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Trump-Poutine : quelles relations ? Entretien avec R. Genté

Par Pierre VERLUISE, Régis GENTE*, le 13 septembre 2025.

Peu avant l’élection présidentielle du 5 novembre 2024 remportée par Donald Trump, Régis Genté publiait un livre enquête à propos de plusieurs décennies de relations entre l’URSS puis la Russie et D. Trump : « Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes », éd. Grasset 2024.

Presque un an après le retour de D. Trump à la Maison Blanche, comment les faits ont-ils contesté ou confirmé ou bien nuancé sa compréhension de ce sujet si central pour l’avenir immédiat du monde et plus particulièrement de l’Europe ? De façon assez sportive, Régis Genté a accepté de répondre aux questions de Pierre Verluise pour Diploweb.com.

Pierre Verluise (P. V. ) : Régis Genté, un mois avant l’élection présidentielle américaine de novembre 2024 vous avez eu l’audace de publier «  Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes  », aux éditions Grasset. Avant d’en venir à ce qui s’est passé depuis, pouvez-vous nous rappeler le résultat de votre longue enquête quant à la nature des liens entre la Russie et Donald Trump du milieu des années 1970 à 2016, date de sa première élection à la présidence des Etats-Unis.

Régis Genté (R. G.) : J’en tire la conclusion que le faisceau d’indices d’une forme de collusion de D. Trump avec le pouvoir soviétique puis russe est énorme. Mais une sorte de collusion certes entretenue en achetant D. Trump d’une façon ou d’une autre, notamment en renflouant ses affaires immobilières et ses casinos au fil des ans via divers acteurs soviétiques puis russes qui y ont mis de l’argent, parfois très généreusement, qu’il s’agisse de mafieux rouges ou d’oligarques. Ce qui ne veut pas dire que Donald Trump est ou a été un « agent » des services de sécurité russes, parce qu’il n’aurait pas été rémunéré en tant que tel pour avoir rapporté du renseignement ou pour avoir effectué un travail d’influence. Selon plusieurs de mes sources, entre autres dans le renseignement américain, il aurait plutôt été un « contact confidentiel » du Kremlin et du KGB puis du FSB, selon le jargon de ces derniers. Autrement dit, l’énorme faisceau d’indices que j’évoque fait signe vers un Trump étant utilisé comme un compagnon de route du Kremlin, agissant certes parce qu’il a été « tenu » par les kagébistes, qui l’ont « cultivé » depuis quarante ans, notamment en lui permettant de rester à flot financièrement à des moments critiques pour ses affaires, comme en 2008 lorsqu’un milliardaire proche du Kremlin lui a fait faire une plus-value de 54 millions de dollars sur sa résidence de Palm-Beach, achetée par D. Trump quatre ans plus tôt et ce alors même que le marché immobilier californien n’avait pas bougé et que le propriétaire n’y avait fait aucun travaux d’aménagement significatif.

Dur avec les démocraties, bien tendre avec V. Poutine

Mais c’est aussi que l’ADN politique propre à D. Trump, son éducation politique disons sa vision du monde, aussi instinctive soit-elle, le portait à avoir de la sympathie pour l’URSS et la Russie. Que ce soit son peu d’amour pour la démocratie, sa fascination pour la puissance et les grands États, sa vision du monde où tout n’est que rapport de force… C’est tout cela qui m’a amené sur la fin de mon livre, dont le manuscrit a été achevé en juin 2024, à risquer quelques pronostics, comme le fait que s’il tentait d’imposer la paix en Ukraine ce serait à la faveur de Moscou ou qu’il allait vraiment s’employer dans son second mandat à faire muter le régime politique américain en un régime autoritaire… ce qui le conduirait aussi fondamentalement à rechercher une forme de légitimation de la part d’un Vladimir Poutine. Pour le moment, force est de constater que D. Trump pourtant si dur dans la négociation avec ses interlocuteurs, notamment les dirigeants politiques des démocraties libérales et des pays membres de l’OTAN, s’est avéré bien tendre avec V. Poutine. Il a tenté de faire capituler V. Zelensky et l’Ukraine… et rêve encore de le faire.

P. V. : De 2016 à septembre 2024, date de la publication de votre livre, «  Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes  », éd. Grasset 2024, quels sont les faits ou hypothèses qui éclairent le titre de votre ouvrage ?

R. G. : Le titre de mon ouvrage est inspiré d’un email envoyé par un des nombreux personnages interlopes dont je dresse le portrait, qui évolue entre les mondes russes de l’espionnage, de la criminalité et des affaires. Il s’agit en l’occurrence d’un email de Félix Sater, fils d’un mafieux russe exilé dans les années 1970 aux Etats-Unis, à Brighton Beach, qui avait travaillé avec D. Trump sur divers projets immobiliers et qui après l’avoir quitté s’était re-rapproché de lui en 2015 alors qu’il était candidat à la primaire républicaine pour la présidence américaine. Il explique alors à un de ses interlocuteurs dans l’administration présidentielle russe qu’il est désormais possible d’installer « notre homme à la Maison Blanche » et qu’il va tenter de convaincre V. Poutine de l’aider pour ce faire. Cela souligne en creux le fait que l’idée d’installer Trump à la tête des Etats-Unis n’est pas une idée de V. Poutine, ce n’est évidemment pas si simple. Mais que cela a été possible grâce à de multiples acteurs interlopes et puissants (du fait de leur impressionnant entregent, tant à Moscou qu’à Washington et ailleurs dans le monde) qui ont évolué autour de D. Trump depuis quatre décennies, comme Félix Sater.

P. V. : Comment qualifier présentement les relations Trump-Poutine ? Qui est le « mâle dominant » ?

R. G.  : Je crois que c’est Poutine le « mâle dominant ». Il fait avaler d’incroyables couleuvres à D. Trump sur le dossier ukrainien. Au point que ce tonitruant président de la première puissance mondiale répète à l’envi en public depuis plusieurs mois que V. Poutine est impossible, que peut-être il le « balade », etc.

Par ailleurs, je crois qu’en France on sous-estime le projet de D. Trump d’établir un régime autoritaire aux Etats-Unis, vieux projet que j’ai tenté de raconter dans mon livre en insistant sur ces juristes qu’il avait placé à la Cour Suprême lors de son premier mandat et qui pour certains d’entre eux partagent l’ambition de réinterpréter l’article 2 de la Constitution américaine afin de pouvoir concentrer les pouvoirs dans les mains du chef de l’État. C’est pour moi une des principales raisons pour lesquelles Trump a besoin d’être « gentil » avec V. Poutine, c’est du moins une hypothèse qu’il faut travailler selon moi. Dans mes 24 ans de carrière comme journaliste couvrant l’actualité internationale, du monde post-soviétique essentiellement, j’ai souvent constaté combien n’importe quel dirigeant politique a besoin de se faire légitimer et de faire légitimer son régime politique sur la scène internationale, par ses pairs en ce qui concerne les régimes non-démocratiques.

Pour le reste, des témoignages, comme celui de la conseillère Russie de D. Trump pendant son premier mandat, Fiona Hill, montrent qu’il est peut-être moins fasciné par Poutine que désireux de l’imiter, notant l’efficacité selon lui de ses méthodes de communication et de gestion des dossiers. Cela le rend très sujet à l’influence de Poutine, comme le révèle le général McMaster dans son livre « At war with ourselves : My tour of duty in the Trump White House  » où il évoque par exemple l’entretien Trump – Poutine de 2017 à Hambourg (RFA) pendant lequel le président russe a manipulé son homologue en lui disant qu’après tout, ce qu’il tentait de faire en Ukraine, c’était d’avoir sa propre doctrine Monroe, comme les Etats-Unis le font depuis le XIXème siècle. L’argument ne pouvait que faire son chemin dans la tête de Donald Trump.

P. V. : Comment votre livre a-t-il été accueilli, notamment dans le monde des spécialistes du renseignement ?

R. G. : De son accueil dans le monde du renseignement, je n’en sais rien. D’une façon générale, chez les gens dont la profession les conduit à s’intéresser aux affaires internationales, et notamment aux Etats-Unis et à la Russie, j’ai pu noter qu’il était à minima utile d’avoir rassemblé en deux cents pages l’état du savoir dans ce dossier. A vrai dire, c’est pour cela que j’ai écrit ce livre. Je ne pouvais pas beaucoup le faire avancer, alors que des centaines de personnes de toutes sortes enquêtaient dessus depuis 2015 et l’ingérence russe dans la présidentielle américaine. Il me semblait important de mettre les choses au clair, de mettre à plat ce que l’on savait et de bien souligner les enjeux qui en découlent. Avant de me lancer, je constatais chez moi et chez les spécialistes de la Russie et des Etats-Unis une vraie méconnaissance de ce dossier, parce qu’il est complexe, plein de tiroirs, que notre connaissance ne peut en être que partielle, les histoires de services secrets demeurant par nature largement secrètes, inconnues. Mais ce n’est pas parce qu’on ne dispose pas de preuves absolues, en ayant dans les mains par exemple le dossier du KGB/FSB sur Donald Trump, qu’il ne faut pas écrire dessus, mettre bout à bout les indices et éléments de preuve. Inutile de rappeler ici l’importance du sujet, les enjeux dont il est porteur.

P. V. : Régis Genté, tout livre fixe une compréhension à un moment T et peut être pris à contrepied par la suite des événements… ou pas. Depuis son élection le 5 novembre 2024, et plus encore depuis son retour à la Maison Blanche le 20 janvier 2025, quels sont les faits qui questionnent ou nuancent votre analyse, et les faits qui confortent votre compréhension ? Quels sont les moments et les dossiers clés ?

R. G. : Il me semble que mon livre n’a pour l’essentiel pas été démenti. A part de vagues promesses de sanctions et de mesures de rétorsion, D. Trump s’est montré bien « mou » à l’égard de Vladimir Poutine. Au point de devoir reconnaître publiquement à plusieurs reprises que peut-être son homologue russe le « balade », se comporte mal, noie l’Ukraine dans le sang parfois au moment même où D. Trump l’engage à accepter des cessez-le-feu… La scène historique de la tentative d’humiliation de Volodymyr Zelensky dans le bureau ovale de la Maison Blanche le 28 février 2025 n’avait pour but que de le forcer à capituler. Cela n’a pas été possible ensuite pour plusieurs raisons, entre réaction de Zelensky et des Européens et état de l’opinion américaine quant à la guerre en Ukraine, sur fond d’élections de midterms qui se dessinent en 2026. On ne peut que s’étonner que celui qui se prétend le meilleur négociateur du monde, a entamé la discussion en disant ultra-pressé de conclure un deal , ce qui est de facto une façon de se mettre en position de faiblesse dans la discussion. Être pressé par le temps vous met ipso facto dans une position de faire des concessions. Faut-il rappeler le 15 août 2025 les applaudissements de D. Trump accueillant V. Poutine sur le Tarmac en Alaska (Etats-Unis) ? Il s’agit d’un comportement peu protocolaire qui est peut-être un indice de la nature du rapport de force dominé-dominant.

Etats-Unis, Alaska, Anchorage, 15 août 2025 : D. Trump accueille V. Poutine en l’applaudissant
Capture écran LCI, 15 août 2025.

Je m’étonne que D. Trump n’utilise pas davantage les cartes qu’il a en main pour faire plier V. Poutine, à savoir les sanctions et la livraison d’armes à l’Ukraine. Il aurait au moins pu demander à ses équipes de formuler dans le détail des propositions afin que le Kremlin se dise que Washington est prête à passer à l’acte. Je ne parle là que de faire plier Poutine pour obtenir un modeste cessez-le-feu, un arrêt des frappes, sans parler d’infliger une défaite à la Russie. Mais même pour cela, il a à peine esquissé une politique menaçante. Mes sources à Moscou me disent pourtant que le Kremlin est très soucieux de ne pas trop irriter Trump, parce que les sanctions font mal et qu’un accroissement de la livraison d’armes à l’Ukraine, notamment de missiles de longue-portée, rendrait les choses très complexes sur le front. L’économie russe souffre. Le « fonds de bien être national » - le fonds souverain qui soutient l’effort de guerre - qui a permis de ne pas puiser dans la poche de M. tout le monde en Russie, et donc de conserver une forme de soutien moral à la guerre, est par exemple quasi épuisé. Il était de 114 milliards de dollars début 2022, il devrait s’épuiser en 2026. La situation générale, économique et militaire, où la Russie à a minima perdu 220 000 hommes - je prends les hypothèses les plus basses - font pourtant que D. Trump avec les atouts qu’il a en main pourrait faire bien plus pour contraindre V. Poutine à négocier. La vraie question est donc : pourquoi le tonitruant Donald Trump, si prompt à imposer de lourds droits de douanes aux démocraties libérales et se montrant menaçant à l’égard du Canada, du Mexique ou du Danemark, se montre-t-il si timoré à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine ? Ma réponse, sur fond de plein de questionnements et d’incertitudes, est un ensemble de quatre raisons :

. 1. Trump a été « cultivé » depuis les années 1970 par le KGB/FSB et le Kremlin. Il est «  tenu  » notamment par des flux d’argent russe qui ont circulé dans ses projets immobiliers et ses casinos et sont venus le renflouer à certains moments critiques ;

. 2. Son ADN politique personnel, sa vision du monde, font de lui quelqu’un de plus défiant à l’égard de démocraties européennes que des régimes autoritaires ou illibéraux de MM. Poutine, Orban, Bolsonaro ou de Nayib Bukele, le président du Salvador dont D. Trump fait des éloges répétés ;

. 3. Je crois qu’il est capital d’avoir en tête que D. Trump veut changer la nature du régime politique des Etats-Unis, ce qu’il a déjà esquissé lors du premier mandat par ses nominations à la Cour Suprême et en s’entourant de juristes comme William Barr, avec qui il s’est ensuite fâché le concernant, qui veulent réinterpréter l’article 2 de la Constitution américaine qui façonne l’exécutif américain et ainsi pouvoir concentrer les pouvoirs dans les mains du chef de l’État. Ce qui l’obligerait ensuite sur la scène internationale à être légitimé par ses pairs « dirigeants autoritaires » ;

.4. Trump n’aime pas la guerre semble-t-il et nourrit probablement une crainte de voir Poutine employer par exemple des armes nucléaires tactiques. Je n’ai pas l’information, mais entre les lignes de ce qui a été dit après la rencontre bilatérale en Alaska du 15 aout 2025 j’ai tendance à penser que V. Poutine a dû lui faire comprendre que si son armée et son régime se trouvaient en difficulté sur le front ukrainien, alors il recourrait à l’arme nucléaire. Je raconte dans mon livre cet épisode de 1984 où le jeune entrepreneur immobilier new-yorkais a voulu s’imposer comme négociateur en chef de l’administration Reagan pour le désarmement nucléaire, et où l’on voit que cette question l’effraie et le travaille.

P. V. : Quels sont les objectifs principaux de V. Poutine à l’égard de l’Europe géographique – y compris donc les marges de la Russie ? Que veut-il faire du lien entre les Etats-Unis et l’Union européenne ?

R. G. : Je crois que comme pour tout dirigeant politique, la politique étrangère de V. Poutine est guidée par des impératifs de politique intérieure. Or, la Russie demeure largement ouverte, ce n’est pas la Chine avec son « great firewall » de l’Internet. V. Poutine craint donc la contagion démocratique, quoi qu’on mette sous cette expression, comme ses prédécesseurs l’ont fait au XIXème ou au XXème siècles. Combien de fois la Russie est-elle intervenue contre les « printemps » des peuples : en 1848 en Valachie et en Hongrie, en 1956 à Budapest, en 1968 en Tchécoslovaquie, en 2015 en Syrie… En conséquence, l’objectif de Poutine est d’abord de se défendre contre ce risque, en provenance de l’Europe. Donc son objectif est d’affaiblir au possible l’Europe et l’ OTAN, peut-être comme je le pensais et le disais dès 2014, lorsque débute la crise en Ukraine, en provoquant une crise larvée dans les pays baltes. « Larvée » pour ne pas provoquer un affrontement direct avec l’ OTAN et semer le trouble et la division chez les alliés de l’OTAN. Ce qui est déjà bien parti avec les déclarations de D. Trump sur l’ OTAN, produisant de la méfiance voire de la défiance.

P. V. : Quels sont les dirigeants de l’Union européenne qui ont le mieux compris les intentions de V. Poutine ?

R. G. : En cette matière, il faut bien prendre garde aux postures faites pour la TV et la réalité des positions prises. Souvent, nous comprenons mal la Russie parce que nous pensons encore comme des Occidentaux, comme si au fond Poutine pensait selon notre rationalité. Souvent, je relis et conseille de relire par exemple le « long télégramme » diplomatique de George Kennan [1], de 1946, dans lequel il explique pourquoi un régime comme celui de l’URSS ou de la Russie ne peut pas faire la moindre concession… pour des raisons qui tiennent à la nature profonde du régime en place à Moscou.

P. V. : Depuis la deuxième élection de D. Trump le 5 novembre 2024 beaucoup de dirigeants européens semblent réduits à tenter de le manier en flattant son égo dans l’espoir d’obtenir des promesses de garanties américaines pour l’UE via l’OTAN. Quitte à jeter des milliards d’euros dans des achats d’armements américains qui pourraient être ultérieurement désactivés à distance par des engagements juridiques contraignants ou l’actualisation de leurs logiciels. Pour vous, quelle serait pour l’UE la meilleure façon de faire face à cette étrange alliance entre Poutine-Trump ? Dans ce contexte, cela a-t-il encore du sens de parler de « l’Occident », c’est-à-dire d’une alliance à la fois passée, présente et possiblement future entre les Etats-Unis et l’Union européenne ?

R. G. : La meilleure manière de faire face à cette étrange alliance entre Trump et Poutine, c’est de prendre nous-même pleinement en charge notre sécurité. Dans un monde multipolaire tel que nous le voyons se dessiner sous nos yeux depuis une grosse dizaine d’années, on ne peut faire confiance à personne. Donc il faut davantage prendre en charge notre sécurité, en s’alliant avec d’autres, les Européens au premier chef. Manifestement, l’année 2024 a été importante en ce sens avec la prise de conscience sur le vieux continent, au sein de l’armée française par exemple, du risque de confrontation directe avec la Russie dans la décennie qui vient. Cela demande aussi de la flexibilité intellectuelle et politique et une connaissance fine du jeu des acteurs pour nouer des relations et des partenariats avec eux aussi solides que possible, sachant que par essence un monde multipolaire est un monde mouvant.

P. V. : D’ici la fin du deuxième mandat de D. Trump, quels sont les sujets à suivre avec attention pour savoir si D. Trump s’émancipe de la main des Russes ?

R. G. : Le jour où D. Trump ne se contentera plus de vagues menaces mais demandera à ses équipes de formuler des propositions très concrètes de sanctions et de livraisons d’armes à l’Ukraine marquera une inflexion. Et surtout lorsqu’il passera à l’acte… quitte à se rétracter ensuite si V. Poutine réagit comme attendu. Lorsqu’il imposera réellement des droits de douanes lourds contre les pays qui achète du pétrole russe. Lorsque par ailleurs il cessera, avec son émissaire Steve Witkoff, de croire qu’il suffit de donner à V. Poutine quelques bouts du territoire du Donbass et des régions de Kherson et de Zaporijia pour le calmer. Depuis le mois d’août 2025, on sent que D. Trump a commencé à bouger dans ses positions. Par exemple en imposant à V. Poutine en Alaska la question des garanties de sécurité à fournir à l’Ukraine. Cela a forcé V. Poutine à évoquer lui-même cette question pour la première fois, sans cependant céder sur le fond. Mais on sent que quelque chose est peut-être en train de bouger. Lors de son élection en novembre 2024, mes contacts à Kiev me disaient qu’ils plaçaient leur espoir dans le fait que V. Poutine serait si inflexible et si intransigeant que cela forcerait à terme D. Trump à renier ses positions « prorusses » initiales, parce que lui aussi doit satisfaire à ses impératifs de politique intérieure. A suivre…

Manuscrit clos le 10 septembre 2025.

Copyright Septembre 2025-Genté-Verluise/Diploweb.com


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. Régis Genté, «  Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes  », éd. Grasset, 2024.

4e de couverture
Le 5 novembre prochain (2024), Donald Trump sera de nouveau candidat à la présidence des Etats-Unis. Or il semblerait que l’homme soit depuis des décennies sous l’influence de Moscou. La première puissance occidentale sera-t-elle bientôt dirigée par un président « tenu » par une Russie en plein bras de fer avec l’Occident ?
Dans les années 1970, le KGB constate son retard dans le recrutement de sources. Aux Etats-Unis, il repère puis cultive un jeune développeur immobilier new yorkais ambitieux et sans scrupules : Donald Trump. Une cible toute désignée pour en faire un agent d’influence, objectif probablement atteint lors d’un premier voyage à Moscou, en 1987. A son retour, Trump prend des positions publiques critiquant l’OTAN, tout à fait dans la ligne du Kremlin.
Les services russes lui apportent des soutiens financiers discrets mais salutaires, par une ribambelle de mafieux soviétiques, d’espions et d’oligarques. Tous soutiennent Trump, souvent sans que l’intéressé comprenne les raisons de cette sollicitude. A chaque fois qu’il frôle la faillite, de généreux mafieux achètent des appartements dans ses Trump Towers ou investissent dans ses projets immobiliers. Ces sauvetages occultes laissent des traces d’argent russe, notamment à travers le rôle trouble de la Deutsche Bank.
L’incroyable campagne électorale de 2016 confirme les soupçons d’accointance du candidat avec le Kremlin : membres de son entourage en contact étroit avec les Russes, financements douteux, plus-value de 56 millions de dollars sur la vente de sa demeure à Palm Beach à l’oligarque Dmitry Rybolovlev, piratage de milliers d’emails de la candidate Hillary Clinton, etc. De fait, le président Trump se montre conciliant avec Moscou : il flatte Poutine, réitère sa volonté d’anéantir l’OTAN, prend des positions illibérales… La campagne actuelle va dans le même sens, Trump se déclarant prêt à cesser tout soutien à l’Ukraine.
A travers de solides recherches documentaires et des interviews sur le terrain, Régis Genté passe au crible les nombreux indices qui tendent à prouver que Trump est l’homme des Russes. Avec son élection, Poutine peut espérer l’arrêt du soutien américain à Kiev. Il en découlerait une victoire russe en Ukraine aux conséquences incalculables pour le monde libre. Si Trump est l’homme des Russes, il pourrait bien être le fossoyeur de l’Occident démocratique.

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Journaliste, Régis Genté a été basé à Tbilissi (Géorgie) de 2002 à 2025, période pendant laquelle il a été correspondant pour l’ancien espace soviétique de RFI, France 24, Le Figaro et de nombreux autres médias français. Désormais installé à Paris, il chronique et analyse l’actualité de sa région de prédilection professionnelle pour diverses chaînes de télévision et plusieurs médias écrits. Il écrit pour plusieurs centres de recherches comme l’Institut français des relations internationales (IFRI), notamment sur les « élites » et cercles dirigeants post-soviétiques, les conflits, la géopolitique ou les questions énergétiques. Il est l’auteur de cinq livres dont « Volodymyr Zelensky - Dans la tête d’un héros » (co-écrit avec Stéphane Siohan, publié chez Robert Laffont, 2022 puis Pocket, 2023), traduit en treize langues. Le dernier livre de Régis Genté s’intitule « Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes » (Grasset 2024).
Propos recueillis par Pierre Verluise, docteur en géopolitique de l’Université de Paris IV – Sorbonne, Pierre Verluise est fondateur du premier site géopolitique francophone, Diploweb.com. Auteur ou co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages sur la géopolitique de l’Europe et la géopolitique mondiale.

[1Cf. France culture, Le télégramme Kennan, 7 décembre 2015. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-la-guerre-froide/episode-14-le-telegramme-kennan-4091502 Extrait de la présentation du podcast : « En février 1946, Georges F. Kennan diplomate américain en poste à Moscou envoie un long télégramme à sa hiérarchie. La longueur de ce message dans un échange de routine s’explique par son désir de pointer l’incompréhension de l’administration américaine toujours indécise face à l’URSS. Appuyant sur l’esprit du Kremlin et les raisons de son expansionnisme il suggère les réformes de la politique américaine qui amèneront quelques semaines plus tard à la politique de containment édictée par le président Truman destinée à contenir l’influence soviétique. »


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Citation / Quotation

Auteur / Author : Pierre VERLUISE, Régis GENTE

Date de publication / Date of publication : 13 septembre 2025

Titre de l'article / Article title : Trump-Poutine : quelles relations ? Entretien avec R. Genté

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Peu avant l’élection présidentielle du 5 novembre 2024 remportée par Donald Trump, Régis Genté publiait un livre enquête à propos de plusieurs décennies de relations entre l’URSS puis la Russie et D. Trump : « Notre homme à Washington. Trump dans la main des Russes », éd. Grasset 2024.

Presque un an après le retour de D. Trump à la Maison Blanche, comment les faits ont-ils contesté ou confirmé ou bien nuancé sa compréhension de ce sujet si central pour l’avenir immédiat du monde et plus particulièrement de l’Europe ? De façon assez sportive, Régis Genté a accepté de répondre aux questions de Pierre Verluise pour Diploweb.com.

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