Philippe Perchoc, Chef de l’antenne IRSEM Europe, auteur de Etude n°125, « Estonie, Lettonie, Lituanie. De la périphérie au centre du débat stratégique européen » sur le site de l’IRSEM, rubrique publication / catégorie Etudes. Il enseigne les questions européennes dans plusieurs universités en France et en Belgique.
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF. Cette émission a été diffusée en direct le 9 décembre 2025.
Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en dernière année de Master Sécurité et Défense à l’Université d’Ottawa, après un BBA à l’EDHEC. Elle a travaillé en alternance au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle a la charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.
Le plus souvent, nos cartes placent les trois pays Baltes à la marge de l’Europe, au Nord-Est. Estonie, Lettonie et Lituanie sont à la périphérie de l’UE. Et nous en ignorons l’histoire, mais encore la géographie, la population et la situation stratégique. Après avoir été soviétisés à la faveur de la Seconde Guerre mondiale, les Baltes sont redevenus indépendants en 1990-91. Ils deviennent membres de l’OTAN puis de l’UE en 2004. La dégradation des relations avec la Russie les place maintenant au cœur des préoccupations. Pour comprendre comment les Baltes sont passés de la périphérie au centre du débat stratégique européen, nous avons la chance de recevoir le Docteur Philippe Perchoc. Podcast, synthèse rédigée et carte.
Cette émission [1] Planisphère, Les Baltes, de la périphérie au centre du débat stratégique européen ? Avec P. Perchoc, sur RCF-ND
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Synthèse de cette émission, Planisphère, Les Baltes, de la périphérie au centre du débat stratégique européen ? Avec P. Perchoc. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com. Revue et validée par P. Perchoc
LONGTEMPS considérés comme des marges géographiques et politiques de l’Europe, les pays baltes, Estonie, Lettonie et Lituanie, occupent aujourd’hui une position centrale dans le débat stratégique européen. Après des décennies d’occupation soviétique, leur indépendance retrouvée en 1991 puis leur intégration à l’OTAN et à l’Union européenne en 2004 ont marqué un tournant historique. Dans le contexte actuel de dégradation des relations avec la Russie, ils apparaissent désormais comme un maillon essentiel de la sécurité européenne. Philippe Perchoc retrace ce basculement historique et géopolitique, tout en soulignant la résilience démocratique et stratégique de ces petits États.
Philippe Perchoc rappelle que les pays baltes ont perdu leur indépendance en 1940 à la suite du pacte Molotov-Ribbentrop, qui partageait l’Europe entre l’Allemagne nazie et l’URSS. Occupés par les Soviétiques, puis brièvement par les nazis, ils ont subi une seconde domination soviétique de 1945 à 1991. La soviétisation s’est opérée par plusieurs leviers :
. Élimination des élites locales (déportations, purges, répressions) ;
. Ingénierie sociale, avec l’installation de travailleurs russophones pour modifier la composition ethnique ;
. Grands projets d’infrastructures imposés, qui ont fini par susciter des contestations écologiques et identitaires dans les années 1980. Ces politiques ont nourri, paradoxalement, un réveil national et culturel qui a préparé le retour à l’indépendance.

Après 1991, les Baltes ont vu dans l’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne une garantie de sécurité et de prospérité. En 2004, ils rejoignent d’abord l’OTAN, puis l’UE un mois plus tard. Selon Philippe Perchoc, cette adhésion simultanée répondait à une stratégie de réintégration dans la communauté euro-atlantique :
. L’OTAN assurait la sécurité militaire face à la Russie.
. L’Union européenne impliquait une transformation structurelle profonde : démocratisation, économie de marché et reconstruction d’une société civile. Ce triple effort (politique, économique, sociétal) fut d’autant plus exigeant que les États baltes avaient disparu de la carte de l’Europe pendant la Guerre froide (1947-1990), contrairement à la Pologne ou à la Hongrie.
Un défi spécifique marquait la Lettonie et l’Estonie, où 20 à 25 % de la population était russophone. Ces habitants, arrivés durant l’ère soviétique, ne sont pas devenus citoyens automatiquement après 1991. Les États baltes ont restauré la citoyenneté d’avant-guerre, laissant nombre de ces résidents apatrides, bien que protégés. Philippe Perchoc souligne que ces populations ne se définissent pas forcément comme « russes » mais avant tout comme russophones, souvent intégrées et loyales à leur État d’accueil.
Entre 2004 et 2014, les pays baltes ont alerté l’Union euriopéenne sur la menace persistante de la Russie, souvent sans être entendus. L’invasion russe de la Géorgie (2008), puis surtout celle de la Crimée (2014), ont confirmé leurs craintes. Depuis 2014, la région est devenue un espace clé du dispositif militaire de l’OTAN :
. Déploiement de troupes alliées par rotation : Royaume-Uni en Estonie, Canada en Lettonie, Allemagne en Lituanie, États-Unis en Pologne ;
. Développement de stratégies de défense dans la profondeur, visant à protéger non seulement les frontières mais aussi les sociétés, les institutions et la démocratie.
Pour Philippe Perchoc, la force des Baltes réside dans la résilience de leurs sociétés. L’Estonie, notamment, combine une grande liberté de la presse et une politique éducative pour lutter contre la désinformation.Cette approche proactive repose sur une idée simple : la défense de la société passe aussi par l’éducation, la cohésion civique et la participation des citoyens à la vie démocratique. Malgré la présence de minorités russophones, aucun mouvement sécessionniste majeur n’a émergé depuis 2022 et beaucoup se sont montrés solidaires de l’Ukraine.
La guerre en Ukraine et le retour de Donald Trump au pouvoir en janvier 2025 ont ravivé les inquiétudes. Les pays baltes restent attachés à l’alliance avec les États-Unis, mais investissent désormais davantage dans la défense européenne :
. La chef de la diplomatie européenne est aujourd’hui Kaja Kallas, ancienne Première ministre estonienne ;
. Le commissaire européen à la défense est Andrius Kubilius, Lituanien. Les Baltes sont ainsi devenus des acteurs de premier plan dans la construction d’une défense européenne intégrée. Leur région concentre désormais les efforts conjoints de l’OTAN et de l’UE, notamment avec le « mur des drones » et la Baltic Defense Line, symboles d’une Europe qui se défend collectivement.
De « périphérie » longtemps méconnue, les pays baltes sont devenus le cœur symbolique et stratégique de la sécurité européenne. Leur expérience historique, perte d’indépendance, soviétisation, puis résilience démocratique, en fait des modèles d’adaptation et de vigilance. Philippe Perchoc rappelle que leur force ne réside pas seulement dans la puissance militaire, mais dans la solidité de leur démocratie, la cohésion de leur société et leur ancrage européen. Les Baltes incarnent aujourd’hui une Europe lucide, solidaire et résolue face aux défis hybrides et aux menaces autoritaires venues de l’Est.
. Philippe Perchoc, Etude n°125, « Estonie, Lettonie, Lituanie. De la périphérie au centre du débat stratégique européen » sur le site de l’IRSEM, rubrique publication / catégorie Etudes.
. Céline Bayou, 1989-2019. Vu de Vilnius, Riga et Tallinn : de la Voie balte au retour dans le concert des nations, Diploweb
. Yves Plasseraud, Comment se situent les États baltiques au sujet de la guerre russe en Ukraine et par rapport à l’Occident ?
. Voir aussi le site Regard sur l’Est
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[1] Cette émission a été enregistrée le 6/10/2025 et diffusé le 9/12/2025.




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