Podcast et synthèse rédigée

Planisphère. Quel est l’apport de la cartographie dans la compréhension des crises complexes ? Avec D. Amsellem

Par David AMSELLEM, Emilie BOURGOIN, Pierre VERLUISE, le 2 septembre 2025  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

David Amsellem, Docteur en géopolitique (IFG) et associé chez Cassini Conseil, un cabinet spécialisé dans l’analyse géopolitique et la production de cartographies.
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF. Cette émission a été diffusée en direct le 2 septembre 2025.
Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle a la charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.

Ce ne sont pas les crises géopolitiques qui manquent ! Mais quel peut être l’apport de la cartographie dans la compréhension de crises complexes ? La cartographie peut-elle devenir une aide à la décision ? Est-il possible de cartographier ce qui semble invisible comme la cyberguerre, voire la désinformation ? Pour répondre à ces questions, Planisphère a l’honneur de recevoir David Amsellem.

Cette émission, Planisphère, Quel est l’apport de la cartographie dans la compréhension des crises complexes ? Avec D. Amsellem, sur RCF - RND

Lien direct vers cette émission sur RCF, avec possibilité de récupérer l’iframe.

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Synthèse de cette émission [1], Planisphère, Quel est l’apport de la cartographie dans la compréhension des crises complexes ? Avec D. Amsellem. Rédigée par Émilie Bourgoin pour Diploweb.com . Revue et validée par D. Amsellem

FACE A la multiplication des crises géopolitiques aux causes interconnectées et aux répercussions multiples, de nouveaux outils sont nécessaires pour les comprendre, les anticiper et y répondre efficacement. La cartographie, trop souvent perçue comme un simple outil de représentation neutre, est en réalité un puissant vecteur de lecture stratégique du monde. Dans l’émission Planisphère, David Amsellem, docteur en géopolitique et associé chez Cassini Conseil, revient sur les apports décisifs de la cartographie dans l’analyse des crises complexes. Entre choix politiques, usages opérationnels et application à la guerre de l’information, la cartographie se révèle être bien plus qu’un outil : un langage et un levier de pouvoir.

Planisphère. Quel est l'apport de la cartographie dans la compréhension des crises complexes ? Avec D. Amsellem
David Amsellem
David Amsellem, Docteur en géopolitique et associé chez Cassini Conseil, un cabinet spécialisé dans l’analyse géopolitique et la production de cartographies. Crédit photographique : Pierre Verluise
Verluise/Diploweb.com

La cartographie : un langage politique sous-estimé

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle la carte serait un document purement objectif et neutre, David Amsellem insiste sur le fait que la cartographie est profondément politique. Chaque étape de sa création – du choix du fond de carte à celui des couleurs, des données sélectionnées aux échelles utilisées – implique des choix éditoriaux qui influencent la lecture du monde. Par exemple, représenter les États-Unis au centre d’une carte pour étudier la Guerre froide change radicalement la perception des rapports de force avec l’URSS, qui lui fait face, plutôt qu’un éloignement faussement naturel lorsqu’on observe ces deux pays avec l’Europe au centre de la carte. De même, les couleurs utilisées pour désigner des partis politiques, comme le noir jadis associé au Front national, véhiculent des messages symboliques puissants (en l’espèce, celui de la menace brune). La carte est donc un objet de représentation, porteur de sens et non un simple outil descriptif.

Un outil visuel de pouvoir et de stratégie

La carte, par sa capacité à simplifier et figer visuellement des informations complexes, devient un vecteur de pouvoir symbolique. Elle permet de transmettre des messages de manière immédiate et convaincante. Dans les guerres et les conflits, la cartographie de propagande illustre à quel point les représentations peuvent façonner les opinions. À l’inverse, une carte peut aussi être un outil de pédagogie, de sensibilisation ou d’alerte. Elle s’impose souvent plus facilement qu’un discours argumenté car elle repose sur un langage visuel universel. Cela fait de la cartographie un instrument redoutablement efficace pour structurer une pensée géopolitique et orienter les décisions.

De la donnée traditionnelle au Big Data : l’évolution du métier de cartographe

Le métier de cartographe a connu une mutation radicale avec l’avènement du numérique. Historiquement, les cartes reposaient sur des observations de terrain et des données recueillies manuellement par les géographes. Aujourd’hui, elles s’enrichissent de données massives, chiffrées, spatialisées et géoréférencées, issues de satellites, de GPS ou de bases de données en ligne. Cette évolution a donné naissance à une nouvelle discipline, la géomatique, qui conjugue informatique et géographie. Le cartographe moderne est ainsi devenu un analyste de données, capable de croiser, hiérarchiser et représenter des flux complexes d’informations pour les rendre lisibles. Cela le rend indispensable dans les domaines sensibles comme le renseignement, la sécurité, la logistique ou l’aide humanitaire.

Comprendre les crises complexes grâce aux changements d’échelle

Les crises géopolitiques complexes se caractérisent par la diversité des causes (historiques, économiques, sociales, religieuses) et des acteurs impliqués, mais aussi par la multiplicité des échelles géographiques concernées. La cartographie permet de représenter ces crises de manière multiscalaire, en combinant les dynamiques locales et globales. L’exemple de Jérusalem illustre cette capacité : une zone de quelques mètres carrés peut concentrer des tensions locales qui déclenchent des répercussions mondiales. En naviguant entre différentes échelles (ville, région, monde), la carte permet de démêler les strates d’enjeux et de visualiser l’imbrication des conflits.

A la frontière de la science, de l’intuition et de la stratégie

Un processus scientifique de révélation et d’hypothèse

Au-delà de la simple représentation, la cartographie est un véritable processus de recherche. En croisant des données issues de différentes sources, le cartographe peut découvrir des corrélations inattendues ou faire émerger des hypothèses inédites. Comme un chimiste en laboratoire, il teste des combinaisons d’indicateurs pour révéler des dynamiques invisibles à l’œil nu. Ainsi, la carte ne se contente pas de traduire une réalité existante : elle la construit, la questionne et parfois la révèle. Elle devient un outil d’exploration intellectuelle, à la frontière de la science, de l’intuition et de la stratégie.

La carte : outil de gouvernance ou de manipulation ?

La cartographie, parce qu’elle simplifie des réalités complexes, peut aussi être utilisée pour faire passer des décisions politiques auprès de l’opinion publique. Dans les collectivités ou les États, certaines cartes servent à justifier une décision déjà prise en la rendant visuellement acceptable. Cela peut faire glisser l’usage cartographique du côté de la manipulation. C’est pourquoi il est essentiel de développer un regard critique face aux cartes diffusées dans les médias ou les rapports publics. Comprendre les intentions qui se cachent derrière une carte est aussi important que son contenu.

Une aide à la décision pour les entreprises et les institutions

Pour les organisations privées et publiques, la cartographie constitue un outil de gestion des risques et d’aide à la décision. En particulier lorsqu’il s’agit d’investir à l’étranger, de se développer dans des zones instables ou de former les collaborateurs à des environnements sensibles. En remplaçant une approche simpliste du "risque pays" par une lecture territoriale fine, la cartographie permet de prendre des décisions nuancées : rapatrier une partie du personnel, éviter une zone spécifique ou renforcer les dispositifs de sécurité. Elle est également utilisée dans les formations interculturelles, les diagnostics stratégiques ou les simulations de crise.

Quand l’absence ou le mauvais usage de la carte coûte cher

L’exemple du tramway construit par Veolia et Alstom à Jérusalem illustre les risques d’une méconnaissance cartographique du terrain. En intervenant sur un territoire disputé entre Jérusalem-Ouest et Jérusalem-Est, ces entreprises ont sans le vouloir été entraînées dans un conflit politique, suscitant boycott, protestations internationales et atteintes à leur réputation. Ce cas montre que l’absence d’analyse géopolitique préalable ou une cartographie inadaptée peut avoir des conséquences lourdes, tant sur le plan juridique qu’économique. La carte n’est pas une garantie, mais elle peut éviter de lourdes erreurs stratégiques.

La cartographie au service de la cyberguerre

Le cyberespace n’est pas un univers totalement immatériel. Il repose sur une infrastructure physique bien réelle (câbles sous-marins, serveurs, satellites), qui peut être cartographiée. Cette couche topographique du cyberespace est essentielle dans les conflits contemporains, car contrôler ou neutraliser ces infrastructures permet de couper l’accès à l’information. On l’a vu récemment dans les conflits entre la Russie et l’Ukraine, ou à Gaza, où des infrastructures ont été ciblées pour restreindre la connectivité. La cartographie devient alors un instrument militaire et stratégique, capable de guider des opérations d’envergure.

Cartographier la désinformation : un enjeu topologique

Il est aussi possible de cartographier la désinformation, en représentant les flux de circulation d’une information falsifiée sur les réseaux sociaux. Cette fois-ci, on parle de cartographie topologique : elle s’intéresse aux liens entre les émetteurs, les relais et les cibles de l’information. Grâce à ces cartes, on peut identifier les sources de désinformation, les bots automatisés et les stratégies de viralisation utilisées. Cela permet de remonter à des acteurs étatiques ou non étatiques et d’en comprendre les intentions. Des entités comme Viginum en France développent cette capacité pour identifier les campagnes d’influence étrangères, avec de plus en plus de rigueur dans l’attribution.

Ressources recommandées

Pour aller plus loin, plusieurs ressources sont vivement recommandées :
. Revue Hérodote (La Découverte) : propose des articles approfondis sur la géopolitique et la cartographie, avec une méthodologie rigoureuse.
. Revue Carto – Le Monde en cartes (groupe Areion) : accessible en kiosque, elle propose une vision claire et cartographiée de l’actualité internationale.
. Le journal Le Monde, notamment sa section cartographique, qui analyse les grands dossiers contemporains avec un prisme visuel.
. Le site de Cassini Conseil (www.cassini.group) : pour découvrir des études de cas, des analyses cartographiques et la démarche professionnelle du cartographe.

Copyright pour la synthèse Septembre 2025-Bourgoin/Diploweb.com


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[1Cette émission a été enregistrée le : 13 mai 2025.

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| Dernière mise à jour le mardi 2 septembre 2025 |