Podcast et synthèse rédigée

Planisphère. Le silence est-il la clef oubliée pour comprendre la puissance des mafias ? Avec J-F. Gayraud

Par Emilie BOURGOIN, Jean-François GAYRAUD, Pierre VERLUISE, le 18 novembre 2025  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Jean-François Gayraud, l’un des meilleurs spécialiste du crime organisé, publie un nouveau livre : « Les sociétés du silence. L’invisibilité du crime organisé », aux éditions Fayard, 2025. Il a précédemment publié « La mafia et la Maison Blanche », éditions Plon.
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF. Cette émission a été diffusée en direct le 18 novembre 2025.
Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en dernière année de Master Sécurité et Défense à l’Université d’Ottawa, après un BBA à l’EDHEC. Elle a travaillé en alternance au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle a la charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.

Le silence est-il la clef oubliée pour comprendre la puissance des organisations criminelles ? Planisphère a la joie de recevoir un auteur qui fait progresser la compréhension du crime organisé en décryptant très finement un paramètre clé de l’emprise des mafias en Italie comme aux Etats-Unis. Ce paramètre à l’origine de l’emprise des organisations criminelles et de la durée de leur position dominante, dans l’ombre, c’est le silence. Pour en parler, Planisphère reçoit à son micro Jean-François Gayraud.

Cette émission [1] Planisphère, Le silence est-il la clef oubliée pour comprendre la puissance des mafias ? Avec J-F. Gayraud, sur RCF Notre Dame

Lien direct vers cette émission sur RCF-ND, avec possibilité de récupérer l’iframe.

Cette émission, Planisphère, sur Spotify

Synthèse de cette émission, Planisphère, Le silence est-il la clef oubliée pour comprendre la puissance des mafias ? Avec J-F. Gayraud. Rédigée par Émilie Bourgoin pour Diploweb.com. Relue et validée par J-F Gayraud

DANS son ouvrage « Les sociétés du silence. L’invisibilité du crime organisé » (Fayard, 2025), Jean-François Gayraud propose une lecture profondément novatrice de l’emprise des organisations criminelles. Longtemps décrites à travers deux prismes, la violence et l’accumulation capitalistique, les organisations criminelles révèlent, selon lui, une troisième dimension décisive : le silence. Il illustre cette réflexion sur la place du silence à travers le modèle des Mafias, des entités criminelles à l’acmé de l’art du silence. Cette clé d’interprétation, à la fois culturelle, stratégique et anthropologique, éclaire la longévité et la puissance d’organisations criminelles fondées sur la discrétion, l’invisibilité et la maîtrise du langage. À travers l’entretien mené dans l’émission Planisphère, Jean-François Gayraud détaille cette grammaire du silence, ses déclinaisons sociales, linguistiques, fictionnelles et temporelles, ainsi que ses prolongements contemporains, notamment en France.

Planisphère. Le silence est-il la clef oubliée pour comprendre la puissance des mafias ? Avec J-F. Gayraud
Jean-François Gayraud
Jean-François Gayraud publie un ouvrage fondateur : « Les sociétés du silence. L’invisibilité du crime organisé », (éd. Fayard, 2025)
Verluise/Diploweb.com

Le silence : troisième pilier du pouvoir mafieux

Jean-François Gayraud souligne que les analyses classiques du crime organisé reposent sur deux axes : la violence visible (meurtres, intimidation, règlements de comptes) et l’accumulation du capital criminel. Pourtant, une dimension essentielle échappe souvent aux observateurs : le silence comme principe actif de survie, d’expansion et de domination. Pour l’auteur, les mafias ne sont pas de simples bandes criminelles, mais de véritables sociétés secrètes, construites pour durer au-delà des générations. Leur culture du silence constitue un outil de protection, de cohésion interne et de dissimulation face aux institutions. C’est cette capacité à rester invisibles qui leur permet de durer bien plus longtemps que les polices et services judiciaires qui les combattent.

L’omerta est une véritable langue, faite d’euphémismes, de discours obliques, de paraboles

La langue du silence : au-delà de l’omerta

Jean-François Gayraud propose une interprétation élargie de l’omerta. Celle-ci ne se réduit pas au simple fait de se taire. Elle comporte trois dimensions distinctes :

. Ne pas parler à l’extérieur, afin de protéger l’organisation.

. Dire la vérité à l’intérieur, obligation souvent ignorée dans les représentations populaires.

. Ne jamais poser de questions, dimension la plus radicale du serment mafieux.

L’omerta devient alors une véritable langue, faite d’euphémismes, de discours obliques, de paraboles, permettant de communiquer sans jamais s’exposer. Cette rhétorique sophistiquée surprend d’autant plus qu’elle est portée par des individus souvent non diplômés, témoignant d’une intelligence rusée proche de la métis grecque.

Les signes et gestes du silence : le langage corporel mafieux

Le silence s’incarne aussi dans le langage non verbal, où gestes et attitudes jouent un rôle déterminant. Le baiser mafieux, par exemple, peut signifier selon le contexte respect, loyauté, adoubement… ou condamnation à mort. Ce langage corporel renforce les codes de l’invisibilité et consolide la cohésion d’un groupe qui privilégie l’implicite, la discrétion et les signes plus que les mots.

Le silence comme pouvoir social et territorial

Pour Jean-François Gayraud, le silence n’est pas seulement une discipline interne, il s’impose aussi à la société environnante. Les mafias transforment les territoires qu’elles contrôlent en espaces sourds et muets, où peur, intimidation et complicité passive façonnent un ordre social parallèle. Ce « pouvoir du silence » impose une loi non écrite où le mutisme devient condition de survie, instaurant une domination psychologique durable.

La place silencieuse des femmes dans les sociétés mafieuses

Bien qu’exclues de l’initiation et de la structure officielle, hormis quelques rares exceptions, les femmes jouent un rôle fondamental et discret. Elles assurent :

. La transmission culturelle des valeurs mafieuses (honneur, violence, patriarcat).

. Le maintien de la maison, support logistique permettant aux hommes d’agir.

. Des missions opérationnelles, notamment lorsque les membres masculins sont incarcérés (messages, finances, relais de pouvoir).

Cette « présence silencieuse » en coulisse révèle l’ambivalence entre exclusion formelle et centralité informelle.

Les spectacles du silence : quand la fiction façonne la réalité

Jean-François Gayraud analyse également le paradoxe médiatique des mafias : organisations qui vivent du silence, elles deviennent des objets hyper-visibles grâce au cinéma et aux séries. Hollywood, d’abord bridé par la mafia elle-même, se libère avec « Le Parrain  », film « autorisé » et infiltré par les mafieux, qui ouvre une ère de fascination mondiale. Ce bruit fictionnel produit trois effets majeurs :

. Il glamourise les mafieux, qui finissent par imiter leurs propres représentations cinématographiques.

. Il occulte la réalité criminelle, brouillée par le mythe.

. Il crée une zone grise, où réel et fiction s’influencent mutuellement.

Déni, temporalité et brisures du silence : le rôle des repentis

L’auteur insiste sur les temps du silence, révélés par l’apparition des collaborateurs de justice.

Leur parole met fin au déni historique de l’existence des mafias, mais elle est souvent accueillie avec scepticisme ou rejet lorsque la société n’est pas prête à l’entendre. Certains repentis, comme Vitale en Sicile, ont été déclarés fous avant d’être éliminés.
Jean-François Gayraud décrit aussi le cas emblématique de Tommaso Buscetta, qui ne révéla certaines vérités qu’après l’assassinat du juge Falcone, preuve que la temporalité de la parole est stratégique et lourde de risques.

Le crime organisé en France : entre imitation et mutation

Concernant la France, il faut distinguer clairement des organisations émergentes comme la « DZ mafia », qui selon l’intervenant sont de simples bandes criminelles et non de véritables sociétés secrètes. Leur usage du terme « mafia » répond à une logique publicitaire inspirée des mythes italiens et hollywoodiens.

Mais au-delà de ces cas, la France fait face depuis les années 1980 à une centralité croissante du crime organisé, liée à la mondialisation, à l’affaiblissement des frontières et à l’implantation d’organisations étrangères très structurées (Ndrangheta, Camorra, clans albanophones, groupes turcophones, bandes maghrébines, etc.). Cette criminalité, à dominante ethnique et culturellement opaque, réintroduit une forte dimension de silence, renforcée par les différences linguistiques ou culturelles.


Encore plus
Tous les podcasts géopolitiques de l’émission Planisphère depuis septembre 2024, en un clic. Et avec en bonus une synthèse rédigée, c’est possible ? Oui, ici.


Conclusion

À travers son analyse du silence comme clé d’interprétation, Jean-François Gayraud enrichit profondément la compréhension du crime organisé. Le silence agit à la fois comme outil stratégique, langue codée, pouvoir social, arme de dissimulation et source d’influence culturelle. Il constitue la condition de survie des sociétés mafieuses, mais aussi l’angle mort de nombreuses analyses institutionnelles ou médiatiques. En révélant cette dimension invisible, Jean-François Gayraud démontre que comprendre les organisations criminelles nécessite de décrypter leurs non-dits : un travail d’écoute du silence, essentiel pour appréhender leur puissance réelle et leurs métamorphoses contemporaines.

Ressources recommandées

. Jean-François Gayraud, « Les sociétés du silence. L’invisibilité du crime organisé », (éd. Fayard, 2025)

. Jean-François Gayraud, « La mafia et la Maison Blanche » (éd. Plon, 2023).

. Jacques de Saint Victor, « Mafia et pouvoir, XIXᵉ-XXIᵉ siècles », Collection Folio histoire (no347), éd. Gallimard, 2025.

Copyright pour la synthèse Novembre 2025-Bourgoin/Diploweb.com


Plus

. Jean-François Gayraud, «  Les sociétés du silence. L’invisibilité du crime organisé  », (éd. Fayard, 2025)

4e de couverture

Et si la puissance des grandes organisations criminelles se comprenait d’abord par leur art du silence ?
Jean-François Gayraud nous dévoile l’univers secret des mafias, bien au-delà du simple crime organisé. Ces sociétés ne sont pas uniquement des associations de malfaiteurs, mais des contre-pouvoirs maniant une arme redoutable : la capacité de se faire oublier.
De l’infiltration des loges maçonniques aux stratégies d’invisibilité politique, l’auteur révèle comment Cosa Nostra, Ndrangheta, Camorra et Sacra Corona Unita ont développé une véritable maîtrise de la dissimulation.
À travers l’analyse de grandes figures mafieuses, comme Toto Riina ou John Gotti, les témoignages de repentis et l’influence du cinéma, Jean-François Gayraud dessine une géographie secrète du pouvoir. L’omerta n’est pas une absence de parole, mais une langue complexe aux règles impitoyables, où chaque mot peut tuer et chaque silence gouverner.
Ce talent pour se fondre dans l’ombre ne peut plus être ignoré car, depuis la fin du siècle dernier, la France est confrontée à un fait inédit : de puissantes structures clandestines s’emparent de pans entiers de son territoire, de sa vie politique, économique et sociale, au risque de les corrompre durablement.
Une enquête saisissante sur ces sociétés parallèles qui transforment le silence en instrument de domination absolue.


Parce que l’information est un – précieux - bien public
A condition
de ne rien modifier et de faire un lien vers la page source du Diploweb.com de chaque émission, il est autorisé de reprendre sur des sites académiques, éducatifs ou institutionnels les codes des fichiers son et / ou vidéo ainsi que les biographies et la synthèse rédigée d’une ou de plusieurs émissions Planisphère.


Pour ne rien rater de nos nouvelles publications, abonnez-vous à la Lettre du Diploweb !

[1Cette émission a été enregistrée le 10/11/2025 et diffusée le 18/11/2025.

Diploweb est sur Tipeee
Vous aussi soyez acteur du Diploweb ! Soutenez-nous via notre page tipeee.com/Diploweb
Les livres de Diploweb sont sur Amazon
des références disponibles via Amazon sous deux formats, Kindle et papier broché

DIPLOWEB.COM - Premier site géopolitique francophone

SAS Expertise géopolitique - Diploweb, au capital de 3000 euros. Mentions légales.

Directeur des publications, P. Verluise - 1 avenue Lamartine, 94300 Vincennes, France - Présenter le site

© Diploweb (sauf mentions contraires) | ISSN 2111-4307 | Déclaration CNIL N°854004 | Droits de reproduction et de diffusion réservés

| Dernière mise à jour le jeudi 4 décembre 2025 |