Christian Lechervy est Ambassadeur - Secrétaire permanent pour le Pacifique (2014 -2018). Ambassadeur de France en Birmanie depuis octobre 2018. Membre du Conseil scientifique du Diploweb.
Images et son : Jérémie Rocques. Montage Fabien Herbert. Résumé par Emilie Dael Causse pour Diploweb.com. Une conférence organisée par Pierre Verluise (Diploweb)
Ambassadeur et Secrétaire permanent pour le Pacifique à la date de cette conférence, Christian Lechervy présente la situation géopolitique de la Nouvelle-Calédonie, de façon à la fois claire et précise. Une présentation documentée particulièrement bienvenue dans le contexte de la consultation référendaire fixée au 4 novembre 2018. L’occasion de découvrir comment s’organise déjà une souveraineté partagée.
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Résumé par Emilie Dael Causse pour Diploweb.com
À l’occasion du voyage d’Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie, du 3 au 5 mai 2018, a été organisé un dialogue avec les dirigeants de la Communauté du Pacifique (CPS). L’organisation de coopération régionale regroupe depuis 1947 l’ensemble des territoires et des États d’Océanie à l’exception de l’Indonésie, des Philippines et du Timor oriental. Il s’agit de la seule organisation internationale à avoir son siège dans l’un des territoires ultra-marins français. La venue du Président de la République française relève d’une dimension historique en tant qu’elle a eu lieu six mois jour pour jour avant la consultation référendaire prévue pour le 4 novembre 2018 au titre de la mise en œuvre de l’accord de Nouméa. Celui-ci a mis fin aux violences politiques qui ont traversé la Nouvelle-Calédonie au milieu des années 1980 et posera une question simple au corps électoral : « Voulez-vous que le territoire accède à la pleine souveraineté et à l’indépendance ? » Cette consultation va s’adresser à un corps électoral particulier constitué des personnes nées en Nouvelle-Calédonie, relevant du statut coutumier et ayant le centre de leurs intérêts matériels et moraux sur le territoire. Depuis une trentaine d’années, les sondages sur l’issue du vote sont assez constants, ils mettent en avant que 60% de l’électorat serait hostile à l’indépendance. Suite à cette consultation, les relations internationales du territoire vont évoluer en tant que la Nouvelle-Calédonie est aujourd’hui un acteur de la scène internationale.
L’Accord de Nouméa et la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 ont fait que l’État et la collectivité territoriale agissent de concert sur la scène régionale océanienne et internationale. Cette forme nouvelle d’expression de la souveraineté s’est déclinée dans les modes de représentation, dans les négociations internationales et dans la contractualisation des relations. Dans la Constitution, le législateur a précisé les enceintes d’expression de cette souveraineté partagée. Depuis 2001, la Nouvelle-Calédonie s’est dotée d’un service de coopération régionale et des relations extérieures, indispensable à ses relations avec l’État, l’Union européenne (UE), les organisations internationales et les organisations régionales du Pacifique. Ce service constitue le réceptacle du réseau de représentation du territoire à l’étranger. Par ailleurs, la Nouvelle-Calédonie peut user d’un droit de légation, lui permettant de disposer de délégués dans certains pays de la région Pacifique ou auprès d’organisations régionales.
La Convention de janvier 2012 entre le président du gouvernement calédonien Harold Martin, le ministère des Affaires Étrangères et le ministère des Outre-mer stipule que les délégués calédoniens seront installés dans des ambassades françaises et précise la géographie de ces implantations. Depuis, les relations extérieures de la Nouvelle-Calédonie se sont développées principalement dans le monde mélanésien. Il semble que ce réseau ne s’arrêtera pas à cette seule dimension de proximité et peut être appelé à s’élargir. Les contraintes de transports à l’échelle de la région, coûts et temps, pourraient le justifier par exemple. Une réalité financière et matérielle qui a pour conséquence que chaque poste de délégué se verra soumis aux arbitrages « coûts-avantages » de sorte à ce que le territoire développe efficacement ses relations avec la région. Il lui faudra aussi prendre en compte que le monde du Pacifique insulaire est constitué d’un tripode composé du groupe des États micronésiens, du monde mélanésien et du triangle polynésien. Dans le déploiement de leur politique d’influence, la diplomatie française et son corollaire calédonien doivent donc prendre en considération que la région se compose d’organisations regroupant l’ensemble des États et des territoires mais aussi de sous-ensembles disposant de leurs propres institutions politiques.
Il convient de préciser que les relations extérieures de la Nouvelle-Calédonie ne se limitent pas au monde Pacifique insulaire. La loi organique de 1999 stipule en effet qu’elle peut participer à certaines organisations internationales, un droit qu’elle s’approprie depuis quelques années en étant observatrice à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) ainsi qu’à l’UNESCO et membre de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour le Pacifique occidental. De plus, elle participe à la Commission Economique et Sociale pour l’Asie et le Pacifique (ESCAP) des Nations unies. La Nouvelle-Calédonie sort de l’espace Pacifique et se constitue en représentante en tant que telle. Dès lors, elle a besoin d’acteurs professionnels des relations internationales, d’où la nécessité de former des délégués. Cela s’incarne en particulier dans la loi dite « de pays » adoptée par le Congrès de Nouvelle-Calédonie visant à sélectionner et former des agents afin que le territoire dispose d’ici la fin du premier semestre de 2019 de cinq représentants, créant ainsi un réseau à l’étranger comparable à celui des petits Etats en développement de la région. Ce dispositif doit interagir avec le corps diplomatique français mais aussi européen. La Nouvelle-Calédonie a des obligations vis-à-vis de l’UE en tant que Petit Territoire d’Outre-Mer (PTOM). Le réseau doit également prendre en compte le développement des relations économiques avec l’extérieur du territoire, en particulier avec l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et l’Asie du nord-est.
Le deuxième élément de la souveraineté partagée est la pratique de la négociation, elle aussi inscrite dans la loi organique, qui constitue un élément central des relations extérieures du territoire. Elle consiste en la possibilité pour la Nouvelle-Calédonie de signer les accords internationaux au nom de la France et sur la base de pouvoirs donnés au cas par cas par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Dans ce cadre, des accords bilatéraux, trilatéraux voire plus globaux sont élaborés et mis en oeuvre. La négociation se traduit aussi sous la forme d’arrangements administratifs qui n’ont pas de valeur juridique mais sont engageants politiquement. Cette diplomatie de niche crée un corpus de déclarations d’intention qui devient conséquent, notamment avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Enfin, la contractualisation et la fonction politique tribunitienne définissent aussi la souveraineté partagée. Elles s’expriment jusque dans enceintes politiques internationales tel le Forum des îles du Pacifique où se discutent des enjeux relevant de la compétence du territoire mais aussi des compétences régaliennes de l’Etat. Au sein de ces forums, il est alors nécessaire pour aborder les sujets relevant des compétences exclusives de l’Etat que les représentants calédoniens disposent d’éléments de langage appropriés, la France ne pouvant s’exprimer en la matière que d’une seule voix. La souveraineté partagée repose sur une transparence de l’État sur ses intentions et ses prises de position mais aussi sur un rapport de confiance entre les plus hautes autorités du territoire et de l’État. Dans le cas contraire, il serait paradoxal de maîtriser chaque acte de la collectivité territoriale tout en étant dans le cadre d’une souveraineté partagée. Cette relation entre les deux parties peut se réaliser par l’intermédiaire de plusieurs instruments. Les sommets France – Océanie, instaurés par Jacques Chirac en 2003 et se déroulant tous les trois ans, constituent une instance de dialogue entre le chef de l’État et ceux des États et des gouvernements océaniens. Les déplacements du Président accompagné des dirigeants calédoniens à ses côtés, comme celui du Président Emmanuel Macron en Australie début mai 2018, sont un second moyen d’entretenir la relation de confiance.
Les relations territoriales extérieures qui se mettent en place ne se substituent pas à la diplomatie de l’État. Si la Nouvelle-Calédonie entretient des relations privilégiées avec le monde mélanésien, ce n’est pas pour autant que l’État doit renoncer à sa diplomatie mélanésienne. Au contraire, la diplomatie d’État la complète notamment dans ses dimensions européennes et régaliennes, à commencer par la défense, la protection des espaces maritimes et la gestion des frontières.
Les relations extérieures territoriales de l’État dans le Pacifique péninsulaire sont donc des enjeux majeurs. Le Brexit va faire de la France le seul État de l’Union présent dans le Pacifique. La Grande-Bretagne a conscience de cela et a annoncé l’ouverture prochaine de trois ambassades dans la région.
Finalement, la diplomatie française s’essaye avec la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française à développer de nouvelles formes d’action politique et d’influence en Océanie. Des efforts auxquels concourent également le Territoire des îles Wallis et Futuna mais avec un statut juridique et des ressources différentes.
Copyright pour le résumé Septembre 2018-Dael Causse/Diploweb.com
Mise en ligne initiale le 5 septembre 2018.
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Cette conférence de C. Lechervy était organisée au bénéfice des étudiants d’Hypokhâgne de la CPGE de Blomet (Paris), découvrez son site. Vous pouvez mieux la connaitre encore en visitant sa page Facebook Prépa Blomet
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