Le 20 décembre 2017, la Commission européenne a déclenché l’article 7 du traité sur l’UE, estimant qu’il y a un "risque clair d’une violation de l’Etat de droit en Pologne". Cet article, publié en 2012 explique la procédure.
Quelles sont les modalités de suspension d’un Etat membre de l’Union européenne qui serait en contradiction avec les valeurs de l’Union ? Au vu des traités européens, la procédure semble complexe et nécessiter une forte volonté politique, explique P. Verluise. Tout se passe comme si les Etats membres avaient anticipé en rédigeant les traités la possibilité de se voir un jour visé par une procédure de suspension et cherché à réduire ce risque le plus possible.
PRESENTONS dans un premier temps les règles du jeu puis dans un second temps les procédures de vote.
Quelles sont les valeurs à respecter par un Etat membre de l’Union européenne (A) et à quelles conditions le Conseil peut-il décider de suspendre certains droits d’un pays membre (B) ?
Pour commencer, quelles sont les valeurs dont la violation pourrait entraîner une procédure de suspension ? L’article 2 du traité sur l’Union européenne révisé par le traité de Lisbonne précise : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les hommes et les femmes. » [1]
Qui peut proposer de faire le constat qu’il existe un risque de violation de ces valeurs ?
L’article 7 du traité sur l’Union européenne (ci-après le TUE) indique dans son premier paragraphe : « Sur proposition motivée d’un tiers des Etats membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un Etat membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’Etat membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure. Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables. » [2]
Combien d’Etats doivent donner leur accord ?
L’article 7 du TUE répond à son deuxième paragraphe : « Le Conseil européen, statuant à l’unanimité sur proposition d’un tiers des Etats membres ou de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un Etat membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet Etat membre à présenter toute observation en la matière. » [3]
Que peut décider le Conseil ?
L’article 7 du TUE précise en son troisième paragraphe : « Lorsque la constatation visée au paragraphe 2 [de l’article 7] a été faite, le Conseil [de l’UE autrement dit le Conseil des ministres] [4], statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains droits découlant de l’application des traités à l’Etat membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet Etat membre au sein du Conseil. Ce faisant, le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales. Les obligations qui incombent à l’Etat membre en question au titre des traités restent en tout état de cause contraignantes pour cet Etat. » [5]
Comment modifier ou lever ces mesures ?
L’article 7 du TUE indique en son quatrième paragraphe : « Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider par la suite de modifier les mesures qu’il a prises au titre du paragraphe 3 [de l’article 7] ou d’y mettre fin pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures ». [6] Autrement dit, une porte de sortie est ménagée.
Les règles de mise en œuvre de ces procédures varient en fonction du moment considéré.
Quelles sont les procédures de vote ? La réponse doit distinguer deux périodes, avant le 1er novembre 2014 (A) et à partir (B) de ce jour.
Du 1er décembre 2009, date d’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, jusqu’au 1er novembre 2014, la répartition des voix affectées au Etats membres restent celle du traité de Nice (2001).
Conseiller d’Etat, Jean-Luc Sauron explique : « Pour les délibérations du Conseil européen et du Conseil qui requièrent une majorité qualifiée, les voix des membres sont affectées de la pondération suivante : Belgique (12), Bulgarie (10), République tchèque (12), Danemark (7), Allemagne (29), Estonie (4), Irlande (7), Grèce (12), Espagne (27), France (29), Italie (29), Chypre (4), Lettonie (4), Lituanie (7), Luxembourg (4), Hongrie (12), Malte (3), Pays-Bas (13), Autriche (10), Pologne (27), Portugal (12), Roumanie (14), Slovénie (4), Slovaquie (7), Finlande (7), Suède (10), Royaume-Uni (29).
Les délibérations sont acquises si elles ont recueilli au moins 255 voix exprimant le vote favorable de la majorité des membres, lorsque, en vertu des traités, elles doivent être prises sur proposition de la Commission. Dans les autres cas, les délibérations sont acquises si elles ont recueilli au moins 255 voix exprimant le vote favorable d’au moins deux tiers des membres.
Un membre du Conseil européen ou du Conseil peut demander que, lorsqu’un acte est adopté par le Conseil européen ou par le Conseil à la majorité qualifiée, il soit vérifié que les Etats membres constituant cette majorité qualifiée représentent au moins 62 % de la population totale de l’Union.
S’il s’avère que cette condition n’est pas remplie, l’acte en cause n’est pas adopté. » [7]
Au lendemain du 31 octobre 2014, les procédures changent.
L’article 354 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) indique, qu’à compter du 1er novembre 2014 : « Aux fins de l’article 7 du traité sur l’Union européenne relatif à la suspension de certains droits résultant de l’appartenance à l’Union, le membre du Conseil européen ou du Conseil représentant l’État membre en cause ne prend pas part au vote et l’État membre en cause n’est pas pris en compte dans le calcul du tiers ou des quatre cinquièmes des États membres prévu aux paragraphes 1 et 2 dudit article. L’abstention de membres présents ou représentés ne fait pas obstacle à l’adoption des décisions visées au paragraphe 2 dudit article.
Pour l’adoption des décisions visées à l’article 7, paragraphes 3 et 4, du traité sur l’Union européenne, la majorité qualifiée se définit conformément à l’article 238, paragraphe 3, point b), du présent traité. [8]
Lorsque, à la suite d’une décision de suspension des droits de vote adoptée conformément à l’article 7, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne, le Conseil statue, à la majorité qualifiée, sur la base d’une des dispositions des traités, cette majorité qualifiée se définit conformément à l’article 238, paragraphe 3, point b), du présent traité ou, si le Conseil agit sur proposition de la Commission ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, conformément à l’article 238, paragraphe 3, point a). [9]
Aux fins de l’article 7 du traité sur l’Union européenne, le Parlement européen statue à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés, représentant la majorité des membres qui le composent. » [10]
A la lecture des traités européens, il appert que les Etats membres se sont donné la possibilité de suspendre certains droits de vote d’un Etat membre qui ne respecterait pas les valeurs de l’UE. Cependant, la procédure est très complexe et nécessite une forte volonté politique. Tout se passe comme si les Etats membres avaient anticipé en rédigeant les traités la possibilité de se voir un jour visé par une procédure de suspension et cherché à réduire ce risque le plus possible.
PS : En 2017-2018, il y a fort à parier que la Hongrie utilisera son veto pour protéger la Pologne. L’article 7, présenté comme "l’arme nucléaire" de la Commission, sera-t-elle un pétard mouillé ?
N’oublions pas, cependant, qu’en dernier ressort ce sont les politiques qui prennent les décisions, quitte à contourner ou modifier les traités.
Copyright 8 avril 2012-Verluise/Diploweb.com
PS : Pierre Verluise remercie le Conseiller d’Etat Jean-Luc Sauron pour sa relecture et ses suggestions.
Plus
En 2021, le Sénat a fait le point de manière précise sur les situations diverses de l’État de droit dans les 27 pays de l’Union européenne. Un sujet majeur puisque sept États membres sont épinglés dans ce rapport solidement documenté et rédigé de manière accessible. Il permet de comprendre pourquoi l’Union européenne s’est récemment dotée d’un nouveau mécanisme, de nature financière, liant le versement des fonds européens aux États membres au respect par ceux-ci de l’État de droit. Un mécanisme dont la mise en oeuvre reste à évaluer.
Ce rapport est un document de référence dont les citoyens peuvent se saisir pour comprendre à la fois les variations de l’État de droit dans l’UE et l’urgence d’une action déterminée à ce sujet. L’un des rapporteurs, le sénateur Jean-Yves Leconte répond aux questions de Pierre Verluise pour le Diploweb.com.
. Voir la présentation du livre de Pierre Verluise, Géopolitique des frontières européennes. Elargir, jusqu’où ?", 20 cartes en couleur, éd. Argos 2013, diff. Puf
. Voir un article de Florence Chaltiel sur le Diploweb.com, "Où se trouve le Pouvoir dans l’Union européenne à 27 membres ?"
[1] François-Xavier Priollaud et David Siritsky, Les traités européens après le traité de Lisbonne, Paris, La documentation française, 2010, pp. 16-17.
[2] Ibidem, p. 20.
[3] Ibid. p. 20.
[4] TUE, article 16, paragraphe 2 : « Le Conseil est composé d’un représentant de chaque Etat membre au niveau ministériel, habilité à engager le gouvernement de l’Etat membre qu’il représente et à exercer le droit de vote ».
[5] Ibid. p. 20.
[6] Ibid. p.20.
[7] Jean-Luc Sauron, Le traité de Lisbonne : un traité à effet retardé ?, publié sur le site Diploweb.com le 22 novembre 2009 à l’adresse http://www.diploweb.com/Le-traite-de-Lisbonne-un-traite-a.html
[8] Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, article 238, paragraphe 3. « À partir du 1er novembre 2014, et sous réserve des dispositions fixées par le protocole sur les dispositions transitoires, dans les cas où, en application des traités, tous les membres du Conseil ne prennent pas part au vote, la majorité qualifiée se définit comme suit : […] b) Par dérogation au point a), lorsque le Conseil ne statue pas sur proposition de la Commission ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 72 % des membres du Conseil représentant les États membres participants, réunissant au moins 65 % de la population de ces États. »
[9] Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, article 238, paragraphe 3, point a) [A partir du 1er novembre 2014] « La majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil représentant les États membres participants, réunissant au moins 65 % de la population de ces États. Une minorité de blocage doit inclure au moins le nombre minimum de membres du Conseil représentant plus de 35 % de la population des États membres participants, plus un membre, faute de quoi la majorité qualifiée est réputée acquise. »
[10] François-Xavier Priollaud et David Siritsky, Les traités européens après le traité de Lisbonne, Paris, La documentation française, 2010, p. 229.
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