Florian Manet est colonel de la gendarmerie nationale. Expert en analyse du risque maritime, il est l’auteur de nombreux articles dédiés à la criminalité organisée, à la cybercriminalité ainsi qu’au renseignement. Il a, notamment, publié un ouvrage fondateur, Le crime en bleu, essai de thalossopolitique, édition Nuvis. Images et son James Lebreton. Photos de la salle et de l’orateur : Pierrette Roux. Montage James Lebreton et Pierre Verluise. Conférence labellisée LFD organisée le 6 janvier 2022 par la Prépa du Lycée ENC Blomet et Diploweb.com.
Impensé statégique, le "crime en bleu" pénètre les interstices de la globalisation, tirant profit des flux maritimes du commerce international. Ainsi, les trafics illicites de toutes natures – produits stupéfiants, armes, médicaments contrefaits, véhicules volés ...- prennent appui sur la navigation de plaisance, les portes-conteneurs et autres vraquiers. Découvrez la thalassocratie criminelle, clé de compréhension des relations internationales et des pistes de réponses à apporter à ces menaces maritimes grandissantes.
Expert en analyse du risque maritime, F. Manet se fait pédagogue pour vous faire découvrir la face cachée d’un espace qui recouvre 70% de la surface terrestre.
Cette vidéo peut facilement être diffusée en classe de Terminale Géographie et #HGGSP ou en amphi pour illustrer un cours ou un débat.
Synthèse de la conférence de F. Manet
La crise sanitaire a mis en lumière un trait caractéristique de nos sociétés et de nos économies contemporaines : une extrême dépendance aux espaces océaniques. Consubstantielle à la globalisation, ce processus irréfragable, qualifié de maritimisation, affecte tous les pans de notre existence. Activité économique. Ressources en matières premières. Alimentation. Énergie. Loisirs…
Dans ce contexte, les espaces océaniques sont aujourd’hui l’objet de rivalités et d’affirmation de puissance pour les acteurs étatiques qui protègent les artères du commerce international et exercent leur souveraineté dans leurs mers territoriales ou leurs zones économiques exclusives contre toutes velléités malveillantes. Le défi est de taille à l’image du cas de la France qui exerce ses responsabilités sur tous les océans du monde, forte du deuxième empire maritime du monde avec 11 millions de kilomètres carrés.
Plus encore, ces équilibres fragiles sont aussi gravement menacés par un acteur masqué mais très efficace : la criminalité organisée. Ces syndicats du crime transnationaux ont parfaitement appréhendé les atouts de la maritimisation afin d’asseoir leur pouvoir et de s’assurer des profits considérables. Sont-ils suffisamment puissants pour remettre en cause la stabilité des relations internationales ?
Les menaces maritimes se résument traditionnellement à des combats entre flottes de combat ainsi qu’à la piraterie maritime. En outre, le feu et l’eau symbolisent la prédominance des enjeux de sécurité sur ceux de la sûreté en matière de navigation maritime. A la suite du naufrage du TITANIC, le 14 avril 1912, les conventions internationales se sont focalisées sur la sauvegarde de la vie humaine en mer. De ce fait, considérer l’action malveillante de l’homme à l’œuvre en mer a constitué une véritable révolution mentale chez les marins. Le traumatisme du détournement de l’ACHILLE LAURO le 17 octobre 1985 s’est traduit par un texte fondateur prévenant les actes de violence volontaire en mer. D’ailleurs, cette vision réductrice est entretenue par un chiffre noir, c’est-à-dire par une réalité statistique de la criminalité insuffisamment documentée. En conséquence, cette menace interlope, grise, mouvante est rarement prise en considération alors qu’elle agit quotidiennement et contribue à déstabiliser davantage encore des équilibres socio-économiques pourtant bien fragiles.
Tout comme les acteurs économiques ou étatiques, la criminalité organisée a appréhendé les atouts exceptionnels offerts par la maritimisation des échanges au sein d’un monde globalisé. Dans ce grand village mondial, la mer unit, rapproche et démultiplie les potentialités de l’entreprise humaine. Elle exploite avec brio une « logistisation » des relations internationales au travers des infrastructures et vecteurs soutenant la performance des chaînes d’approvisionnement mondialisée. Le transport maritime propose, en effet, des solutions logistiques interconnectées, massifiées et bon marché. Il relie, avec régularité, les zones de production et les foyers de consommation.
Les organisations criminelles transnationales « prenant la mer » agissent telles des thalassocraties qui tirent leurs puissance de la mer. Ainsi, elles conçoivent les espaces maritimes à la fois comme des théâtres d’opérations criminelles mais aussi comme le vecteur facilitant leur commerce illicite.
Ces syndicats du crime perturbent la navigation des flottes de commerce par des actes de piraterie ou de brigandage dans le Golfe de Guinée, dans les Caraïbes ou encore dans les détroits asiatiques. Cette menace asymétrique ne parvient, toutefois, pas à interrompre la navigation dans ces artères vitales du commerce international. Ils fragilisent, par ailleurs, les écosystèmes maritimes par la pêche illégale ou des rejets volontaires d’hydrocarbures. Plus subtilement, les systèmes embarqués de navigation ou de propulsion des navires sont susceptibles d’être ciblés par des cyberattaques. Enfin, comment ne pas redouter des scénarii de ‘Bataclan sur mer’, ou actes extrêmes de terrorisme perpétrés à bord de navires de croisière ?
Enfin, la thalassocratie criminelle pénètre les interstices de la globalisation, tirant profit des flux maritimes du commerce international. Ainsi, les trafics illicites de toutes natures – produits stupéfiants, armes, médicaments contrefaits, véhicules volés ...- prennent appui sur la navigation de plaisance, les portes-conteneurs et autres vraquiers. A l’insu, souvent des armateurs. Les plus déterminés affrètent même des flottilles dédiées de navires voire lancent des « narco-sous-marins » lestés de cocaïne pour assouvir les marchés de consommation européens.
Le « crime en bleu » trouble l’ordre public socio-économique dans un village global déterminé par des chaînes d’approvisionnement mondialisées. La mise hors service d’une artère vitale de la navigation maritime engendre irrémédiablement des effets secondaires en cascade sur l’ensemble de l’économie comme le rappelle l’échouement accidentel de l’EVERGIVEN dans le canal de Suez le 23 mars 2021. Au final, c’est le spectre d’un chaos économique qui hante les analystes. De plus, souvent tue, cette criminalité défit la souveraineté des États aussi bien sur la mer territoriale, la zone économique exclusive ou en haute mer, notamment, sur sa flotte sous pavillon. Comment, alors, garantir une présence nationale sur de vastes étendues océaniques ? Enfin, la maritimisation dévoyée par des organisations criminelles contribue à la prospérité du capitalisme criminel. Elle offre de puissants effets de levier rendu possible par des économies d’échelle ainsi que par d’avantageux ratio risques/ bénéfices. La cocaïne prend, ainsi, sa réelle valeur à l’issue d’une transatlantique, noyée dans des flux gigantesques de marchandises.
Interlopes, hybrides et transnationales, ces menaces maritimes appellent résolument une réaction coordonnée de la part des différentes parties prenantes : acteurs économiques, États, organisations internationales. Elles incitent à développer de nouvelles approches transverses et holistiques d’analyse du risque fondé sur un dialogue terre-mer approfondi. Une situation maritime peut, en ce sens, constituer une clé de compréhension d’un événement à terre. Et réciproquement. Considérant, ainsi, la pertinence d’un regard thalassocentré, la géopolitique ne peut, de fait, se départir d’une thalassopolitique. Rappelons, à ce titre, que 70 % de la surface du globe est recouverte d’eau salée. Dans cette perspective, ne convient-il pas de renommer le globe terrestre en « royaume d’Archimède » ?
Au delà des seules questions de moyens toujours trop faibles, au regard des immensités océaniques et de l’agilité de la thalassocratie criminelle, il s’agit, aussi, d’intégrer la criminalité organisée au sein du corpus juridique relatif au « droit de la mer » établi par la Convention de Montego Bay et au « droit en mer ». Elle est devenue assurément un acteur à part entière des relations internationales susceptible d’en perturber les équilibres. Cette nécessité impérieuse sera-t-elle suffisamment fédératrice au niveau international ?
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Plus
. Florian Manet, "Le crime en bleu. Essai de thalassopolitique", Préfaces du général d’armée Richard Lizurey et de l’amiral Christophe Prazuck, ed. Nuvis. Sur Amazon
Et si les terroristes préparaient un Bataclan sur mer ? Cette perspective redoutable illustre l’actualité des menaces maritimes pesant sur nos économies globalisées, plus que jamais tributaires de la maritimisation des échanges et de nos modes de vie. Terrorisme, piraterie, cybercrime, trafic organisé d’êtres humains, narco trafic international, trafic illicite de déchets, d’armes ou encore de biens contrefaits, fraudes, pêche illégale, pollution expriment les multiples facettes d une activité criminelle organisée transnationale qui met en risque les équilibres socio-économiques et géopolitiques, jusqu’au coeur des territoires. L’auteur souligne dans ce livre l’importance des enjeux attachés à la lutte contre cette « thalassocratie criminelle » qui prospère dans les mécanismes spécifiques de l’écosystème maritime. Acteur économique et géopolitique à part entière, la criminalité organisée exploite insidieusement les lacunes du droit international de la mer et démultiplie ainsi sa capacité de déstabilisation des territoires. La police judiciaire maritime et portuaire est à la fois un outil de souveraineté sur les eaux territoriales et un levier de performance et d’anticipation en sécurité intérieure. Pour mieux lutter contre la criminalité organisée, l’auteur invite à une convergence des stratégies de défense et de sécurité intérieure ainsi qu’à une meilleure synergie internationale.
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