Docteur en Géopolitique, Chercheur à l’IRIS, Chercheur associé à la Chaire Raoul Dandurand (Canada). Auteur de 20 ans après la chute du Mur. L’Europe recomposée (Paris, Choiseul, 2009) et co-auteur avec Gérard-François Dumont de Géopolitique de l’Europe (Paris, Sedes, 2009). Courriel verluise iris-france.org
9 des 13 pays les plus corrompus de l’Union européenne sont de nouveaux États membres. Cependant, 10 des 12 pays de l’UE où la corruption a diminué entre 2004 et 2009 sont aussi de nouveaux membres. À l’inverse, la situation s’est dégradée dans 12 anciens États membres. S’agit-il d’une nouvelle forme de convergence ?
A la fin de cet article, vous trouverez un lien pour réagir.
Vous trouverez en bas de page le power point de la conférence de presse du 4 mai 2010 au CAPE pour présenter cette étude.
EN 2004 [1] et 2007 [2], les élargissements de l’Union européenne se sont traduits par l’intégration de pays généralement caractérisés par une solide culture de la corruption [3]. La corruption est l’abus d’une charge publique à des fins d’enrichissement personnel. En voici trois exemples : la corruption d’agents publics, les pots-de-vin dans le cadre de marchés publics et le détournement des fonds publics. Ces pratiques sapent la concurrence et provoquent des déperditions significatives de ressources destinées au développement.
Cinq ans après le plus important élargissement que l’Union européenne ait jamais connu, il semble légitime de faire un point de situation. En effet, la corruption renvoie à des structures sociales qui font preuve d’une certaine inertie mais peuvent évoluer. Considérons d’abord les Indices de perception de la corruption à l’échelle nationale en 2009, puis leur dynamique par une comparaison avec 2004. [4] Enfin, observons l’évolution des moyennes pondérées par les poids des populations entre ces deux dates à l’échelle de l’UE-27, de l’ex-UE-15 et des 12 nouveaux États membres (NEM).
L’Indice de perception de la corruption établi par Transparency International (TI) classe les pays en fonction du degré de corruption perçu dans les administrations publiques et la classe politique. Il s’agit d’un indice composite, un sondage de sondages, faisant appel à des données sur la corruption tirées de sondages d’experts réalisés par divers organismes indépendants dignes de confiance. En 2009, il est fondé sur 13 enquêtes différentes [5]. L’IPC doit être interprété comme l’évaluation de pays allant de 0 (haut degré de corruption perçu) à 10 (faible degré de corruption perçu). D’une certaine manière, cela s’assimile à une note sur 10. La moyenne mondiale est à 5. À titre d’illustration, les notes les plus faibles à l’échelle mondiale ont été attribuées en 2009 à la Somalie (1,1 sur 10) et à l’Afghanistan (1,3). Les notes les plus hautes à l’échelle mondiale ont été attribuées en 2009 à la Nouvelle-Zélande (9,4 sur 10) et au Danemark (9,3). Le Danemark est un membre de l’Europe communautaire depuis le 1er janvier 1973. Cependant, tous les pays membres ne sont pas aussi bien classés.
Afin d’avoir une première vue d’ensemble, considérons la carte « Corruption dans l’espace UE-30 [6] en 2009 » et son commentaire.
Les indices de perception de la corruption dans les pays de l’Union européenne présentent globalement deux gradients, nord-sud et ouest-est. En effet, les pays d’Europe du Nord (ex. : Finlande, Suède, Danemark) sont généralement moins corrompus que ceux d’Europe du Sud (Italie, Grèce). Par ailleurs, les pays d’Europe de l’Ouest – mis à part le Portugal et l’Italie - sont généralement moins corrompus que ceux situés à l’Est de l’ex-Rideau de fer. L’Estonie fait exception. Se distingue une « verticale orientale de la corruption » dont les éléments sont, du Nord au Sud : Roumanie, Bulgarie et Grèce.
Après le regroupement en quatre classes permis par la carte, détaillons les résultats des 27 pays membres de l’UE.
De part et d’autre l’IPC moyen pondéré par la population des États [7] de l’UE-27 - soit 6,4 sur 10 - il est possible de distinguer deux groupes de pays membres.
Considérons le graphique 1 : 13 pays membres de l’UE-27 dont l’indice de perception de la corruption 2009 est inférieur à la moyenne pondérée de l’UE-27, sur 10.
Le graphique 1 présente les 13 pays membres de l’UE dont l’Indice de perception de la corruption perçu en 2009 est inférieur à la moyenne pondérée de l’UE-27. Autrement dit, ce sont les pays les plus corrompus de l’UE. Il s’agit des Etats suivants : Grèce, Bulgarie et Roumanie [8] (3,8 sur 10) ; Italie (4,3) ; Lettonie et Slovaquie (4,5) ; Lituanie et République tchèque (4,9) ; Pologne (5, soit la moyenne mondiale) ; Hongrie (5,1) ; Malte (5,2), Portugal (5,8) ; Espagne (6,1).
Ce qui appelle trois commentaires.
En premier lieu, ce groupe de 13 pays médiocrement classés en matière de corruption compte 9 nouveaux États membres (NEM). Autrement dit, le poids des situations antérieures à l’adhésion reste significatif. La Slovaquie, par exemple, se caractérise encore par des passations de marché douteuses, des déclarations insatisfaisantes d’avoirs d’hommes politiques, la faiblesse des institutions de contrôle, une législation sévère sur la presse et des restrictions gouvernementales à l’activité des Organisations non gouvernementales. Autre cas mis en avant par Transparency International, « Le score IPC de la Lettonie a chuté de 5,0 en 2008 à 4,5 en 2009. Cette régression est principalement due aux scandales de corruption à hauts niveaux et à la tentative du gouvernement précédent de s’attaquer à l’Agence nationale de lutte contre la corruption, en 2008. Le cas de corruption ayant sans doute provoqué le plus de dégâts est celui du sauvetage d’une banque locale, par le gouvernement précédent, fin 2008, au profit des propriétaires de la banque, de grands investisseurs et peut-être de responsables politiques. Le sauvetage a finalement contribué à l’effondrement de l’économie lettonienne, affectant ainsi sérieusement les marges de manœuvre du gouvernement, y compris ses capacités de lutte contre la corruption. » [9]
En second lieu, ce groupe compte un pays fondateur de l’Europe communautaire en 1957 : l’Italie. Ce qui démontre que l’ancienneté n’est pas synonyme de vertu. Voilà qui affaibli la position des anciens membres quand ils demandent aux nouveaux de faire des efforts.
En troisième lieu, la Grèce, entrée dans l’Europe communautaire le 1er janvier 1981 – soit voici 29 ans – et dans la zone euro depuis 2001 – soit depuis 9 ans – affiche en 2009 un niveau de corruption aussi élevé que la Bulgarie ou la Roumanie, entrées dans l’UE en 2007. Transparency International note : « La situation de la Grèce, qui a enregistré une chute importante de son score, passant de 4,7 en 2008 à 3,8 cette année [2009], est particulièrement préoccupante. Le score de 2009 reflète une application insuffisante de la législation anti-corruption, d’importants retards dans le processus judiciaire et une suite de scandales de corruption dans le secteur privé, indicateurs de faiblesses systémiques. Le mauvais score de la Grèce montre que l’adhésion à l’Union européenne n’entraîne pas automatiquement une diminution de la corruption. Des efforts immédiats et durables sont indispensables afin que le pays se conforme à des niveaux acceptables de transparence et de responsabilité. » [10] Si les marchés financiers sont loin d’avoir toujours raison, force est d’admettre que leur manque de confiance dans les données communiquées par la Grèce en matière de gouvernance économique s’appuie sur au moins un élément avéré. Que le pays qui a inventé la démocratie au Ve siècle avant Jésus-Christ en soit arrivé là pose question.
Considérons maintenant le graphique 2 : 14 pays membres de l’UE-27 dont l’indice de perception de la corruption est supérieur à la moyenne pondérée de l’UE-27, sur 10.
Le graphique 2 présente les 14 pays membres de l’UE-27 dont l’indice de perception de la corruption en 2009 est meilleur que la moyenne pondérée de l’UE-27. Autrement dit, ce sont les pays les moins corrompus de l’espace communautaire.
Il s’agit des États suivants : Estonie, Slovénie et Chypre (6,6 sur 10) ; France (6,9) ; Belgique (7,1) ; Royaume-Uni (7,7) ; Autriche (7,9) ; Allemagne et Irlande (8) ; Luxembourg (8,2) ; Finlande et Pays-Bas (8,9) ; Suède (9,2) et Danemark (9,3).
Ce qui invite à faire deux observations.
D’une part, ce groupe des pays les moins corrompus de l’espace communautaire compte 3 des 12 nouveaux États membres, dont 2 anciens pays communistes. En 2004 et 2007, l’Estonie et la Slovénie étaient déjà parmi les mieux classés des NEM et consolident ainsi leur position. Il faut donc se garder de les inclure dans des généralités qui seraient abusives. Ces deux pays prouvent qu’il n’y a pas de fatalité liée au post-communisme.
D’autre part, ce groupe des pays les moins corrompus de l’espace communautaire rassemble 5 des 6 pays fondateurs de l’Europe communautaire en 1957 : France, Belgique, Allemagne, Luxembourg et Pays-Bas. À la lecture des traités communautaires, c’est bien le moins qu’on puisse attendre d’eux. Les Pays-Bas sont les mieux classés des fondateurs (8,9 sur 10)… et la France se trouve la moins bien classée : 6,9. Ce qui place la France à 0,3 points sur 10 au-dessus de l’Estonie ou de la Slovénie. Verra-t-on prochainement un ancien pays communiste mieux classé que l’Hexagone ?
Transparency International semble s’en inquiéter : « Comme en 2008, la France obtient un score de 6,9, arrivant ainsi au 24ème rang du classement (23ème en 2008). La France continue ainsi à véhiculer une image relativement dégradée de sa classe politique et de son administration publique. À l’instar de certains de ses voisins européens comme la Belgique (7,1 et au 21ème rang), l’Espagne (6,1, 32ème) et l’Italie (4,3 et 63ème rang), pays secoués par des affaires de corruption ayant éclaboussé la sphère politique, l’actualité en France a été émaillée par plusieurs affaires. Deux procès retentissants – Angolagate, affaire Clearstream – ont impliqué des personnes au plus haut niveau de l’État. Cette année a également été marquée par les enquêtes visant Jacques Chirac, qui ont conduit à son renvoi, en octobre 2009, devant le tribunal correctionnel. Enfin, plusieurs annonces de réforme dans le domaine de la justice ne laissent pas d’inquiéter à l’étranger sur la volonté française de faire la lumière sur les dossiers politico-financiers de grande ampleur. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans une résolution adoptée le 30 septembre 2009, a ainsi appelé la France à « revoir le projet de suppression des juges d’instruction » afin « d’éviter (de donner) l’impression que cette réforme vise à protéger la classe politique de tout contrôle judiciaire. » [11]
Il importe de terminer l’étude de cette échelle par une mise en perspective des dynamiques en matière de corruption.
Durant les cinq années de la Commission Barroso I, comment la corruption a-t-elle évolué dans les pays candidats (Roumanie et Bulgarie, entre 2004 et 2007) et membres de ce qui est devenu l’UE-27 ?
Considérons le graphique 3 : Pays de l’espace UE-27 [12] et de l’UE-27 : évolution des indices de perception de la corruption entre 2004 et 2009, sur 10.
Entre 2004 et 2009, seul l’indice de perception de la corruption de la Suède (9,2 sur 10) n’a pas évolué, c’est pourquoi il n’apparaît pas sous la forme d’une barre. Les 26 autres pays de l’UE-27 ont vu leur évaluation varier, parfois de façon très significative. Il est possible de distinguer deux groupes inégaux : les pays en régression et les pays en progression.
Les 14 pays de l’UE-27 en régression entre 2004 et 2009 en matière de perception de la corruption sont, classés de la plus importante à la moindre diminution : Malte (-1,6 sur 10) ; Espagne (-1) ; Royaume-Uni (-0,9) ; Finlande (-0,8) ; Autriche, Portugal, Italie et Grèce (-0,5) ; Belgique (-0,4) ; Bulgarie (-0,3) ; Luxembourg, Danemark, Allemagne et France (-0,2). Voici ce qu’écrit le journal ABC au sujet de l’Espagne : « La corruption étouffe l’Espagne et fait circuler plus d’argent que la drogue. […] Plus de 300 personnes seront jugées en 2010. […] Soit cette saignée de ce qu’il reste du prestige du modèle [démocratique espagnol] s’arrête, soit nous mourrons en tant que démocratie, et nous disparaîtrons dans l’égout puant de la corruption. » [13] ABC souligne le « mélange d’intérêts troubles dans lequel convergent des hommes politiques sans scrupules et des délinquants déguisés en entrepreneurs », notamment dans le domaine du bâtiment. C’est ce qu’on appelle « l’économie de la brique ».
Notons que ce groupe de pays régressifs ne compte que deux nouveaux États membres, Malte entrée en 2004 et la Bulgarie, entrée en 2007. Manifestement, le suivi spécifique qui a été imposé à la Bulgarie en matière de lutte contre la corruption n’a pas été suffisant. [14] Les aides à destination du secteur agricole semblent particulièrement « juteuses ». Certes, les élections législatives de juillet 2009 ont porté au pouvoir un gouvernement qui a fait campagne autour de la lutte contre la corruption. Pour autant, les réformes pour juguler la corruption politique et faire face au crime organisé doivent encore être mises en application. L’UE a cependant déjà débloqué plusieurs centaines de millions d’euros gelés depuis juillet 2008.
Les 12 pays de l’UE-27 en progression entre 2004 et 2009 en matière de perception de la corruption sont, classés de la plus importante à la moindre progression : Pologne (+ 1,5 sur 10) ; Chypre (+ 1,2) ; Roumanie (+ 0,9) ; République tchèque (+ 0,7) ; Slovénie et Estonie (+ 0,6) ; Slovaquie, Lettonie et Irlande (+ 0,5) ; Lituanie et Hongrie (+ 0,3) ; Pays-Bas (+ 0,2). Relevons que ce groupe de 12 pays en progrès en matière de perception de la corruption rassemble 10 nouveaux Etats membres. Certes, « ils venaient de loin ». Pour autant, voici une information qu’il convient d’intégrer à nos représentations. L’appréciation de la Roumanie doit cependant être relativisée par cette observation de Transparency International : « Une série de décisions politiques a affaibli les institutions politiques et donné l’impression que le risque de corruption a augmenté dans le pays depuis le début des négociations d’adhésion à l’Union européenne. Ironiquement, le fait d’appartenir à l’UE semble diminuer la pression sur les réformes anti-corruption. La Roumanie fait ainsi face à une dégradation de son climat d’intégrité publique, marqué par l’absence de coordination stratégique concernant les mesures législatives et institutionnelles de lutte contre la corruption. »
En revanche, Transparency International fait une appréciation plus élogieuse du « meilleur élève » de ce groupe : « Grâce à un large soutien politique et une réforme institutionnelle, le score de la Pologne s’est amélioré, passant de 4,6 en 2008 à 5,0 en 2009. L’amélioration des perceptions de la corruption est due à plusieurs développements majeurs, parmi lesquels : la mise en place d’un Bureau ministériel de lutte contre la corruption, un accroissement du nombre d’enquêtes menées par le Bureau central de lutte contre la corruption et le projet d’adoption d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption, appelée « Bouclier anti-corruption ». Ces efforts doivent être poursuivis et renforcés. » [15] Compte tenu de l’importance des fonds communautaires prévus au bénéfice de la Pologne, cette évolution semble la bienvenue. En effet, pour la période 2007-2013, Bruxelles prévoit de verser 67, 28 milliards d’euros à la Pologne dans le cadre de sa politique régionale. [16]
Reste à considérer ces évolutions à l’échelle communautaire.
Pondérée par la population estimée en 2009, l’IPC moyen de l’UE-27 en 2009 est de 6,4. Ce qui place l’UE-27 entre les Émirats Arabes Unis (6,5) et Israël (6,1), soit au niveau de Saint-Vincent-et-les-Grenadines [17] (6,4), classé au 31ème rang mondial en 2009.
Les élargissements de l’Union européenne ne sont pas des jeux à somme nulle. Cela a été démontré ailleurs pour les dimensions démographiques et économiques [18] et diplomatiques [19]. Qu’en est-il en matière de corruption ?
Considérons le graphique 4 : Pour l’ex-UE-15 [20], l’espace UE-27 puis l’UE-27, l’espace NEM-12 [21] puis les NEM-12 [22] : IPC moyen pondéré par le poids relatif de la population des États en 2004 et 2009, sur 10.
Le graphique 4 confirme ce que chacun a pressenti à l’étude du graphique précédent. De 2004 à 2009, l’IPC moyen pondéré par le poids relatif de la population des États de l’ex-UE-15 a baissé de 7,35 à 6,89 sur 10. Ce qui représente une dégradation de la corruption perçue de 0,46 point. À l’échelle de l’espace UE-27 puis de l’UE-27, la baisse est moindre, de 6,60 à 6,43 sur 10. Ce qui représente une dégradation de l’indice de 0,17 point. Enfin, le seul sous-ensemble dont l’IPC moyen pondéré par le poids relatif de la population des États a progressé entre 2004 et 2009 est… celui des NEM-12, de 3,80 à 4,69 sur 10. Soit une amélioration de 0,89 point. Certes, le sous-ensemble des NEM-12 conserve une corruption supérieure à la moyenne mondiale (5 sur 10). Cependant, c’est grâce à ce sous-ensemble que l’IPC moyen pondéré de l’UE-27 ne se dégrade pas davantage. Qui l’eut crû voici 5 ans ?
Ces observations invitent à s’interroger sur les causes de la dégradation de la perception de la corruption dans les pays de l’ex-UE-15. Il convient d’abord d’observer que tous les pays membres de l’ex-UE-15 n’ont pas les mêmes responsabilités puisque tous n’ont pas le même IPC en 2009 ni la même dynamique entre 2004 et 2009. Certes, peuvent se sentir responsables tous les anciens États membres dont l’IPC s’est dégradé entre 2004 et 2009, à savoir (graphique 3) : Espagne, Royaume-Uni, Finlande, Autriche, Portugal, Italie, Grèce, Belgique, Luxembourg, Allemagne et France. Pour autant, tous les niveaux d’IPC en 2009 ne sont pas équivalents. Le graphique 1 montre que les anciens pays membres qui portent probablement les plus lourdes responsabilités sont ceux qui se trouvent en 2009 avec un IPC inférieur à la moyenne pondérée de l’UE-27 : Grèce, Italie, Portugal et Espagne. Comme par hasard, leur situation financière inquiète souvent. Force est de constater qu’il s’agit de pays du Sud de l’UE, méditerranéens pour trois d’entre eux. Voilà pour les observations corrélées d’indices fondés sur une évaluation à visée scientifique.
Reste à expliquer la corruption croissante dans les anciens États membres de l’UE. Ici, le terrain devient plus subjectif, voire polémique. Sans prétendre faire plus qu’ouvrir le débat, citons trois avis parfois contradictoires.
Dès février 2002, un expert des pays d’Europe de l’Est s’exprimant sous le pseudonyme de Massada s’interrogeait : « La chute du Mur de Berlin et du rideau de fer, en 1989, est-elle restée sans conséquence sur les pratiques du pouvoir à l’Ouest ? Quand un mur qui séparait deux eaux est emporté, les eaux se mélangent pour n’en former plus qu’une. Cela fait penser au phénomène biologique de l’osmose. Quand deux liquides de densité différentes ne sont plus séparés, il y un équilibre des densités des deux liquides. […] La chute de la séparation entre le bloc soviétique et le reste de l’Europe, voire du monde, a rendu les économies européennes et occidentales beaucoup plus perméables à certaines pratiques. Sans aucun doute, la chute du Mur a rendu nos systèmes perméables à des pratiques orientales. » [23]
L’Ambassadeur de Lituanie en France, Jolanta Balčiūniené, propose en 2010 une toute autre explication. « La dégradation des Indices de perception de la corruption dans certains anciens pays membres s’explique en partie par un libéralisme poussé à l’extrême – c’est mon avis personnel et je peux avoir tort. Tout est permis. Il n’y a plus de limites. On est allé très loin dans le diktat de l’efficacité. Cela peut créer des comportements corrupteurs. Il s’agit ici d’une responsabilité des Etats, ce n’est pas vraiment l’affaire de Bruxelles. Chaque pays doit s’engager à de bonnes pratiques. » [24]
Enfin, le Professeur Serge Sur présente d’abord une grille de lecture assez proche de celle de Massada puis s’accorde sur un point avec Jolanta Balčiūniené : « Quand on fait entrer des pays qui sont corrompus – je ne vise aucun d’entre eux en particulier – le risque est celui de la contagion. En même temps que vous luttez avec une efficacité relative contre les formes de corruption les plus voyantes, vous abaissez les standards, ce qui se traduit pas le développement d’une corruption rampante dans les pays qui en étaient jusqu’alors relativement préservés.
Ceci étant, il ne s’agit pas seulement d’un problème européen, j’ai le sentiment que ces problèmes de corruption ont crû partout. Ils sont liés au triomphe du marché, à la dérégulation générale, à l’idée que peu importe l’origine du gain puisque désormais tout gain est bon à prendre. Il s’agit d’une sorte de prédation généralisée. » [25]
Quoi qu’il en soit, l’Union européenne élargie n’est pas « sortie d’affaire » en matière de corruption. Chacun sait que la faible confiance des marchés financiers dans les comptes grecs est pour partie inspirée par la solide culture de la corruption qui caractérise ce pays de la zone euro. Comment admettre qu’un pays membre de l’Europe communautaire depuis 29 ans affiche un Indice de perception de la corruption aussi médiocre ? Il importe que la Grèce tire partie de la crise pour adopter de meilleures pratiques. Il faut souhaiter que la Bulgarie et Roumanie – qui se trouvent en 2009 avec le même IPC que la Grèce (3,8 sur 10), ne se retrouvent pas 29 ans après leur adhésion, soit en 2036, à un tel niveau. C’est possible, la Grèce l’a fait… Enfin, il importe de tout faire pour que les pays membres de l’UE, nouveaux ou anciens renforcent leurs anti-corps à la corruption. Ne serait-ce que pour favoriser leur développement économique.
Copyright avril 2010-Verluise
Réagissez à cet article sur le blog géopolitique du diploweb Réagir
Plus : Le power point de la conférence de presse du 4 mai 2010 au Centre d’Accueil pour la Presse Etrangère (Paris)
A titre exceptionnel, la publication d’une traduction de ce texte est autorisée à quatre conditions :
. Respecter l’intégrité du texte et mentionner les coordonnées bibliographiques de la version d’origine en français, avec son URL ;
. Faire traduire par un professionnel agréé, vers sa langue maternelle ;
. Demander et obtenir une autorisation écrite de l’auteur, Pierre Verluise, via verluise iris-france.org. Préciser à ce moment les preuves de la compétence du traducteur et les signes de la respectabilité du support de publication choisie (site, revue, éditeur...).
. Adresser un exemplaire justificatif de la traduction sous word et en pdf.
Toute traduction ne respectant pas ces quatre conditions est rigoureusement interdite et fera l’objet de poursuites devant les tribunaux de Paris.
[1] Voici la liste des 10 pays entrés le 1er mai 2004 dans l’Union européenne : Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie. Les deux îles méditerranéennes – Malte et Chypre – n’ont pas connu l’expérience du communisme, à la différence des suivants. Les trois Etats baltes – Estonie, Lettonie, Lituanie – ont été intégrés à l’Union soviétique à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. La Hongrie, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie (ces deux entités formaient la Tchécoslovaquie jusqu’en 1993) appartenaient au Bloc de l’Est. La Slovénie est une partie de l’ex-Yougoslavie, communiste mais en froid avec Moscou. La Yougoslavie a implosé en 1991.
[2] La Bulgarie et la Roumanie sont entrées dans l’UE le 1er janvier 2007. Après la Seconde Guerre mondiale ces deux pays ont connu des régimes communistes et été intégrés au Bloc de l’Est. Dans les années 1960 et 1970 la Roumanie de N. Ceausescu a développé un national-communisme qui affichait une indépendance cosmétique vis-à-vis de Moscou.
[3] Cf. Carte de la corruption dans l’UE-27, en Croatie et en Turquie (2004), dans Gérard-François DUMONT, Pierre VERLUISE, Atlas de l’Union européenne élargie, p. 49, en ligne sur le site de l’IRIS et sur le site www.diploweb.com à l’adresse http://www.diploweb.com/IMG/pdf/atlas-ue.pdf .
[4] La méthode de Transparency International conduisant à un Indice de perception de la corruption est fondée sur des enquêtes qualitatives effectuées chaque année sans produire des données sérielles. Toutefois, pour approcher l’étude de l’évolution de la corruption selon les pays, à défaut d’autre méthodologie proposée, nous avons décidé de traiter les chiffres de Transparency International comme s’il s’agissait de données sérielles.
[5] Dans le cas des pays de l’Union européenne l’IPC croise généralement six enquêtes.
[6] Espace UE-30 : désigne l’ensemble formé par les 27 pays membres et les trois candidats officiels – Croatie, Macédoine et Turquie – à une date antérieure à leur adhésion effective.
[7] Source : EUROSTAT, base de données en ligne, consultation janvier 2010. Calculs de la moyenne pondérée F. et P. VERLUISE.
[8] Le quotidien roumain Adevarul titre ironiquement le 18 novembre 2009 : « Nous sommes les premiers en Europe ! ». Traduction de www.presseurop.eu sous le titre : Corrompus et presque fiers de l’être.
[9] TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Indice de perception de la corruption 2009. Perspectives régionales : Union européenne et Europe de l’Ouest, Communiqué de presse, 17 novembre 2009.
[10] TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Indice de perception de la corruption 2009. Perspectives régionales : Union européenne et Europe de l’Ouest, Communiqué de presse, 17 novembre 2009.
[11] TRANSPARENCY INTERNATIONAL FRANCE, L’Indice de Perception de la Corruption 2009 indique que la corruption risque de menacer la reprise économique mondiale, Communiqué de presse, 17 novembre 2009.
[12] Espace UE-27 : désigne l’ensemble formé par les 25 pays membres et les deux candidats – Roumanie et Bulgarie – à une date antérieure à leur adhésion effective, le 1er janvier 2007. Cette méthode peut se décliner pour d’autres configurations, comme l’UE-30 (Cf. Carte)
[13] Pas d’auteur mentionné, ABC, Détruisons l’économie de la brique, traduit et présenté le 2 novembre 2009 sur le site www.presseurop.eu .
[14] Cf. Benoît HOPQUIN, Les fonds européens s’égarent parfois en Bulgarie, Le Monde, 27 mai 2009.
[15] TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Indice de perception de la corruption 2009. Perspectives régionales : Union européenne et Europe de l’Ouest, Communiqué de presse, 17 novembre 2009.
[16] COMMISSION EUROPEENNE, New Programming period 2007-2013, mai 2007, http://ec.europa.eu/regional_policy/newsroom/pdf/scoreboard070507.pdf
[17] Saint Vincent et les Grenadines : État indépendant des Antilles de 389 km2 dont la capitale est Kingstown, constitué de l’île de Saint-Vincent et des îles septentrionales de l’archipel des Grenadines.
[18] Gérard-François DUMONT, Pierre VERLUISE, Géopolitique de l’Europe, Paris, Sedes, 2009. Voir notamment les chapitres 9 et 11.
[19] Pierre VERLUISE, 20 ans après la chute du mur. L’Europe recomposée, Paris, Choiseul, 2009. Voir notamment les chapitres 6, 7 et 8.
[20] Ex-UE-15 : L’Union européenne dans sa configuration à 15 pays membres, soit entre 1995 et 2004. Ces pays sont appelés « anciens États membres », bien qu’ils soient entrés à des dates très variées, pour les différencier des « nouveaux États membres », entrés depuis 2004.
[21] Espace NEM-12 : désigne à une période antérieure les pays entrés dans l’Union européenne en 2004 et 2007.
[22] NEM-12 : désigne les 12 pays entrés dans l’Union européenne en 2004 et 2007.
[23] MASSADA (pseudonyme), Quelle transition ? Entretien avec Pierre VERLUISE, publié en février 2002 sur le site géopolitique www.diploweb.com à l’adresse http://www.diploweb.com/p5qom1.htm
[24] Jolanta BALCIUNIENE, L’Union européenne et son voisinage oriental. Un regard lituanien. Entretien avec Pierre VERLUISE, publié le 3 mars 2010 sur le site géopolitique www.diploweb.com à l’adresse http://www.diploweb.com/Un-regard-lituanien.html
[25] Serge SUR, Un monde en miettes. Entretien avec Pierre VERLUISE, publié le 1er avril 2010 sur le site géopolitique www.diploweb.com à l’adresse http://www.diploweb.com/Un-monde-en-miettes.html
SAS Expertise géopolitique - Diploweb, au capital de 3000 euros. Mentions légales.
Directeur des publications, P. Verluise - 1 avenue Lamartine, 94300 Vincennes, France - Présenter le site© Diploweb (sauf mentions contraires) | ISSN 2111-4307 | Déclaration CNIL N°854004 | Droits de reproduction et de diffusion réservés
| Dernière mise à jour le jeudi 12 décembre 2024 |