Vidéo. J. Bueb et P. Durand La construction d’une puissance verte européenne : « Green Deal » ou « Greenwashing » ?

Par Amélie ANDRE, Julien BUEB , Pascal DURAND, le 6 octobre 2021  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Julien Bueb, docteur en sciences économiques, analyste au Haut Conseil pour le Climat et enseignant au sein de plusieurs universités et Pascal Durand, député européen au sein du groupe Renew Europe. Synthèse par Amélie André pour Diploweb.com

Qu’est-ce que l’European Green Deal, Pacte vert pour l’Europe ? Quels sont les enjeux et les outils de la construction du Green Deal européen ? Quelle application de cette nouvelle politique au sein de l’UE ? L’Europe : une puissance verte en devenir ? Ces questions déterminantes pour notre présent et notre avenir sont abordées de façon précise et utile au débat citoyen.

Conférence co-organisée par Diploweb.com et l’Association des Étudiants et Alumni du Master Relations Internationales et action à l’étranger de l’Université Panthéon-Sorbonne. Avec en bonus une synthèse de la conférence rédigée par Amélie André pour Diploweb.com.

Cette vidéo peut facilement être diffusée à la maison, en classe ou en amphi pour illustrer un cours ou un débat.

Synthèse par Amélie André pour Diploweb.com

Europe verte

Cette conférence [1] commence par présenter l’European Green Deal, Pacte vert pour l’Europe, désigne un ensemble d’objectifs, de politiques et d’actions mis en place par l’Union européenne (UE) afin d’atteindre à l’horizon 2050 la neutralité climatique, c’est-à-dire ne plus émettre de gaz à effet de serre. Proposé par la Commission Européenne, il a été voté au Parlement européen le 15 janvier 2020. Il suggère des initiatives et des paliers visant à atteindre progressivement la neutralité carbone de l’économie européenne. Le projet vise à être financé par un plan d’investissement de 1 000 milliards d’euros sur une décennie. Néanmoins, il suscite de nombreuses interrogations, notamment quant à la pertinence des actions adoptées, leur application au sein de l’espace communautaire et ce qu’il révèle de la puissance verte de l’UE.

L’enjeu principal concerne donc la capacité des politiques à pouvoir développer un modèle économique et social adapté aux enjeux

Les enjeux et les outils de la construction du Green Deal européen

Le Green Deal européen constitue une étape dans l’orientation de la construction européenne, qui vise à devenir plus verte et à prendre en considération, nécessités et urgences climatiques. Sa mise en place progressive soulève de nombreuses interrogations, notamment quant à la pertinence des outils, à la hauteur des enjeux et à la suffisance des ambitions. Pascal Durand rappelle tout d’abord que les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont nouveaux. Parmi eux figurent la gestion des ressources, la menace de la biodiversité. L’enjeu principal concerne donc la capacité des politiques à pouvoir développer un modèle économique et social adapté. Selon les estimations scientifiques réalisées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dont les scénarios sont parfois considérés comme trop optimistes, les températures moyennes pourraient augmenter entre 1°C et 4,5°C. Les conséquences de ce réchauffement sont nombreuses. Il souligne que le Green Deal mis en place par l’UE et les mesures l’accompagnant traduisent l’adoption d’une trajectoire générale. Les outils choisis sont notables : le système d’échange de quotas d’émission, la mobilité durable, ainsi que d’autres politiques existantes et adaptées aux ambitions telles que la Politique agricole commune (PAC). Les objectifs définis sont la neutralité carbone à l’horizon 2050, avec un but intermédiaire de diminution de 55% nette (soit environ 52% en réalité) des émissions carbones en 2030 par rapport aux relevés de 1990. L’Europe tente donc, à la fois, d’être à la hauteur des enjeux relatifs au changement climatique et de respecter les accords auxquels elle appartient (Accords de Paris sur le climat, 2016). Néanmoins, les intervenants soulignent que ces objectifs et ces actions paraissent insuffisants et trop lents face à l’urgence de la situation.

Julien Bueb rappelle que la croissance verte permet de dégager les fonds nécessaires pour investir dans des structures vertes et ainsi réduire les émissions en conservant une dynamique de croissance. Le Green Deal se place justement dans une perspective de croissance verte. Il s’agit d’établir un équilibre entre économie et préservation de l’environnement. Pour les deux intervenants, le modèle économique actuel est à modifier car inadapté au nouveau paradigme relatif au changement climatique qui nécessite de prendre en compte les questions environnementales, comme la gestion des ressources et leur répartition.

L’enjeu de l’alignement énergétique des pays européens est de partager une trajectoire commune, tout en laissant aux États la possibilité de mettre des mesures en place et de faire en sorte de tenir les objectifs énoncés, selon les besoins et les moyens de chacun.

Quelle application de cette nouvelle politique au sein de l’UE ?


La mise en place du pacte vert pour l’Europe soulève la question de l’application des mesures et des actions décidées au sein des pays membres. On peut donc s’interroger sur le rôle des États dans la mise en place de cette politique et sur le niveau de complémentarité existant entre l’UE et les États membres. Les intervenants illustrent ce propos avec le sujet de l’énergie. La gestion du mix énergétique est une compétence réservée aux États membres. Ce fait semble pertinent car les États présentent des situations très contrastées quant aux énergies utilisées. L’Allemagne s’engage vers une sortie rapide du nucléaire, privilégiant les énergies renouvelables, tandis que la France emploie davantage l’énergie nucléaire et que la Pologne utilise majoritairement le charbon. Chaque pays se trouve dans une situation unique ancrée dans des enjeux singuliers et se doit donc d’aller à son propre rythme. L’enjeu de l’alignement énergétique des pays européens est de partager une trajectoire commune, tout en laissant aux États la possibilité de mettre des mesures en place et de faire en sorte de tenir les objectifs énoncés, selon les besoins et les moyens de chacun.

Selon Julien Bueb, depuis l’entrée dans l’Anthropocène, il est nécessaire de repenser l’approche de l’espace. Afin de réussir cette transition et ces objectifs écologiques et environnementaux, il faut inscrire la politique dans une dynamique décentralisée et locale. Néanmoins, le changement étant important et comportant des risques, il y a un besoin de solidarité accru, pour lequel un maillage territorial, national et européen semble nécessaire. Dans la pratique et en l’état des capacités européennes, cette vision est compliquée à appliquer et à imposer en raison des singularités européennes, rappelle Pascal Durand. Doivent être prises en compte les questions non seulement énergétiques, mais également sociales.

Les mesures écologiques mises en place au sein de l’UE consistent également en l’adaptation de certaines politiques déjà existantes, comme la PAC. Afin de réussir la transition écologique, une nouvelle architecture de cette politique communautaire serait ainsi à imaginer. Julien Bueb admet qu’aujourd’hui, le verdissement de la PAC demeure insuffisant. Les nouvelles actions ambitionnent d’apporter des changements progressifs et d’adapter les aides afin de privilégier une logique plus protectrice de l’environnement. Cependant, dans ces mutations, la place du consommateur et du producteur est à prendre en considération. Ainsi, pour Pascal Durand, il existe une incompatibilité entre le modèle capitaliste que suit l’UE et la production locale et de qualité qui serait privilégiée comme moyen de produire tout en protégeant l’environnement. De nombreux problèmes sont alors à mettre en lumière concernant le fonctionnement de l’agriculture dans l’UE. Par exemple, la nourriture donnée aux animaux provient de la culture de soja en Amérique latine et implique une non-autonomie de l’élevage européen, l’utilisation de soja transgénique, mais également la participation implicite à la déforestation en Amazonie. Un changement intégral de cette dynamique est difficile à envisager et risque la perte de l’équilibre acquis, d’autant que les agriculteurs ont des intérêts contradictoires. Nombreux sont ceux qui souffrent de leur faible capacité économique et notamment de leurs bas revenus. L’adaptation de l’agriculture aux enjeux climatiques et la mise en place de systèmes plus viables, comme ceux de la polyculture-élevage, sont ainsi des conceptions qui se heurtent à de nombreuses limites : résistance des grands groupes et des agriculteurs de cultures intensives et productivistes sur de grandes superficies, alors que les petits agriculteurs souffrent de cette concurrence ; nécessité de bénéficier de formation pour apprendre de nouvelles techniques. Ainsi, la transition écologique appliquée à la PAC soulève de nombreux enjeux et limites, démontrant que la mise en place de nouvelles mesures au sein de l’espace communautaire se heurte à certains problèmes.

L’Europe : une puissance verte en devenir ?

Les nouvelles mesures mises en place par le Green Deal amènent à se questionner sur la capacité de l’Europe à peser comme une véritable puissance verte. En effet, la transition écologique ouvre un nouveau paradigme qui lie puissance et environnement. L’idée est d’intégrer une dimension verte aux composantes de la puissance européenne. Selon les deux intervenants, afin de penser l’Europe comme une puissance verte, il est nécessaire que l’UE sorte de sa logique économique afin de devenir une union politique. Ce changement lui permettrait de s’émanciper des autres puissances et d’être capable de peser dans les négociations, les choix réalisés et à imposer sa vision. L’UE doit ainsi trouver son indépendance face aux autres modèles afin de créer celui qui lui est propre. Elle devrait notamment avoir la capacité de refuser certaines productions, certaines importations qui ne répondent pas aux conditions de réalisation qu’elle accepte, ni à ses valeurs. Cette aptitude à peser est l’indicateur d’une économie et d’une puissance vertes réussies. Afin de devenir une puissance verte, il est donc nécessaire pour l’UE d’être unie et d’entretenir une solidarité entre les États membres, socle de la puissance européenne. C’est grâce au budget européen et aux politiques budgétaires adoptées que cette solidarité et cette union sont permises et mènent à pouvoir aborder la question de la puissance verte.

L’application des mesures au sein de l’espace communautaire soulève des problèmes, en particulier en raison de l’opposition entre stratégie commune et le maintien de la souveraineté des États.

Ainsi, la mise en place du Green Deal par l’UE rappelle la prise en compte des enjeux nouveaux liés au changement climatique. Néanmoins, il convient de nuancer les mesures adoptées et leur pertinence, parfois jugées insuffisantes et lentes. Aussi, l’application de celles-ci au sein de l’espace communautaire soulève des problèmes, en particulier en raison de l’opposition entre stratégie commune et le maintien de la souveraineté des États. Le Green Deal interroge donc à terme sur la capacité de l’UE à devenir une puissance verte.

Copyright pour la synthèse 2021-André/Diploweb.com


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[1Compte tenu du contexte sanitaire, cette conférence a été organisée en visioconférence le 7 avril 2021


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