Conférence. Le retour du Brésil sur la scène internationale : les défis stratégiques du nouveau gouvernement Lula

Par Marie-Caroline REYNIER, le 12 mai 2023  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Marie-Caroline Reynier étudie les relations internationales en Master 2 à Sciences Po Paris. Elle s’intéresse tout particulièrement au continent sud-américain ainsi qu’aux thématiques de genre dans les relations internationales. M-C Reynier contribue depuis 2021 au Diploweb.com.

L’expertise géopolitique se construit et se communique aussi dans des conférences. Outre ses propres conférences, le Diploweb.com fait des synthèses de conférences organisées par d’autres entités afin d’en faire également connaître le contenu au-delà de l’espace et du temps de ce moment d’intelligence partagée. La conférence présentée ci-dessous était organisée à Paris par l’IRSEM le jeudi 27 avril 2023, en partenariat avec l’Institut des Amériques.

CONFERENCE organisée à Paris le 27 avril 2023 par l’IRSEM, en partenariat avec l’Institut des Amériques. Intervenants : Juliette Dumont, maîtresse de conférences, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3 ; Edison Rodrigues Barreto, professeur, Universidade Federal Fluminense - UQAM ; Raimundo Nonato Junior, professeur des universités, UFRN-CREDA ; François-Michel Le Tourneau, directeur de recherche, CNRS. Synthèse réalisée par Marie-Caroline Reynier pour Diploweb.com.

Conférence. Le retour du Brésil sur la scène internationale : les défis stratégiques du nouveau gouvernement Lula
Luiz Inácio Lula da Silva en 2023
Source : Wikipedia

Quel est le contexte du retour au pouvoir de Lula ?

Peu après son élection fin octobre 2022, Lula s’est rendu à la COP27 (Charm el-Cheikh, Égypte) pour déclarer que le « Brésil est de retour » sur la scène internationale, et notamment concernant les enjeux climatiques. Cette annonce suscite de l’espoir après une éclipse partielle du Brésil sous les mandats de Dilma Rousseff (2011-2016) et de Michel Temer (2016-2018) et surtout une éclipse totale sous le mandat de Bolsonaro (2019-2022).

Juliette Dumont définit la politique étrangère brésilienne comme étant celle du « pragmatisme œcuménique ». En effet, historiquement, le Brésil commerce avec tout le monde, défend sa souveraineté (il a été aligné sur aucune grande puissance durant la Guerre froide) et son développement est fondé sur les intérêts nationaux. Pendant ses mandats précédents (2002-2006 ; 2006-2011), Lula a mené une « política externa ativa e altiva » [active et avec panache] en essayant de changer les règles du jeu du multilatéralisme et de faire éclore un monde multipolaire. Cela s’est traduit par un rôle actif du Brésil au sein de l’ONU, le renforcement des BRICS à partir de 2011 (date de l’organisation de sommets réguliers) et la création de la banque des BRICS (Nouvelle Banque de Développement) en 2014. De retour au pouvoir, Lula cherche à contraster très fortement avec son prédécesseur Bolsonaro qui était systématiquement aligné avec Trump (voire le devançait) et a déstabilisé la diplomatie brésilienne en dépossédant l’Itamaraty (Ministère des affaires étrangères brésilien) de ses prérogatives (disparition du Brésil des enceintes multilatérales qui étaient utilisées pour faire campagne à l’intérieur du pays).

Néanmoins, en comparaison avec les 2 précédents mandats de Lula, le contexte actuel est fort différent nationalement, régionalement et internationalement.

En effet, Lula a été élu de justesse, avec 50,9% des voix. Le pays est polarisé, et encore marqué par les émeutes du 8 janvier 2023 durant lesquelles des militants d’extrême-droite ont tenté de prendre le contrôle des institutions à Brasilia. De plus, Lula n’a pas de majorité au Parlement. Si ce n’était déjà pas le cas lors de ses précédents mandats, cette fois-ci, l’extrême-droite est très présente au Sénat. Sur le plan économique, la croissance brésilienne est atone, ce qui peut être une clé de lecture du rapprochement opéré par le Brésil avec la Chine et la Russie.

Au niveau régional, depuis 2 ans, des présidents progressistes sont de retour au pouvoir, en Argentine, en Colombie, au Chili et maintenant au Brésil. Lula espère relancer les processus de coopération régionale tels que l’UNASUR (créée à son initiative en 2008 et vidée de sa substance sous le mandat de Bolsonaro), la CELAC, le MERCOSUR (union douanière ayant pâti de l’absence d’appétence de l’ex-président argentin Mauricio Macri et de Jair Bolsonaro). Si Lula espère finaliser l’accord UE-MERCOSUR, le projet de traité de libre-échange entre l’Uruguay et la Chine met à mal l’instance régionale. De plus, le projet de monnaie commune au sein du MERCOSUR est remis en question par la dégradation de la situation économique en Argentine. Ce faisant, Lula dispose d’une marge de manœuvre moins importante qu’au début des années 2000, au vu des dégâts causés par la crise du COVID-19 en Amérique latine (inflation, augmentation des inégalités).

Sur la scène internationale, Lula essaie d’appliquer une politique d’équidistance pragmatique. Il cherche à ménager ses partenaires comme le souligne sa visite en Chine (11 au 14 avril 2023) et la visite du ministre des Affaires étrangères russe Lavrov à Brasilia (17 avril 2023). Suite au déplacement de Lula en Chine, les Etats-Unis se sont engagés à débloquer 500 millions de dollars en direction du Fonds Amazonie (contre 200 millions auparavant). Néanmoins, au vu de ses déclarations polémiques sur la guerre en Ukraine, Lula est accusé de ne pas choisir suffisamment son camp.

Si François-Michel Le Tourneau note également que Lula arrive au pouvoir dans une situation difficile, il relativise ce constat comparativement aux défis présents en 2003 (déforestation, endettement). De plus, l’élection de Lula en 2023 n’a pas généré la même peur chez les investisseurs qu’en 2003. Selon lui, en 2023, le Brésil est plus riche et plus solide. Néanmoins, si Lula revient auréolé, la question est de savoir s’il est encore capable de changer les choses. Pour l’instant, d’après F-M Le Tourneau, il reprend « ses meilleurs morceaux tel un vieux crooner », à savoir la Bolsa Familia (programme de hausse des minima sociaux), le plan environnement. Il invite également à rester prudent sur les bilans faits aux 100 jours de Lula au pouvoir car ce dernier ne peut pas changer la politique en 3 mois.

Le gouvernement Lula 3 peut-il révolutionner les questions environnementales ?

F-M Le Tourneau note que Bolsonaro a démonté les institutions sous son mandat mais n’a pas réussi à endommager l’appareil législatif. Cependant, il a supprimé tous les moyens alloués aux fonctionnaires, entraînant un laisser-aller général. Le premier défi du nouveau gouvernement est donc de rééquiper tous ces fonctionnaires.

Pour Lula, l’Amazonie est devenue un symbole de la politique environnementale, à la fois sur le plan interne (lutte contre les orpailleurs) et externe (incarnation de la nouvelle politique promue par le Brésil à l’international). Mais, la focalisation sur l’Amazonie permet à Lula de faire oublier les autres dossiers où il ne se passe rien, à savoir la protection d’autres zones au Brésil ou l’interdiction des pesticides. Beaucoup de questions ne sont pas posées pour l’instant, telles que la pollution de l’air, des fleuves, des océans.

La révolution pour le gouvernement Lula 3 serait donc de revenir au même point qu’avant Bolsonaro.

Quels sont les enjeux du partenariat commercial UE-MERCOSUR (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) pour le Brésil ?

Tout d’abord, selon Raimundo Nonato Junior, l’intérêt est politique : Lula cherche à se rapprocher d’espaces rappelant symboliquement et matériellement la démocratie. Or, l’Union européenne est un allié pour lequel la démocratie est importante.

Ensuite, économiquement, ce partenariat représente une opportunité. Néanmoins, il rencontre des obstacles. Si un accord de principe a été conclu en 2019, il n’a jamais été validé. Pour l’instant, les exigences environnementales de l’Union européenne semblent être trop importantes pour le Brésil et l’Argentine. Souvent présenté comme un accord « des voitures contre des vaches », au sens qu’il va favoriser les exportations européennes d’automobiles, textiles et alimentaires ainsi que les importations de viande et d’éthanol en provenance des pays du MERCOSUR, ce partenariat souffre de nombreux stéréotypes.

Quels sont les grands défis économiques du gouvernement Lula 3 ?

Parmi ses principaux défis économiques, le Brésil est pour l’instant touché par le piège du revenu intermédiaire, dans le sens où le pays a du mal à dépasser ce niveau de revenu. Le PIB (en parité de pouvoir d’achat) progresse lentement et la capacité de croissance à long terme est également fortement limitée. De plus, la désindustrialisation précoce du Brésil entraîne un appauvrissement de l’appareil productif. Ce faisant, la participation du Brésil aux chaînes de valeur est très limitée.

En outre, la politique macroéconomique brésilienne est également contrainte. En matière de politique monétaire, le gouvernement de Lula est immobilisé puisque le Conseil monétaire national de la Banque centrale brésilienne, de formation économique très orthodoxe, a été nommé par Bolsonaro. Son mandat s’achevant fin 2024, la marge de manœuvre de Lula est pour l’instant restreinte. La politique budgétaire constitue également un défi pour le nouveau gouvernement de Lula.

Copyright pour la synthèse Mai 2023-Reynier/Diploweb.com


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