Bélarus : géopolitique d’une « crise gelée »

Par Patrice GOURDIN, le 21 mars 2021  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Membre du Conseil scientifique du Diploweb.com. Auteur du "Manuel de géopolitique", éd. Diploweb.com

Le plus souvent réduit à l’état de « trou noir » de la géopolitique de l’Europe géographique, le Bélarus traverse une nouvelle crise politique depuis août 2020. Patrice Gourdin applique dans cette étude de référence les méthodes de l’analyse géopolitique pour aider à comprendre la situation complexe dans laquelle se débat ce pays frontalier de l’UE. Cette étude de P. Gourdin sur le Bélarus fait indirectement écho à l’étude précédemment produite sur l’Ukraine avec laquelle il y a des comparaisons intéressantes à établir, notamment en matière de représentations géopolitiques.

DEPUIS le mois d’août 2020, le Bélarus subit une crise politique sans fin prévisible [1]. S’agissant d’un État issu de la dislocation de l’URSS (26 décembre 1991), l’ombre de la Russie n’est jamais loin. De même que Moscou pallie son impuissance relative par la nuisance en entretenant des conflits sans fin à sa périphérie - les “conflits gelés“ [2] -, il semble que le Kremlin ait décidé de pérenniser la crise au Bélarus, faute de pouvoir y apporter une solution conforme à ses intérêts. Dans cette hypothèse, nous pouvons parler de “crise gelée“.

L’analyse géopolitique peut nous aider à comprendre la situation complexe dans laquelle se débat ce pays. Vivant sur un territoire peu favorisé, la population du Belarus ne présentait pas de clivage marqué et son comportement dans la crise en cours ne révèle pas de fractures béantes. Quant à la communauté internationale, elle fait preuve d’une grande prudence, observée même par le voisin russe.

Bélarus : géopolitique d'une « crise gelée »
Patrice Gourdin, Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université

I. Un carrefour dépourvu de ressources et faiblement peuplé [3]

Avec 207 600 km2, le Bélarus couvre une superficie modeste et ne constitue pas une proie alléchante à cet égard. Ses frontières terrestres actuelles (2 969 kilomètres) sont celles de l’ancienne République socialiste soviétique de Biélorussie, telles que fixées en 1945. Voisin de la Russie, de l’Ukraine, de la Pologne, de la Lituanie et de la Lettonie, le pays pâtit de l’enclavement. Il ne compense pas ce handicap par sa situation de carrefour. Sis à la charnière entre les États baltes et l’Ukraine ainsi qu’entre la Russie et la Pologne, il ne peut valoriser cette position faute de moyens et du fait des tensions extrêmes existant entre la Russie et les autres États contigus. Le Bélarus répond aux critères qui définissent un pivot géopolitique [4].

Hérité de l’ère glaciaire, le relief est peu accidenté : point culminant du pays, le Mont Djerzinski (en hommage au chef de la Tchéka - la police politique bolchevique -, originaire de Minsk) culmine à… 346 mètres. Le nord et le centre mêlent collines et lacs, tandis qu’une vaste plaine marécageuse, le bassin du Pripiat, occupe une grande partie du sud. Celle-ci seule offrit des possibilités défensives aux habitants en butte à de nombreuses invasions au cours de l’histoire, notamment durant la Seconde Guerre mondiale [5]. Cette région de l’Europe recèle très peu de ressources naturelles dans son sous-sol : du sel gemme, du fer, du phosphate et de la potasse (seule matière première exportable). Les gisements ne sont pratiquement pas exploités. L’approvisionnement énergétique et en matières premières du pays dépend des fournitures russes.

Continental, tempéré par les influences maritimes venues de la mer Baltique, le climat du Bélarus produit une très forte humidité. Cela assure une hydrographie très favorable : plus de 20 000 cours d’eau le plus souvent de petite taille (moins de 5 kilomètres de longueur en moyenne) sillonnent le pays, à quoi s’ajoutent les lacs glaciaires (plus de 10 000, étalés sur environ 1 500 km2) et les marais (4% du territoire). Trois fleuves marquent le paysage : la Dvina occidentale au nord-ouest, le Niemen au centre-ouest et le Dniepr au sud-est. Ce dernier est relié à la Vistule par le Pripiat, au sud. Ces cours d’eau servirent de tout temps pour le transport local ainsi que pour les échanges à travers l’isthme nord-européen (mer Baltique-mer Noire). Le contexte régional bloque aujourd’hui ces courants, mais ils pourraient circuler à nouveau si la région renouait avec la sérénité. L’hydroélectricité ne compense que partiellement l’absence d’énergies fossiles. Les conditions naturelles favorisent la croissance des arbres : conifères et bouleaux s’étendent sur plus d’un tiers du territoire (86 500 km2). Les forêts offrirent ressources et protection aux populations. En période de paix, ces dernières peuvent également exploiter des prairies (15% du territoire [6]) et des terres arables (27% du territoire [7]) moyennement fertiles. L’agriculture assure 7% [8] du PIB (23 % en 1990) et emploie 11% de la population active. Elle fonctionne encore selon le mode soviétique collectivisé et demeure peu rentable. Toutefois, grâce aux volailles, à l’élevage bovin et porcin, aux cultures fourragères, aux produits maraîchers, aux arbres fruitiers, aux céréales (orge, seigle et blé), aux pommes de terre et à la betterave sucrière, elle assure l’autonomie alimentaire du pays et approvisionne l’industrie agro-alimentaire disséminée sur l’ensemble du territoire.

Insuffisamment modernisées, les activités manufacturières entrent pour 31% dans le PIB (46% en 1990) et emploient 30,5% de la population active. Le tissu industriel du pays se concentre pour environ un tiers dans la capitale et sa région, le reste se trouve dans les autres villes. De qualité inégale, souvent médiocre, la production ne couvre pas tout l’éventail des besoins. Cependant, il existe une base textile appréciée, qui travaille en partie en sous-traitance pour l’étranger, tout comme la filière bois. Performante et concentrée, la chimie, largement tournée vers l’exportation, dépend des approvisionnements russes en matières premières. La construction mécanique est le premier employeur industriel, mais avec des produits de qualité inférieure à ceux accessibles sur le marché mondial. L’industrie d’armement demeure importante et fournit à la Russie une partie des pièces et des composants destinés à ses équipements militaires. Citons par exemple MZKT (Minski zabod kolavykh tsiagatcho ou Usine des tracteurs à roue de Minsk), qui fabrique les véhicules de transport de plusieurs types de missiles (notamment à ogives nucléaires) russes [9]. Surtout, poussé par les autorités (notamment grâce au décret de décembre 2017 “Sur le développement de l’économie numérique”), le secteur des technologies de l’information se distingue et assure 6,5% du PIB. Comme la Russie ou l’Ukraine, le pays a hérité de la qualité du système éducatif soviétique en mathématiques, en sciences de l’ingénieur et en langues vivantes. S’ajoute la spécialisation dans les hautes technologies dès la période soviétique (des téléviseurs aux microprocesseurs) qui faisait de la Biélorussie la république socialiste soviétique la plus avancée en ce domaine. Aujourd’hui, des centaines d’entreprises de ce secteur prospèrent et exportent. Citons le jeu vidéo World of Tanks, ou la messagerie cryptée Viber (dont les développeurs sont basés à Minsk). Les sociétés du secteur bénéficient d’une fiscalité très favorable, mais peuvent à tout moment se déplacer vers la Lituanie, la Pologne ou l’Ukraine, prêtes à les accueillir à bras ouverts. Leur implication dans la contestation en cours (du moins au début) constitue donc un symptôme alarmant pour le régime.

Très divers et pour partie privatisés (commerce, tourisme), les services entrent pour 62% dans le PIB (31% en 1990) et fournissent 58,5% des emplois. Moins que dans l’agriculture et l’industrie, mais pour une part significative, les emplois sont liés à l’appareil d’État, ce qui place la majeure partie de la population en situation de dépendance vis-à-vis du régime et de son chef. Doté d’un important patrimoine (naturel et culturel) et d’un réseau de communications convenable, le Bélarus est visité par ses ressortissants (qui n’ont guère d’autres destinations abordables) et environ 4 millions de touristes étrangers par an. Largement dominé par l’État (70% du PIB viennent du secteur public), le système économique demeure très proche de celui de l’ex-URSS. Aussi l’économie du Bélarus se distingue-t-elle par une très faible ouverture sur l’extérieur, à l’exception des quelques secteurs industriels signalés plus haut. Cet anachronisme entraîne une conséquence positive : contrairement à la plupart des États issus de l’ex-URSS (à commencer par la Russie et l’Ukraine), le Bélarus n’a pas généré d’oligarchie accaparant les ressources et le pouvoir. Le sujet ne figure d’ailleurs pas dans les revendications des protestataires actuels.

Avec 9 500 000 habitants, le Bélarus ne prétend pas à la force du nombre. Comme dans beaucoup de régions frontières, la démographie du pays pâtit des aléas de l’histoire. Rien que durant la Grande Guerre patriotique (1941-1945), on estime que 700 000 soldats et partisans et 1 700 000 civils biélorusses (dont la quasi-totalité de la population juive) périrent, soit environ 25% de la population d’avant-guerre. À la fin du conflit, la République socialiste soviétique de Biélorussie afficha la proportion de pertes humaines la plus élevée de toute l’URSS. Aujourd’hui, au Bélarus comme dans la plupart des pays issus de l’ex-URSS, la population diminue lentement mais inexorablement (10 200 000 habitants en 1994). Une partie des Russes qui y résidaient ont regagné la Russie, tandis qu’une partie des jeunes travailleurs qualifiés émigrent, à la recherche de meilleures conditions matérielles de vie. Certains partent pour fuir la dictature. La répression en cours depuis l’été 2020 accélère ce mouvement sans que l’on puisse le quantifier pour le moment. Il revêt probablement une ampleur préoccupante puisque le régime a mis en place des restrictions à la sortie du territoire fin 2020.

Grâce au maintien d’un système de santé accessible à tous, l’espérance de vie a progressé depuis l’indépendance : 79,4 ans pour les femmes (75,6 ans en 1990) et 69,2 ans pour les hommes (66,3 ans en 1990). Le système éducatif garantit l’alphabétisation de l’ensemble de la population. Modestes (0,6% du PIB), les dépenses de recherche-développement contribuent à maintenir une qualité scientifique et technique élevée (71% vers les sciences de l’ingénieur et technologiques, 16% pour les sciences exactes et naturelles) de l’enseignement universitaire. Le niveau de vie affiche une amélioration substantielle par rapport à la fin de la période soviétique, mais les comparaisons avec les pays voisins soulignent la modestie des progrès. Calculé en dollars courants, le PIB par habitant a triplé (de 2 124 $ en 1990 à 6 663 $ en 2019) ; il a presque quadruplé en parité de pouvoir d’achat (de 5 232 $ en 1990 à 19 997 $ en 2019). Toutefois, si l’on compare avec les États limitrophes, seule l’Ukraine fait moins bien [10]. Cela contribue à expliquer l’émigration d’une partie des personnes qualifiés.

Les Bélarussiens comptent pour 83% des habitants, les Russes (installés après 1945, pour la plupart) pour 8,2%, les Polonais pour 3,2% (400 000 furent expulsés vers la Pologne par Staline en 1945-1946) et les Ukrainiens pour 1,6%. La coexistence entre ces différentes populations slaves ne suscite pas de difficultés particulières. La situation linguistique le confirme [11]. Le Bélarus a deux langues officielles, le biélorusse et le russe, auxquelles s’ajoute un troisième idiome, mélange de biélorusse et de russe, surtout utilisé dans les campagnes : le trasianka. Les données relatives à la langue utilisée à la maison placent le biélorusse en dernière position (2,2%) tandis que le russe caracole en tête avec 73,7%. Une famille sur huit (12,3%) utilise les deux. Quant au trasianka, seuls 11,6 % des habitants y recourent. Le russe s’impose comme langue d’usage et si l’on admet la thèse selon laquelle le trasianka résulte de la russification entamée au XIXe siècle, le biélorusse apparaît comme un idiome marginal. 84% des habitants déclarent croire en Dieu [12]. 73% des croyants sont orthodoxes, 12% catholiques et 4% protestants (surtout baptistes et pentecôtistes car, depuis les années 1990, le pays connaît une forte poussée des églises évangéliques). Le 1% restant n’englobe pas moins de 22 autres religions. Le facteur religieux ne joue pas de rôle structurant majeur et ne revêt par conséquent pas de caractère clivant. La situation de carrefour occupée par le pays ainsi que les soubresauts de l’histoire de la chrétienté font du Bélarus une zone d’imbrication religieuse plus qu’une ligne de fracture entre catholicisme et orthodoxie.

Trois composantes importantes de l’identité nationale, l’ethnie, la langue et la religion ne distinguent guère les Bélarussiens de leurs voisins Russes. Il en résulte l’absence de clivages, ce qui favorise la cohésion interne et l’entente avec la Russie.

II. Un combat pour la dignité

Le peuple bélarussien ne se caractérise pas par une forte identité. En revanche, une part importante de la population tente, depuis l’été 2020, d’affirmer sa dignité.

Quelques années après la fin de l’URSS, Roger Brunet écrivait : « le pays a beaucoup plus été dans l’histoire un espace à traverser qu’un foyer d’initiative et de pouvoir. [13] » Rien ne semble plus vrai : ce qui correspond à l’actuel Bélarus apparaît comme un objet plutôt qu’un acteur de l’histoire. À partir du Xe siècle avant notre ère, des tribus balto-slaves étaient présentes dans la région qui devint la zone de résidence des Slaves orientaux, ancêtres des actuels Russes, Biélorusses et Ukrainiens. Nous ne savons rien des conditions et de la chronologie de la dissociation de ces trois groupes, ce qui alimente depuis le XIXe siècle les débats et polémiques autour de l’existence de trois nations différentes ayant droit chacune à leur indépendance, ou d’une commune identité dont la Russie serait le noyau fédérateur. Entre le VIe siècle et le XIIe siècle de notre ère, plusieurs principautés émergèrent, toutes dépendantes d’une entité politique plus puissante : Varègues, principauté de Kiev ou principauté de Novgorod. Durant cette période, s’affirma la principauté de Polotsk, considérée comme la matrice de l’actuel Bélarus. Celle-ci apparut au IXe siècle mais déclina à partir du XIIe siècle, minée par l’anarchie féodale que sanctionna la conquête mongole, en 1232. Le territoire ne présentant aucun intérêt, celle-ci n’excéda pas une décennie. Alors commença la progressive intégration au grand-duché de Lituanie, achevée en 1307. Jusqu’à l’absorption par l’empire russe, le destin de l’actuel Bélarus se confondit avec celui de l’État lituanien puis polono-lituanien [14]. Cette dépendance assura la sécurité à la population et fut initialement assortie d’une large autonomie culturelle (pratique autorisée de la religion orthodoxe, utilisation de la langue slave dans l’administration [15]). À partir de la seconde moitié du XVIe siècle la situation se dégrada : les ancêtres des Bélarussiens, désignés - comme d’autres populations slaves orientales - par le vocable de Ruthènes (parfois Ruthènes blancs), passèrent massivement sous la coupe des grands propriétaires polonais ou lituaniens. Certains s’enfuirent et grossirent les rangs des Cosaques Zaporogues ; la plupart restèrent, mais résistèrent sur le terrain culturel. Ils s’opposèrent au catholicisme conquérant, soit en demeurant chrétiens orthodoxes, soit en se convertissant au protestantisme. Nombre d’entre eux se rallièrent au compromis uniate (Union de Brest, 1596) concocté par les Jésuites : reconnaissance de l’autorité du pape mais conservation du rituel orthodoxe, pour l’essentiel. Ces péripéties expliquent la complexité des appartenances religieuses actuelles.

Entre la Première Guerre du Nord (1655-1660) à la fin de la Guerre de Succession de Pologne (1733-1738), les Ruthènes furent décimés et la Ruthénie fut ravagée. À l’issue, elle intégra l’Empire russe, mais ce dernier la délaissa car elle ne présentait aucun intérêt matériel. Le destin de “marche“, de province frontière déshéritée, se pérennisait et la région fut à nouveau dévastée en 1812, par la France lorsque Napoléon Ier lança sa campagne de Russie. Une fois encore démontrée, l’importance stratégique de ce territoire entraîna la russification accélérée de la population. Pour timides et isolées qu’elles fussent, les rares velléités nationalistes exprimées au XIXe siècle furent réprimées avec la même rapidité et la même violence qu’en Ukraine ou dans la partie russe de la Pologne. Contrairement à ces deux portions de l’empire, la Ruthénie ne fut jamais en proie à des revendications d’indépendance et cela demeura le cas jusqu’à aujourd’hui. L’actuel Bélarus fut occupé par l’Empire allemand durant la Première Guerre mondiale puis ravagé par la guerre civile russe sur fond de rivalités entre la Pologne et la Russie. Celles-ci entraînèrent le partage du territoire entre les deux pays en 1921 (paix de Riga), après l’éphémère indépendance d’une République populaire biélorusse en 1918-1919 [16]. La culture biélorusse ne fut encouragée ni dans la partie polonaise, ni dans la partie soviétique. La sanglante dictature stalinienne n’épargna pas la République socialiste soviétique de Biélorussie [17]. L’invasion nazie en août 1941 transforma l’ensemble du Bélarus actuel en satellite du IIIe Reich sous la férule d’un gouvernement pronazi : la Rada centrale biélorusse. La population dans son ensemble subit le régime de terreur instauré à l’Est par Hitler et la composante juive fut victime de la politique d’extermination planifiée par Berlin. La résistance organisée par les communistes, tout comme la répression, furent particulièrement intenses [18].

Cette sanglante étape, la dernière en date, s’acheva sur un tournant majeur : le gouvernement soviétique fixa les limites territoriales actuelles et décida de valoriser la République socialiste soviétique de Biélorussie. Elle devint un point d’appui important contre l’adversaire occidental et fut militarisée en conséquence. La présence d’une main-d’œuvre abondante et bon marché (même selon les critères de rémunération du régime !) suscita une industrialisation massive. Cela impliqua un effort éducatif considérable et l’installation d’un nombre substantiel de Russes (notamment pour suppléer le manque, au sein de la population biélorusse, de cadres formés). Donc, pour les Bélarussiens, la période soviétique post-1945 présente encore aujourd’hui un bilan positif. La contamination consécutive à la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (1986) [19] ne modifia pas cette attitude. Cela explique l’absence de sentiment antirusse et l’audience quasi nulle des quelques intellectuels nationalistes durant les prémisses de l’effondrement de l’URSS (1989-1991). Logiquement, l’identité bélarussienne de cette période demeura empreinte de soviétisme [20]. Dans le contexte des derniers soubresauts de l’URSS, en septembre 1991, le terne Stanislav Chouchkiévitch accéda à la présidence. Au jour de son indépendance, le 8 décembre 1991 [21], le Bélarus ne disposait pas de dirigeants aptes à prendre en main sa destinée. “Modéré“, “centriste“, “prudent“, voici les qualificatifs qui reviennent au sujet du président Chouchkiévitch. Comme la plupart de ses compatriotes, il ne croyait pas en l’existence d’une nation bélarussienne et avança précautionneusement sur la voie de la souveraineté, sans couper les ponts avec Moscou. Il mena tout aussi timidement la transition économique. Mais pouvait-il mieux faire, compte tenu de la quasi-inexistence d’atouts et de la dépendance aux fournitures et aux débouchés russes ? En tout cas, la majorité parlementaire, composée d’anciens cadres communistes, lui reprocha les liens distendus avec Moscou et lui imputa les difficultés économiques et sociales du pays. En conséquence de quoi, il fut destitué le 26 janvier 1994. La nouvelle Constitution (mars 1994) instaura l’élection du Président au suffrage universel et le 10 juillet 1994, un homme issu de l’appareil du parti communiste, député depuis 1990 mais pratiquement inconnu de ses concitoyens, fut élu : Alexandre Loukachenko. Usant de la recette populiste, il dénonça la corruption, l’inertie du personnel politique recyclé de l’ancien régime et l’affaiblissement des liens avec la Russie.

En moins de deux ans, il édifia une dictature jusqu’à aujourd’hui durable et refonda les relations avec Moscou. À deux reprises il recourut à la procédure référendaire, tout en bâtissant un régime répressif. À la fin de l’année 1996, il avait privé le Parlement de l’essentiel de ses prérogatives, annihilé l’opposition, muselé la presse, établi le russe comme langue co-officielle, changé le drapeau national et ouvert la voie à une fusion avec la Russie. Accaparés par les difficultés de leur vie quotidienne, la majeure partie des Bélarussiens acceptèrent ou se résignèrent. La dictature et son corollaire, la personnalisation du pouvoir, se renforcèrent au fil des années. Multipartisme de façade et fraudes électorales massives se banalisèrent au point que le président Loukachenko envisageait de fonder une dynastie et préparait son fils à lui succéder.

Mais la mécanique s’enraya le 9 août 2020. Comme en 2001, 2006, 2011 et 2016, Alexandre Loukachenko proclama sa victoire écrasante (80,23%) au soir du premier tour de l’élection présidentielle. La candidate commune de l’opposition, Svetlana Tikhanovskaïa, se voyait concéder 9,9% des suffrages [22]. Le décalage entre les observations des électeurs et le résultat officiel provoqua la colère d’une partie de la population. Des manifestations spontanées éclatèrent le soir même, prenant le dictateur au dépourvu. Il mit en branle l’appareil répressif, mais en vain, car la violence du pouvoir amplifia le mécontentement. Les protestataires placèrent le dictateur et ses soutiens dans l’embarras car ils ne prônaient pas une révolution mais exigeaient l’application du programme défendu par Svetlana Tikhanovskaïa : l’organisation d’une élection honnête et transparente, dans le respect du cadre juridique existant. Nombre d’observateurs soulignent qu’il s’agissait - et il s’agit toujours - d’une question de dignité : une partie (difficilement quantifiable compte tenu de la nature du régime [23]) des citoyennes et des citoyens du Bélarus demandent que leur voix soit entendue, que leur vote soit respecté. Ils entendent être traités comme des êtres humains à part entière, maîtres de leur destin. Bref, ils réclament cette démocratie qu’ils n’ont jamais connue. Le drapeau qu’ils choisirent comme signe de ralliement ne semble pas exprimer autre chose. Il se réfère à la seule parenthèse de leur histoire qui puisse s’apparenter à une expérience démocratique : celle de la République populaire biélorusse de 1918-1919. Ils excluent le drapeau officiel - qui rappelle celui de la défunte République socialiste soviétique de Biélorussie - parce qu’il est l’emblème du régime qu’ils rejettent. Ce n’est pas un signe d’hostilité envers la Russie.

La société bélarussienne change et sa composante urbaine jeune et éduquée ne se résigne plus à subir le néo-soviétisme dominant. Une partie de la population était déjà prévenue contre le régime à cause de la gestion calamiteuse de la pandémie de Covid 19 [24]. Parlant de « psychose de masse », préconisant vodka et hockey sur glace comme remèdes, Alexandre Loukachenko avait exprimé un profond mépris pour ses compatriotes. Le pacte fondant la dictature se fissure : l’oppression demeure et s’amplifie tandis que la protection sociale et sanitaire se délite sous l’effet de la crise économique d’un système en bout de course. Les jeunes adultes n’ont pas connu l’instabilité consécutive à la dislocation de l’URSS et, du moins dans les villes, accèdent à une information échappant au contrôle de la dictature. Par surcroît, ils participent à l’essor rapide du secteur privé (37, 8% de la population active en 2012, 44,7% en 2019) et dépendent moins de l’État-employeur. Ils voient donc la situation d’une toute autre manière que leurs aînés. Comme dans la plupart des épreuves majeures qui affectent les peuples, les femmes jouent un rôle important dans ce combat. Pour empêcher la candidature des concurrents susceptibles de le battre, Alexandre Loukachenko élimina ceux-ci : Sergueï Tikhanovski, fut invalidé puis emprisonné au prétexte de violence envers des policiers, Viktor Babariko, fut incarcéré pour des allégations de fraude et de corruption, Valéri Tsepkalo, fut invalidé et contraint à l’exil pour éviter la prison. Svetlana Tikhanovskaïa se porta candidate et parvint à fédérer autour d’elle les partisans des deux compagnons d’infortune de son mari. Ainsi, elle mena campagne avec à ses côtés Véronika Tsepkalo, l’épouse de Valéri Tsepkalo, et Maria Kolesnikova, l’ex-directrice de campagne de Viktor Babariko.

Depuis le soir du 9 août 2020, la protestation persiste en dépit de la répression. Dans un premier temps, le régime a semblé faire moins peur, même si Svetlana Tikhanovskaïa dut se résoudre à l’exil dès le mois d’août 2020. Depuis l’automne 2020, Alexandre Loukachenko reprend peu à peu le contrôle de la rue sinon de la population. Avec l’aide de spécialistes russes, il a mis en œuvre une répression de masse : 33 000 personnes auraient été arrêtées et détenues plus de quatre mois, on dénombrerait 1 300 blessés graves, les actes de torture semblent nombreux et la répression prendrait aussi une forme bactériologique (les personnes arrêtées seraient systématiquement enfermées dans des cellules surpeuplées où se trouvent des détenus infectés par la Covid 19), les grévistes auraient été massivement licenciés et privés de leurs droits sociaux.

Les protestataires se répartissent en deux catégories distinctes : d’une part, ceux issus de la classe moyenne éduquée urbaine (surtout de Minsk), employés pour une bonne part dans le secteur privé ; d’autre part, ceux issus de la classe ouvrière. Entre celle-ci et l’État, il y a une très forte interdépendance : le second contrôle les entreprises, attribue les emplois et verse les prestations sociales, mais la première assure la production et les transports. Le rapport de forces avec le pouvoir dépend du choix des ouvriers. Affectés par la faillite économique du régime, ils n’ont pas pour autant conclu d’alliance avec la classe moyenne urbaine [25]. Si l’opinion semble majoritairement douter du résultat de l’élection, l’opposition au président Loukachenko est à la peine car il n’existe pas de culture démocratique et les quelques figures connues sont en prison (Viktor Babariko, Sergueï Tikhanovski) ou en exil (Valéri Tsepkalo, Svetlana Tikhanovskaïa). En conséquence, le Conseil de coordination qu’elle a mis en place n’a guère d’audience et le tableau peu reluisant offert par une partie des opposants en exil [26] permet au pouvoir de retenir les indécis. La population semble partagée : environ 40 % des Bélarussiens seraient favorables au départ de Loukachenko et ce dernier ne bénéficierait plus que du soutien d’environ 15%, mais près de la moitié des citoyennes et des citoyens du Bélarus demeureraient indécis ou modérément opposés à l’autocrate. Pour le moment, les Bélarussiens ne sont parvenus ni à définir un programme commun à toutes les catégories sociales en mars 2021, ni à trouver un consensus majoritaire au sujet d’Alexandre Loukachenko et de son régime. À l’instar d’un Bachar al-Assad (Syrie), Alexandre Loukachenko a su maintenir la cohésion de la caste dirigeante. Elle lui doit tout et son destin est entièrement lié à celui de son chef. L’autocrate joue la montre, comme l’a prouvé la réunion de l’Assemblée populaire pan-biélorusse qu’il convoqua les 11 et 12 février 2021. Devant 2 700 cadres du pays, sans fixer de calendrier, il évoqua vaguement des réformes limitées et qui demeureraient sous son contrôle exclusif. Nous sommes loin de la réforme constitutionnelle attendue (il n’envisage ni corps intermédiaires ni séparation des pouvoirs, notamment) et du départ de l’autocrate. Mais s’il refuse de quitter le pouvoir, celui-ci n’a pas d’option satisfaisante à sa disposition : s’il atténue la répression, la contestation reprendra de l’ampleur ; s’il maintient la répression, les sanctions internationales et la fuite des talents augmenteront.

Ce contexte impose de trouver une issue négociée à la crise. Or, la clé ne se trouve pas à Minsk, mais à Moscou.

III. Embarras russe et atonie internationale

Les acteurs extérieurs semblent tétanisés. Tout se passe comme si le statu quo leur paraissait préférable au changement ou… à l’opposition au changement. Le calcul des conséquences, quelle que soit la politique choisie, s’avère ardu dans le contexte actuel. La Russie, principal acteur extérieur de cette crise, entretient des relations complexes avec le Bélarus et tendues avec les autres voisins du Bélarus : guerre non déclarée avec l’Ukraine ; appartenance de la Pologne, de la Lettonie et de la Lituanie à l’Alliance atlantique et à l’Union européenne. À quoi il faut ajouter le bras de fer avec les États-Unis et, peut-être, les ambitions de la Chine (le Bélarus comme maillon des Nouvelles routes de la soie).

La combinaison enclavement-situation de carrefour pousse le Bélarus à pratiquer une politique extérieure multidirectionnelle. Dans l’idéal, il lui faut tirer le meilleur parti des rivalités de puissance entre la Russie et les pays occidentaux, diversifier sa dépendance économique en nouant des liens à la fois avec la Russie et avec les pays occidentaux, et jouer de l’absence de préférence exclusive de la population pour la Russie ou pour les pays occidentaux. Dans la pratique, du fait de la politique menée par Alexandre Loukachenko depuis 1994, la balance penche nettement en faveur de la Russie. Dans son programme populiste, figurait en bonne place le rapprochement avec la Russie, ainsi que la préservation de l’héritage soviétique. En mai 1995, il fit approuver par référendum le rétablissement du russe comme langue co-officielle, ainsi qu’une union économique entre les deux pays (qui complétait l’accord sur l’union monétaire conclu en juillet 1994). Effrayés par le fardeau financier de l’opération, les libéraux alors au pouvoir à Moscou ne donnèrent pas suite immédiatement. Les choses changèrent avec l’accession de Vladimir Poutine au pouvoir, fin 1999. Il fait avant tout de la politique et perçut d’emblée tout l’intérêt pour Moscou d’intégrer le Bélarus. Mais Alexandre Loukachenko pratique la politique du balancier, alternant phases de rapprochement et phases de crispation, au gré de ses intérêts (qui ne coïncident pas forcément avec ceux du Bélarus). Le suivi détaillé est aussi sinueux que l’intrigue de Rocambole [27]. Toutefois, le ressort du mouvement est simple : moins Alexandre Loukachenko a besoin du soutien (économique et/ou politique) de la Russie, plus il s’en éloigne, et vice-versa. Nous l’avons vu décomposé, piteux et servile avec Vladimir Poutine, prenant des notes comme un écolier, lors de l’entretien entre les deux chefs d’État le 14 septembre 2020. Sa survie politique semblait alors ne tenir qu’à un fil… russe. Lors de leur rencontre à Sotchi, le 22 février 2021, il apparaissait détendu, sûr de lui et dans une proximité plus grande avec son protecteur.

Contrairement à ce qui prévaut chez les autres peuples voisins du Bélarus, la Russie bénéficie d’une bonne image. La proximité linguistique et religieuse, les liens historiques et la dépendance économique expliquent que le sentiment antirusse soit très marginal. Le régime survit grâce à l’assistance russe. Malgré ou à cause de cela, Vladimir Poutine traite le pays et son dirigeant avec condescendance. Toutefois, il sait qu’il s’agit d’un enjeu stratégique important pour Moscou : la rupture avec l’Ukraine fait du Bélarus son seul accès au carrefour nord-européen. Et Alexandre Loukachenko en tire une véritable rente stratégique, qui se traduit en soutien politique et en aide économique. Le dispositif militaire russe s’appuie sur deux infrastructures importantes implantées au Bélarus et dont la présence doit être renégociée en juin 2021 : un émetteur très basse fréquence [28] de la Marine, à Vileïka, et un radar de détection avancée Volga [29] des Forces spatiales, à Baranavichy. En outre (et surtout ?), les liaisons terrestres entre l’exclave [30] russe de Kaliningrad et la Russie transitent par le Bélarus. Cette communication est indispensable à l’activité économique de l’exclave : Moscou lui fournit des matières premières (en particulier énergétiques) et des composants ; et en importe des produits manufacturés ou assemblés (surtout électronique, automobile, électroménager). La bonne santé économique permet de juguler les aspirations séparatistes exprimées par une partie des habitants du territoire dans les années 1990. Depuis 2014 (annexion de la Crimée et sanctions occidentales), Kaliningrad est redevenue une place forte contre l’OTAN. Outre l’arsenal conventionnel et nucléaire qui s’y trouve déployé, elle abrite des composantes du système antiaérien, antibalistique et de déni d’accès mis en place face à l’OTAN conjointement par Moscou et Minsk : missiles S-400 à Kaliningrad, missiles S-300 au Bélarus. Ce dernier offre également une position favorable en cas d’opérations contre les États baltes et/ou de conflit avec l’OTAN en Europe. En effet, agir conjointement depuis le Bélarus et Kaliningrad faciliterait la prise de contrôle de la région de Suwalki. Cet espace situé au nord-est de la Pologne se trouve à la frontière méridionale de la Lituanie. Il assure la continuité terrestre entre les pays baltes et les autres membres européens de l’Alliance atlantique. Il apparaît comme une zone de faiblesse de l’OTAN car sa conquête par l’armée russe paraît plausible, permettrait l’annexion de l’Estonie, de la Lettonie ainsi que de la Lituanie et ferait peser une très forte menace sur la Pologne.

Pour la Russie, le scénario ouvert en août 2020 est inédit : les protestataires bélarussiens ne rejettent pas les liens avec elle et ne désirent pas un ancrage à l’Ouest. Il s’avère donc peu productif de déchaîner contre eux la désinformation habituelle sur le “complot“ occidental antirusse et délicat d’appeler à une répression massive. Mais le mouvement ne laisse pas d’inquiéter le Kremlin car il réclame ce que le clan Poutine redoute par-dessus tout : la démocratie. Il faut à tout prix contrôler la situation pour ne pas créer un précédent qui inciterait le peuple russe à demander la même chose. Perspective d’autant plus préoccupante que, lors des manifestations qui accompagnèrent le procès et la condamnation d’Alexeï Navalny en janvier-février 2021, les protestataires russes s’inspirèrent du mouvement bélarussien. Certains prêtent même à Ioulia Navalnaïa l’intention d’agir comme Svetlana Tikhanovskaïa : reprendre le flambeau de la contestation des mains entravées de son mari et défier le pouvoir.

Beaucoup diagnostiquent l’embarras du Kremlin, ce qui n’est pas faux, notamment du fait de l’absence de solution de remplacement. Mais une autre interprétation (non exclusive de la première) mérite considération. Il pourrait s’agir de patience et cela parce qu’il n’existe que deux façons de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le Bélarus. Soit le président Loukachenko reprend le contrôle de la situation, soit l’opposition le contraint à partir. Dans les deux cas de figure, il faut le soutien de la Russie. Par conséquent, Moscou a la situation en main et peut se permettre d’attendre. Cette posture lui permet de voir comment évolue le rapport de forces et d’arracher le maximum de concessions de la part des rivaux. Cette analyse prend plus de consistance si l’on observe le jeu mené par la Russie dans la Seconde Guerre du Karabakh, à l’automne 2020 : Vladimir Poutine a joué la montre pour tirer parti de l’effondrement arménien et limiter le triomphe azéro-turc. Moscou adapte sa politique à la situation : afin de ne pas éroder son capital de sympathie au sein de la population bélarussienne, elle accorde un soutien économique (prêt financier de 1,5 milliard d’euros en septembre 2020, accord pour la fourniture d’hydrocarbures à un tarif préférentiel fin décembre 2020). Axant sa stratégie sur le grignotage de la souveraineté du Bélarus, elle joue de la faiblesse du sentiment d’identité nationale pour insister sur la culture commune et renforcer son influence sur une classe dirigeante très perméable à la propagande russe. Elle essaie d’entretenir ce que certains appellent un “chaos contrôlé“, suffisant pour affaiblir Alexandre Loukachenko et le contraindre à l’intégration dans la Fédération de Russie, mais limité, pour éviter une évolution politique non désirée. La rencontre Poutine-Loukachenko à Sotchi, le 22 février 2021, pourrait avoir planifié la réforme canalisée des institutions et le transfert maîtrisé du pouvoir. En effet, le 2 mars 2021, le président Loukachenko annonça que des élections présidentielles et parlementaires anticipées se dérouleraient après un référendum constitutionnel, prévu pour janvier ou février 2022. Avant cela, Alexandre Loukachenko devrait choisir son successeur.

Le maître du Kremlin se trouve probablement derrière la manœuvre antioccidentale initiée par l’Assemblée populaire pan-biélorusse au début du mois de mars 2021. Au prétexte de renforcer l’union nationale, la population est consultée au sujet de la date d’un nouveau jour férié : le “Jour de l’unité du peuple“. Le choix - 17 septembre ou 14 novembre - porte sur deux événements de l’année 1939, qui ne peuvent que renforcer symboliquement les liens entre la Russie et le Bélarus et irriter la Pologne et ses alliés [31]. Le 17 septembre 1939, en application du Pacte germano-soviétique (23 août 1939), l’Armée rouge envahissait la partie de la Pologne qu’Hitler avait concédée à Staline. Cela permit à l’URSS de récupérer la partie occidentale de la Biélorussie, concédée à Varsovie par le traité de Riga (1921). Le 14 novembre 1939, le Soviet suprême de la République socialiste soviétique de Biélorussie officialisait le rattachement de la Biélorussie occidentale. Le message sous-jacent paraît clair : les frontières du Bélarus actuel sont l’héritage de la politique de Staline et constituent l’un des apports positifs du Pacte germano-soviétique. Dans le contexte de la falsification de l’histoire opérée par la Russie, difficile de ne pas voir la marque de Vladimir Poutine dans ce choix, qu’il l’ait suggéré ou que son débiteur le lui ait offert en gage de soumission.

Les relations avec l’Union européenne fluctuent depuis 1994. Bruxelles condamne la nature “autoritaire“ (l’adjectif diplomatique communément utilisé pour ne pas dire “dictatoriale“) du régime depuis plusieurs années et adopta à plusieurs reprises des sanctions plus ou moins durables mais inefficaces. Un rapprochement amorcé en 2016 tourna court en 2017 sans explications de la part de Minsk. Les observateurs estimèrent que Moscou avait exercé des pressions afin d’arrimer le Bélarus à l’Union économique eurasiatique. La crise rebondit à partir d’août 2020. Les 27 refusèrent de reconnaître la réélection d’Alexandre Loukachenko. Ils exigèrent la fin de la répression, le respect des libertés et l’ouverture d’un dialogue national. Pour appuyer leur demande, ils élaborèrent un plan d’aide économique conditionné à l’instauration d’une réelle démocratie et adoptèrent des sanctions (moins sévères que lors des ruptures précédentes) contre les principaux responsables du régime. Le 22 octobre 2020, le Parlement européen attribua son prix annuel Sakharov des droits de l’Homme à « l’opposition démocratique au président Loukachenko ». Plusieurs chefs d’État et de gouvernements s’affichèrent avec Svetlana Tikhanovskaïa, par ailleurs très activement soutenue par la Lituanie. Hormis les habituelles imprécations des relais russophiles contre le “complot“ occidental, les critiques indépendantes abondent : les sanctions frappent les plus modestes, sans affecter les dirigeants, et incitent à une répression plus forte. Les cycles querelle-réconciliation n’apportent aucune amélioration des relations. Laisser la Lituanie et la Pologne en première ligne de la riposte occidentale est une erreur tant est fort le rejet de ces deux pays par une partie du Bélarus et par la Russie. Sur ce dossier (comme sur d’autres), l’Union européenne se montre incapable d’agir comme une puissance.

Bien que les deux pays partagent 680 kilomètres de frontières communes et plusieurs siècles d’histoire, la Lituanie et le Bélarus entretiennent des relations réduites et parfois tendues. Il y a quelques échanges commerciaux, appelés à diminuer puisque Minsk a décidé de ne plus exporter de produits pétroliers raffinés via le port de Klaipeda [32] (ex-Memel). Cela sanctionne le fait que, depuis plusieurs années, Vilnius héberge des opposants bélarussiens et a refusé de reconnaître la réélection d’Alexandre Loukachenko en août 2020. Elle a offert asile et soutien à la cheffe de file des protestataires actuels : Svetlana Tikhanovskaïa. La Lituanie s’inquiète de la situation car il y va de sa sécurité. Membre de l’Alliance atlantique et de l’Union européenne (mars et mai 2004), elle est en butte à l’hostilité de la Russie et redoute que cette dernière parvienne à exercer une emprise totale sur le Bélarus. La Lituanie n’est pas de taille à s’opposer seule à la Russie. Sa politique sur le dossier ne peut que s’aligner sur celle de l’Alliance atlantique et de de l’Union européenne.

La Pologne se trouve dans le même cas de figure que la Lituanie : 418 kilomètres de frontières communes et plusieurs siècles d’histoire partagée. La Pologne et le Bélarus entretiennent des relations réduites et parfois tendues. Depuis plusieurs années, Varsovie accueille des opposants bélarussiens. Elle a refusé de reconnaître la réélection d’Alexandre Loukachenko en août 2020. Elle a offert l’asile à l’un des principaux opposants : Valéri Tsepkalo et héberge le site d’information Nexta, qui joue un rôle-clé dans la coordination des mouvements de protestation au Bélarus. Le destin du Bélarus influe sur la sécurité de la Pologne. Membre de l’Alliance atlantique – dès 1999 - et de l’Union européenne (mai 2004), elle est en butte à l’hostilité de la Russie, avec laquelle elle entretient, de longue date, des relations conflictuelles. Plusieurs siècles durant, elle chercha à exercer l’influence prépondérante sur l’espace compris entre la mer Baltique et la mer Noire. Sa dislocation au XVIIIe siècle et les tragédies du XXe siècle l’effacèrent comme acteur géopolitique. Elle recouvra son indépendance en 1990, mais jusqu’à ces derniers mois, elle observa une “pause géopolitique“ [33]. Certains analystes estiment que la crise au Bélarus lui impose un “réveil géopolitique“ et un retour à la politique d’influence. Ils ne disent pas avec quels moyens, hormis ceux de l’OTAN ! En revanche ils dissertent largement sur la nécessité d’un engagement actif dans la crise bélarussienne et dans la défense avancée de l’Alliance atlantique face à la Russie. Du point de vue de Varsovie, si la Russie phagocyte le Bélarus, la Pologne court un péril mortel. En effet, celle-ci analyse la politique menée depuis plusieurs siècles par la Russie comme celle d’une puissance continentale cherchant à briser son enclavement pour atteindre les rivages de l’Eurasie. Or, la Pologne constitue l’une des entraves à cette progression. Après la Seconde Guerre mondiale, deux Polonais, intellectuels anticommunistes et patriotes en exil, Juliusz Mieroszewski et Jerzy Giedroyc, avaient édicté la maxime géopolitique suivante : « il ne peut pas y avoir de Pologne indépendante sans Lituanie, Biélorussie et Ukraine indépendantes [34] ». A contrario, la Russie lit la politique que mena la Pologne durant les siècles qui précédèrent son dépècement comme celle d’une puissance qui tenta à maintes reprises de la repousser le plus loin possible à l’est de l’espace compris entre la mer Baltique et la mer Noire. Dans cette perspective, le contrôle du territoire de l’actuel Bélarus est essentiel car celui-ci commande l’accès à Smolensk, dernier verrou avant Moscou.

Préoccupés avant tout par la sécurité du flanc est de l’OTAN, les États-Unis et les autres membres de l’Alliance atlantique observent la plus grande prudence. Ils semblent retrouver les réflexes de la Guerre froide, combinant le respect de la zone d’influence de l’adversaire (il n’est pas question de déclencher un conflit avec la Russie, donc le Bélarus restera l’allié de celle-ci) avec l’application du diptyque hérité de la doctrine Truman-Kennan (1947) : vigilance et fermeté. La situation est suivie de très près et, depuis l’agression russe contre l’Ukraine (2014), les mesures de réassurance militaires ont été renforcées : durcissement de la mission de défense de l’espace aérien balte Baltic Air Policing (2004) avec enhanced Air Policing ; rotation d’unités de combat terrestre en Pologne et dans les pays baltes avec la mission enhanced Forward Presence, depuis 2016. La prudence occidentale, même si elle n’est pas du goût des Baltes et des Polonais, semble destinée à éviter que le Bélarus n’accueille une présence militaire russe importante, ce qui mettrait encore davantage en péril le flanc est de l’Alliance atlantique. Considéré sous cet angle, Alexandre Loukachenko paraîtrait, aujourd’hui encore, comme le meilleur rempart contre l’absorption du Bélarus par la Fédération de Russie.

*

Un avenir incertain

Le Bélarus possède peu d’atouts et sa population ne maîtrise guère son destin. Le contexte régional et international ne lui sourit guère. Comme ce fut souvent le cas dans l’histoire d’autres pays, les épreuves endurées pourraient favoriser au Bélarus l’émergence d’un sentiment national plus marqué. Mais pour porter quel projet politique commun ? Là réside la principale inconnue, qui rend très aléatoire toute prospective. En revanche, une conclusion s’impose : la crise ouverte en août 2020 a fait sortir le Bélarus du néant géopolitique dans lequel il gisait. Le voilà propulsé sur le devant de la scène, captant l’attention des observateurs et de ceux qui s’intéressent aux questions internationales. Formons le vœu que la population du Bélarus sorte de la zone de turbulence sans drame majeur. Les plus optimistes envisagent un scénario à la moldave : le 15 novembre 2020, Maia Sandu a été élue présidente de la Moldavie contre des adversaires ouvertement pro-russes. Elle se définit elle-même comme adepte du ni-ni : ni pro-russe, ni antirusse, mais soucieuse avant tout des intérêts de son pays. Or, Vladimir Poutine lui adressa ses félicitations immédiatement après son élection…

Article clos le 10 mars 2021

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[1 : Ces quelques réflexions (qui n’engagent que leur auteur et pas l’École de l’Air) s’appuient principalement sur les articles et études parus dans Le Figaro, Le Monde et Eurasia Daily Monitor.

[2 : Ossétie du Sud, Abkhazie, Haut Karabakh, Transnistrie.

[3 : Cf. Karácsonyi Dávid, Kocsis Károly & Bottlik Zsolt (ed.), Belarus in maps, Faculty of Geography, Belarusian State University, Minsk-Geographical Institute, Budapest, 2017.
(http://www.mtafki.hu/inmaps/pdf/Belarus-in-Maps_full.pdf)

[4 : Zbigniew Brzezinski propose cette dénomination pour « les États dont l’importance tient moins à leur puissance réelle et à leur motivation qu’à leur situation géographique sensible et à leur vulnérabilité potentielle, laquelle influe sur le comportement des acteurs géostratégiques. Le plus souvent, leur localisation leur confère un rôle clé pour accéder à certaines régions ou leur permet de couper un acteur de premier plan des ressources qui lui sont nécessaires. Il arrive aussi qu’un pivot géopolitique fonctionne comme un bouclier défensif pour un État ou une région de première importance. » (Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde, Paris, 1997, Bayard p. 74).

[5 : Cf. Cerovic Masha, Les enfants de Staline. La guerre des partisans soviétiques 1941-1944, Paris, 2018, Le Seuil.

[6 : Food and Agricultural Organisation of the United Nations-FAO, 2015.

[7 : Ibidem.

[8 : Les chiffres sont ceux de 2019, les plus récents disponibles sur le site de la Banque mondiale.

[9 : MZKT-79221, tracteur-érecteur-lanceur du missile Topol-M ; MZKT-7930 Astrolog, tracteur-érecteur-lanceur du missile Iskander, par exemple.

[10 : Évolution du PIB par habitant (dollars courants) : Russie de 3 492 (1990) à 11 585 (2019), Ukraine de 1 569 (1990) à 3 659 (2019), Pologne de 1 731 (1990) à 15 692 (2019), Lettonie de 2 328 (1995) à 17 829 (2019), Lituanie de 2 167 (1995) à 19 601 (2019).
Évolution du PIB par habitant en parité de pouvoir d’achats (dollars courants) : Russie de 8 027 (1990) à 29 181 (2019), Ukraine de 7 305 (1990) à 13 341 (2019), Pologne de 6 170 (1990) à 35 165 (2019), Lettonie de 5 501 (1995) à 33 020 (2019), Lituanie de 5 916 (1995) à 40 016 (2019).
Chiffres de la Banque mondiale.

[11 : Leclerc Jacques, « Biélorussie » in L’aménagement linguistique dans le monde, Université Laval, Québec.
(http://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/bielorussie1-general.htm)

[12 : Religious Belief and National Belonging in Central and Eastern Europe, Pew Research Center, May 10, 2017 (https://www.pewforum.org/2017/05/10/religious-belief-and-national-belonging-in-central-and-eastern-europe/).
Les décomptes de ce centre de recherche sont considérés comme les plus fiables car les critères retenus sont meilleurs.

[13 : Et il ajoutait : « ce pays, qui dans l’histoire donne l’impression d’avoir subi plus que créé, qui a toujours vécu dans l’ombre d’une puissance, qui s’est dissimulé derrière ses arbres pour regarder les autres le traverser, se trouve maintenant projeté au milieu de la clairière, et devoir décider seul ce qu’il acceptait de faire sur ordre. »
Roger Brunet, « Biélorussie, l’indépendance empruntée », dans Géographie universelle. Europes orientales-Russie-Asie centrale, Paris, 1996, Belin-Reclus, pp. 393-394

[14 : Entamée en 1385, avec l’union de Krewo, l’association des deux États s’acheva en 1569 par l’Union de Lublin, qui fonda la République des Deux Nations.

[15 : Les langues biélorusse et ukrainienne actuelles se seraient construites, à partir du XIVe siècle, dans ce contexte.

[16 : Elle arbora un drapeau tricolore horizontal blanc-rouge-blanc. Il reprenait les couleurs du Pahonie, un symbole historique du grand-duché de Lituanie notamment à l’époque où il incluait la Biélorussie : de gueules (= rouge) au chevalier d’argent (= blanc). Ces armes furent utilisées pour la première fois par le prince de Kiev, Alexandre Nevski (1220-1263). En 1330, elles furent reprises par un seigneur de Polotsk et furent adoptées quelques années plus tard par Olgierd, grand-duc de Lituanie. Les nationalistes lituaniens et biélorusses du XIXe siècle considéraient le Pahonie comme un symbole national. La République de Lituanie et la République populaire biélorusse l’adopta comme blason officiel lors de leur indépendance en 1918. Lorsque le Bélarus fut intégré à l’URSS, les autorités interdirent l’usage du Pahonie, qui rappelait la noblesse et la monarchie. Après la chute de l’URSS, la Lituanie et le Bélarus reprirent chacun leur blason. Mais en 1995, le nouveau président du Bélarus, Alexandre Loukachenko, remplaça - après un référendum - le Pahonie par un emblème inspiré de celui de la République socialiste soviétique de Biélorussie. (d’après Wikipedia)

[17 : Zianon Pazniak découvrit en 1987 un charnier contenant les restes de 30 000 victimes de la Grande Terreur des années 1930. Il se trouve à Kourapaty, non loin de Minsk, mais ne constitue pas un lieu de mémoire cristallisant le rejet de la Russie.

[18 : Cf. Cerovic Masha, op. cit.

[19 : Le Bélarus reçut 70% des retombées radioactives. Celles-ci contaminèrent 2 200 000 habitants et 50 000 km2.

[20 : Une des figures les plus respectées au Bélarus, Svetlana Alexievitch, vit à Minsk et participe activement à l’opposition. Elle publia un ouvrage essentiel pour comprendre comment les Soviétiques ont vécu la fin de l’URSS : La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement (paru à Moscou 2013 et traduit en français la même année).

Voici la conclusion du discours qu’elle prononça à Stockholm en 2015 après que le prix Nobel de littérature lui eut été attribué : « J’ai trois foyers : ma terre biélorusse, la patrie de mon père où j’ai vécu toute ma vie, l’Ukraine, la patrie de ma mère où je suis née, et la grande culture russe, sans laquelle je ne peux m’imaginer. Tous les trois sont chers à mon cœur. Mais de nos jours, il est difficile de parler d’amour. » Cela exprime le sentiment partagé par de nombreux Bélarussiens.

[21NDLR : La date du 8 décembre 1991 fait référence traité de Minsk, aussi appelé accord de Belovej, de Bialovèse ou de Belaveja signé le 8 décembre 1991 dans la forêt de Belovej, en Biélorussie. Ce document entérine la dislocation de l’Union soviétique et donne naissance à la Communauté des États indépendants (CEI). Il est signé par Boris Eltsine, président de la République socialiste fédérative soviétique de Russie ; Stanislaw Chouchkievitch, président de la République socialiste soviétique biélorusse ; et Leonid Kravtchouk, président de la République socialiste soviétique d’Ukraine.

[22 : Le reste revenait aux autres candidats autorisés : Hanna Kanapatskaïa (indépendante), Andreï Dmitriev (indépendant), Siarhieï Tcheratchen (Assemblée sociale-démocrate).

[23 : Les décomptes manquent de fiabilité car ils ne permettent pas de mesurer correctement le poids des partisans d’Alexandre Loukachenko. Plus pauvres, plus ruraux, moins diplômés, ils ne sont guère accessibles par les nouvelles technologies de l’information et de la communications mises en œuvre pour les sondages, faute de pouvoir opérer directement au Bélarus, sur des panels réellement représentatifs. L’opposition urbaine est donc surreprésentée.
Cf. à titre indicatif, en tenant compte des réserves ci-dessus :
* Belarusians’ views on the political crisis, Chatham House-The Royal Institute of International Affairs :

[24 : Les informations sur la pandémie sont censurées. Les estimations indépendantes font état de 20 000 morts au minimum.

[25 : Certains analystes comparent avec la Pologne des années 1980 et considèrent que, faute d’une convergence comparable à celle réalisée par le mouvement Solidarnosc, la contestation au Bélarus est vouée à l’échec.

[26 : Grigory Ioffe, « Sochi Summit Contra the West’s Belarus Policies », Eurasia Daily Monitor, March 2, 2021.
https://jamestown.org/program/sochi-summit-contra-the-wests-belarus-policies/

[27 : Ensemble romanesque écrit par Ponson du Terrail, et publié d’abord en feuilleton, entre 1857 et 1871. Seule la mort de l’auteur mit fin au cycle. Les nombreux épisodes, les multiples rebondissements, les invraisemblances, en font l’archétype du genre feuilletonesque et l’ancêtre des séries télévisées.

[28 : D’une portée de 10 000 km, il est indispensable pour les liaisons avec les sous-marins, notamment ceux qui emportent des missiles balistiques dotés d’ogives nucléaires.

[29 : D’une portée de 4 800 km, il est destiné à détecter et suivre un tir éventuel de missiles balistiques effectué à partir de l’Europe occidentale ou de l’Atlantique Nord. Il a également une fonction de détection et de suivi des satellites (portée : 2 000 km).

[30NDLR : Géoconfluences définit ainsi enclave et exclave : « Une enclave est un territoire enfermé dans un autre (de la racine latine clavis, clé ou verrou). Les enclaves existent à toutes les échelles depuis les parcelles sans accès sur la voie publique jusqu’aux parties d’États, entourées par un territoire étranger. Une enclave est considérée comme une exclave par l’État qui en a la souveraineté. Très nombreuses autrefois, elles tendent à reculer à la faveur de traités frontaliers. Mais lorsque subsistent des désaccords frontaliers, les enclaves restent nombreuses : elles sont plus de 200 entre l’Inde et le Bangladesh. On peut distinguer des enclaves totales, comme le fut Berlin-Ouest dans la RDA et comme l’est Llivia, enclave espagnole en France, et des quasi-enclaves accessibles par un seul passage et des périclaves, accessibles à condition de franchir un territoire étranger comme on en trouve de nombreuses dans les Républiques d’Asie centrale. » Source http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/enclave

[31 : Depuis 2005, la Russie célèbre, le 4 novembre, le “Jour de l’unité nationale“. Il se substitue à l’anniversaire de la Révolution d’Octobre (7 novembre), point d’orgue des célébrations de l’époque soviétique. Institué sous le régime tsariste avant d’être abolie par les bolcheviks, la fête du 4 novembre se référait au soulèvement populaire de 1612, qui mit fin à… l’occupation polonaise.

[32 : Le trafic est réorienté vers le port russe d’Oust-Louga, près de la frontière avec l’Estonie.

[33NDLR : La Pologne a cependant été impliquée discrètement dans les révolutions colorées, particulièrement en Ukraine (2004).

[34 : Elle fait partie intégrante de ce que l’on appelle la “doctrine Giedroyc“, qui s’inscrivait dans le prolongement du prométhéisme élaboré par Jozef Pilsudski entre les deux guerres mondiales. Développée durant les années 1970 par les deux hommes dans les colonnes de la revue Kultura, cette “doctrine“ préconisait la réconciliation de la Pologne avec ses voisins, dans le cadre d’une renonciation de la Russie et de la Pologne à leur affrontement multiséculaire pour la domination des pays d’Europe orientale. Bien avant la fin de la Guerre froide, elle se prononçait en faveur de l’entrée de la Pologne dans la construction européenne et pour la sortie des pays d’Europe centrale et orientale de la sphère d’influence russe. Après la chute du communisme en 1989, la doctrine devint partie intégrante de la politique extérieure de la Pologne : adhésion à l’Alliance atlantique en 1999 et à l’Union européenne en 2004, instauration de relations cordiales avec la Lituanie (dont elle soutint l’adhésion à l’Union européenne et à l’Alliance atlantique), soutien à l’Ukraine dans sa politique de rapprochement vers l’Ouest. Dans la même perspective de réconciliation, de coopération et d’éloignement vis-à-vis de l’emprise russe, la Pologne, la Lituanie et l’Ukraine ont fondé le “Triangle de Lublin“ le 28 juillet 2020 (qui intègre la brigade de 4 000 hommes mise sur pied par les trois pays en septembre 2014 après l’annexion de la Crimée par la Russie).


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