J-F. Drevet éclaire brillamment les relations de la Grèce, de la Turquie, du Royaume-Uni, des Etats-Unis et de la Russie avec Chypre. Une impressionnante somme de connaissances finement maitrisées et présentées avec clarté. Découvrez le dessous des cartes d’une île méditerranéenne membre de l’UE mais méconnue.
Voir la première partie de cette étude J-F Drevet, Géopolitique de Chypre.
Voir la deuxième partie.
Voir la troisième partie.
Voir la quatrième partie.
NB : Les quelques citations en anglais sont traduites en français en note de bas de page.
DANS LE COMBAT des peuples pour l’autodétermination, Chypre est toujours confronté à de puissants obstacles. D’une part, les puissances garantes ont conservé un rôle décisif dans ses affaires intérieures et fortement limité sa capacité à mener une politique étrangère autonome. D’autre part, le destin de l’île intéresse toujours les « grands », notamment les États-Unis et la Russie.
Dans les années 1950, dans le contexte de la décolonisation [1], leur « national struggle » n’avait pas l’indépendance pour objectif, mais l’Enosis, qui s’est dédoublée quand la communauté turque s’est rapprochée de la Turquie. En dépit de son identité hellénique et de trois siècles de domination ottomane, ses relations avec la Grèce et la Turquie se sont distanciées par de longues périodes d’appartenance à d’autres constructions politiques. De l’installation des Croisés (1191) à l’indépendance (1960), l’île est gouvernée par des puissances étrangères. Au cours de la période ottomane, le lien subsistant avec l’hellénisme est principalement religieux et culturel, à travers l’archevêque-ethnarque. Quant à la communauté musulmane qui s’est constituée à partir du 17e siècle, elle n’est qu’un petit groupe isolé dans un vaste Empire multinational.
Cette distanciation n’a pas empêché les deux communautés de rester fidèles à leurs mères-patrie. Sans se joindre aux combats, les Chypriotes grecs soutiennent la guerre d’indépendance grecque (1820-1829). En 1821, les prélats et les notables en paient le prix : 450 exécutions, dont l’archevêque Kyprianou. En 1897 et 1912-1913, des volontaires chypriotes grecs participent aux guerres balkaniques, ce qui suscite des protestations de la Porte, puisque l’île est encore nominalement sous sa souveraineté. À chaque fois qu’on leur en donne l’occasion, les notables chypriotes grecs renouvellent de manière de plus en plus insistante leurs vœux en faveur de l’Enosis. Par contre, les Chypriotes turcs deviennent orphelins de l’Empire ottoman après 1914. Initialement, ils ne comprennent pas la politique de sécularisation de la République kémaliste et ne s’en rapprochent que pour s’opposer à la revendication énosiste.
Aujourd’hui encore, bien qu’on rencontre, notamment au sud, de plus en plus de drapeaux chypriotes, on célèbre les fêtes nationales grecque et turque et on arbore souvent les oriflammes des mères-patries et pas seulement sur les édifices administratifs et religieux. D’innombrables manifestations célèbrent la fidélité des deux communautés, notamment par l’érection de statues de personnalités politiques et littéraires des mère-patries, même si elles sont étrangères à l’île.
En vérité, les Chypriotes ont bien du mérite, car au XXe siècle, leurs mères-patries ne les ont pas bien traités. Des deux côtés, les exemples de négligence d’abandon, de trahison, de domination des insulaires sont nombreux. À des périodes différentes, ils ont été victimes d’ambitions démesurées, aussi bien du panhellénisme que des délires nationalistes et islamistes.