En Afghanistan et au Pakistan, qui sont les Pachtouns ? Un peuple sans pays

Par Alain LAMBALLE , Pierre VERLUISE, le 6 mai 2018  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Le général de brigade (cr) Alain Lamballe, est géopolitologue spécialisé sur l’Asie du Sud où il a vécu six ans et demi et où il se rend régulièrement. Il est docteur en sociologie politique et diplômé d’hindi et d’ourdou. Membre de l’Académie des sciences d’outre-mer et de l’équipe de recherche Asie 21 du groupe Futuribles. Il a été notamment attaché de défense au Pakistan, attaché militaire adjoint en Inde. Le général Lamballe a également servi au Secrétariat Général de la Défense Nationale, notamment comme officier de zone Asie du Sud-Est, puis Asie du Sud. Propos recueillis par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.com, auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine de livres.

Le général de brigade (cr) Alain Lamballe présente un peuple encore méconnu alors qu’il est souvent au cœur de l’actualité : les Pachtouns.

Pierre Verluise (P. V) : Comme les Kurdes, les Pachtouns sont un peuple sans Etat. Où vivent-ils et quelles sont les grandes dates de leur histoire ?

Alain Lamballe (A. L) : L’histoire des Pachtouns est insuffisamment connue. Ils ont peu écrit eux-mêmes sur leur passé. Seuls des textes occidentaux, surtout ceux des anciens colonisateurs britanniques, nous éclairent quelque peu. Les Pachtouns sont des Indo-Européens venus on ne sait trop d’où ni quand mais certainement dans des temps très reculés. A la fin du VIIe siècle, l’islam commença à pénétrer les régions pachtounes de l’Afghanistan actuel grâce à l’arrivée d’Arabes, mais ce n’est qu’au Xe siècle avec les migrations de guerriers de langue turque convertis qu’il s’y implanta vraiment. Aux XIIIème et au XIVe siècles, les Mongols de Genghis Khan et de Tamerlan ravagèrent ce qui constitue aujourd’hui l’Afghanistan et le nord-ouest du Pakistan. Les Pachtouns se relevèrent difficilement.

Babar qui se prétendait descendant de Genghis Khan et de Tamerlan, originaire de la vallée de la Ferghana dans l’Ouzbékistan actuel, traversa le territoire afghan actuel et se dirigea vers l’Inde où il fonda l’empire mogol. Les tribus pachtounes réussirent à maintenir une certaine autonomie. Et parfois se rebellèrent. Ainsi, le plus grand empereur de la dynastie mogole, Akbar, dut mater une révolte pachtoune au XVIe siècle. Il en fut de même au siècle suivant avec Aurangzeb. A la mort de cet empereur en 1707, la plupart des tribus pachtounes redevinrent maîtresses de leurs destins. Une première tentative de créer un empire pachtoun par les tribus Ghilzai aboutit à la prise de la ville persane d’Ispahan. Mais l’entreprise avorta.

En 1739, un Turco-Persan, Nadir Shah qui avait enrôlé dans son armée de nombreux Pachtouns conquit Delhi qu’il mit à sac. En 1761, Ahmad Shah Abdali, membre des tribus Abdali (rivales des tribus Ghilzai) et ancien général de Nadir Shah, saccagea de nouveau Delhi. Il prit le nom de Ahmad Shah Durrani (appellation venant de Durr-i — Durran, la perle des perles). Sous son règne, l’Afghanistan contrôla de vastes territoires, allant de la côte baloutche de Makran jusqu’au Cachemire. Ce royaume afghan, pachtoun, s’effrita à la fin du XVIIIe siècle.

Au début du XIXe siècle, les sikhs s’emparèrent de territoires pachtouns, à l’est et au sud de Peshawar. Leur armée bénéficia de l’expertise de généraux français. Les sikhs furent, à leur tour, vaincus par les Britanniques qui, ainsi, entraient en contact avec les Pachtouns.

Inquiets des avancées russes à partir de l’Asie centrale, ou prétextant l’être, les Britanniques lancèrent une campagne en Afghanistan. De 1838 à 1842, ce fut la première guerre anglo-afghane. Les Britanniques subirent de sérieux revers, mais réagirent et annexèrent une bonne partie des zones tribales pachtounes. La seconde guerre anglo-afghane, de 1878 à 1880, avait pour but de consolider les positions britanniques, mais aussi d’exclure les Russes d’Afghanistan. Ce qui fut fait. Les Britanniques obtinrent le droit de contrôler la politique étrangère afghane. De 1880 à 1901, Abdur Rahman Khan fut un souverain afghan énergétique qui consolida son royaume d’une main de fer. C’est pendant son règne que furent définies, à l’instigation et sous contrôle des Britanniques, les frontières correspondant à peu près à celles existant aujourd’hui. En 1893, était établie la ligne Durand (du nom du négociateur britannique) séparant les territoires afghans et britanniques. La communauté pachtoune se retrouvait divisée arbitrairement, certains villages étant même coupés en deux. En 1895, la frontière avec la Russie était à son tour définie. La même année, celle avec la Chine, très courte, l’était aussi. L’Afghanistan jouait désormais un rôle de tampon entre les deux empires britannique et russe.

Les tribus pachtounes sous contrôle britannique dont aucune n’avait été consultée pour la fixation de la ligne Durand se révoltèrent en 1897. Elles furent encouragées par l’émir d’Afghanistan et soutenues par le sultan de Turquie. Les Britanniques parvinrent non mal à supprimer l’insurrection de grande ampleur.

En 1919, le souverain afghan pensa que le moment était favorable pour récupérer les territoires perdus. ll déclencha une offensive vers Peshawar. Ainsi commença la troisième guerre anglo-afghane qui ne dura que quelques mois et se termina par le succès des Britanniques. Le traité de Rawalpindi qui y mettait fin confirmait la ligne Durand en apportant quelques modifications mineures. Bien qu’ayant perdu, les Afghans retrouvèrent une totale liberté de définir leur politique étrangère, du moins en théorie.

En 1901, les Britanniques créèrent la Province Frontière du Nord-Ouest. Ainsi les Pachtouns des plaines étaient administrés séparément alors qu’ils l’étaient auparavant depuis Lahore, capitale du Pendjab. Quant aux Pachtouns des collines et montagnes frontalières de l’Afghanistan, ils dépendaient d’agences tribales rattachées administrativement au gouvernement britannique de l’Inde.

En Afghanistan et au Pakistan, qui sont les Pachtouns ? Un peuple sans pays
Le général de brigade (cr) Alain Lamballe, géopolitologue spécialiste de l’Asie du Sud
Le général A. Lamballe à l’occasion d’une conférence co-organisée par Diploweb.com et GEM, le 2 mai 2018. Crédit photographique : Pierre Verluise
Pierre Verluise

Officiers et fonctionnaires civils étudièrent la langue pachto et les us et coutumes des Pachtouns. Certains rédigèrent des études remarquables qui furent utilisées par les décideurs politiques.

Malgré le quadrillage militaire, malgré la connaissance sans cesse améliorée des lieux et de ses habitants et malgré le développement du réseau routier, les Britanniques connurent maintes difficultés à administrer les Pachtouns. Turbulents et rétifs, les montagnards pachtouns ne cessaient de mener des raids vers les agglomérations des plaines, tout en harcelant les troupes gouvernementales et tendant des embuscades. Les Pachtouns des plaines, notamment dans la vallée de Swat, entretenaient aussi l’insécurité.

Quel est leur espace géographique ? Bien avant la colonisation britannique, des Pachtouns s’étaient établis en Inde, dans la région de Rohilkhand, au nord-est de Delhi. Des descendants subsistent, mais certains se sont installés ailleurs en Inde. Les princes hindous et les empereurs musulmans mogols firent appel à des Pachtouns dans leurs armées et leurs administrations. Certains Pachtouns jouèrent également un rôle dans l’économie des principautés hindoues et musulmanes. Une petite communauté pachtoune existe encore à Hyderabad, aujourd’hui capitale de l’Etat du Telangana. Parmi les acteurs et actrices du cinéma indien, à Bollywood, figurent des Pachtouns, descendants lointains de migrants.

Au XIXe siècle, des Pachtouns s’étaient aussi installés au Gilgit-Baltistan et dans le reste du Cachemire alors sous administration britannique. D’autres ont rejoint le Gilgit-Baltistan depuis l’indépendance du Pakistan. Parmi les Indiens ayant migré vers des colonies anglaises, se trouvaient aussi bien qu’en faible nombre des Pachtouns. Certains ont fait souche dans ces contrées lointaines devenues des pays indépendants.

De nos jours, les Pachtouns sont essentiellement répartis sur deux pays contigus. Ils peuplent majoritairement le sud et l’est de l’Afghanistan et l’ouest du Pakistan. Au cours des dernières décennies, les grandes métropoles pakistanaises de Lahore, Quetta et surtout Karachi ont accueilli de nombreux Pachtouns, fuyant les zones de combat entre les forces de sécurité et les islamistes radicaux.

Les Pachtouns
Source : Wikipedia
Wikipedia

P. V : Quelles sont les singularités de la société pachtoune à prendre en compte ?

A. L : D’abord, quelques données numériques. En Afghanistan, les estimations plus ou moins fiables indiquent une population de 34 millions, dont 20 millions de Pachtouns. La population afghane pourrait atteindre 50 millions en 2050, dont 30 millions de Pachtouns. Au Pakistan, en se fiant aux résultats provisoires du recensement de 2017 et à diverses estimations, la population serait de l’ordre de 226 millions (en incluant l’Azad Kashmir et le Gilgit-Baltistan) dont 30 millions de Pachtouns. Elle pourrait atteindre 400 millions en 2024 dont plus de 50 millions de Pachtouns.

Les Pachtouns d’Afghanistan et du Pakistan, comptabilisés globalement, représentent vraisemblablement la communauté tribale la plus importante du monde.

Au début des années 1970, la communauté pachtoune se divisait de manière égale entre l’Afghanistan et le Pakistan. Maintenant, le centre de gravité se situe nettement du côté pakistanais puisque 30 millions de Pachtouns vivent au Pakistan et 20 millions en Afghanistan. Mais au Pakistan, les Pachtouns ne représentent que 17 % de la population totale alors que leur pourcentage en Afghanistan dépasserait 60 % (selon certaines sources considérées comme fiables, soit un chiffre très supérieur aux déclarations officielles).

Les Pachtouns d’Afghanistan et du Pakistan, comptabilisés globalement, représentent vraisemblablement la communauté tribale la plus importante du monde. La répartition entre tribus, sous-tribus, clans, sous-clans est fort complexe. Les étrangers ont du mal à comprendre l’organisation de ces sociétés. Mais les Pachtouns connaissent le nom des fondateurs de leurs tribus et clans et conservent le souvenir de leurs ancêtres. En général, les membres des tribus habitant les régions de collines et de montagnes s’estiment supérieurs aux gens des plaines. Et pourtant, ils sont nettement moins bien éduqués. Les Pachtouns sont majoritairement sunnites, mais certaines tribus que l’on trouve surtout du côté pakistanais sont chiites.

De part et d’autre de la ligne Durand, la frontière de facto, on découvre chez les Pachtouns des systèmes de gouvernance et des valeurs communes. Les chefs de tribus, les maliks, ont encore une certaine ascendance sur leurs sujets. Cela est davantage vrai pour les khans qui s’apparentent à de véritables seigneurs féodaux. Les sayyids (présumés appartenir à la lignée du prophète), les hajjis (fidèles ayant effectué le pèlerinage à La Mecque), les soufis (ascètes religieux mystiques) et les personnes âgées jouissent d’une grande notoriété et sont écoutés.

Le code Pachtounwali ou Pakhtunkwali régit la vie des membres des tribus. Il ne repose pas sur un texte écrit, mais sur des traditions transmises depuis des siècles bien avant l’arrivée de l’islam qui l’a néanmoins influencé. L’argent, les femmes et la terre sont des thèmes centraux. Les terres, synonyme de puissance, se transmettent de manière patrilinéaire. Le code inclut sept notions : vengeance (badal), pardon (nanawati), comportement chevaleresque (ghairat/nang), hospitalité (melmastia), séparation des sexes (purdah), défense de l’honneur (namus) et recherche de consensus par la tenue d’assemblées (jirgas).

Les Pachtouns sont généralement très fiers. La mendicité leur est inconnue. Connus pour leurs qualités martiales, ils ont dans le passé, fourni le gros des troupes envahissant l’Inde. Dans la période contemporaine, ils ont constitué l’essentiel des effectifs des moudjahidin qui combattirent les Soviétiques en Afghanistan et sont les plus nombreux dans les rangs des taliban pakistanais et afghans. Les Pachtouns aiment les armes, ils en fabriquent et en importent ; aucune licence de port d’armes n’est exigée d’eux. Ils peuvent être violents. Ils se battent entre eux, mais s’unissent face à des étrangers.

Les Pachtouns ne sauraient s’assimiler à seulement des guerriers. Gros travailleurs, ils sont estimés par leurs employeurs dans leurs pays d’origine, mais aussi là où ils émigrent comme travailleurs temporaires. Comme leurs coreligionnaires, ils n’ont pas laissé de sculptures. Contrairement aux Persans et aux Mogols, ils n’ont pas produit de miniatures. Mais ils ont légué des œuvres architecturales et ont excellé et excellent toujours dans la poésie. Le pachto, mais aussi le dari et l’ourdou se prêtent bien à cet exercice littéraire. Les poèmes sont souvent empreints de mysticisme soufi, mais aussi de patriotisme parfois révolutionnaire. Certains écrivains se sont lancés dans la fiction. Les chansons pachtounes sont par ailleurs très populaires.


P. V : Côté afghan, comment vivent les Pachtouns ?

A. L : Après la fin de la colonisation britannique dans le sous-continent indien et la création du Pakistan, les tribus pachtounes, côté afghan, ont parfois provoqué des troubles pour des raisons diverses, mais le pouvoir central à Kaboul a réussi à les contenir. Il est vrai que les Pachtouns étaient fort bien représentés dans le gouvernement afghan, que ce soit pendant le règne du roi Zahir Shah, commencé en 1933 et achevé en 1973, ou pendant la nouvelle république instaurée en 1973 par le Sardar Mohammad Daoud Khan. Ces deux personnages appartenaient à la confédération des tribus Durranis.

La relative stabilité disparut avec le coup d’Etat sanglant du 27 avril 1978 qui portait au pouvoir les communistes, membres de la confédération des tribus Ghilzais. Le 27 décembre 1979, des unités de l’armée soviétique s’emparent de Kaboul. L’occupation soviétique de l’Afghanistan commence. Elle durera dix ans, jusqu’en 1989. Le régime communiste se maintint à Kaboul jusqu’en 1992. Un gouvernement dominé par les Tadjiks dirige le pays, mais est balayé par les taliban en 1996. Le régime taliban s’effondre à son tour en 2001. Il tombe sous les coups des troupes américaines et alliées intervenues en Afghanistan suite aux attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington, commandités par Ossama ben Laden, Arabe saoudien réfugié en Afghanistan. Les taliban ne sont nullement anéantis et profitant de sanctuaires au Pakistan entretiennent, avec d’autres mouvements islamistes radicaux, une insurrection larvée qui déstabilise l’Afghanistan.

Il est très difficile de connaître avec précision le nombre de Pachtouns. Selon les chiffres les plus courants, plus ou moins officiels, ils constitueraient 45 % de la population, mais des experts confirmés pensent que les Pachtouns représenteraient plus de 60 %. Les autres groupes ethniques regroupent en ordre décroissant les Tadjiks, les Ouzbeks et les Hazaras, ces derniers étant chiites. Les Pachtouns sont concentrés dans l’est et le sud du pays, mais des poches existent dans le nord. Ils se considèrent comme les vrais Afghans, supérieurs aux membres des autres ethnies. Les Hazaras se classent, selon eux, en toute dernière position.

La confédération des tribus Durranis représente plus de cinq millions de personnes. Elle constitue l’élite de la société afghane et estime représenter la conscience nationale pachtoune. Elle milite pour la réunification de la nation pachtoune. L’ancien président de la République, Karzai, en fait partie. La confédération des tribus Ghilzais rassemble plus de neuf millions de personnes. La plupart des nomades, les koutchis, en sont originaires. Beaucoup de dirigeants taliban en proviennent également. L’actuel président de la République, Ghani y appartient.

Des tensions sont récurrentes entre les koutchis et les Hazaras. Ces derniers estiment être dépossédés d’une partie de leurs terres. Les Nouristanis se plaignent également de ces nomades qui amènent leurs troupeaux paître sur des terres ne leur appartenant pas.

La lutte contre les taliban menée par l’armée afghane et la coalition conduite par les Etats-Unis a profondément modifié les us et coutumes.

La cohésion nationale est donc toute relative, les dissensions interethniques subsistant. En réalité, les Pachtouns ont presque toujours dirigé le pays. Les intermèdes tadjiks de 1929 et de 1992 à 1996 constituent les seules exceptions. La période actuelle présente une particularité. Le président de la République est pachtoun mais les Tadjiks détiennent des postes clés dans les administrations civiles, les services de renseignement et les armées. Dans ces dernières, les Tadjiks sont avantagés en nombre d’hommes du rang, de sous-officiers et d’officiers. Les militaires sont mal rémunérés et les désertions restent importantes. La police souffre des mêmes maux. Malgré les divergences entre ethnies et le mauvais moral régnant dans les forces de sécurité, le sentiment national reste fort, aucune volonté sécessionniste n’apparaissant pour l’instant.

La lutte contre les taliban menée par l’armée afghane et la coalition conduite par les Etats-Unis a profondément modifié les us et coutumes. Les chefs de tribus ont perdu de leur autorité, soit au profit des insurgés soit au profit de jeunes éduqués et ouverts à la modernité. Cette évolution est assez semblable à celle que l’on constate au Pakistan voisin. Le code Pachtounwali cesse d’être appliqué avec la même rigueur. L’influence des taliban se traduit par la raréfaction des fêtes. Dans les régions qu’ils contrôlent, la musique a été proscrite. Par ailleurs et presque partout, le système judiciaire est en ruine.

La société souffre de maux aggravés par les insurrections qui ont déchiré et déchirent le pays. La drogue produite surtout dans les régions pachtounes fait des ravages. Certains milieux officiels, y compris dans les forces de sécurité, en tirent de substantiels bénéfices, tout comme les taliban. Le pavot permet aux paysans de survivre. Les cultures de substitution, safran, soja, arbres fruitiers paraissent prometteuses, mais sont loin d’être acceptées par tous.

L’économie a souffert de nombreuses décennies de guerre. L’agriculture et l’élevage sont les activités principales. Les bassins de l’Helmand et de la Kaboul possèdent de bonnes terres arables, mais insuffisamment utilisées à cause de la présence de mines, la plupart posées pendant l’occupation soviétique, l’insécurité retardant le déminage. L’or et le cuivre ainsi que les pierres précieuses, surtout les émeraudes, constituent des richesses nationales. Des gisements de pétrole ont été découverts dans les régions pachtounes.

La sous-alimentation est sévère dans l’ensemble du pays, mais plus encore dans les régions pachtounes. Elle frappe notamment les enfants. Les services sanitaires sont défectueux. L’eau contaminée est à l’origine de nombreuses maladies. L’enseignement, quand il est assuré, reste souvent de médiocre qualité.

P. V : Côté pakistanais, comment vivent les Pachtouns ?

A. L : Avec 17 % de la population, les Pachtouns constituent le second groupe ethnique du Pakistan, loin derrière les Pendjabis qui représentent 60 %. Ils habitent essentiellement les agences tribales fédérales, les Régions dites frontières, la province du Khyber-Pakhtunkhwa et les agences tribales administrées par cette dernière ainsi que le nord du Baloutchistan. Ils sont donc concentrés dans l’ouest du pays. Mais une forte communauté pachtoune vit aussi à Karachi. Dans cette énorme métropole capitale de la province du Sind, ils forment la deuxième communauté, après les mohajirs (musulmans ayant quitté l’Inde en 1947 et leurs descendants) et avant les Pendjabis et les Sindis, les autochtones. Karachi est en réalité la plus grande ville pachtoune du monde, devançant Kaboul et Peshawar.

Les agences tribales fédérales sont au nombre de sept dont six forment la frontière de facto avec l’Afghanistan sur 800 kilomètres (soit le tiers de la frontière totale entre les deux pays telle que définie par la ligne Durand). De sept à dix millions de personnes y vivent. Elles dépendent directement du président de la République. C’est en fait le gouverneur de la province du Khyber-Pakhtunkhwa qui les administre ; pour ce faire, il dispose dans chaque agence tribale d’un agent politique doté de pouvoirs importants exécutifs et judiciaires et qui en abuse parfois, car aucun contrôle ne s’exerce. La présence d’unités militaires et paramilitaires, nécessitée d’abord par la lutte contre les Soviétiques occupant l’Afghanistan dans les années 1980 puis dans les décennies suivantes par le combat contre les militants islamistes radicaux, change la donne. Les officiers supplantent quelque peu les responsables politiques. Des chefs tribaux, des maliks, ont été assassinés. Par ailleurs, des responsables religieux, des mollahs, se sont parfois imposés, installant une administration parallèle. Les administrateurs civils se retrouvent parfois marginalisés. De plus, l’arrivée de réfugiés afghans bouleverse quelque peu les structures locales. Les agences tribales fédérales restent des zones de non-droit où se réfugient en toute impunité criminels et escrocs. L’illettrisme reste très important chez les hommes et encore plus chez les femmes. L’état sanitaire est déplorable à cause du manque d’infrastructures médicales.

En 1996, le droit de vote fut accordé aux membres des tribus. Onze députés les représentent à l’Assemblée nationale. Comme leurs collègues, ils votent des lois, mais celles-ci ne s’appliquent pas aux agences tribales fédérales, sauf si le président de la République le décide. Le 14 août 2009, les partis politiques ont obtenu le droit de faire compagne dans les agences tribales. La mesure est entrée en application le 12 août 2011. Désormais les candidats aux élections peuvent être affiliés à des formations politiques alors qu’auparavant ils se présentaient comme indépendants. Mais des lois votées en juin 2011 ayant des effets rétroactifs remontant au 1er février 2008 accordent des pouvoirs discrétionnaires aux militaires, ce qui limite la libéralisation des activités politiques.

Les Pakistanais qui ne sont pas originaires de ces agences ne peuvent y acquérir des biens et investir. C’est un frein au développement d’autant plus important que les riches habitants des agences peuvent, eux, faire fructifier des affaires dans le reste du Pakistan et ils ne s’en privent pas.

Les sept agences tribales fédérales forment avec six Régions frontières les zones tribales administrées par le pouvoir fédéral, en anglais les Federally Administered Tribal Areas (FATA). Ce terme officiel de Régions frontières peut prêter à confusion. Il ne s’agit pas de régions frontalières avec l’Afghanistan, mais de régions contiguës aux agences tribales fédérales et insérées dans des districts normaux du Khyber-Pakhtunkhwa. Ces Régions frontières forment une ceinture tribale discontinue, collée à celle continue des agences tribales fédérales. Créées après l’indépendance du Pakistan, elles sont administrées par les hauts fonctionnaires responsables des districts adjacents du Khyber-Pakhtunkhwa. Les lois nationales ne s’y appliquent pas sauf si le président de la République le décide. Un député les représente à l’Assemblée nationale.

Il existe aussi des agences tribales administrées par la province du Khyber-Pakhtunkhwa (Provincially Administered Tribal Areas – PATA) regroupées au sein de la division administrative de Malakand. La charia a été momentanément appliquée dans son intégralité en 2008 dans quelques districts, notamment celui de Swat, mais les autorités ont été contraintes d’y mettre fin l’année suivante à cause des ambitions des radicaux islamistes qui voulaient consolider et étendre leur influence dans d’autres parties de la province. Dans certains endroits la charia continuerait en fait d’être appliquée.

L’enseignement dispensé dans les écoles publiques et privées est souvent sectaire. Les "madrassas", fort nombreuses, ne dispensent pour la plupart qu’un enseignement religieux et certaines forment des fanatiques.

Le gouvernement provincial tente de réduire les spécificités de ses agences tribales. De fait, le gouverneur, représentant le président de la République, décrète dans la plupart des cas que les lois votées au niveau fédéral s’y appliquent. Mais cela n’a rien d’automatique, car la législation nationale ne s’étend pas aux agences tribales provinciales, soumises aux mêmes règles que les agences tribales fédérales.

L’essentiel de la population pachtoune se trouve dans la province du Khyber-Pakhtunkhwa, appelée Province Frontière du Nord-Ouest jusqu’en 2010. C’est la plus petite province pakistanaise. L’éducation reste un domaine négligé, 44 % de la population étant analphabètes. L’enseignement dispensé dans les écoles publiques et privées est souvent sectaire. Les madrassas, fort nombreuses, ne dispensent pour la plupart qu’un enseignement religieux et certaines forment des fanatiques. Le secteur de la santé demeure insuffisamment développé.

Le Nord du Baloutchistan est peuplé essentiellement de Pachtouns, de même que Quetta, la capitale provinciale. Les Pachtouns représenteraient au moins 40 % de la population de la province, voire plus de 50 % selon certains, si l’on inclut les réfugiés afghans. La tension est vive entre les Pachtouns et les Baloutches qui craignent de ne plus être majoritaires dans leur province.

Quelles sont les ressources ? Les régions pachtounes ne sont pas dépourvues de ressources. Les zones tribales possèdent des pierres précieuses et semi-précieuses. Le marbre se trouve dans les zones tribales et au Khyber-Pakhtunkhwa. Des minerais divers sont exploités. Mais les zones tribales ne sont pas auto-suffisantes sur le plan alimentaire. La province du Khyber-Pakhtunkhwa ne l’est pas non plus ; elle doit notamment importer du blé. Elle est, par ailleurs, faiblement industrialisée. Sa capitale, Peshawar, décline. Le développement du réseau routier dans les zones tribales a parfois été entravé par l’opposition des maliks qui craignaient des influences extérieures susceptibles de remettre en cause leur autorité et leurs privilèges.

Le potentiel hydroélectrique des agences tribales est faible. Quelques barrages de modeste dimension ont été érigés sur des affluents de l’Indus et d’autres le seront. Le Khyber-Pakhtunkhwa offre de belles possibilités d’aménagement de structures hydrauliques. Le plus grand barrage du pays a été édifié à Tarbela, sur l’Indus. Il sert à la production d’électricité et à l’irrigation. Une autre grande infrastructure à finalité uniquement hydroélectrique a été construite un peu plus en aval de Tarbela ; il s’agit du complexe de Ghazi-Barotha. Un autre très grand barrage doit être érigé sur l’Indus encore, mais plus en amont de Tarbela. Dénommé Basha-Diamer, il se trouvera à la jonction, mal définie entre le Khyber-Pakhtunkhwa et le Gilgit-Baltistan. L’enjeu est considérable, car la province où se trouve la centrale perçoit des redevances (royalties).

L’armée apporte sa contribution au développement des agences tribales fédérales, ce qui marginalise les élus locaux, lesquels manifestent leur mécontentement.

Pachtouns sont mal aimés. Les insurrections islamistes radicales ont forcé de nombreux Pachtouns à quitter les zones tribales et la province du Khyber-Paktunkhwa. Ils n’ont pas toujours été bien reçus dans les autres provinces pakistanaises. Le Pendjab, le Sind et le Baloutchistan sont réticents à accueillir des Pachtouns. Ces provinces craignent que des criminels et des terroristes se glissent dans les rangs de ces migrants. Par ailleurs, ces nouveaux venus prennent le travail des locaux. De plus, le Baloutchistan ne veut pas voir grossir le nombre de Pachtouns qui pourraient dominer, numériquement, les Baloutches autochtones. A Karachi, la situation est tendue entre mohajirs et Pachtouns ainsi qu’entre Sindis et Pachtouns ; elle provoque des meurtres.

Parmi les forces de sécurité figurent des unités paramilitaires dont la plupart ont été créées à l’époque britannique. La plus importante est le Frontier Corps, dont les effectifs atteignent 65 000 hommes et qui opère dans les zones tribales. L’armée de terre est aussi présente. Un corps d’armée est stationné au Khyber-Pakhtunkhwa. Sa zone d’action s’étend aux zones tribales. Des renforts lui ont été envoyés pour conduire des opérations contre les militants islamistes radicaux.

Va-t-on vers un remodelage de la carte politique ? De nombreux Pachtouns souhaitent des réformes. La carte politique du pays pourrait en être modifiée. Quatre options ont fait l’objet de débats : fusion des agences tribales dans la province du Khyber-Pakhtunkhwa, octroi de statut de province à part entière pour ces agences avec inclusion éventuelle des Régions frontières, statut de relative autonomie semblable à celui du Gilgit-Baltistan ou maintien du statu quo. Une commission créée le 8 novembre 2015 a rendu son rapport le 25 août 2016 qui recommande l’intégration progressive des agences tribales dans le Khyber-Pakhtunkhwa. Cette recommandation recueille beaucoup d’adhésions. Mais deux formations politiques importantes s’y opposent et bloquent le processus, le Jamiat Ulema-e-Islam (Fazl) et le Pakunkhwa Milli Awami Party qui revendiquent une province séparée.

Certains Pachtouns préconisent le regroupement de toutes les régions peuplées de Pachtouns, c’est-à-dire le nord du Baloutchistan, les agences tribales fédérales, les Régions frontière et le Khyber-Pakhtunkhwa. Cette nouvelle et grande province pachtoune aurait une superficie voisine de celle du Baloutchistan tronqué. Mais le gouvernement fédéral comme le gouvernement provincial du Baloutchistan refusent catégoriquement une telle solution.

Le rattachement des agences tribales fédérales a été approuvé par le gouvernement le 2 mars 2017. Mais rien ne s’est concrétisé, par manque de volonté politique, à cause de l’instabilité générale et de la proximité des prochaines élections législatives prévues dans le courant de l’été 2018.

Quoi qu’il en soit, le maintien du statu quo n’est guère tenable.


P. V : Quels sont les impacts des guerres successives depuis 1979 sur la question pachtoune et les aspects internationaux du « problème » pachtoun ?

A. L : Les Pachtouns se sont trouvés au centre des guerres qui ont troublé depuis 1979 l’Afghanistan et le Pakistan. Ils ont été et sont à la fois des acteurs et des victimes. Ils constituent le groupe de réfugiés le plus important au monde. Les ambitions nationalistes de Kaboul et d’Islamabad pourraient remodeler la carte politique de la région. Elles peuvent être favorisées ou contrecarrées par des puissances voisines et lointaines qui ont des intérêts majeurs dans cette partie du monde. Le problème pachtoun pourrait se trouver au centre des préoccupations mondiales.

Quid de l’idée d’un grand Afghanistan ? Aucun gouvernement afghan, pas même celui des taliban pourtant soutenu et reconnu par le Pakistan, n’a reconnu la ligne Durand comme frontière internationale. L’Afghanistan fut le seul pays à voter contre l’admission du Pakistan nouvellement créé à l’ONU en 1947. Mais son opposition fut de courte durée.

Les deux pays ont à diverses reprises encouragé des insurrections chez l’adversaire.

Pour les autorités de Kaboul, la véritable frontière orientale de l’Afghanistan se situe sur le fleuve Indus. Le Pakistan considère que la ligne Durand est une véritable frontière internationale. Les deux pays ont à diverses reprises encouragé des insurrections chez l’adversaire. La frontière a été souvent fermée. Les relations diplomatiques ont même parfois été rompues.

Les Indiens n’ont jamais exprimé officiellement leur position à l’égard de la ligne Durand. Peut-être ont-ils perçu la tiédeur des Pachtouns pakistanais qui ne manifestaient aucune intention de se rapprocher de l’Afghanistan. Ils ont aussi été déçus de la passivité des Afghans lors des conflits indo-pakistanais, car des gesticulations militaires à l’ouest de la ligne Durand auraient contraint les Pakistanais à maintenir des troupes suffisamment nombreuses sur ce front.

Pendant leur occupation de l’Afghanistan, les Soviétiques ont soutenu les prises de position afghanes à propos des régions pachtounes pakistanaises. Mais les ambitions nationalistes des Pachtouns à l’est de la ligne Durand, indéniables au moment de la création du Pakistan, s’étaient estompées.

Les avis des juristes divergent sur la validité de la ligne Durand. Mais le fait est que ni Kaboul ni Islamabad n’ont sollicité l’avis des Nations unies. En Afghanistan, les Pachtouns doivent faire face à d’énormes difficultés pour survivre et les revendications territoriales ne constituent pas pour eux une priorité. De plus les minorités ethniques du pays ne sont d’aucun recours, car un grand Afghanistan signifierait pour eux une marginalisation plus grande. La revendication de Kaboul est aujourd’hui relativement mise en sourdine, mais demeure.

Quid de l’idée d’un grand Pakistan ? Une incorporation des provinces pachtounes afghanes, souhaitée officiellement il y a quelques décennies par des hommes politiques pakistanais, pourrait être facilitée par les taliban si ceux-ci recevaient en échange des postes ministériels importants à Islamabad et s’ils pouvaient imposer la charia, au moins dans les régions pachtounes. D’ores et déjà, une influence pakistanaise se manifeste dans les provinces pachtounes afghanes dans les domaines économique et éducationnel.

Il existe aussi l’idée d’un grand Pachtounistan indépendant. Le sentiment d’appartenir à une seule et même communauté favorise un éventuel rapprochement politique entre les régions pachtounes afghanes et pakistanaises. Une sécession des minorités ethniques du nord de l’Afghanistan favoriserait une éventuelle fusion de toutes les régions pachtounes qui pourraient alors former un Pachtounistan indépendant qui rendrait la ligne Durand sans objet. Certaines tribus y sont favorables. Des jirgas rassemblent des Pachtouns afghans et pakistanais pour régler des problèmes fonciers.

Le contexte conduit à des migrations internationales des Pachtouns. C’est l’arrivée de troupes soviétiques en Afghanistan fin 1979 qui a déclenché des mouvements de réfugiés, essentiellement pachtouns, au Pakistan, en Iran et ailleurs dans le monde. Les troubles qui ont agité l’Afghanistan après le départ des Soviétiques en 1989 ont engendré de nouvelles migrations qui se poursuivent toujours. Le Pakistan s’inquiète d’infiltrations des taliban parmi les réfugiés et du coût financier pour venir en aide à ces nouveaux venus. Les réfugiés sont accusés d’accroître la criminalité et d’occuper des emplois au détriment des locaux, car ils se contentent de salaires de misère.

Le nombre de réfugiés afghans au Pakistan est estimé à 3 millions, dont au moins un million non enregistrés. Ces chiffres n’ont guère varié au fil des ans. Certains, en faible nombre, ont rejoint leur pays, mais d’autres Afghans sont arrivés. Dans ces communautés de réfugiés, les naissances ont été nombreuses et le restent. Les jeunes ignorent le pays de leurs parents ; ils n’ont connu que le pays d’accueil. Le Pakistan ne les reconnaît pas comme des citoyens. Ce sont donc des apatrides. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés s’oppose à tout rapatriement forcé. Mais les mauvaises relations entre l’Afghanistan et le Pakistan incitent ce dernier à durcir ses positions. Certes, Islamabad effectue rarement des rapatriements forcés, mais se montre réticent à prolonger la validité des cartes de séjour ; il le fait au dernier moment et pour des durées courtes. Les réfugiés se retrouvent sous pression, incertains de leur sort.

L’Iran a aussi accueilli des Afghans, de préférence des Hazaras chiites, mais aussi des Pachtouns sunnites.

Des Afghans, surtout des Pachtouns, sont allés travailler au Moyen-Orient et continuent de le faire, sans leurs familles. D’autres, plus fortunés, ont rejoint avec femmes et enfants les pays européens, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande où ils se sont, en général, bien intégrés.

Les Pachtouns pakistanais émigrent, eux aussi, notamment au Moyen-Orient. Ce sont souvent des raisons économiques qui les poussent à rejoindre ces pays, en général pour des périodes courtes, mais renouvelables. Ils peuvent ainsi mieux subvenir aux besoins de leurs familles.

Quels rôles jouent les voisins et les grandes puissances ? L’Iran chiite s’oppose à la création d’un grand Afghanistan, d’un grand Pakistan ou d’un Pachtounistan indépendant, car le sunnisme serait renforcé. Mais il ne dédaignerait pas, en cas de dislocation de l’Afghanistan, d’incorporer les régions persanophones et chiites de ce pays, notamment le Hazarajat, ce qui lui donnerait accès à l’Asie centrale. Pour accéder à cette même région qui l’intéresse pour des raisons économiques (importation d’électricité à partir du Tadjikistan), le Pakistan doit se concilier les bonnes grâces des provinces pachtounes afghanes.

L’URSS s’intéressait à l’Afghanistan bien avant l’arrivée de ses troupes en 1979. Elle avait soutenu les prises de position afghanes contre le Pakistan au sujet du sort des régions pachtounes. La récupération par l’Afghanistan de ces régions aurait facilité son accès à l’océan Indien et affaiblit le Pakistan, allié des Etats-Unis. Aujourd’hui, les Russes n’ont plus le même intérêt pour la région afghano-pakistanaise puisqu’ils ont perdu l’Asie centrale. Cependant, ils ne veulent à aucun prix que les mouvements islamistes s’y développent, car certains d’entre eux entretiennent des projets néfastes, notamment au Caucase.

Les Etats-Unis, quant à eux, ne souhaitent aucune modification de la carte politique de la région. Ils soutiennent la thèse pakistanaise selon laquelle la ligne Durand constitue une véritable frontière, ce qui a contrario mécontente les autorités afghanes. Néanmoins, un sentiment anti-américain prévaut au Pakistan, notamment à cause des attaques de drones dans les zones pachtounes et des admonestations incessantes de Washington qui reproche à Islamabad une implication insuffisante dans la lutte contre les taliban et les autres mouvements islamistes radicaux.

La Chine s’intéresse aux régions pachtounes afghanes et pakistanaises parce que les militants de l’Organisation de libération du Turkestan s’y entraînent avec les taliban. De plus, la drogue en provient. La Chine s’implique de plus en plus en Afghanistan. Elle fournit une aide économique et quelques équipements aux forces de sécurité. Le corridor économique Chine-Pakistan, un vaste programme de développement lancé par Pékin entre Kashgar et Gwadar, concernera en partie le Khyber-Pakhtunkhwa, surtout si des axes routier et ferroviaire nord-sud sont construits à l’ouest de l’Indus. Le maintien des frontières actuelles convient parfaitement à Pékin qui naturellement n’aurait aucun intérêt à voir naître un Pachtounistan radicalisé qui serait un obstacle insurmontable pour la réalisation du corridor économique. Les relations étroites avec le Pakistan assurent à la Chine d’intéressantes perspectives économiques et sécuritaires. Présente au Pakistan, elle nargue l’Inde. Celle-ci développe ses relations politiques, économiques et militaires avec l’Afghanistan au grand dam du Pakistan. New Delhi entretient des sympathies avec les Pachtouns avec lesquels elle entretient des liens grâce à ses consulats de Jalalabad et Kandahar.

Les grandes organisations internationales accordent des aides à l’Afghanistan et au Pakistan. Les régions peuplées de Pachtouns en bénéficient largement. L’Union européenne, ses pays membres, les Etats-Unis et le Japon figurent parmi les plus grands donateurs des deux pays, mais une bonne partie des fonds octroyés sont détournés par des intermédiaires corrompus ou mal utilisés du fait de lourdeurs administratives dans les pays receveurs. Grâce au projet de corridor économique devant relier le Xinjiang au Baloutchistan, la Chine se montre très présente au Pakistan. Son action porte sur la construction de routes et d’infrastructures hydrauliques. Sur les chantiers travaillent de nombreux Chinois. Par ailleurs, des commerçants chinois commencent à s’installer le long de la Karakoram highway qui traverse le Gilgit-Baltistan et le Khyber-Pakhtunkhwa. En Afghanistan, la Chine s’intéresse à l’exploitation de mines et pourraient construire certaines voies ferrées. L’Inde consolide sa présence en Afghanistan en réalisant des routes, des bâtiments publics et des infrastructures hydroélectriques.

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. Alain Lamballe, "Les Pachtouns. Un grand peuple sans pays", Versailles, VA Press, 98 Boulevard de la Reine, 78000 Versailles, 320 pages, 38 euros.

4e de couverture

Alain Lamballe, "Les Pachtouns. Un grand peuple sans pays", Versailles, VA Press
Ce livre nourri d’une solide expérience du terrain est sans aucun équivalent en français et en anglais.
VA Press

Les Pachtouns défraient la chronique parce qu’ils constituent le noyau dur de l’insurrection pachtoune qui secoue l’Afghanistan et le Pakistan. Chez les Pachtouns, l’idéologie prime sur le sentiment nationaliste. Celui-ci est en berne mais pourrait renaître.

Avec environ 50 millions de personnes, la communauté pachtoune, présente en Afghanistan et au Pakistan, est fractionnée par la ligne Durand définie à l’époque coloniale en 1893. En plein bouleversement politique, social et économique, elle préoccupe les États voisins ou proches, Chine, Iran, Ouzbékistan, Tadjikistan, Kirghizistan, Kazakhstan, Turkménistan et Inde ainsi que les grandes puissances extérieures à la zone, la Russie et les États-Unis en tout premier lieu. Les Pachtouns forment un grand peuple qui ne dispose pas d’un pays qui leur soit propre. Fiers de leur culture, ardents défenseurs de leurs valeurs, ils constituent plus de la moitié de la population de l’Afghanistan (20 millions et probablement 30 millions en 2050) et un peu moins de 17 % de la population du Pakistan (30 millions et sans doute plus de 50 millions en 2050). Ils impriment leur marque sur la politique dans ces deux pays. Certains d’entre eux ont exercé et exercent des fonctions politiques et militaires importantes aussi bien en Afghanistan qu’au Pakistan. C’est dans ce dernier pays que se trouve le centre de gravité de la communauté pachtoune.

Les Pachtouns ont connu un passé prestigieux. Ils ont un avenir prometteur bien qu’incertain, susceptible de modeler l’Asie méridionale et centrale.

Pour réaliser cet ouvrage, l’auteur a puisé dans son expérience sur le terrain, dialogué avec des personnalités pachtounes de divers milieux et analysé des documents de première main.

L’auteur : Alain Lamballe, général de brigade (cadre de réserve) est géopolitologue spécialisé sur l’Asie du Sud où il a vécu six ans et demi et où il se rend régulièrement. Il est docteur en sociologie politique et diplômé en hindi de l’université de Delhi et d’hindi et d’ourdou de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales. Saint-Cyrien, il est membre d’Asie 21, de la Société d’histoire générale et d’histoire diplomatique et de l’Académie des sciences d’outre-mer.

Le préfacier, Pierre Lafrance, ancien ambassadeur de France en Iran et au Pakistan, est un éminent spécialiste du monde musulman.

L’ouvrage offre au lecteur une étude complète sur les Pachtouns, leur histoire, leur espace géographique, leur société et leurs aspirations politiques. Il présente plusieurs scénarios possibles sur l’avenir de la région qu’ils occupent en Afghanistan et au Pakistan.

Le livre d’Alain Lamballe, Les Pachtouns. Un grand peuple sans pays, Versailles, VA Press sur le site de l’éditeur

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| Dernière mise à jour le samedi 16 mars 2024 |