant que tels.

La seconde certitude, hélas, est que dans sa détestation de l’Union européenne Poutine est désormais rejoint par le Président américain. Cela parce que l’Union est un multiplicateur de puissance et que les uns et les autres appliquent la vieille maxime « diviser pour régner ». Trump est faible avec les forts et fort avec les faibles. Il a bien senti tout le parti qu’il pourrait tirer des divisions des Européens. Quant à Poutine il a déjà obtenu d’accroître le fossé entre Européens et Américains. Il ne lui reste plus qu’à diviser les Européens entre eux, plus qu’ils ne le sont déjà naturellement à l’instar des tribus gauloises qui se méfiaient les unes des autres et passaient leur temps à se disputer et à se trahir. L’unité est notre bien le plus précieux, mais aussi le plus fragile.

Pour mettre fin à la guerre, il faut montrer à Poutine qu’il n’arrivera pas à nous diviser et qu’il perdra soit par une défaite militaire, soit par l’effondrement de l’économie russe. La guerre doit devenir aussi dangereuse pour lui qu’elle l’est pour les Ukrainiens.

Les Européens doivent donc combattre sur trois fronts : économiquement contre les États-Unis, militairement contre la Russie, et politiquement entre eux afin de conserver leur unité…

Arrêtons de parler, commençons à planifier

La première chose à faire dans l’immédiat pour les États européens est d’aider l’Ukraine bien plus qu’ils ne le font actuellement. Cette aide supplémentaire sera d’autant plus nécessaire qu’il faudra combler le vide que le retrait progressif des États-Unis est en train de laisser si l’on veut éviter l’effondrement de l’Ukraine.

A cela évidemment, on peut certes objecter que les États européens, du moins certains d’entre eux, font déjà tout ce qu’ils peuvent, aussi bien en termes d’équipements qu’en termes financiers. Et c’est incontestable, car les Européens, quoi qu’en dise Donald Trump, ont fait plus financièrement que les Etats-Unis et au moins autant militairement. Selon l’institut allemand de Kiel, la somme des engagements financiers de l’Union européenne, de ses États membres ainsi que des quatre pays de l’Europe géographique (Royaume-Uni, Norvège, Suisse et Islande) s’élevaient à 235 milliards d’euros fin février 2025, contre seulement 119 milliards d’euros pour les Etats-Unis. Sur cette somme les Européens ont d’ores et déjà effectivement versé 138 milliards et les Etats-Unis 115 milliards [2].

Pour ce qui est de l’aide militaire, les Européens se sont engagés à hauteur de 100 milliards, contre seulement 66 milliards pour les Etats-Unis. Sur ces engagements les Européens ont déjà alloué 64 milliards et les Américains 65 milliards, soit donc quasiment le même montant. On doit cependant à l’honnêteté de dire que les Américains ont fourni aux Ukrainiens une aide militaire critique qu’eux seuls étaient en mesure d’apporter. Il s’agit du renseignement militaire opérationnel à fin d’actions qui permet de savoir qu’à tel moment précis et sur telles coordonnées précises, un « point d’intérêt », pour ne pas dire une cible russe à haute valeur ajoutée était présente. C’est sans doute ce renseignement qui a permis aux Ukrainiens de résister aussi bien depuis le début de la guerre et sa suspension pendant quatre jours qui a participé au brusque retrait des forces ukrainiennes du saillant de Koursk. Et c’est sans doute cela qui explique tous les efforts et tous les sacrifices consentis par le Président Zelensky pour ne pas perdre le soutien américain…

Quoi qu’il en soit, il est probable que sans les menaces nucléaires de Vladimir Poutine et de ses nombreux faire-valoir médiatiques, les Américains et les Européens seraient intervenus à un moment ou à un autre de la guerre, ne fût-ce que pour interdire les bombardements sur les civils et la destruction de villes entières telles que Marioupol, Bakhmout ou Avdiïvka ou stopper les nombreux crimes de guerre tels que ceux qui sont intervenus à Boutcha et ailleurs. Mais la « sanctuarisation agressive » c’est-à-dire la menace d’utiliser l’arme nucléaire de façon offensive a dissuadé aussi bien les Américains que les Européens d’intervenir, et ce dès le début de l’invasion de l’Ukraine. Même les puissances disposant d’une « dissuasion nucléaire » ont été « dissuadées » d’intervenir et c’est quelque chose qu’il faut impérativement garder à l’esprit pour la suite.

Frapper la Russie au portefeuille

Puisque les Européens ne veulent pas, ne peuvent pas ou n’ont tout simplement pas le courage d’aider militairement l’Ukraine par l’envoi de forces combattantes, ne fût-ce qu’en imposant une no-fly zone, ils doivent alors l’aider autrement.

La première voie qui vient à l’esprit, la plus puissante et la plus immédiate, est de confisquer les avoirs russes, dont les plus importants sont ceux de la banque centrale détenus dans les chambres de compensation européennes (Euroclear en particulier) et le système financier européen. En ce domaine rien ne peut se faire sans l’aval des autorités belges et luxembourgeoises. Au total, il s’agirait d’une somme estimée entre 210 et 300 milliards d’euros qui pourrait servir à armer l’Ukraine et à la reconstruire le moment venu. Les tenants et les aboutissants de cette possibilité ont été largement exposés et débattus. Au nom de l’« immunité d’exécution », un État n’a pas le droit de saisir les biens d’un autre. L’Union européenne risquerait ainsi de violer le droit international dont elle réclame le respect sur la scène internationale. En outre, les milieux financiers redoutent que la crédibilité de la zone euro en soit affectée, réduisant son attractivité. Cependant ce risque réputationnel qui est bien réel, mais qu’il ne faut pas surestimer car tous les investisseurs savent bien dans quel contexte il s’inscrit, est à mettre en regard du risque de voir l’Ukraine s’effondrer. Or, ne dit-on pas qu’entre deux maux il faut choisir le moindre ?

Une autre possibilité serait pour les Européens d’exercer un strict contrôle des détroits du Kattegat entre la Suède et le Danemark afin d’intercepter tous les pétroliers de la « flotte fantôme » battant pavillon de complaisance et transportant du pétrole russe. Il ne s’agit pas d’extraterritorialité, comme le font les Américains avec le dollar, mais du strict respect des règles du droit maritime international, des normes écologiques, du droit des assurances, et surtout de mettre en œuvre réellement les sanctions votées. Plus aucun pétrolier fantôme ne doit passer librement par la Baltique pour aller en Russie chercher du pétrole sans être contrôlé, intercepté et au besoin confisqué par les forces européennes, au travers de ce qui pourrait prendre la forme d’une opération de politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

Or, jusqu’à présent les Européens, à quelques rares exceptions près, ont eu peur de représailles russes. Aujourd’hui, du fait du retrait américain, si les Européens veulent vraiment hâter la fin de la guerre en Ukraine, ils doivent cesser de prendre des demi-mesures qui leur donnent l’illusion d’agir mais en réalité n’ont que peu d’impact. Ils doivent apprendre à réduire pour de bon la puissance économique, financière et informationnelle de la Russie, par toutes les voies et moyens à leur disposition comme vient de le souligner un important rapport de l’institut européen pour les études stratégiques [3].

Si vis Pacem para Bellum

La deuxième série d’actions à prendre pour les États européens est de se préparer sérieusement à la guerre. Les États membres ont fait ce qu’ils ont pu, certains beaucoup et d’autres très peu, en matière de réarmement. Mais il est probable qu’ils n’iront pas beaucoup plus loin, en tous les cas pour la France et le Royaume-Uni qui, compte tenu de leur situation budgétaire et de l’état de leur politique intérieure, semblent au bout de leurs possibilités.

Quant aux institutions européennes, elles ont fait tout ce qu’elles ont pu depuis 2014 pour favoriser l’éclosion d’une politique industrielle de défense commune. Mentionnons tout d’abord les efforts en matière de recherche de défense (projet pilote pour la recherche de défense de 2015, action préparatoire de recherche de défense en 2016, programme européen de développement de l’industrie de défense en 2016, fonds européen de défense 2017) puis en matière d’industrie au travers de programmes destinés à favoriser l’acquisition conjointes de munitions (Act in Support of Ammunition Production en 2023 – ASAP), d’équipements militaires (EU Defence Industry Reinforcement Through Common Procurement Act en 2023 - EDIRPA) la proposition d’une stratégie industrielle de défense (EDIS - 2024) et d’un programme regroupant tout ou partie des initiatives précédentes : le programme européen pour l’industrie de défense (EDIP – 2024) dont la négociation devrait aboutir dans les semaines qui viennent.

Enfin, ce bref rappel serait incomplet s’il ne mentionnait pas l’initiative REARM Europe de la Commission qui comporte deux volets pour un total de 800 milliards d’euros. Il s’agit d’une part, d’un endettement commun de l’Union à hauteur de 150 milliards d’euros que la Commission pourrait redistribuer aux États membres qui le souhaitent (instrument SAFE, Security Action For Europe) et, d’autre part, de ce qu’il est convenu d’appeler « l’escape clause », c’est-à-dire la possibilité pour les États membres de ne plus respecter, provisoirement, les critères budgétaires du traité de Maastricht, à condition de dépenser ou s’endetter pour la défense, ce qui pourrait porter l’effort supplémentaire des États membres à hauteur de 650 milliards d’euros…

Le moins que l’on puisse dire est que les institutions européennes ne sont pas restées inertes. Elle sont non seulement fondées légalement à le faire, sur la base du traité pour le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), mais plus encore politiquement légitimes. C’est ce qu’a rappelé la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, dans un récent discours à la Hertie School of Economics, en qualifiant la défense de « bien commun » de l’Union et en démontrant que non seulement son financement pourrait être effectué en commun, mais aussi qu’il contribue à l’attractivité de notre monnaie commune, à la prospérité de l’économie et à l’expansion de la finance européennes.

Tout le problème vient du fait que tous ces efforts ne sont que mollement rattachés à une authentique planification de défense européenne, qui doit nécessairement orienter efficacement l’industrie de défense face aux menaces auxquelles nous sommes confrontés, et plus encore la recherche de défense dont les productions ne verront le jour que dans le long terme. Or cette planification de défense est faite, pour l’essentiel, au niveau de chaque État membre, dans une moindre mesure au sein de l’OTAN (NATO Defence Planning Process) et seulement en bout de course à l’Union européenne et encore de façon fragmentée, entre l’état-major de l’Union européenne (Headline Goal Process) et l’Agence européenne de défense (Capability Development Plan).

En outre, ce sont les États membres qui tiennent les cordons de la bourse du budget européen, et on a bien vu avec le fonds européen de défense qu’ils étaient capables de couper en deux les ambitions de la Commission.

Enfin, plus fondamentalement encore, les institutions européennes n’ont pas de compétence en matière de forces armées, qui reste de la seule compétence des États membres, et même leur compétence en matière de politique industrielle de la défense est contestée politiquement par tous ceux qui dénoncent, industriels en tête, l’emprise croissante de la Commission (power grab).

En 2024, selon les statistiques de l’OTAN, les États européens membres de l’Alliance (« NATO Europe ») ont dépensé tous ensemble 98 milliards d’euros « d’investissements » militaires, ce qui regroupe à la fois les équipements proprement dits et la recherche et développement. En regard, l’Union européenne a dépensé à peine plus d’un milliard d’euros à travers le Fonds européen de défense (qui ne concerne que la recherche de défense) et 2 milliards d’euros en tout si l’on prend en compte les divers instruments d’incitation à l’achat d’équipements ou de munitions en commun.

Chaque État européen poursuit sa politique d’acquisition en fonction de ses seuls objectifs nationaux et, trop souvent, la tentation de la facilité consiste à donner des gages à l’allié américain en achetant des équipements américains ou en faisant mine d’accepter une augmentation des dépenses de défense en pourcentage du PIB. Cela est aussi illusoire qu’inutile.

Ne soyons pas naïfs.

Or ce qui compte, ce n’est pas la capacité des États à se défendre seuls mais à coordonner ensemble une « capacité autonome d’action » pour reprendre les termes de la déclaration de Saint Malo de 1998 entre les Français et les Britanniques.

Ne soyons pas naïfs. Donald Trump n’a que faire de la défense européenne, la seule chose qui l’intéresse est de nous vendre des armes fabriquées par les industriels de son pays. Tout le reste est sans importance et personne ne sera dupe des fausses promesses qui pourraient être prises au prochain sommet de l’OTAN. Il suffit de penser que certains États européens, tels l’Italie, l’Espagne et la Belgique, n’ont toujours pas rempli les « engagements d’investissement de défense » (2 % du PIB dont 20 % en investissements de défense) qu’ils avaient souscrit au sommet de Newport en 2014… Quant à passer à 5 % …

Le problème des Européens n’est pas tant de dépenser plus – certes ils doivent le faire, surtout pour des pays qui partent de très bas – mais de « dépenser plus, dépenser mieux et dépenser ensemble ». Encore faut-il savoir ce que recouvrent ces slogans éculés.

Dépenser plus et mieux c’est se concentrer sur l’essentiel

Une dépense plus importante doit conduire à plus d’équipements que les États européens pourront utiliser librement, sans avoir à dépendre d’un État tiers pour les utiliser, au moment critique. En effet, s’il est une chose que la guerre en Ukraine a démontré c’est bien la nécessité de disposer d’une liberté d’action en matière militaire. Il ne servirait à rien d’avoir les avions de chasse les plus efficaces du monde, les missiles les plus létaux ou les blindés les plus performants si au moment de s’en servir, l’État qui les a construit en déniait l’utilisation de peur d’une « escalade ». Or c’est bien ce qui s’est passé avec les lance-roquettes HIMARS et les missiles ATACSM que les Ukrainiens n’ont pas été autorisés, dans un premier temps, à utiliser sur le territoire russe, ou les chars Abrams qui ont été délivrés au compte-goutte. C’est aussi ce qui s’est passé avec les chasseurs F-16 dont la livraison a été fortement retardée pour cause de veto américain sur les pièces détachées et les armements. Cette leçon ne doit jamais être oubliée.

Une dépense plus efficace doit permettre de générer l’outil militaire permettant de confronter la menace. La caractérisation de la menace russe doit donc être le point de départ de toute réflexion quant à ce que doit être la défense européenne. De ce point de vue, trois constats s’imposent.

Le premier est que la menace russe la plus importante, la plus déstabilisante pour les Européens n’est pas tant le risque de voir des chars russes défiler sous la porte de Brandebourg, mais bien de voir arriver au pouvoir des gouvernements pro-russes et anti-européens, comme c’est déjà le cas en Hongrie, en Slovaquie, comme cela a failli être le cas en Roumanie et comme cela pourrait arriver demain en Allemagne ou en France.

A quoi servirait à Vladimir Poutine d’envahir les États européens si à la tête de ces États se trouvent des dirigeants ralliés à sa cause ?

A quoi servirait à Vladimir Poutine d’envahir les États européens si à la tête de ces États se trouvent des dirigeants ralliés à sa cause ? Dans ces conditions les États européens, ou du moins ceux de l’Union européenne, doivent impérativement regagner la maîtrise de leur espace informationnel. Il est tout aussi important de créer des tiktok, des X, des what’s app ou des facebook européens, que de produire des obus ou des missiles.

Il est indispensable de ne pas baisser la garde numérique et de fermer les organes de désinformation étrangers à l’instar de Russia Today qui est une machine de propagande. Il pourrait même s’avérer à un moment donné nécessaire de fermer X comme l’a fait temporairement le Brésil ou à tout le moins que les officiels européens cessent de l’utiliser !

La seconde caractéristique de la menace russe est qu’il s’agit d’une invasion assortie d’une menace nucléaire. C’est la « sanctuarisation agressive » qui a modifié la grammaire de la dissuasion qui avait cours jusqu’à présent. Il ne servirait donc à rien de construire le plus bel outil militaire conventionnel s’il n’était pas garanti par une force de dissuasion nucléaire crédible, et européenne, car le même scénario qui s’est joué en Ukraine, pourrait être rejoué en Estonie, en Lettonie ou ailleurs. Il suffirait qu’une grand-mère russophone se fasse agresser par des hooligans à Narva pour justifier une invasion du petit État balte et de menacer de représailles nucléaires toute tentative de le reprendre.

Trump a d’ores déjà altéré les termes de l’équation nucléaire en faveur des Russes.

Aujourd’hui, c’est un secret de Polichinelle, la capacité opérationnelle de remplir les missions nucléaires de l’OTAN par des bombes à gravitation, fussent-elles planantes relève, selon François Heisbourg, « du théâtre d’ombre » [4]. La « double clef » n’est en fait qu’un « double verrou ». La véritable dissuasion nucléaire apportée par les Américains à l’Alliance tient au fait que 99 % des armes nucléaires américaines dépendent du seul vouloir du Président américain et qu’une attaque des forces nucléaires tactiques américaines en Europe déclencherait à coup sûr une riposte du même ordre. D’où le simple fait que Donald Trump fasse peser le doute sur l’emploi de ces forces stratégiques a d’ores déjà altéré les termes de l’équation nucléaire en faveur des Russes. Il est donc nécessaire de compenser d’une façon ou d’une autre la dissuasion nucléaire américaine et c’est pourquoi le dialogue « stratégique » entre les Européens et la France est de la plus grande importance. Ce dialogue doit être mené à son terme.

Enfin, le fait de disposer de forces nucléaires crédibles nécessite d’entourer ces forces, d’une force conventionnelle elle-même crédible et adaptée à la menace. L’un ne va pas sans l’autre. Or du point de vue de l’affrontement des forces conventionnelles, la guerre d’Ukraine apporte plusieurs enseignements.

Le premier est la surprenante médiocrité de l’état-major russe. Après trois années de guerre, l’armée russe n’a toujours conquis que 18 % du territoire ukrainien, 11 % seulement de plus qu’en 2022. En dehors de lancer des vagues humaines sur les positions ukrainiennes et de sacrifier des centaines de milliers de soldats et des dizaines de milliers de blindés, les stratèges russes n’ont guère fait étalage de leur génie militaire. Au contraire, ils ont montré leur mépris de la vie humaine, leur barbarie, leur cynisme et leur cruauté. Ils ont rasé des villes, massacré des civils, foulé au pied les principes du droit de la guerre à commencer par le traitement des prisonniers. Militairement parlant, leur aviation n’a toujours pas acquis la maîtrise du ciel ukrainien et leur marine doit se terrer au fond de la mer Noire. Peut-on encore parler de stratégie, ou mieux vaut-il parler de « boucherie » comme le fait Donald Trump ?

Le revers de cette médaille est que la Russie est capable d’accepter des pertes humaines colossales – au point qu’on ne sait plus les mesurer : 300 000, 700 000, un million ? Aucun pays européen n’accepterait de telles pertes sans crier grâce. Nous Européens avons choisi de faire la guerre « comme les Américains » c’est-à-dire en « compensant » notre infériorité numérique par une supériorité technologiques (offset strategies). Mais cette stratégie a un coût que plus aucun pays européen, à part l’Allemagne, n’est en mesure de supporter. Enfin, la guerre d’Ukraine a montré l’utilisation massive des drones, de l’artillerie de longue portée et des missiles permettant des frappes de précision. Toutes choses que les forces européennes ne possèdent pas ou bien en trop petit nombre. L’armée ukrainienne est, à l’issue de trois années de guerre, la plus expérimentée de toutes les armées européennes. Notre première ligne de défense et peut être la seule efficace.

Mais le plus important sans doute est que la guerre des Russes contre les Européens, si elle devenait advenir, ressemblerait sans doute assez peu à la guerre d’Ukraine. Dans une récente analyse de la revue Foreign Policy, Fabian Hoffman faisait remarquer que : « L’objectif premier de la Russie dans une guerre contre l’OTAN ne serait pas de s’emparer de vastes territoires, du moins pas dans un premier temps, mais de détruire l’alliance en tant qu’entité politique et militaire capable de s’opposer à elle. Pour ce faire, il ne serait pas nécessaire de vaincre les forces de l’OTAN dans une bataille ouverte et de marcher sur Berlin. » [5]

Afin de contrer une attaque de ce type, on peut imaginer de construire une ligne de défense renforcée tout du long de la frontière orientale de l’Union et de construire un bouclier de défense aérienne et anti-missiles. C’est ce que sont en train de faire les pays baltes et la Pologne. Mais attention à ne pas bâtir une ligne Maginot, car nous savons tous comment cela s’est terminé.

L’attaque étant la meilleure des défenses, il serait peut-être plus judicieux de préparer des masses de manœuvre afin de pouvoir contre-attaquer sur le sol russe ou biélorusse. Ainsi, une prise de gage en Estonie, pourrait ainsi être compensée, à titre d’exemple, par la reprise du territoire de Kaliningrad et éviter ainsi toute tentation russe de couper le corridor de Suwałki. Est-ce que de tels plans existent ? On peut en douter. Or, le simple fait de masser des troupes devant Kaliningrad pourrait être un signal clair de la détermination européenne envoyé à Vladimir Poutine. Au final la décision de la Russie d’attaquer un ou plusieurs États européens membres de l’OTAN dépendra moins de l’équilibre des forces que de l’équilibre des volontés. [6]

Dépenser ensemble c’est commencer à s’intégrer

Au lieu de dépenser des milliards d’euros et de courir dans tous les sens telles des poules affolées, à l’idée de déplaire au président américain, les États membres européens feraient mieux de concentrer leurs efforts sur les catalyseurs stratégiques qui permettraient à leurs forces armées d’agir de façon réellement combinée en l’absence des États-Unis ; catalyseurs qu’ils n’ont pas les moyens d’acquérir seuls.

Au tout premier rang de ces catalyseurs figurent la capacité de commandement et de contrôle ainsi que le renseignement satellitaire et le renseignement opérationnel à fins d’action. En effet, si le président des États-Unis, décidait de retirer ses forces, est-ce que les Européens seraient capables d’opérer les différents centres de commandement de l’OTAN à commencer par le SHAPE à Mons, et les différents quartiers généraux régionaux tels que Brunssum aux Pays-Bas, Naples en Italie, Northwood au Royaume-Uni ?

Les nations européennes doivent être capables de fournir les officiers généraux et supérieurs pour armer ces différents centres de commandement. Cela coûterait moins cher que d’acheter des avions de combat, mais ne peut pas s’improviser du jour au lendemain, car on ne fabrique pas un colonel ou un général en quelques années. La question la plus délicate serait de remplacer le centre de commandement des forces aériennes qui se trouve à Ramstein en Allemagne et qui, contrairement aux autres centres otaniens, est situé sur une base américaine et dont les équipements sont donc la propriété du gouvernement de ce pays. Dans ces conditions, faudrait-il construire un nouveau centre de commandement aérien de toutes pièces ou bien la France accepterait-elle de mettre à disposition son centre de commandement de Lyon Montverdun ? Les autres États l’accepteraient-ils ?

Par ailleurs, il serait nécessaire que les Européens et les autres États de l’Alliance commencent des cycles de planification dans le cadre de l’OTAN, (NATO Defence Planning Process- NDPP) sans les Américains, puisque de toutes les façons ceux-ci ont annoncé leur intention de partir. C’est ce que plaide à juste titre Sven Biscop de l’Institut Egmont [7]. Une fusion avec les instruments de planification européens (Headline Goal Process de l’état-major de l’Union Européenne et Capability Developpment Plan de l’Agence européenne de défense) devrait être envisagée. De même que la fusion pure et simple des états-majors de l’Union européenne au sein d’un caucus européen dans l’OTAN. Enfin, il faudra bien envisager la désignation d’un Supreme Allied Commander Europe (SACEUR) européen et non plus américain. Tout cela doit être réfléchi et préparé à l’avance ne fut-ce qu’à titre de « plan B ».

Au-delà de l’intégration militaire, les États européens, ou du moins ceux d’entre eux qui le souhaitent doivent viser une intégration politique. De ce point de vue la « coalition of the willing » (COW) en cours d’élaboration va dans la bonne direction. Qu’une petite dizaine de nations européennes acceptent de planifier ensemble des opérations en Ukraine est déjà en soi un immense progrès. Mais il faudra tôt ou tard franchir un pas de plus car l’inconvénient des coalitions ad hoc est qu’elles sont soumises aux changements de gouvernement et varient au gré des politiques nationales. Par construction elles sont temporaires, réversibles et ne produisent pas des effets de structure tels que la spécialisation des forces ou l’interopérabilité, qui seuls créent de la valeur militaire, industrielle et financière.

Par ailleurs, à quoi servirait-il d’avoir un centre de commandement militaire européen si la partie politique, celle qui donne les ordres aux militaires, n’existait pas et qu’à chaque violation de l’espace européen par un avion russe il faudrait réunir les chefs d’États et de Gouvernement des parties prenantes ? A quand un Conseil de sécurité et défense européen tel qu’il était envisagé au sommet de Meseberg en 2018 par la chancelière allemande et le président français ?

Enfin, les Européens doivent parachever leur intégration économique. Il s’agit ici de mettre en œuvre tout ou partie des mesures déjà préconisées par les rapports M. Draghi, E. Letta et, dans le domaine de la sécurité, S. Niinistö. Il convient en particulier d’achever l’union bancaire, l’intégration des réseaux d’énergie et la concentration des opérateurs téléphoniques. Il est regrettable que les entrepreneurs européens doivent quitter l’Europe pour se financer aux États-Unis. L’innovation européenne, qu’elle soit civile ou militaire, ne pourra éclore que si elle trouve en Europe un écosystème favorable, ce qui passe nécessairement par le développement de marchés financiers plus larges et plus profonds et la création de fonds de pension pour les pays qui n’en ont pas encore. Il faudrait également contrôler les opérations financières étrangères en Europe, par le truchement d’un système de contrôle des investissements tel qu’il existe aux Etats-Unis (Committee on Foreign Investment in the United States - CFIUS). La puissance militaire marche la main dans la main avec la puissance économique.

*

L’argent n’est pas le problème le plus important de la défense européenne. Son problème majeur est l’insuffisante intégration des capacités militaires existantes autour d’une chaine de commandement politico-militaire efficace, pérenne et légitime.

Quant à la dissuasion nucléaire européenne, qui repose désormais exclusivement sur les épaules des dirigeants britanniques et français, il conviendra, si le moment arrive, que ces dirigeants se souviennent de la réponse qu’avait fait le général de Gaulle à l’ambassadeur Vinogradov lors de la crise des missiles de Cuba : « Si la guerre doit en résulter, eh bien ! nous mourrons tous, vous aussi » et d’ajouter qu’« aucune négociation n’est possible, tant que l’URSS adoptera les méthodes qui sont les siennes, celles du fait accompli. »

La dissuasion se joue avant tout dans la tête des décideurs. Nous devons pour arrêter la guerre dissuader Poutine et lui démontrer qu’il n’a aucune chance de vaincre l’Ukraine, ni de s’emparer d’aucun autre territoire européen. Ni maintenant, ni demain.

Manuscrit clos le 25 mai 2025.

Copyright Juin 2025-Mauro/Diploweb.com


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[1L’article 42.2 du traité sur l’Union européenne dispose que « La politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union. Elle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi ».

[3Ondrej Ditrych, Steven Everts et al – Unpowering Russia – How the EU can counter and undermine the Kremlin – EUISS – Chaillot paper 186 May 2025

[4François Heisbourg – Nucléaire le moment européen de la dissuasion française en 6 points. Le Grand Continent 20 mai 2025

[5Fabian Hoffmann – A Russia-NATO war would look nothing like Ukraine – Foreign Policy 19 mai 2025

[6NDLR. Au sujet de l’équilibre des volontés, deux définitions méritent réflexions.
Définition de la stratégie par A. Beaufre :« Art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ».
Définition de la guerre par L. Poirier : « La guerre est une épreuve des volontés politiques par l’épreuve de force… Le concept de force résumant non seulement les forces de violence physique, les armées mais aussi toutes celles qui procèdent des ressources matérielles et morales des peuples belligérants… La guerre s’identifie donc à une triple dialectique des projets politiques transformés en buts stratégiques, des volontés et des forces, virtuelles et réelles, antagonistes. »
Source : F. Géré, "Général Lucien Poirier : une oeuvre stratégique majeure", Diploweb.com, mai 2016. Disponible à l’adresse https://www.diploweb.com/General-Lucien-Poirier-une-oeuvre.html

[7Sven Biscop – NATO the damage is done, so think big – Egmont Policy brief 379 20 mai 2025

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| Dernière mise à jour le dimanche 15 juin 2025 |