Podcast et synthèse rédigée

Planisphère. Qu’avons-nous fait pour en arriver là ? Avec B. Dupré

Par Bruno DUPRE, Emilie BOURGOIN, Pierre VERLUISE, le 2 juillet 2025  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Bruno Dupré, diplomate européen, il s’exprime ici à titre personnel. Bruno Dupré est détaché par la France au service diplomatique de l’UE, le SEAE. Il y occupe la fonction de conseiller politique.
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée en direct le 2 juillet 2025.
Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle a la charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.

Qui n’a pas été pris ces derniers temps par un certain vertige devant le désordre croissant d’un monde semble-t-il devenu fou ? Qui n’a pas été tenté de faire un pas de côté, pour se préserver ? Alors il est temps de se poser la question : Qu’avons-nous fait pour en arriver là ? Et comment rebondir ? Pour y réfléchir ensemble, nous avons le plaisir de recevoir Bruno Dupré.

Cette émission [1], Planisphère, Qu’avons-nous fait pour en arriver là ? Avec B. Dupré, sur RCF

Lien direct vers cette émission sur RCF, avec possibilité de récupérer l’iframe.

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Synthèse de cette émission, Planisphère, Qu’avons-nous fait pour en arriver là ? Avec B. Dupré. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com. Relue et validée par B. Dupré

LA QUESTION "Qu’avons-nous fait pour en arriver là ?" résonne aujourd’hui avec une acuité particulière. Dans un monde marqué par le chaos, les fractures géopolitiques et la perte des repères moraux, nombreux sont ceux qui ressentent un certain vertige, voire un besoin instinctif de retrait pour se préserver. À l’heure des bascules systémiques, il devient essentiel de faire une pause réflexive. À cette fin, Bruno Dupré, diplomate européen détaché au Service européen pour l’action extérieure (SEAE), propose une lecture personnelle mais profondément informée des désordres contemporains, au micro de l’émission Planisphère. Il identifie trois causes majeures à cette situation : la crise du multilatéralisme, le retour des logiques impériales et une crise culturelle de l’Occident.

La crise du multilatéralisme : la fin du consensus global

Le premier grand dérèglement évoqué par Bruno Dupré est l’effondrement du multilatéralisme, ce système fondé après la Seconde Guerre mondiale sur le dialogue et le consensus entre États souverains. Les Nations unies, jadis garantes d’un ordre basé sur l’égalité des États et le respect de la souveraineté territoriale, sont devenues aujourd’hui largement inopérantes. Les résolutions perdent de leur sens et les grandes puissances ne s’accordent plus sur les principes fondamentaux. Cette perte de confiance est particulièrement grave pour l’Union européenne, qui s’est construite sur ces valeurs. En effet, l’ADN de l’Union repose sur le multilatéralisme. L’impossibilité d’agir collectivement sur les grands enjeux internationaux (climat, paix, sécurité) affaiblit considérablement la gouvernance mondiale, creusant le fossé entre le Nord et le Sud.

Planisphère. Qu'avons-nous fait pour en arriver là ? Avec B. Dupré
Bruno Dupré
Diplomate européen, Bruno Dupré s’exprime ici à titre personnel. Crédit photographique : Pierre Verluise
Verluise/Diploweb.com

Le retour des empires : entre conquête et prédation

En parallèle de cette crise institutionnelle, B. Dupré observe un retour inquiétant des logiques impériales. Chine, Russie, États-Unis : ces grandes puissances agissent à nouveau comme des empires cherchant à étendre leurs sphères d’influence, souvent au détriment du droit international. Ce comportement s’appuie sur une vision du monde où les frontières restent à conquérir : que ce soit à Taïwan, au Canada, en Ukraine ou dans l’Arctique, le territoire redevient un enjeu de puissance. Cette logique s’oppose radicalement à celle de l’Union européenne, qui considère les frontières comme figées et inviolables. Elle marque aussi une rupture avec le modèle westphalien de coexistence pacifique entre nations.

Une fracture Nord-Sud devenue abyssale

L’Europe et l’Occident en général paient aujourd’hui leur arrogance passée, notamment dans leur rapport aux pays du « Sud global ». Les tentatives d’imposer des modèles politiques ou culturels occidentaux sont perçues comme du néocolonialisme. Le rejet de cette domination se manifeste clairement dans les votes à l’ONU, où de nombreux pays africains s’abstiennent ou votent contre des résolutions proposées par l’Europe. Même les pays historiquement soutenus par l’aide occidentale expriment désormais une volonté d’émancipation. Cette fracture Nord-Sud devient structurelle, tant elle repose sur une méfiance profonde. Face à cela, B. Dupré appelle à une écoute active et réelle, sans contrepartie, préalable à toute prétention de proposer des solutions.

Une crise morale et culturelle de l’Occident

Au-delà des rapports de force géopolitiques, B. Dupré décrit une crise interne de la civilisation occidentale. Celle-ci traverse une perte de sens et d’ancrage, alimentée par le relativisme, l’individualisme et le consumérisme. La mémoire, le langage, la transcendance et même l’idée de vérité sont remis en cause. Cette déconstruction culturelle affaiblit la capacité collective à se projeter dans l’avenir. L’éducation, la transmission des savoirs, la conscience historique sont en recul, au profit d’une culture de l’expression immédiate, d’un moi placé au centre de tout. Une psychologisation du monde. Ce vide moral fragilise la cohésion collective.

Une recomposition globale plus qu’un choc des civilisations

Cette recomposition globale ne se fait pas uniquement autour d’une double fracture du multilatéralisme et des valeurs de l’Occident. Elle est aussi à l’œuvre au travers d’une compétition stratégique pour les ressources et les technologies qui seront les déterminants de la société de demain. Nous sommes donc loin d’un seul choc de civilisations, même si cette composante existe notamment dans sa dimension religieuse. Toutes ces fractures traversent les civilisations : entre démocratie participative et autoritarisme technologique, entre aspirations locales et mondialisation numérique. Les échanges culturels, migratoires et technologiques interconnectent les sociétés au point de rendre obsolète toute lecture binaire. Le monde ne se divise plus en blocs opposés, mais en constellations d’intérêts mouvants. Ce brouillage des repères complique la lecture géopolitique classique, mais ouvre aussi des marges de manœuvre à ceux qui sauront proposer un nouveau récit.

Réponses possibles : diplomatie, culture, politique, espoir

Repenser la diplomatie européenne

B. Dupré plaide pour un renouveau diplomatique de l’Union européenne, recentré sur ses fondamentaux : l’universalisme, la raison, les droits humains. Il ne s’agit pas de rivaliser avec les grandes puissances par la force, mais de restaurer la voix de l’Europe sur la scène mondiale, en défendant une vision équilibrée du pouvoir, entre intérêts et valeurs. L’Europe doit redevenir un acteur crédible, capable d’incarner un modèle alternatif à l’hyperpuissance technologique ou à la domination militaire.

Réhabiliter la culture et l’éducation

La culture et l’école sont les piliers à restaurer pour sortir de la crise morale. Il s’agit de redonner du sens à la transmission, à la connaissance et à l’histoire. B. Dupré cite A. Finkielkraut pour souligner combien la culture a été réduite à une simple scène d’expression Ils appellent chacun à leur manière à réinvestir les notions d’héritage, d’autorité intellectuelle et religieuses et à résister à une idéologie relativiste qui dévalorise le savoir au profit de l’émotion. Une société sans mémoire ni exigence éducative est vulnérable aux manipulations.

Réancrer l’action politique dans le réel

À l’image de Michel Onfray, Bruno Dupré propose de revenir au « pays réel », c’est-à-dire aux citoyens, aux territoires, aux réalités concrètes. L’Union européenne ne peut se réduire à une machine normative ; elle doit réincarner une civilisation. Cela suppose aussi de reconnaître les dimensions spirituelles – et pas seulement religieuses – qui ont façonné l’identité européenne. Le réenracinement passe par une forme de sobriété et d’humilité politique.

La France, vecteur d’influence et de médiation

Selon B. Dupré, la France a un rôle stratégique à jouer dans cette reconfiguration. Son héritage intellectuel, son modèle de projection dans le monde, sa capacité d’initiative et de médiation sont des atouts précieux. Elle peut être à l’avant-garde d’une Europe retrouvant sa voix propre face aux empires montants. Le président E. Macron, bien que critiqué, est salué pour ses efforts récents visant à restaurer une dynamique européenne, en particulier sur les questions de sécurité, d’indépendance stratégique et de culture.

Garder l’espoir

Pour garder l’espoir, Bruno Dupré mise sur trois leviers : la jeunesse, l’ancrage local et les intellectuels. La jeunesse s’engage – parfois de manière inattendue – sur les grands enjeux contemporains (écologie, justice sociale), et pourrait être porteuse d’un renouveau. Le local, via les ONG, les collectivités, les projets participatifs, est le terreau de nouvelles formes démocratiques. Enfin, les intellectuels doivent sortir du silence ou du militantisme partisan pour redevenir des enseignants de la complexité. Leur rôle n’est pas de prendre parti, mais d’éclairer, d’expliquer, de relier les enjeux.


Tous les podcasts géopolitiques de l’émission Planisphère depuis septembre 2024, en un clic. Et avec en bonus une synthèse rédigée, c’est possible ? Oui, ici.


Ressource recommandée : le site du SEAE

Pour prolonger la réflexion, Bruno Dupré recommande les publications du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), notamment les "Speakers’ Corners", conférences hebdomadaires mises en ligne avec des intellectuels et responsables politiques. Ces ressources sont disponibles librement sur le site officiel du SEAE : https://www.eeas.europa.eu.

Copyright pour la synthèse Juillet 2025-Bourgoin/Diploweb.com


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[1Cette émission a été enregistrée le 20 mai 2025.

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| Dernière mise à jour le samedi 5 juillet 2025 |