Podcast et synthèse rédigée

Planisphère. Renseignement : comment fonctionne l’alliance des Five Eyes ? Avec C. Renault

Par Clément RENAULT, Emilie BOURGOIN, Pierre VERLUISE, le 2 octobre 2025  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Clément Renault, Docteur, historien, chercheur « renseignement, guerre et stratégie » à l’IRSEM et enseignant à Sciences Po. Clément Renault a cosigné avec Paul Charon, « Le monde à venir vu par la CIA », Éditions des Équateurs, 2025
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF. Cette émission a été diffusée en direct le 30 septembre 2025.
Synthèse par Emilie Bourgoin, étudiante en dernière année de Master Sécurité et Défense à l’Université d’Ottawa, après un BBA à l’EDHEC. Elle a travaillé en alternance au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle a la charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.

Que savons-nous de l’alliance des Five Eyes ? C. Renault présente le dispositif de renseignement le plus intégré du monde, fondé sur le partage massif d’informations entre 5 pays anglo-saxons : Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande. Dans un contexte de bouleversements stratégiques majeurs, cette alliance est-elle toujours tenable ? Autrement dit, les orientations stratégiques de D. Trump remettent-elle en question cette coopération ? Pour dialoguer à ce propos, nous avons la chance de recevoir au micro de Planisphère Clément Renault. Podcast et synthèse rédigée.

Cette émission [1] Planisphère, Renseignement : comment fonctionne l’alliance des Five Eyes ? Avec Clément Renault, sur RCF-RND

Lien direct vers cette émission sur RCF-RND, avec possibilité de récupérer l’iframe.

Cette émission, Planisphère, sur Spotify

Synthèse de cette émission, Planisphère, Renseignement : comment fonctionne l’alliance des Five Eyes ? Avec Clément Renault. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com. Relue et validée par C. Renault

L’ ALLIANCE des Five Eyes est souvent qualifiée de dispositif de renseignement le plus intégré au monde. Fondée sur la confiance, la complémentarité des ressources et un partage massif d’informations, cette alliance historique entre cinq puissances anglo-saxonnes s’est structurée autour de l’interception de télécommunications, principalement à des fins militaires, diplomatiques et stratégiques. Dans un contexte d’instabilité mondiale et de remise en question des alliances traditionnelles, l’émission s’interroge : l’alliance des Five Eyes est-elle toujours tenable ? Et surtout, les orientations de Donald Trump remettent-elles en cause cette coopération ?

Genèse et consolidation de l’alliance : de BRUSA à Five Eyes

L’alliance des Fives Eyes prend racine en 1943 avec le pacte BRUSA entre le Royaume-Uni et les États-Unis, durant la Seconde Guerre mondiale. Elle vise alors à coordonner les efforts d’interception des communications ennemies. L’accord est formalisé en 1946 (accord UKUSA), puis étendu à trois autres pays : le Canada (1948), la Nouvelle-Zélande et l’Australie (1956), dans le contexte de la Guerre froide (1947-1990). Cette extension transforme l’accord bilatéral en réseau global de renseignement, spécialisé dans le renseignement électromagnétique (SIGINT [2]), c’est-à-dire l’interception de signaux et de communications.

Définition et nature du renseignement

Le renseignement, selon Clément Renault, se compose de données brutes (communications interceptées, imagerie, informations humaines) qui sont ensuite analysées, croisées et interprétées pour produire des informations dites «  finies  », utiles à la prise de décision politique et militaire. Dans le cas des Five Eyes, l’accent est mis sur l’interception technique, notamment des télécommunications.

Planisphère. Renseignement : comment fonctionne l'alliance des Five Eyes ? Avec C. Renault
Clément Renault
Docteur, historien, chercheur « renseignement, guerre et stratégie » à l’IRSEM et enseignant à Sciences Po. Crédit photographique : Pierre Verluise
Verluise/Diploweb.com

Un fonctionnement profondément intégré et structuré

Le caractère unique de l’alliance des Fives Eyes repose sur un niveau d’intégration inédit : présence mutuelle d’officiers de liaison, partage d’infrastructures techniques, outils communs et instances collégiales de coordination. Cette coopération s’appuie sur une confiance réciproque mais aussi sur une hiérarchie implicite : la NSA [3] américaine domine largement les échanges, suivie par le GCHQ [4] britannique. Les autres membres, notamment la Nouvelle-Zélande, sont considérés comme plus modestes en termes de capacités, mais stratégiques géographiquement, notamment dans la zone indo-pacifique.

Une alliance fondée sur la confiance… mais pas égalitaire

La collégialité entre les membres des Five Eyes repose sur la répartition des tâches et donc sur la confiance dans la compétence technique et la fiabilité des partenaires. Toutefois, cette confiance est asymétrique : les États-Unis orientent les règles du jeu, dictent les priorités et bénéficient de la capacité de collecte mondiale grâce à leurs partenaires. Des sous-alliances bilatérales existent au sein du groupe et toutes les informations ne sont pas forcément partagées avec l’ensemble des membres.

Impact de Donald Trump : une alliance sous tension

Le retour de Donald Trump au pouvoir en 2025 a ravivé les incertitudes au sein de l’alliance. Dès mars 2025, la décision unilatérale de ce dernier de mettre fin au partage de renseignement avec l’Ukraine a placé les partenaires de l’alliance dans une position délicate, en raison de leur forte interdépendance dans la collecte d’informations et de l’importance stratégique de ce flux sur le champ de bataille. Ce type de décision unilatérale heurte le fonctionnement intégré des Five Eyes : distinguer les sources partagées est techniquement difficile et cela peut engendrer des blocages bureaucratiques ou des tensions internes.

Trump ou pas, l’alliance des Five Eyes est maintenue par la force de l’interdépendance technique et humaine.

Une machinerie qui continue malgré les turbulences

Malgré les secousses diplomatiques et politiques, les opérationnels du renseignement – les officiers traitants, analystes et techniciens – continuent de coopérer au quotidien. L’alliance des Five Eyes est maintenue par la force de l’interdépendance technique et humaine. Par exemple, les infrastructures mixtes et les partages de tâches rendent difficile une rupture immédiate. Cela confirme que la cohésion professionnelle et l’interdépendance organisationelle dépasse les aléas politiques.

Le facteur confiance à l’épreuve : vers une coopération à géométrie variable

Clément Renault souligne que la transformation de la politique étrangère américaine sous Trump a altéré la confiance, en particulier dans les domaines sensibles comme le contre-espionnage. Si les thématiques jugées communes comme le contre-terrorisme restent partagées, d’autres domaines plus sensibles voient des pays comme le Royaume-Uni ou le Canada réfléchir à deux fois avant de partager les informations issues des sources les plus sensibles. Le risque de fuite devient un frein à la coopération ouverte.

Les Européens face à l’incertitude : nécessité de coopérations alternatives

Si aucun pays de l’UE n’est membre des Five Eyes, un éventuel affaiblissement de cette alliance aurait néanmoins des conséquences indirectes pour beaucoup d’entre eux. Sur de nombreux sujets et de nombreuses thématiques, le soutien apporté par l’alliance est indispensable, et les européens pourraient se trouver en situation de devoir renforcer leurs propres capacités de renseignement, qu’elles soient techniques ou humaines, pour compenser cet affaiblissement en intensifiant les coopérations bilatérales ou multilatérales intra-européennes. La guerre en Ukraine a démontré cette nécessité : en cas de retrait partiel des Américains, les Européens doivent pouvoir compenser, même si cela reste difficile au vu de la puissance du dispositif américain.

Le Royaume-Uni : un pont entre deux mondes

Malgré le Brexit (2020), le Royaume-Uni conserve une position centrale dans le dispositif des Five Eyes. Il reste un partenaire stratégique incontournable, aussi bien pour les Américains que pour les Européens, en raison de ses capacités techniques et de ses relations privilégiées avec Washington. Il agit en quelque sorte comme un trait d’union entre l’anglosphère et l’Europe continentale, notamment dans la guerre en Ukraine.

Pas d’Union européenne du renseignement à ce jour

Il n’existe pas de service européen du renseignement en tant que tel. L’EU Intelligence and Situation Centre (INTCEN) à Bruxelles n’a aucune capacité de collecte propre et dépend des informations fournies par les services nationaux. Les différences de perception des menaces entre États membres empêchent la constitution d’un organe unifié. Le renseignement reste une compétence éminemment régalienne et peu partageable, malgré les propositions récentes comme celle de l’ancien président finlandais Sauli Niinistö.

Politisation du renseignement aux États-Unis : un facteur de rupture

L’administration Trump II exerce une pression politique croissante sur la communauté américaine du renseignement. Des responsables sont remplacés ou limogés si leurs analyses ne correspondent pas à la ligne présidentielle. Cette politisation crée un stress interne et peut menacer la fiabilité du renseignement américain, ce qui pourrait à terme fragiliser la coopération internationale.

La France et les études sur le renseignement : un champ en expansion

En France, les études sur le renseignement se développent lentement mais sûrement. Des historiens comme Olivier Forcade ou Sébastien-Yves Laurent ont ouvert la voie et des institutions comme l’IRSEM ou l’Académie du Renseignement soutiennent la recherche. Mais l’encadrement doctoral reste rare, et les carrières universitaires dans ce domaine sont limitées. Des revues spécialisées (comme Études françaises de renseignement et de cyber) et des séminaires renforcent cependant la visibilité du champ.

Une alliance résiliente, mais soumise à l’épreuve du temps

L’alliance des Five Eyes continue de fonctionner grâce à son ancrage structurel, sa culture professionnelle partagée et ses intérêts convergents. Toutefois, elle n’est pas à l’abri des soubresauts politiques, en particulier aux États-Unis. Les signaux de désalignement stratégique, la politisation du renseignement ou encore les doutes sur la fiabilité des partenaires posent des défis réels. Pour les Européens, cela implique une réflexion urgente sur leur autonomie et leurs capacités propres. Le renseignement demeure un pilier de la souveraineté, et à ce titre, il cristallise les tensions du monde qui vient.

Pour aller plus loin

. Clément Renault & Paul Charon, « Le monde à venir vu par la CIA », Éditions des Équateurs, 2025

. Clément Renault, Trump 2 : quelles conséquences sur les coopérations de renseignement transatlantiques ?, Le Rubicon, 18 décembre 2024

. Clément Renault, S’adapter pour renseigner, Diplomatie, n°124, mai 2025 :

. Clément Renault, Renseignement et conflictualité dans le cyberespace, Cahiers français, n°123, juin 2025 :

. Dossier géopolitique : Le renseignement sur Diploweb

. Grand Prix de l’Académie du Renseignement (remise annuelle à l’École militaire), un événement ouvert au public, sur inscription.

Copyright pour la synthèse Juin 2025-Bourgoin/Diploweb.com


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[1Cette émission a été enregistrée le : 08/09/2025, diffusée le 30/09/25

[2NDLR : Le renseignement d’origine électromagnétique ou ROEM (en anglais : signals intelligence ou SIGINT) est un renseignement dont les sources d’information sont des signaux électromagnétiques.

[3NDLR : La National Security Agency (NSA, « Agence nationale de la sécurité ») est un organisme gouvernemental du département de la Défense des États-Unis, responsable du renseignement d’origine électromagnétique et de la sécurité des systèmes d’information du gouvernement américain.

[4NDLR : Le Government Communications Headquarters est le service gouvernemental du Royaume-Uni responsable du renseignement d’origine électromagnétique et de la sécurité des systèmes d’information.

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