Vidéo J. Malizard Économie de défense, quoi de neuf ?

Par Jérémie ROCQUES, Julien MALIZARD, Marie-Caroline REYNIER, Pierre VERLUISE, le 7 août 2023  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Intervenant : Julien Malizard, titulaire adjoint de la Chaire Économie de défense de l’IHEDN ; docteur en Sciences économiques, lauréat du prix de thèse de l’IHEDN en 2011. Organisation : Pierre Verluise. Images et son : Jérémie Rocques. Montage : Jérémie Rocques et Pierre Verluise. Synthèse rédigée par Marie-Caroline Reynier, revue et validée par Julien Malizard.

Dans le contexte de la relance de la guerre russe en Ukraine, quels défis restent à relever pour l’industrie de défense des pays de l’Union européenne ? J. Malizard brosse un tableau à la fois macro-économique et micro-économique qui permet de comprendre l’urgence géopolitique du sujet. Il pointe notamment un défi politique pour véritable un soutien à cette industrie européenne aujourd’hui encore fragmentée, un défi de production en plus grande qualité et quantité, enfin un défi humain de recrutement sur des métiers techniques. Une démonstration appuyée sur plusieurs graphiques construits sur les meilleures sources.

Conférence organisée par Diploweb.com, le 30 mars 2023, à la Prépa du lycée ENC Blomet, en partenariat avec l’ADEA MRIAE de l’Université Paris 1 et le Centre géopolitique.

Cette conférence peut être diffusée en amphi pour nourrir un cours et un débat. Voir directement sur youtube/diploweb

Synthèse par Marie-Caroline Reynier pour Diploweb.com

Julien Malizard, avec un regard d’économiste, présente les grandes tendances relatives aux problématiques de défense, au prisme de la guerre de haute intensité en Ukraine. Ainsi, il s’interroge : en quoi la guerre en Ukraine est-elle de nature à modifier un certain nombre d’équilibres ? Il aborde ici ce sujet sous l’angle macro-économique (enjeux de défense déterminés par les États) et micro-économique (défis appréhendés par l’industrie de défense).

Quelles sont les dynamiques budgétaires des grandes puissances mondiales ?

En premier lieu, Dr J. Malizard souligne que le niveau de dépenses militaires (en milliards de dollars constants) atteint en 2021 n’a jamais été égalé dans l’histoire. A titre de comparaison avec une autre rupture stratégique, le niveau de dépenses militaires actuel (2100 milliards de dollars) est largement supérieur à celui à la fin de la Guerre froide (1500 milliards de dollars). Il faut toutefois nuancer ces chiffres au regard des dépenses militaires en pourcentage de PIB. En effet, paradoxalement, on n’a jamais aussi peu dépensé en termes de pourcentages de richesse mondiale.

Régionalement, les chiffres des dépenses militaires montrent une domination gigantesque de la zone Amériques, au premier rang duquel les Etats-Unis qui, en dépit de la cyclicité liée à des moments de conflit (guerre du Vietnam, attentat du 11 septembre 2001) se démarquent par leurs engagements majeurs. L’Europe se trouve largement en-dessous, avec des cycles très différents. En Asie-Pacifique, l’augmentation est tendancielle depuis 1960, et n’est pas liée à des cycles stratégiques mais suit davantage le potentiel économique de la région. La Chine est le pays qui dépense le plus dans cette région. En Afrique, les chiffres de dépense militaire augmentent en raison de la très grosse concentration de conflits mais partent de très loin. Enfin, au Moyen-Orient, les tendances sont haussières mais dépendent fortement du prix des hydrocarbures, le contre-choc pétrolier de 2014 venant mettre fin à une période de hausse soutenue.

Vidéo J. Malizard Économie de défense, quoi de neuf ?
Julien Malizard
Docteur en Sciences économiques, lauréat du prix de thèse de l’IHEDN en 2011, titulaire adjoint de la Chaire Économie de défense de l’IHEDN. Image : J. Rocques. Copyright Diploweb.
Diploweb

Deuxièmement, les chiffres des dépenses militaires des Etats-Unis, de la Chine, de la Russie montrent qu’il peut exister de nombreux enjeux de rivalité (technologie, ressources…) mais qu’il n’y a pas de course à l’armement sous l’angle budgétaire. Par exemple, alors que Barack Obama annonçait un « pivot asiatique » des Etats-Unis en 2011, les dépenses militaires américaines baissent à la même période.

Concernant l’Europe, J. Malizard note que la part de chaque pays dans le budget européen évolue peu, hormis la Pologne qui fournit un effort d’armement soutenu (elle ambitionne désormais d’augmenter son budget de 2 à 3% de PIB). Néanmoins, les chiffres des dépenses militaires européennes mettent en exergue l’existence de plusieurs cycles stratégiques.

De 2001 à 2009, on constate une augmentation tendancielle des dépenses militaires. Celle-ci débute au moment des attentats du 11 septembre 2001 et prend fin avec la crise des subprimes (2007-2008). De 2011 à 2014, l’austérité budgétaire conduit les Européens à réduire leur budget de défense. A partir de 2014, date de l’annexion de la Crimée, et 2015, période d’attentats sur le territoire national (France), le cycle s’inverse. En effet, les contraintes stratégiques deviennent plus fortes en raison des menaces et l’austérité budgétaire diminue, ce qui offre plus de possibilités financières. Ainsi, en 2019, les dépenses militaires européennes repassent au-dessus du précédent pic atteint en 2009. Si ces augmentations sont soutenues, elles ne sont pas toutes comparables. La France est le pays augmentant le moins ses budgets tandis que la Lituanie est celui ayant le plus augmenté ses dépenses. Plus largement, les pays ayant fourni le plus d’efforts budgétaires sont ceux ayant une frontière commune avec la Russie.

A voir. France. Un moment politique rare : l’adoption de la LPM par le Parlement. Entretien avec A. Nicolas, juillet 2023

Malgré la guerre en Ukraine, peu de pays ont engagé une hausse substantielle de leur budget militaire. Surtout, les annonces restent limitées. Ainsi, la France a annoncé une augmentation de 30%, qui, ramené à l’inflation sera de l’ordre de 25%, mais, les spécialistes s’interrogent : cette hausse sera-t-elle suffisante ? De même, l’Allemagne annonce la création d’un fonds de 100 milliards de dollars (équivalent à la hausse annoncée par la France), sans que celui-ci ne fasse partie de son budget.

Les Européens risquent d’être pris entre 2 feux

Quelles sont les dynamiques industrielles pour les grands pays producteurs (Etats-Unis, Chine, Russie, Union européenne, Corée du Sud, Turquie et Israël) ?

Le classement des entreprises mondiales de défense (en chiffre d’affaires en milliards de dollars) montre que les Etats-Unis sont ultradominants. Parmi les 100 plus grosses firmes de défense, 45 sont états-uniennes. Les 5 entreprises les plus importantes, qui ont pour spécificité d’être très spécialisées dans la défense, sont états-uniennes (Lockheed Martin, Raytheon Technologies, Boeing, Northrop Grumman, General Dynamics). Les entreprises chinoises, qui opèrent à la fois dans le civil et la défense, arrivent ensuite. Une entreprise européenne (Leonardo, entreprise italienne) occupe la 12ème place et il faut attendre la 16ème place pour trouver une entreprise française (Thales). 17 firmes européennes se trouvent dans ce classement (contre 6 firmes chinoises), ce qui souligne un problème de taille de marché en Europe. De plus, les Européens risquent d’être pris entre 2 feux, avec une concurrence par le haut (États-Unis et Chine qui possèdent un grand marché domestique) et par le bas de la part des émergents. En effet, la Corée du Sud, Israël, la Turquie sont capables de capter des parts substantielles de marché. Certains acteurs dominants pendant des années, tels que le Royaume-Uni, la Russie, voient leur part de marché reculer.

L’analyse des exportations d’armement montre que le marché est très concentré : depuis 1992, les 10 premiers pays captent 90% de la demande mondiale, les Etats-Unis et la Russie représentent 60% des parts de marché. La France, qui assure 7,5% des parts de marché mondiales, se positionne à un niveau élevé, devant l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie.

Fait notable dans l’analyse des tendances, de plus en plus de nouveaux acteurs apparaissent, notamment la Corée du Sud qui s’impose progressivement. A contrario, des acteurs à des niveaux historiquement hauts, tels que l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, décrochent de manière relative. En effet, ils se retrouvent sous le feu croisé d’acteurs dominants et émergents et payent également les conséquences de politiques d’austérité. En outre, la domination états-unienne n’est absolument pas remise en question. En effet, quand les Etats-Unis exportent des armements, ils le font pour des raisons diplomatiques et sont en mesure de fournir une sécurité jugée plus importante. Cela peut être une clé de lecture expliquant la perte du contrat de sous-marins australiens par la France. Enfin, en 2022, l’écart entre les parts de marché françaises et russes dans les exportations d’armement a considérablement diminué, ce qui peut laisser penser que la France pourrait dépasser la Russie en 2023 en fonction des suites du conflit en Ukraine.

Enfin, les lieux de production de l’armement terrestre européen soulignent une fragmentation de l’industrie de défense en Europe. Les industries ne sont pas toujours homogènes et on observe une forme de repli national. Il y a donc un enjeu d’organisation de l’industrie de défense européenne, avec une nécessité d’améliorer son efficacité. L’Union européenne s’est dotée de nouveaux outils tels que la facilité européenne pour la paix depuis mars 2021 et s’est montrée capable de faire des commandes en commun.

De nombreux défis restent encore à relever pour l’industrie de défense européenne : un défi politique avec un soutien à cette industrie européenne, un défi de production en plus grande qualité et quantité et un défi humain de recrutement sur les métiers techniques. En ce sens, J. Malizard ne se montre pas convaincu par l’expression « économie de guerre » popularisée par le président français E. Macron.

Copyright pour la synthèse Avril 2023-Reynier-Malizard/Diploweb.com


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