Vidéo. La France une puissance de l’Indo-Pacifique ? P. Milhiet

Par Jérémie ROCQUES, Paco MILHIET, Pierre VERLUISE, le 8 mars 2023  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Paco Milhiet est titulaire d’un doctorat de l’Université de la Polynésie française et de l’Institut catholique de Paris, il a rédigé et soutenu une thèse intitulée « L’Indo-Pacifique français, construction régionale, stratégie nationale, déclinaisons locales ». Il s’exprime en son nom propre. Ses recherches portent sur la géopolitique de la zone Indo­Pacifique et sur le développement de l’influence chinoise dans la région. Il enseigne les relations internationales aux élèves officiers de l’École de l’air et de l’espace ainsi qu’à Sciences Po Aix. Auteur de "Géopolitique de l’Indo-Pacifique", préface de Christian Lechervy, éd. Le Cavalier Bleu. Membre du Conseil scientifique du Diploweb.com. Images et son : Jérémie Rocques. Montage : Jérémie Rocques et Pierre Verluise. Organisation de la conférence : P. Verluise

Les problématiques géopolitiques dans l’Indo-Pacifique français sont à la fois différenciées et imbriquées à toutes les échelles d’analyses : internationales, régionales, nationales, locales. Depuis le Brexit (2020), la France reste le dernier interlocuteur membre de l’Union européenne (UE) souverain dans la zone, une occasion unique de réaffirmer son rôle de grande puissance européenne.

La stratégie promue par l’État place de facto les collectivités françaises de l’Indo-Pacifique à la confluence de projets géopolitiques concurrents. Pourquoi ? Cette passionnante conférence l’explique clairement, à plusieurs échelles.

Présentation des enjeux de la conférence, par P. Milhiet

L’Indo-Pacifique est un espace géographique, maritime et terrestre englobant les deux océans éponymes, s’étendant de l’Afrique orientale au continent américain [1]. Nouveau leitmotiv des relations internationales, la nomenclature (ré)apparait en 2007 sous la plume de Shinzo Abe, puis elle est progressivement reprise par les gouvernements australien, indien, et américain et plus récemment par l’ASEAN. Ce nouveau schème géopolitique reflète la prépondérance du continent asiatique combinée à la maritimisation de l’économie au XXIème siècle. Les mers de Chine sont l’épicentre des tensions géopolitiques mondiales, l’Indo-Pacifique constituant l’extension des tensions récurrentes aux périphéries maritimes (Golfe du Bengale, Micronésie…). Concrètement, à travers le prisme de l’Indo-Pacifique se dessine un nouveau monde bipolaire, où la rivalité sino-américaine polarise et structure l’ensemble des relations géopolitiques de cette vaste zone. Tous les acteurs des relations internationales ayant développé une stratégie Indo-Pacifique sont inquiets du développement exponentiel de la République Populaire de Chine (RPC) dans la région. À l’inverse, la RPC et ses principaux partenaires (Pakistan, Iran, Russie), bien qu’exerçant une influence non négligeable dans la zone n’adopte pas la terminologie. La sémantique Indo-Pacifique vise donc d’abord à endiguer, à contenir, le développement multimodal de la Chine.

Vidéo. La France une puissance de l'Indo-Pacifique ? P. Milhiet
Paco Milhiet
Auteur de "Géopolitique de l’Indo-Pacifique", préface de Christian Lechervy, éd. Le Cavalier Bleu.
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À partir de mai 2018, le président de la République française, Emmanuel Macron, a formalisé une stratégie de l’Indo-Pacifique français pour légitimer et crédibiliser le statut de la France en tant que puissance régionale. « Grande puissance moyenne » selon les termes de l’ancien président de la République Valéry Giscard d’Estaing, la France semble a priori peu concernée par cette région du monde si éloignée du territoire métropolitain. Marginalisée en Asie après la débâcle de Diên Biên Phu en 1954, elle a longtemps été accusée de néocolonialisme dans le Pacifique océanien et dans l’océan Indien.

Pourtant, les données géographiques, diplomatiques et économiques justifient la proactivité de Paris dans cette région. La France dispose en effet de la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) au monde, et 93 % de celle-ci se situe dans la région de l’Indo-Pacifique (10 millions de km2). Près de 1,7 million de citoyens français résident dans les collectivités françaises de la zone. Deux cent mille expatriés français habitent les pays de la région. Sept mille filiales d’entreprises françaises y sont implantées. Huit mille militaires français stationnent en permanence dans les cinq bases prépositionnés. Parmi les soixante-dix pays riverains de l’Indo-Pacifique, seize pays ont une frontière maritime avec la France.

Le contexte diplomatique a évolué. Face à une puissance chinoise dominante et conquérante, la France est désormais perçue comme un élément stabilisateur de la région. L’adoption de la nomenclature Indo-Pacifique permet à la diplomatie française de développer des relations bilatérales privilégiées avec des pays qui partagent des intérêts communs (Inde, Singapour, Indonésie, Japon). L’Indo-Pacifique occupera également une place importante dans les futures relations franco-chinoise et franco-américaine. À la suite du Brexit (2020), la France reste le dernier interlocuteur membre de l’Union européenne (UE) souverain dans la zone, une occasion unique de réaffirmer son rôle de grande puissance européenne.

La stratégie Indo-Pacifique française constitue donc un objectif de politique extérieure, mais aussi un objectif de politique intérieure. Car c’est avant tout l’exercice de la souveraineté dans la région qui fonde et légitime la présence française.

Les collectivités françaises de l’Indo-Pacifique (CFIP), terme englobant la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie, La Réunion, Mayotte, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), auquel il convient d’ajouter l’île de Clipperton qui relève du domaine public de l’État, sont une composante majeure de la stratégie mise en œuvre par l’État. Liées entre elles, non pas par la géographie, mais par l’histoire de la colonisation française, chaque collectivité est confrontée à des problématiques propres, souvent sans corrélation d’un territoire à l’autre. Processus référendaires en Nouvelle-Calédonie, crise migratoire à Mayotte, développement de l’influence chinoise en Polynésie française, contestation de la souveraineté française dans les îles Éparses sont autant de problématiques géopolitiques qui caractérisent la spécificité de chaque CFIP. Si le narratif Indo-Pacifique comporte des intérêts certains pour l’État, voire est un impératif géostratégique national, qu’en est-il pour ces territoires ultramarins ? Est-ce dans leurs intérêts d’adopter une politique stratégique dirigée contre la RPC, principal acteur du développement régional depuis le début du XXIème siècle ? Quel sera l’apport de chaque CFIP dans la construction de l’édifice Indo-Pacifique français ? Certaines disposent d’une d’autonomie assez large pour développer leur propre stratégie géopolitique. Toutes se veulent intégrées dans leur environnement régional. Elles n’ont souvent pas intérêt à se détourner des opportunités de développement que la RPC porte ou peut porter localement. La stratégie promue par l’État place de facto les CFIP à la confluence de projets géopolitiques concurrents. Elle peut apparaître éloignée, et dans certain cas contraire, aux intérêts propres de chaque CFIP. Dans l’Indo-Pacifique français, les ambitions de l’État et les intérêts des CFIP ne s’articulent pas systématiquement.

Les problématiques géopolitiques dans l’Indo-Pacifique français sont donc à la fois différenciées et imbriquées à toutes les échelles d’analyses : internationales, régionales, nationales, locales. Autant de représentations de l’espace étudié qu’il convient d’analyser.

Copyright Mars 2023-Milhiet/Diploweb.com


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. Paco Milhiet, « Géopolitique de l’Indo-Pacifique. Enjeux internationaux, perspectives françaises », préface de Christian Lechervy, éditions Le Cavalier bleu, 2022.

Derrière chaque dénomination géographique se cache une intention politique. L’Indo-Pacifique ne déroge pas à la règle… Nouveau leitmotiv des relations internationales, cette construction stratégique vise à contenir la montée en puissance de la Chine et met en exergue la rivalité sino-américaine. Mais elle se traduit aussi par des enjeux régionaux qui ne sont pas toujours en ligne avec la stratégie de certaines métropoles, notamment la France, acteur important grâce à ses collectivités présentes dans la région.
Les problématiques de l’Indo-Pacifique se développent donc à plusieurs échelles, internationale, nationale et locale. Ce sont ces représentations multiscalaires, conduisant à des intérêts géopolitiques parfois concurrents, que Paco Milhiet analyse dans cet ouvrage.
Paco Milhiet est docteur en science politique. Il enseigne les relations internationales à l’École de l’air et de l’espace ainsi qu’à Sciences Po Aix. Ses recherches portent sur la géopolitique de la zone Indo-Pacifique et sur le développement de l’influence chinoise dans la région.
Préface de Christian Lechervy
Ouvrage publié avec le soutien de la Maison des sciences de l’homme du Pacifique et de l’Université de la Polynésie française


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[1Cette conférence a été organisée 12 janvier 2023 à l’ENC Blomet, Paris

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| Dernière mise à jour le mardi 3 décembre 2024 |