Béatrice Hainaut, Docteure en Science politique, Relations internationales de l’Université Paris II Panthéon-Assas. La capitaine Béatrice Hainaut a rejoint l’IRSEM en 2022, en tant que chercheure sur les questions spatiales. En 2016, Béatrice Hainaut a gagné l’un des deux prix dans le cadre du concours Ma thèse avec le Diploweb en 7 minutes (MTD7).
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF. Cette émission a été diffusée en direct le 14 octobre 2025.
Synthèse par Emilie Bourgoin, étudiante en dernière année de Master Sécurité et Défense à l’Université d’Ottawa, après un BBA à l’EDHEC. Elle a travaillé en alternance au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle est en charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.
Des milliers de satellites tournent au-dessus de nos têtes. Pour assurer la communication entre la Terre et les satellites, les opérateurs utilisent des fréquences du spectre électromagnétique. Sans le savoir, vivons-nous une guerre des fréquences ? Pour répondre au micro de Planisphère, nous recevons Béatrice Hainaut. Podcast et synthèse rédigée.
Cette émission [1] Planisphère, Vivons-nous une guerre des fréquences ? Avec Béatrice Hainaut, sur RCF Notre-Dame
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Synthèse de cette émission, Planisphère, Vivons-nous une guerre des fréquences ? Avec Béatrice Hainaut. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com. Relue et validée par B. Hainaut.
À l’ère du New Space, la multiplication des satellites en orbite terrestre transforme profondément les enjeux de souveraineté, de régulation et de compétition dans l’espace. Au cœur de cette bataille silencieuse se trouvent les fréquences électromagnétiques, essentielles pour permettre la communication entre les satellites et les infrastructures terrestres (stations, antennes…). Ce podcast met en lumière une guerre des fréquences, alimentée par la rareté du spectre, les logiques de puissance et des stratégies de contournement parfois discutables.
Contrairement aux idées reçues, le satellite en orbite ne fonctionne pas de manière autonome. Il dépend d’une infrastructure terrestre qui assure la transmission de données (images, télémesures, ordres de reprogrammation, etc.) via le spectre électromagnétique. Sans cette infrastructure, le satellite devient inutilisable. L’élément invisible mais vital dans ce dialogue entre ciel et terre, c’est donc la fréquence, ressource finie et convoitée.
Depuis 1865, l’UIT régule les télécommunications, y compris spatiales. Devenue agence de l’ONU en 1949, elle a su adapter sa Constitution aux évolutions technologiques majeures, notamment l’essor des satellites et des constellations en orbite basse. Deux systèmes d’attribution coexistent :
. Premier arrivé, premier servi.
. Planification a priori, où chaque État dispose d’une part minimale du spectre, qu’il utilise ou non.
Cette double logique vise à équilibrer équité et efficacité, même si des déséquilibres subsistent.
Sur le papier, le traité de l’espace de 1967 garantit un accès équitable à l’espace pour tous les États. Dans les faits, les tensions géopolitiques terrestres se projettent dans l’espace, où les puissances spatiales (États-Unis, Chine...) captent les positions et fréquences les plus stratégiques. La création exponentielle d’agences spatiales nationales reflète néanmoins un intérêt global croissant pour cet espace extra-atmosphérique.
Face à l’essor des constellations commerciales (ex. Starlink, Kuiper…), l’UIT a renforcé ses règles :
. Un satellite en orbite dans les 7 ans après une réservation datée.
. Puis 20 % de la constellation dans les 2 années suivantes.
. 50 % dans les 5 ans, 100 % dans les 7 ans.
Ce système vise à éviter les abus de réservations spéculatives, tout en donnant de la visibilité aux projets sérieux.
La fréquence devient un actif stratégique, utilisé comme levier pour attirer les financements. Certaines entreprises commerciales déposent des réservations massives sans projet concret, générant des “satellites de papier”. D’autres exploitent la planification a priori en rachetant les droits de petits États peu impliqués dans le spatial. En Polynésie, l’exemple du royaume de Tonga servant de pavillon de complaisance à SpaceX illustre cette marchandisation discrète mais réelle.
L’UIT ne rend pas obligatoire le dévoilement des identités des opérateurs derrière les demandes. Il est souvent difficile de déterminer qui est l’utilisateur réel de la fréquence. Les grandes entreprises comme SpaceX ou Amazon, mais aussi des puissances moyennes, utilisent cette opacité à leur avantage, entraînant une course au dépôt de demandes et accentuant la compétition.
Avec la pression croissante sur le spectre, certains acteurs commerciaux convoitent les fréquences utilisées par les militaires, qu’ils jugent “sous-utilisées”. L’UIT ne fait pas de distinction juridique entre fréquences civiles et militaires, mais l’OTAN, par exemple, conseille à ses membres de ne pas revendre leurs fréquences à des acteurs commerciaux. Cependant, la frontière entre usages civils et militaires devient floue, notamment dans un contexte où les armées peuvent aussi tirer profit des innovations commerciales.
Bien que l’espace ne soit, en théorie, la propriété d’aucun État, la réalité est tout autre. Certaines positions orbitales précieuses, notamment en orbite basse, font l’objet d’une accaparement stratégique, en particulier par les géants comme SpaceX avec Starlink. Cette forme de territorialisation fonctionnelle, par voie d’utilisation, remet en question l’idée d’un espace commun à l’humanité.
Le spectre électromagnétique est donc devenu une ressource rare, convoitée et stratégiquement cruciale dans la géopolitique de l’espace. Face à la prolifération des acteurs, à la marchandisation croissante et aux risques d’interférences, l’Union internationale des télécommunications tente d’imposer des garde-fous techniques et temporels. Mais la pression des intérêts économiques et militaires rend l’espace de plus en plus compétitif et fermé.
Pour approfondir ces enjeux :
. Étude de Béatrice Hainaut – "La guerre des fréquences"
IRSEM, étude n°123, mai 2025 . Une analyse approfondie sur les tensions autour de la ressource spectre-orbite.
. Xavier Pasco, La ruée vers l’Espace. Nouveaux enjeux géopolitiques. La guerre du ciel est déclarée, Éditions Tallandier, 2024 . Notamment sur la stratégie spatiale française et les enjeux de souveraineté.
. Isabelle Sourbès-Verger, Géopolitique du monde spatial, Éditions Eyrolles, 2023 . Sur la géopolitique de l’espace et l’évolution des usages civils et militaires.
. Michel Friedling, Commandant de l’Espace, Éditions Bouquins, 2023. . Pour une vision opérationnelle et stratégique des forces armées dans l’espace.
. Secure World Foundation, 2025 Global Counterspace capabilities Report Résumé disponible en français sur le site . Pour une perspective américaine des capacités de contre-espace des États.
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[1] Cette émission a été enregistrée le : 15/09/2025. Diffusée le 14/10/25.
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