Intervenant : Christian Lequesne, Professeur à Sciences Po. Il publie « Les institutions de l’Union européenne » (avec Y. Doutriaux) à La Documentation Française et plus récemment "The Member states of the European Union", Oxford, (Royaume-Uni), Oxford University Press
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il anime Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée en direct le 12 novembre 2024.
Synthèse par Emilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle est en charge depuis septembre 2024 du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.
Après les élections de juin 2024 pour le Parlement européen, à la fin de la première Commission européenne Von der Leyen et à la veille de la seconde, C. Lequesne présente clairement la situation dans les institutions européennes. Il souligne notamment le rôle décisif des Etats membres et la nécessité de convergences pour faire face aux défis.
Podcast et sa synthèse rédigée par Émilie Bourgoin, lue et validée par C. Lequesne.
Cette émission, Planisphère. Quoi de neuf dans les institutions européennes ? Avec C. Lequesne sur RND
Cette émission, Planisphère. Quoi de neuf dans les institutions européennes ? Avec C. Lequesne, sur RCF
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Synthèse de cette émission Planisphère. Quoi de neuf dans les institutions européennes ? Avec C. Lequesne. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com relue et validée par C. Lequesne
LES INSTITUTIONS européennes sont souvent l’objet de critiques et d’idées reçues qui influencent la perception du grand public [1]. Pourtant, ces institutions sont profondément interconnectées avec les États membres, et leur fonctionnement est bien plus nuancé que ce que suggèrent certaines idées préconçues. Qu’il s’agisse du rôle du Parlement européen après les élections de 2024, des tensions au sein de l’Union européenne avec la Hongrie, ou encore du bilan des dirigeants tels qu’Ursula von der Leyen etJosep Borrell, un examen attentif des évolutions récentes révèle des dynamiques complexes qui méritent d’être clarifiées.
L’une des idées reçues les plus courantes est que les institutions européennes agiraient en dehors de la volonté des États membres, exerçant un pouvoir autonome déconnecté des politiques nationales. Or, la réalité est toute autre. Les décisions prises au niveau européen résultent souvent de négociations complexes entre les États membres. Les institutions comme la Commission européenne ou le Parlement européen ne sont pas des entités indépendantes opérant à leur guise, mais plutôt des plateformes de mutualisation politique dans lesquelles les gouvernements nationaux exercent une influence significative. Cette interconnexion est souvent ignorée dans les critiques qui visent Bruxelles, transformant l’Union européenne en un bouc émissaire pour des décisions qui sont, en réalité, le fruit de consensus entre les États.
Une autre idée reçue concerne la taille présumée de la bureaucratie européenne. Contrairement à l’image d’une administration tentaculaire, l’Union européenne ne compte qu’environ 30 000 fonctionnaires pour une population de 448,7 millions d’habitants. Comparativement, les administrations nationales des pays membres sont bien plus vastes et dotées de ressources plus importantes. Cette réalité met en lumière le caractère restreint de la bureaucratie européenne et réfute l’idée d’une machine administrative surdimensionnée. Ce constat appelle à repenser les critiques sur l’inefficacité ou la lourdeur administrative supposée de l’Union européenne.
Les élections européennes de juin 2024 ont apporté des changements significatifs au sein du Parlement européen. En France, la victoire majoritaire du Rassemblement National (RN) a capté l’attention, donnant l’impression d’une toute puissance de l’extrême droite. Toutefois, au sein du Parlement européen, les trois principaux partis traditionnels — les chrétiens-démocrates, les sociaux-démocrates et les libéraux — conservent la majorité. Bien que le groupe des eurosceptiques-réalistes (ECR), qui inclut des partis comme Fratelli d’Italia et Droit et Justice, soit désormais la troisième force au Parlement européen, la capacité des partis traditionnels à former des coalitions leur permet de continuer à faire passer la majorité des lois. S’il faut bien considérer une montée des extrêmes, il faut aussi se rendre compte d’une relative stabilité des équilibres institutionnels.
La Hongrie de Viktor Orban continue de poser des défis aux institutions européennes. Depuis 2010, Orban a adopté une position de défi vis-à-vis de l’Union européenne, créant un nouveau groupe d’extrême droite avec le RN et d’autres partis similaires après l’exclusion de son parti, Fidesz, du Parti Populaire Européen (PPE). En tant que président du Conseil de l’Union européenne lors de la présidence rotative, Orban a pris des mesures controversées sans consultation, telles que la visite non coordonnée avec le président russe Poutine ou encore l’allègement des visas pour les citoyens russes et biélorusses. Lorsque les fonds européens ont été suspendus pour la Hongrie, Orban a réagi en bloquant les aides à l’Ukraine, mettant l’Union européenne en difficulté. Cette situation montre les limites de la politique européenne face à des États membres adoptant des postures contraires aux règles communes.
Le bilan d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne est marqué de 2019 à 2024 par son leadership proactif et sa capacité à exploiter les zones grises des traités européens pour renforcer le rôle de la présidence de la Commission sur la scène internationale. Son approche rapide et décisive, comme après l’attaque du Hamas (7 octobre 2023) où elle s’est rendue à Tel Aviv sans concertation préalable, illustre son style politique audacieux. Elle a également su former des coalitions au Parlement européen pour faire avancer ses politiques. Cependant, ses relations tendues avec Charles Michel, le président du Conseil européen, mettent en lumière les défis du système de double présidence de l’Union européenne et soulèvent des questions sur son efficacité et sa légitimité.
Josep Borrell, en tant que haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (2019-2024), a joué un rôle actif mais compliqué. Comme tout Haut Représentant, il a dû naviguer entre les attentes de la Commission et du Conseil européen. Borrell a cependant été ferme face à la Russie, défendant l’unité européenne et la solidarité avec l’Ukraine tout en jonglant avec les réalités de la politique internationale. Son successeur proposé, l’Estonienne Kaja Kallas, est connue pour sa position sans concession envers Moscou, ce qui pourrait influencer la politique européenne à l’égard de la Russie dans un contexte global incertain, notamment avec l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a été un tournant majeur pour l’Union européenne, forçant les États membres à revoir leurs politiques vis-à-vis de Moscou. Alors que l’Allemagne et la France ont perdu de la crédibilité à cause de leur approche initiale à l’égard de la Russie perçue comme naïve, les pays d’Europe centrale et orientale, ayant longtemps mis en garde contre les intentions réelles de Poutine, se sont sentis justifiés dans leurs positions. Cette situation a mis en évidence la nécessité pour l’UE de développer une stratégie cohérente et commune face aux menaces externes, un domaine où les institutions européennes peuvent jouer un rôle en facilitant la discussion et la coordination multilatérale, mais où rien n’est possible sans une convergence des États membres.
Copyright pour la synthèse Novembre 2024-Bourgoin/Diploweb.com
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Présentation du concept de l’émission Planisphère par Pierre Verluise
Planisphère est une émission de géopolitique proposée par Radio Notre Dame et RCF. Planisphère est animée par Hugo Billard jusqu’au 31 août 2024 ; par Pierre Verluise (Diploweb.com) depuis le 3 septembre 2024. Chaque semaine des historiens, des géographes, des géopoliticiens, des diplomates, des stratèges et des acteurs des relations internationales prennent le temps de mettre en perspective les soubresauts du monde. Planisphère cherche à comprendre l’actualité mondiale dans l’espace et dans le temps, en privilégiant la clarification des jeux des acteurs comme des résultats sur les territoires. Pierre Verluise cherche à mettre à jour l’interaction des échelles et les dynamiques de la puissance, définie comme une capacité de faire, de faire faire, de refuser de faire ou d’empêcher de faire.
Cette émission est disponible en podcast sur les sites et les applications de ces deux radios, comme sur le Diploweb.com qui offre en bonus une synthèse rédigée, validée dans la mesure du possible par l’intervenant.
[1] Cette émission a été enregistrée le 6 août 2024.
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