Que pèse la France dans l’OTAN ? La France est un allié influent et a su s’imposer comme un acteur incontournable des négociations au sein de l’OTAN grâce à son activisme sur l’ensemble des sujets abordés. Si sa relation avec certains de ses partenaires peut parfois être difficile, elle n’en demeure pas moins un allié apprécié pour sa contribution humaine, matérielle et financière à l’Alliance.
Une étude documentée, illustrée de plusieurs figures.
PLUS de dix ans après le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, qu’en est-il de son influence au sein d’une Alliance contestée et fragilisée autant par son voisinage que de l’intérieur ? [1] Dans son entretien avec The Economist en octobre 2019, le Président Emmanuel Macron déclare « Ce qu’on est en train de vivre, c’est pour moi la mort cérébrale de l’OTAN » [2]. Son discours dénonce alors le manque de coordination et de régulation entre alliés à la suite de l’annonce américaine du retrait de ses troupes du nord de la Syrie et de l’offensive turque consécutive dans la région. Il fait également référence à l’instabilité de la politique étrangère des États-Unis qui semblent se détourner progressivement de l’Europe au profit d’un recentrement vers le Pacifique.
Selon le Président français, ces constats incitent à une réflexion profonde sur l’avenir politico-stratégique de l’Alliance et sur le nécessaire renforcement de la souveraineté des Européens. Son discours est néanmoins perçu par certains de ses partenaires comme étant une nouvelle tentative d’affaiblissement de l’Alliance par son « enfant terrible ». Cette perception est d’autant plus renforcée par les précédentes déclarations d’Emmanuel Macron relatives à la création d’une véritable « armée européenne » afin d’affronter les défis posés par la Russie, la Chine, et même les États-Unis (figure 1).
Il est indéniable que la France favorise l’Union européenne dans sa diplomatie publique et ses initiatives de défense. Le gouvernement actuel en a d’ailleurs fait son cheval de bataille. Ces efforts ne se réalisent pas pour autant au prix d’un désinvestissement de l’Alliance. Au contraire, l’organisation est encore aujourd’hui considérée par la France comme l’un des piliers de la sécurité collective européenne [3]. Le pays est le troisième contributeur au budget de l’OTAN – à hauteur de 10,49% – et prouve régulièrement sa solidarité envers ses alliés grâce à une participation soutenue à ses opérations depuis les années 1990 [4]. Son activité au sein de l’Alliance est pourtant méconnue du grand public et mériterait d’être explicitée afin de mieux comprendre la politique de défense française et ses ambitions européennes. Cette nécessité est d’autant plus forte que cela fait désormais dix ans que la France a pleinement réintégré la structure militaire de l’Alliance et participe donc à l’ensemble des négociations, à l’exception de celles organisées par le Groupe des Plans Nucléaires [5].
Aller au-delà des discours et de l’actualité mérite alors de s’intéresser aux pratiques quotidiennes des pays au sein de l’Alliance et d’analyser ses dynamiques internes. Cet article a ainsi pour objectif d’ouvrir la boite noire de l’OTAN afin d’identifier les stratégies déployées par les États, et plus particulièrement la France, pour faire valoir leurs vues et y accroitre ou maintenir leur influence. Il s’appuie sur une observation participante de cinq mois au sein de la représentation militaire de la France auprès de l’OTAN et se découpe en trois parties. La première partie présente les mécanismes sur lesquels repose la prise de décision au sein de l’Alliance. La deuxième partie établit pour sa part une typologie des stratégies d’influence déployées par les États, afin d’aborder le cas français en dernier lieu.
L’OTAN est une organisation politico-militaire dont la prise de décision est fondée sur la règle du consensus.
Une alliance politico-militaire
Le Traité de Washington, signé le 4 avril 1949 par douze États, pose les fondements de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord [6]. Il se démarque non seulement par sa concision (à peine quatorze articles), mais également par son contenu. En effet, les pays signataires s’engagent à : régler pacifiquement les différends internationaux dans lesquels ils pourraient être impliqués (Article 1) ; renforcer leurs institutions démocratiques tout en favorisant les échanges commerciaux entre eux (Article 2) ; accroitre leurs capacités de défense individuelles et collectives (Article 3) ; se consulter si l’un d’entre eux estime être menacé (Article 4) ; et à porter assistance à un allié subissant une attaque (Article 5).
Ce traité crée ainsi une organisation de défense collective présentée comme étant guidée par des « valeurs » suprêmes (libertés individuelles, démocratie, droits de l’homme…) et censée favoriser la coopération politique et économique entre alliés dans un contexte de Guerre froide et d’opposition idéologique au bloc soviétique. Ces objectifs attribués à l’Alliance Atlantique demeurent, le traité n’ayant jamais fait l’objet d’une révision.
L’Alliance Atlantique est donc de nature politico-militaire. Celle-ci se manifeste dans l’organigramme de l’OTAN (figure 2) qui se divise en organes politiques et militaires. Le Conseil de l’Atlantique Nord (CAN) est ainsi la plus haute instance décisionnelle : il réunit les représentants permanents – les ambassadeurs – des pays membres de l’Alliance et prend des décisions politiques. Les ministres des affaires étrangères et de la défense sont également amenés à siéger au CAN lors de sessions dites « ministérielles », et les chefs d’États et de gouvernements lors des sommets de l’Alliance. Le CAN est assisté quotidiennement dans son travail par un ensemble de comités civils.
Le Comité Militaire (CM) est pour sa part l’organe consultatif suprême du CAN. Il réunit les représentants militaires qui fournissent un avis militaire au CAN et veillent à l’application et à la traduction de ses décisions au niveau militaire. Les chefs d’état-major des armées des pays membres sont aussi amenés à se rencontrer au sein du CM plusieurs fois par an. Il est assisté quotidiennement par un ensemble de groupes de travail.
Les Commandements Stratégiques (CS) sont enfin les plus hautes autorités militaires d’exécution des décisions. Il existe un CS à Mons – le commandement allié opérations – et un CS à Norfolk – le commandement allié transformation.
De cette organisation tout à fait originale, résulte un processus décisionnel complexe qui est amené à varier selon le type (opérationnel, programmatique, symbolique…) et la nature (politique, militaire) de la décision. Toutefois, la demande émane toujours du niveau politique et enclenche un processus de consultations qui remonte généralement du niveau militaire au politique de cette manière :
La règle du consensus
Depuis la création de l’Alliance Atlantique, la prise de décision s’y effectue par consensus. Cela signifie qu’une décision ne peut être prise que si aucun allié ne s’y oppose : c’est le fameux adage « qui ne dit mot consent ». Contrairement à l’ONU, il n’y a donc pas de procédure de vote au sein de l’OTAN. Que ce soit dans les groupes de travail ou les comités, chaque étape est validée à l’issue d’un processus de consultations permettant de faire converger les vues vers une décision acceptable pour l’ensemble des alliés. La maxime de l’Alliance, trouvée en 1959 par le Doyen du Conseil – l’ambassadeur de Belgique André de Staercke – est d’ailleurs : « Animus in consulendo liber » (L’esprit libre dans la consultation) (figure 4). La règle du consensus détermine la manière dont les alliés vont négocier les décisions prises dans les enceintes otaniennes.
En effet, ces derniers sont amenés à développer diverses stratégies afin de faire valoir leurs vues en amont de la prise de décision. Celles-ci sont divisées en deux grandes catégories dans la suite de cet article – bien qu’elles soient poreuses – pour plus de clarté.
Au sein de l’Alliance, les nations sont amenées à déployer un ensemble varié de stratégies afin de faire valoir leurs vues. Celles-ci peuvent être distinguées en stratégies formelles et informelles.
Les stratégies formelles
Les stratégies d’influence formelles regroupent l’ensemble des stratégies employées par les États à l’occasion des négociations formelles en groupes de travail, comités et au conseil, ou bien s’inscrivant dans le cadre de la politique des ressources humaines de l’OTAN.
Dans le cas des négociations formelles, plusieurs attitudes sont observables : l’une des plus caractéristiques est la stratégie de blocage des négociations. Elle prend généralement la forme d’une rupture de la procédure d’accord tacite et entraîne une nouvelle discussion du texte au niveau politique ou militaire. Elle n’est employée qu’en dernier ressort, lorsque l’État a échoué à imposer ses lignes rouges dans le texte. La Turquie, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France sont les quatre États rompant le plus le silence à l’OTAN. Le coût politique associé à ce type de stratégie provoque un phénomène d’auto-censure chez certains pays qui ne rompent jamais la procédure d’accord tacite.
En amont de la prise de décision, un État peut aussi tenter de ralentir le processus décisionnel par divers moyens tels que l’obtention de délais supplémentaires au travers de l’ajout ou du décalage de réunions, ou par une demande d’allongement de la procédure d’accord tacite. Cela permet à l’État d’obtenir plus de temps afin de recevoir des instructions de sa capitale ou de « verrouiller » le processus en insérant un contrôle politique – des « verrous » – du CAN entre les différentes étapes du processus décisionnel.
La menace peut également être employée lors des négociations en cas de désaccord avec d’autres États ou la structure sur une ou plusieurs parties d’un texte ou sur l’objet de la réunion. L’allié en question menace alors de rompre le silence si ses vues n’apparaissent pas dans le document ou s’il estime que l’Alliance n’est pas l’enceinte adéquate pour traiter de cette question.
Certains États adopteront alors une posture de médiateur afin de tenter de concilier les positions divergentes. Celle-ci consiste souvent à reformuler ou à réagencer des phrases ou paragraphes : on parle de « wording ». Les anglophones possèdent indéniablement un avantage par leur maîtrise de la langue qui leur permet d’introduire des subtilités ou des nuances plus facilement, puisque les textes sont négociés en anglais.
Mais il est aussi possible pour un État de renoncer à certaines de ses revendications en échange de la validation d’autres demandes. Cette stratégie de marchandage est employée dans toutes les négociations, mais elle est particulièrement manifeste dans le cas de la négociation des communiqués des sommets. On parle alors de la « technique de la prise d’otages » : elle consiste à noyer ses revendications principales (lignes rouges) dans un ensemble de demandes plus large, afin de « libérer des otages » (renoncer à certaines revendications) en échange de compromis de la part des autres États sur ses autres demandes.
Les États peuvent également proposer des ajouts au texte en cours de négociation ou bien mettre à l’agenda de l’OTAN des sujets. Ces initiatives surviennent régulièrement lors de rencontres de haut niveau, telles que les ministérielles.
Enfin, certains États n’ont pas la possibilité d’assister ou de s’exprimer à toutes les réunions car leurs ressources humaines – dans les représentations et les capitales – sont limitées ou car certains sujets ne sont pas considérés comme étant importants. D’autres, au contraire, refusent la chaise vide et manifestent leur intérêt pour la question par une prise de parole active et répétée lors des réunions. Cette politique de présence est pratiquée par la France, les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni pour l’ensemble des sujets.
Les ressources humaines sont également un puissant vecteur d’influence pour les États qui tentent de placer leurs personnels civils et militaires dans des postes leur assurant du prestige, la circulation de l’information, ainsi qu’une certaine emprise sur la rédaction initiale des textes (postes de rédacteurs) ou bien lors de leur discussion (présidents des groupes de travail et comités). Le personnel civil est recruté par concours et doit bénéficier d’un soutien politique national – parfois au plus haut niveau – pour les postes à haute visibilité tels que les secrétaires généraux adjoints ou les membres du cabinet du secrétaire général. Dans le cas du personnel militaire, la plupart des postes sont répartis entre les nations lors de conférences de « manning » survenant généralement après une réforme de la structure de commandement. Chaque nation possède un certain nombre d’étoiles (d’officiers généraux) qui détermine le nombre de militaires qu’elle doit fournir à la structure de commandement (par exemple : 1 étoile = 30 postes). Ce personnel est rémunéré par les nations elles-mêmes, ce qui favorise la « fidélité » et l’échange d’informations.
Les stratégies informelles
Les stratégies informelles sont plus indirectes et ont pour objectif d’influencer le processus décisionnel de l’Alliance par des moyens « détournés », ne s’inscrivant pas dans le cadre formel des négociations ou du recrutement de personnel.
Parmi ces stratégies, la pratique des groupements informels – minilatéraux (figure 5) – est largement répandue au sein de l’Alliance. La décision se prenant par consensus, les alliés se réunissent régulièrement en amont ou en parallèle des réunions dans des formats restreints afin de pousser des thématiques à l’agenda de l’OTAN, de mobiliser des soutiens, d’harmoniser leurs positions, ou de résoudre des conflits. Ces formats sont particulièrement souples, ne sont pas forcément réguliers et peuvent s’ouvrir ponctuellement à de nouveaux participants.
Au-delà des groupements informels, les États entretiennent des contacts bilatéraux entre capitales afin de discuter à différents niveaux, en dehors de la structure, des questions otaniennes. Ceux-ci peuvent être « privés » (entre services, par le biais de mails ou d’appels téléphoniques) ou « publics » (à l’occasion d’événements internationaux, notamment).
Les alliés peuvent également rédiger seuls ou à plusieurs des non-papiers (« food for thoughts papers ») afin de mettre à l’agenda un sujet, ou d’orienter des négociations en cours dans un sens souhaité. Les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et de plus en plus la France produisent régulièrement des non-papiers.
Enfin, les États peuvent communiquer sur leur activité au sein de l’OTAN grâce à une multiplicité de canaux à leur disposition. Cette communication stratégique a pour objectif de faire « rayonner » l’État en mettant en valeur sa solidarité et sa contribution à l’OTAN. Cela prend la forme de vidéos de promotion diffusées dans l’Agora (figures 6 et 7) et sur leurs réseaux sociaux, ou bien de rapports produits par des think-tanks nationaux, de conférences, de déclarations de ministres et de chefs d’États dans les médias…
Figure 7 : Pack Animals - the German Mountain Infantry Brigade
Cette vidéo, diffusée dans l’Agora durant plusieurs semaines en 2019, est une parfaite illustration de la communication stratégique allemande relative à l’OTAN.
Si les relations franco-otaniennes sont tumultueuses depuis les années 1950, la France est néanmoins considérée comme étant un acteur influent au sein de l’Alliance qu’elle a pleinement réinvestie depuis son retour dans le commandement intégré en 2009.
Du désamour au retour dans le Commandement intégré
La France est l’un des membres fondateurs de l’Alliance Atlantique qu’elle n’a jamais quittée. En revanche, le Président Charles de Gaulle décide en 1966 de retirer la France du Commandement intégré de l’OTAN. Plusieurs raisons sont alors mobilisées pour expliquer ce retrait : une division profonde au sein du paysage politique français de la IVème République sur la question du réarmement de l’Allemagne (avec l’échec de la CED) ; la crise de Suez en 1956 qui a incité la France à s’émanciper de la domination américaine (notamment par le développement d’une force de dissuasion nucléaire autonome) ; l’hermétisme américain et britannique aux demandes françaises d’établissement d’un directorat tripartite en 1958 ; et la croissance de l’anti-américanisme en France dans le contexte de la guerre du Vietnam et d’une présence particulièrement visible des soldats américains sur le territoire français (jusqu’à plus de 70 000 en 1957) [7].
Le retrait de la France du commandement intégré a pour conséquence le départ des troupes américaines de France, ainsi que le déplacement du siège de l’organisation de Paris à Bruxelles à la fin des années 1960. Il est présenté par De Gaulle comme étant la seule façon pour la France de recouvrer son entière souveraineté sur son territoire national et de poursuivre sa politique de grandeur destinée à redonner à la France sa place de grande puissance sur l’échiquier mondial. Cet héritage gaullien n’a jamais été questionné par les Présidents suivants qui répètent inlassablement l’attachement de la France à l’Alliance Atlantique au travers de cette célèbre formule : « Amie, alliée, mais non alignée ».
La première tentative publique de retour dans le commandement intégré se produit sous la présidence de Jacques Chirac, dans un contexte post-Guerre froide marqué par la forte implication française dans les opérations de l’OTAN dans les Balkans. Son objectif est de réintégrer la France dans une structure militaire réformée laissant plus de pouvoir aux Européens. Mais les États-Unis jouissent alors d’un « moment unipolaire » et refusent de déléguer une partie de leur autorité aux européens. Les négociations débutées en 1995 se terminent donc en 1997, la France échouant à obtenir le commandement sud de l’OTAN [8].
Ce n’est qu’en 2009 que la France réintègre officiellement les structures militaires de l’OTAN sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le succès de ce retour est généralement expliqué par le réchauffement des relations franco-américaines, la volonté de Nicolas Sarkozy de rompre symboliquement avec la politique menée par ses prédécesseurs, et la redéfinition en cours de l’OTAN qui ressemble de moins en moins au bloc monolithique de la période Guerre froide [9]. Les demandes du Président, plus floues que celles de Jacques Chirac, sont également considérées comme plus acceptables par les États-Unis [10].
Ce retour dans le commandement intégré n’est finalement que la validation officielle d’un retour incrémental de militaires français dans la structure depuis les années 1990, et ne contrevient pas à l’indépendance nucléaire du pays puisque la France ne siège pas au Groupe des Plans Nucléaires. Le rapport Védrine de 2012 au président F. Hollande achève d’ailleurs d’entériner cette décision en déconseillant un nouveau retrait afin de ne pas nuire à l’influence française et à sa crédibilité auprès de ses alliés [11].
Les principaux objectifs poursuivis par la France vis-à-vis de l’OTAN depuis son retour dans la structure militaire sont alors : une réforme de l’organisation allant dans le sens d’une gestion raisonnée des ressources humaines et budgétaires ; une meilleure participation à la prise de décision à tous les niveaux ; une amélioration de son image auprès des alliés afin de favoriser la coopération OTAN-UE ; ainsi que le maintien d’une doctrine stratégique équilibrée prenant en considération l’ensemble des menaces.
Les stratégies privilégiées par la France pour faire valoir ses vues
La France continue à souffrir d’un déficit d’image auprès de certains de ses alliés malgré la politique volontariste engagée par Nicolas Sarkozy en 2009. Elle est néanmoins toujours considérée comme étant l’un des pays les plus influents et dispose de plusieurs relais pour faire valoir ses vues.
Sa participation aux principaux groupements informels (P3, Quad, Quint) lui permet non seulement de récolter de l’information, mais également d’harmoniser ses positions avec ceux qu’elle considère comme étant ses « principaux alliés », tout en bénéficiant d’un accès privilégié au secrétariat international qui est soucieux de ne pas être à contre-courant des positions du Quad. La particularité de la France réside dans sa participation à une multitude de groupements informels, au-delà de ceux précédemment cités. Cette « omniprésence » s’explique par son activisme sur l’ensemble des sujets traités au sein de l’OTAN.
Comme souligné précédemment, la France est d’ailleurs l’un des rares pays qui n’hésitent pas à rompre la procédure d’accord tacite si elle est en désaccord avec le texte. Cette stratégie a tendance à renforcer la perception par les alliés et la structure d’une France voulant freiner les activités de l’OTAN. Elle a néanmoins le mérite d’identifier le pays comme un interlocuteur incontournable lors des négociations, puisque sans son accord le texte ne pourra être adopté. Les représentants français participent également à l’ensemble des réunions en comités et groupes de travail afin de veiller au respect des lignes rouges du pays, telles que sa souveraineté sur son outil militaire. Ils s’expriment en français lors des réunions formelles et participent activement aux débats en formulant des commentaires sur l’ensemble des textes négociés.
En ce qui concerne la rédaction des non-papiers, la France en produit principalement de manière réactive afin d’influencer les négociations en cours. En cela, elle se distingue d’autres pays, tels que le Royaume-Uni ou les États-Unis, qui emploient cette stratégie pour mettre des sujets à l’agenda de l’Alliance. Néanmoins, la France est à l’avant-garde sur certains sujets de niche, tels que le cyber qu’elle a poussé à l’agenda du sommet de Varsovie en 2016 (« cyberdefense pledge »).
La France bénéficie également d’une présence civile et militaire visible grâce à l’obtention de postes prestigieux depuis son retour dans le commandement intégré. L’un des deux commandeurs suprêmes de l’OTAN est ainsi un français depuis 2009 (figure 8), et un poste de vice-chef d’état-major a été créé en 2012 pour la France auprès du commandeur suprême opération. Plusieurs postes sont aussi occupés par des français au sein de l’état-major international (qui travaille au service du comité militaire), ainsi que dans les différents états-majors. Le pays souffre néanmoins d’un déficit d’influence au sein d’ACO, partiellement causé par une présence insuffisante de militaires français. Du côté civil, la France est présente au sein du cabinet du secrétaire général, au regard de sa contribution majeure au budget de l’OTAN. Des français occupent également des fonctions prestigieuses au sein du Secrétariat International, tels que Camille Grand, secrétaire général adjoint pour l’investissement de défense [12]. Si la France fait partie des pays les plus représentés au sein des organes civils de l’Alliance, ce chiffre doit néanmoins être interprété à l’aune du nombre important de traducteurs et de fonctions support occupées par des français dont l’influence est moindre.
Le pays participe aussi aux activités militaires de l’Alliance, mais opère un jeu de marchandage interinstitutionnel avec ses alliés en échange de sa contribution. En effet, il est possible d’observer un désengagement progressif de la France des opérations de l’OTAN depuis le milieu des années 2010 du fait de la pression opérationnelle qu’elle subit sur son territoire national (Sentinelle) et en Afrique comme au Moyen-Orient (Barkhane, Chammal…). Elle participe néanmoins aux missions de police du ciel et à la Présence Avancée Renforcée de l’OTAN dans les États Baltes et en Pologne depuis 2017. A ce titre, elle envoie chaque année 300 militaires français en Estonie ou en Lituanie (figure 9). Cette participation lui permet d’obtenir en échange l’envoi de militaires estoniens et lituaniens dans ses propres opérations nationales et dans celles de l’Union européenne. L’Estonie a d’ailleurs récemment annoncé le doublement du nombre de militaires qu’elle envoie dans l’opération française Barkhane [13].
Enfin, la communication institutionnelle de la France relative à l’Alliance se caractérise par sa discrétion. Cela s’explique notamment par la persistance d’une perception négative de l’OTAN dans certains cercles politiques parisiens et la volonté de privilégier une communication centrée sur les efforts nationaux et à l’Union européenne. Les organes de communication à Paris sont aussi plus modestes que chez les grands partenaires de la France et souffrent de l’absence de traducteur. La communication de la France sur son activité à l’OTAN s’effectue ainsi principalement en français, ce qui nuit à son rayonnement international. Néanmoins, des évolutions institutionnelles récentes au sein du Ministère des Armées vont dans le sens d’une amélioration de la communication stratégique française. Des liens sont également tissés avec des think tanks et des centres de recherche français afin de réaliser des efforts de pédagogie auprès des alliés sur la posture de défense et de dissuasion françaises [14]. Le pays invite d’ailleurs depuis quelques années les représentants permanents et le secrétaire général à l’Ile Longue dans la même perspective [15].
La France est ainsi un allié influent et a su s’imposer comme un acteur incontournable des négociations au sein de l’OTAN grâce à son activisme sur l’ensemble des sujets abordés. Si sa relation avec certains de ses partenaires peut parfois être difficile, elle n’en demeure pas moins un allié apprécié pour sa contribution humaine, matérielle et financière à l’Alliance. La France encourage aujourd’hui l’OTAN à adopter une posture équilibrée – à 360 degrés – afin de maintenir les canaux de communication ouverts avec la Russie et de prendre en considération les menaces provenant du Sud [16]. Avec ses voisins, elle prône une meilleure coordination entre l’OTAN et l’Union européenne sur cette question, ainsi que le développement des capacités de cette dernière afin d’affronter les défis présents et à venir [17]. Au regard de l’actualité, les futurs développements interinstitutionnels dans ce domaine seront à suivre de près afin de voir si les deux organisations réussiront à trouver ensemble une solution à la crise politique et humanitaire en Méditerranée.
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MAJ : 01/04/2020
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[1] Cet article est construit sur la base d’une intervention dans le séminaire « International Cooperation and Defence Policies » donné par Samuel Faure à l’IEP de Saint Germain en Laye.
[2] « Emmanuel Macron in his own words (French) », The Economist, 7 novembre 2019, URL : https://www.economist.com/europe/2019/11/07/emmanuel-macron-in-his-own-words-french.
[3] « Discours du Président Emmanuel Macron sur la stratégie de défense et de dissuasion devant les stagiaires de la 27ème promotion de l’école de guerre », Elysée, 7 février 2020, URL : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/02/07/discours-du-president-emmanuel-macron-sur-la-strategie-de-defense-et-de-dissuasion-devant-les-stagiaires-de-la-27eme-promotion-de-lecole-de-guerre.
[4] « Le financement de l’OTAN », NATO, mise à jour le 7 août 2019, URL : https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_67655.htm ; « Les opérations de l’OTAN », La France à l’OTAN, dernière modification le 9 août 2018, URL : https://otan.delegfrance.org/Les-operations-de-l-OTAN-1420 ; « L’OTAN », Direction Générale des Relations Internationales et de la Stratégie, mis à jour le 15 juillet 2019, URL : https://www.defense.gouv.fr/dgris/action-internationale/l-otan/l-otan.
[5] Le Groupe des Plans Nucléaires est l’organe dans lequel les alliés, à l’exception de la France, ajustent la politique nucléaire de l’Alliance à l’aune des évolutions de l’environnement sécuritaire international.
[6] « Le Traité de l’Atlantique Nord », NATO, 4 avril 1949, URL : https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_17120.htm.
[7] Voir : Maurice Vaïsse, Clémence Sebag, “France and NATO : An History”, Politique étrangère, 2009/5 (Hors série), p. 139-150 ; Frédéric Bozo, “Explaining France’s NATO ‘normalisation’ under Nicolas Sarkozy (2007–2012)”, Journal of Transatlantic Studies, 2014, 12:4, p. 379-391.
[8] Ibid., p. 382-383.
[9] Annick Cizel, Stéfanie von Hlatky, “From exceptional to special ? A reassessment of France–NATO relations since reintegration”, Journal of Transatlantic Studies, 2014, 12:4, p. 353-366.
[10] NDLR : Cela n’empêche pas les États-Unis de conduire au premier semestre 2012 une cyber attaque pour aspirer une partie significative des données du système informatique de la présidence de la République française. Cette attaque aurait notamment été conduite depuis l’Ambassade des États-Unis à Paris.
[11] Hubert Védrine, « Rapport pour le Président de la République française sur les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la défense », remis le 14 novembre 2012, URL : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_H_VEDRINE__V7_-_definitive__cle05be84.pdf.
[12] « Camille Grand », NATO, mis à jour le 3 octobre 2016, URL : https://www.nato.int/cps/en/natohq/who_is_who_135548.htm?selectedLocale=fr.
[13] “Up to 160 Estonian troops committed to international operations for 2020”, Eesti Rahvusringhääling, 6 novembre 2019, URL : https://news.err.ee/1000123/up-to-160-estonian-troops-committed-to-international-operations-for-2020.
[14] Le Réseau nucléaire et stratégie – nouvelle génération, ouvert aux ressortissants des pays membres de l’OTAN et de l’UE, s’inscrit dans cette perspective. Il est coordonné par l’IFRI et la FRS et bénéficie du soutien du gouvernement français.
[15] Nathalie Guibert, « La France invite ses alliés de l’OTAN dans le saint des saints nucléaire », Le Monde, 15 février 2020, URL : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/15/la-france-invite-ses-allies-de-l-otan-dans-le-saint-des-saints-nucleaire_6029678_3210.html.
[16] « Déclaration de Mme Florence Parly, ministre des armées, sur la France et l’OTAN, à Paris le 16 octobre 2018 », Vie Publique, dernière modification le 8 novembre 2018, URL : https://www.vie-publique.fr/discours/206937-declaration-de-mme-florence-parly-ministre-des-armees-sur-la-france-et.
[17] “About”, South EU Summit, URL : https://www.southeusummit.com/about/.
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