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Comment la guerre russe contre l’Ukraine change-t-elle l’UE ? Entretien avec S. Kahn

Par Pierre VERLUISE, Sylvain KAHN*, le 22 octobre 2023.

Il n’y a rien de pire que de croire que « rien ne change, tout continue comme avant. » S. Kahn nous aide à saisir combien la relance de la guerre russe en Ukraine a – aussi – des effets géopolitiques notables et structurants sur l’Union européenne. Une nouvelle fois l’UE se réinvente. Parce que la candidature de l’Ukraine à l’UE a relancé celles des Balkans occidentaux, S. Kahn livre aussi une réflexion audacieuse à propos d’un possible cadrage des élargissements envisagés. Il répond aux questions de Pierre Verluise pour Diploweb.com.

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Pierre Verluise (P. V. ) : Les États membres de l’Union européenne ont-ils été pris de court par la relance de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022 ?

Sylvain Kahn (S. K. ) : Oui. Les États membres de l’Union européenne n’envisageaient pas du tout ce scénario. C’est pourquoi, pour les États membres de l’UE, la guerre russe à l’Ukraine est d’abord un ébranlement. L’Ukraine et l’UE étaient déjà proches. L’Ukraine est un pays frontalier de l’UE ; elle est un pays avec qui l’UE a un accord d’association - qui favorise les échanges économiques, la mobilité des personnes et les avancées de l’État de droit. Elle est un pays dont certains États-membres, comme la Pologne, militaient pour qu’elle adhère à l’UE, tandis qu’une majorité d’Ukrainiens se déclaraient Européens et pour une intégration à l’UE. L’UE était enfin impliquée dans une médiation - le processus de Minsk - entre les États ukrainien et russe depuis que le second avait conquis la Crimée (2014) – en violation du Mémorandum de Budapest (1994) - et fomenté une guerre de sécession dans le Donbass, deux régions de la République d’Ukraine devenue indépendante en 1991 [1].

La relance de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 rend caduque cette politique ukrainienne de l’UE. Elle a signé l’échec de cette politique ukrainienne de l’UE, mais aussi l’échec de la politique russe de l’UE. Même si on ne peut pas pour autant en conclure que l’invasion de l’Ukraine par la Russie était « écrite ». Au sein de l’Union européenne, cette double politique faisait certes débat, mais nombreux étaient ceux qui l’estimaient pertinente car réaliste. Il s’agissait d’arrimer l’Ukraine à l’UE tout en maintenant sur la Russie une pression (par des sanctions ciblées et mesurées) dans l’attente et l’espoir de sa démocratisation et d’un renoncement à sa politique du fait accompli. L’approvisionnement énergétique d’une partie des pays de l’UE en énergies fossiles russes était considéré par eux comme une interdépendance : l’État russe ayant autant besoin de ces exportations que plusieurs États-membres de l’UE de ces importations, la Russie ne prendrait pas le risque de mener une politique à laquelle s’opposerait frontalement les Européens. Ses élites finiraient par revenir à une politique moins néo impériale et plus partenariale, comme sous B. Eltsine (1991-1999) et durant le premier mandat de V. Poutine (2000-2004) car c’était, « objectivement », leur intérêt… tel que le comprenions.

La politique russe des États membres de l’UE dans leur ensemble visait à contenir l’ingérence et l’influence de l’État russe dans les pays ayant appartenu à l’URSS, à limiter les tentatives de l’État russe de fausser la vie politique démocratique des États de l’UE par la corruption, la manipulation de l’information et des données et aussi la convergence idéologique, et à accroître l’interdépendance économique entre l’UE et la Russie. C’était un pari sur le temps. Un pari qui s’expliquait aussi par le fait que les relations avec la Russie et les politiques de l’État russe étaient l’un des problèmes parmi plusieurs autres de grande importance sur lesquels devaient agir au même moment les Européens.

Sylvain Kahn
Docteur en géographie et diplômé de géopolitique, agrégé d’histoire, normalien et chercheur au centre d’histoire de Sciences Po, il a notamment publié aux PUF « Histoire de l’Europe depuis 1945 ».
France Info

Les États membres de l’UE n’étaient pas satisfaits de la situation. Mais ils faisaient avec. Et ils n’imaginaient pas que Poutine relance l’armée russe dans l’invasion et la conquête de l’Ukraine.

P. V. : Comment peut-on caractériser la réaction des pays membres de l’UE à la relance de la guerre russe en Ukraine ?

S. K. : Cette relance de l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022, a réveillé chez les pays membres de l’UE un sentiment de peur. L’expression “la guerre est de retour en Europe” a beaucoup été employée dans l’espace public et médiatique dans les premiers mois de cette invasion. Dans les opinions publiques de plusieurs États membres de l’UE qui avaient été précédemment incorporés (ou manqués de l’être) dans l’empire soviétique, la peur d’être envahi dans la foulée de l’Ukraine était là. Dans plusieurs États membres de l’UE de l’ancienne Europe des Douze [2], la peur de se voir menacé de l’être ou d’être menacé d’une attaque non conventionnelle par l’arme atomique s’est manifestée. L’UE partage avec la Russie plus de 2700 km de frontières ; l’oblast de Kaliningrad, avec sa base militaire et son arsenal nucléaire, est une enclave de la Russie dans l’UE sur la mer Baltique ; et les dirigeants russes présentent la Russie comme l’héritière de la puissance soviétique.

Les États membres de l’UE ont réalisé que le territoire de l’entité politique européenne (CECA dès 1951 ; CEE dite “marché commun” de 1957 à 1993 ; Union européenne depuis) était inviolé depuis près de 80 ans – soit trois générations. Dans le même temps, ses membres ne se sont jamais fait la guerre entre eux. L’attribution du prix Nobel de la paix en 2012 a d’ailleurs reconnu cette réalité de l’UE qui marque une rupture notable dans l’histoire contemporaine et moderne des Européens.

Les États membres de l’UE se sont dépris de la guerre comme mode de relation entre eux et comme modalité de l’action publique. Ils sont confrontés au fait que cette façon de voir les choses et d’agir est loin d’être partagée par ce très grand État qui est à leur frontière, la Russie. Cette invasion de l’Ukraine - un pays associé à l’UE et possiblement susceptible de la rejoindre - amène les pays de l’UE à réaliser, au sens de prendre pleinement conscience, ce qui les caractérise et ce qui les différencie radicalement de la Russie actuelle.

En relançant la guerre contre l’Ukraine juste après avoir déclaré la reconnaissance unilatérale par Moscou des territoires séparatistes du Donbass, le régime russe témoigne qu’il repose sur des valeurs opposées point par point à celles de la construction européenne : le pluralisme, le droit, l’échange, l’esprit critique, la négociation, le compromis. Cette distinction radicale a été aggravée par les crimes de guerre perpétrés par l’armée russe dès le début de l’invasion.

Face à la guerre d’agression de l’Ukraine par la Russie, les dirigeants des pays et des institutions de l’UE ont décidé avec célérité et dans la durée de faire peser des sanctions sur le régime russe pour rendre très coûteux et très contraignant son effort de guerre, et de soutenir les Ukrainiens par les moyens de l’hospitalité, de la solidarité, de la sobriété énergétique et de la livraison de matériel de guerre de plus en plus puissant et sophistiqué.

Les Etats membre de l’UE ne veulent plus financer l’impérialisme et le militarisme de la Russie de V. Poutine.

Les États membres de l’UE ont sanctionné très sévèrement l’agresseur, y compris à leur détriment. Ils s’engagent à se déprendre de l’interdépendance qu’ils ont tissée avec la Russie depuis plus de vingt ans, notamment dans les secteurs de l’alimentation et de l’énergie. Ils ne veulent plus financer son impérialisme et son militarisme ; et ils ne veulent plus être dépendants de ce pays voisin qui voit dans leur existence un obstacle et un rival tant il est vrai que l’UE exerce un vif pouvoir d’attraction sur les sociétés des pays de l’espace dit post-soviétique. Or, le régime russe de Poutine résout, lui, ce type de concurrence par la violence.

Aussi, deux des États-membres neutres de l’UE - la Finlande et la Suède - décident de rejoindre l’OTAN avec l’accord de tous les États-membres de l’UE également membres de l’OTAN. Aussi l’UE décide-t-elle d’ouvrir avec l’Ukraine et la Moldavie des négociations d’adhésion. Aussi l’UE institue-t-elle une Communauté politique européenne, la CPE, par laquelle plus de 40 pays reconnaissent que l’UE polarise et organise l’Europe géographique tandis que la Russie est un problème et un État hégémonique.

P. V. : Existe-t-il des évolutions en cours au sein de l’UE qui seraient provoquées par ce conflit ?

En lisant les enquêtes Eurobaromètre, on comprend que les citoyens des États membres de l’UE expriment majoritairement dans leur ensemble une demande de politique européenne de défense et d’affaires étrangères depuis plusieurs années, et que, dans une forte proportion, ils adhèrent à la politique de soutien à l’Ukraine, comme à la politique de sanctions de la Russie. Cette majorité va de massive à nette selon les pays. Or, de facto , le soutien à l’effort de guerre ukrainien et aux sanctions visant à affaiblir l’effort de guerre russe sont, dans l’histoire, la première manifestation d’une politique de défense du territoire européen [3]. Le fait qu’il suscite l’accord d’une majorité d’Européens est donc un test grandeur nature : il valide dans la pratique le souhait exprimé d’une politique européenne de défense.

Il est notable que, en dépit du maintien de la règle de l’unanimité dans ce domaine comme dans celui de la politique étrangère, les pays de l’UE mènent une politique russe et ukrainienne à la fois très cohérente et très ferme. Pour beaucoup d’observateurs, c’est inattendu. Sans livrer la guerre sur le champ de bataille, l’Union européenne est très impliquée dans le soutien à l’Ukraine qui se défend contre l’État russe qui l’a attaquée et envahie. Ce faisant, les pays européens mettent en forme, concrètement, une politique étrangère et de défense européenne. [4]

L’une des conséquences de cette guerre russe en Ukraine est que l’Union européenne qui s’est construite dans l’indifférence à la puissance [5] et dans la préférence collective pour l’influence, l’échange et l’interdépendance, est en train de se demander comment être suffisamment puissante pour rester, non seulement influente, mais libre et indépendante.

On peut considérer que c’est une évolution amorcée par la réponse au Covid-19 (2020-2021) et accélérée par la relance de l’invasion de l’Ukraine par la Russie (2022).

P. V : Que nous apprend l’usage pragmatique de la Facilité européenne pour la paix pour financer les efforts d’armements de l’Ukraine en leur remboursant par un fonds extrabudgétaire ?

S. K. : L’Union européenne mobilise la Facilité européenne pour la paix [6] pour financer des dons de matériel militaire à l’Ukraine par ceux des États membres qui l’ont décidé. Cette facilité représente 1/8e du total de l’aide militaire fournie et budgétée par les 27 à l’Ukraine - soit, au 31 juillet 2023, 5,6 milliards d’euros. C’est la première fois depuis sa création en 2021 que cet instrument est utilisé. L’effet de levier est bien supérieur à cette proportion : il s’agit en effet d’une politique publique mutualisée - décidée ensemble à 27 avec une exécution confiée au Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, nom officiel du « ministre des affaires étrangères de l’UE », poste occupé par Josep Borrell, qui dirige le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), nom officiel du « ministère des affaires étrangères de l’UE ». C’est bien l’UE qui s’engage en tant que telle dans le soutien à l’effort de guerre de l’Ukraine. On peut en tirer plusieurs enseignements. En premier lieu, l’UE comme ensemble se positionne comme une entité aux capacités régaliennes. C’est la troisième manifestation de cette capacité en deux ans : le plan de relance de l’économie européenne pour faire face aux conséquences de la pandémie est la première. En se dotant de ce budget extraordinaire financé par des bons du trésor européens et réparti entre les différents pays de l’UE, l’ensemble des acteurs du système politique européen ont chargé la Commission européenne d’être comme un ministère des finances d’un État européen ; l’avenir dira si cette disruption est une exception ou un précédent. La deuxième manifestation était plus subtile : c’est la politique vaccinale anti-covid de l’UE. La Commission européenne a pré-acheté des doses des vaccins en train d’être élaborés en quantité considérable, de façon à donner accès de façon égalitaire aux achats de vaccins aux 27 gouvernements nationaux et en quantité suffisante pour vacciner tous leurs administrés. Sur le même registre, la Commission, toujours avec l’accord des États-membres, a passé des ordre d’achats groupés de gaz aux nouveaux fournisseurs vers lesquels se sont tournés les pays européens en substitution du gaz russe.

Les États membres de l’UE, sans livrer de guerre, prennent parti dans une guerre en mobilisant leur industrie de défense et leurs capacités militaires.

En deuxième lieu, l’UE s’est décidée à manier l’un des instruments non seulement du régalien mais aussi de la puissance : faire la guerre. Les États membres de l’UE, sans livrer de guerre, prennent parti dans une guerre en mobilisant leur industrie de défense et leurs capacités militaires. Ils livrent des armes de guerre, ils forment les combattants de l’armée ukrainienne [7], ils partagent du renseignement militaire avec les Ukrainiens [8].

En troisième lieu, cette mobilisation par les États membres de l’UE de leurs ressources militaires au profit d’un pays associé en guerre - l’Ukraine - signale une volonté politique stratégique propre. Si on additionne d’une part la valorisation de l’aide militaire d’ores et déjà effectuée et des engagements annoncés par les pays de l’UE ensemble comme UE et individuellement comme États-membres, et d’autre part toutes les formes d’aides civiles, l’aide totale fournie par les Européens à l’Ukraine est près de deux fois supérieure à celle fournie par les Etats-Unis d’Amérique. Dans ce total, l’aide militaire des Européens (ressources des États-membres individuellement et ressource de l’UE) et des Américains sont équivalentes. Celle des Européens comprend des engagements pluriannuels sur quatre ans. Si on ajoute l’effort consenti par les Norvégiens et les Islandais, hors UE mais membres de l’EEE, l’aide militaire européenne est supérieure à l’aide militaire américaine [9].

Si nous considérons les aides par État, l’Allemagne fédérale est le deuxième État fournisseur d’aide militaire à l’Ukraine, après les Etats-Unis. Le Royaume-Uni - qui n’est ni dans l’UE ni dans l’EEE – se place troisième.

Si nous considérons l’aide à l’Ukraine rapportée au PNB, l’Allemagne est le 9e fournisseur d’aide militaire. Ni les Etats-Unis ni le Royaume-Uni ne sont dans les 10 premiers qui sont alors : Norvège, Lituanie, Estonie, Lettonie, Danemark, Pologne, Slovaquie, République tchèque, Allemagne et Finlande.

P. V. : La guerre en Ukraine a aussi fait prendre conscience des vulnérabilités et des dépendances de l’UE au-delà des questions militaires : énergie, matières premières, espace, digital/cyber, sécurité maritime. Quelles réponses ont été apportées en matière de politique industrielle ?

S. K. : Il est important de saisir que la représentation d’une UE comme « dépendante » est récente. Jusqu’en 2019, et depuis de nombreuses années, les États membres de l’UE ont fait le pari de l’interdépendance. Cette représentation [10] est une version récente de l’avantage comparatif et de la spécialisation à l’échelle mondiale. Les pays de l’UE ont fait le pari que la taille de leur marché rendrait leurs fournisseurs dépendants d’eux, tandis que la mondialisation des chaînes de valeur diluait le risque de dépendance à un pays fournisseur comme à tout type de monopole. Le fait que ce pari, avec les paramètres dont disposaient les Européens dans les années 1990, était loin d’être inconséquent. C’est fort de cette représentation que les Européens ont promu ce qu’on nomme de façon un peu inexacte le libre-échange, en promouvant d’abord la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC, qui naît en 1995) puis des accords bilatéraux avec des pays ou des régions du monde. Aujourd’hui, près de 40 accords de ce type insèrent l’UE dans l’espace mondial et y diffusent une certaine manière de voir, de produire, de consommer et d’habiter le monde. Ces accords portent autant sur l’abaissement des tarifs et des barrières douanières que sur les normes environnementales, de santé publique et de sécurité du consommateur de production des biens et des services couverts par l’accord de commerce. Ce faisant, l’UE a pris le parti de la division internationale du travail et de l’interdépendance.

Le Covid-19 et la relance de l’invasion russe de l’Ukraine ont changé la donne en transformant l’interdépendance en dépendance. Déjà en 2019, la Commission européenne prenait acte au nom de l’UE que la République populaire de Chine, fondant depuis 2012 sa politique mondiale sur une critique et une rivalité idéologiques des politiques européennes et occidentales, n’était plus seulement un très important partenaire commercial mais aussi un rival systémique, pour ne pas dire une menace.

Les dirigeants de l’UE, aiguillonnés notamment par quelques commissaires européens, s’accordent depuis plusieurs mois maintenant sur l’idée que les Européens doivent parvenir à être le plus autonomes possible, c’est-à-dire à compter le moins possible sur des fournisseurs localisés dans des États qui ne visent pas l’interdépendance mais la polarisation, l’accroissement de leur puissance économique et la monopolisation des ressources. L’expression d’autonomie stratégique recouvre cette prise de conscience. L’objectif d’autonomie stratégique s’incarne dans de nouvelles politiques publiques et dans un infléchissement de trajectoires de politiques publiques en place depuis plus de 30 ans.

Les États membres de l’UE se dotent ainsi à l’échelle de l’UE d’une relance des politiques de soutien public à des filières industrielles. Ils le font notamment par une atténuation de l’encadrement strict des aides d’État aux entreprises mis en place pour construire le marché unique ; par une extension des règles et des normes qui garantissent une concurrence équitable entre les entreprises aux entreprises non européennes ; par une suspension des règles de l’Union économique et monétaire qui encadrent la dépense publique (critères dits de Maastricht) ; par un renforcement du contrôle des rachats d’entreprises et des IDE par des investisseurs non Européens.

Depuis 2023, l’UE va même jusqu’à renouer avec la mise en place d’une politique industrielle volontariste, tombée en désuétude dans les années 1980, lorsque l’Europe des Douze et la Commission Delors misait sur l’égalisation des conditions de la concurrence, la fin des monopoles nationaux et les fonds structurels pour mettre en place le marché unique et promouvoir la compétitivité des entreprises et le développement économique. Cette politique a notamment pris le nom de “pacte vert industriel”. Elle prend acte de l’ampleur des subventions publiques de l’industrie en Chine et aux Etats-Unis. En même temps que la Commission européenne autorise de déroger à l’interdiction des aides d’État, elle fait accepter par les États et le Parlement européen un programme d’investissement européen (Invest EU), un programme de financement de production d’énergies renouvelables en Europe (Repower EU), un programme de financement de relance de la production des puces électroniques (semi-conducteurs) en Europe (le chips act européen) ; un programme de financement de relance de l’industrie minière - ce Critical raw materials act vise à extraire 10% dans les pays de l’UE et y raffiner et y transformer 40 % des métaux rares consommés tout en diversifiant auprès de pays réputés sûrs l’essentiel des approvisionnements alors que ceux-ci proviennent encore en très grande partie de Chine.

Il ne suffit pas d’adopter une législation et de programmer des subventions publiques pour qu’une société, ses universités et ses entreprises fassent de l’innovation, du risque,...

L’avenir dira si ce nouveau cours des politiques publiques européennes contribuera à affranchir l’économie européenne des dépendances géoéconomiques et géopolitiques qui la caractérisent pour partie, tout en maintenant la compétitivité de ses entreprises industrielles. Le cas de l’industrie des panneaux solaires, abandonnée au profit de biens importés de Chine et de l’industrie automobile, dont les dirigeants n’ont pas voulu ou pas su prendre le tournant de la voiture électrique et de la production de batteries tout en trichant à grande échelle sur les émissions de GES et de particules fines, sans même parler ici de l’insignifiance des entreprises européennes dans le domaine du numérique et de l’Internet, nous rappelle qu’il ne suffit pas d’adopter une législation et de programmer des subventions publiques pour qu’une société, ses universités et ses entreprises fassent de l’innovation, du risque, du développement de secteurs ou de biens industriels inédits et de la compétitivité des entreprises une préférence collective et une priorité.

P. V. : Quels sont les points forts et les points faibles de la candidature de l’Ukraine à l’UE ?

S. K. : Le premier problème auquel nous allons être confrontés, c’est le niveau de vie en Ukraine. J’ai tendance à être optimiste : l’Ukraine est une grande puissance agricole [11] du monde – une des cinq plus grandes puissances mondiales en exportation de céréales. Par conséquent, il y a une marge de progression très forte pour ce pays sur le plan économique. En actionnant différents leviers, y compris les investissements européens, en adaptant le budget de l’UE, qui est très peu élevé, je crois que l’UE parviendra à avoir un effet positif sur l’économie ukrainienne et à bénéficier des points forts et du dynamisme de celle-ci.

P. V. : La dynamique politique crée par l’octroi du statut de pays candidats à l’Ukraine et à la Moldavie ont remis les candidats des Balkans occidentaux en position de renforcer les pressions politiques sur l’UE afin de relancer leur adhésion, y compris pour un pays, la Serbie, culturellement proche de la Russie. La moitié des 13 pays entrés dans l’UE depuis 2004 ont des faiblesses en matière d’État de droit, dont la Hongrie et la Pologne qui vient de changer de majorité il est vrai. Pour des raisons politiques liées au contexte stratégique, l’UE ne risque-t-elle pas d’abaisser ses exigences en matière d’État de droit à l’égard des candidats (Ukraine, Moldavie, Balkans occidentaux) ?

S. K. : La guerre de la Russie à l’Ukraine a poussé les dirigeants de l’UE à un changement de doctrine : confrontée à l’agression russe, ils ont décidé en juin 2022 d’instituer la Communauté politique européenne (CPE), de donner à vitesse grand V à l’Ukraine et à la Moldavie le statut de candidat, et de déclarer qu’il est temps de finaliser l’adhésion des pays des Balkans occidentaux qui se négocie depuis une quinzaine d’années et la fin de la guerre en ex-Yougoslavie.

La Russie entend prouver que l’impérialisme et la violence restent structurants et efficaces en Europe. L’enjeu de l’UE est de démontrer le contraire.

On peut interpréter l’invasion de l’Ukraine par la Russie comme une tentative sanglante mais d’arrière-garde de l’État russe pour éprouver la profondeur et la solidité de l’état d’esprit qui anime la construction européenne, le contester et le démolir, et prouver que l’impérialisme et la violence restent structurants et efficaces en Europe.

C’est tout le contraire qui advient. La réaction des Européens témoigne de la profondeur de leur changement de paradigme des relations internationales entre Européens. Ils tiennent tant à leur système territorial interdépendant, mutualisé, pacifié et a-impérialiste, qu’ils inventent des politiques et des actions inédites et imaginatives pour le défendre en engageant leurs forces économiques et industrielles auprès des Ukrainiens et contre l’État russe. A cette aune, les adhésions en cours et la formation concomitante de la Communauté politique européenne nous disent que l’Union européenne a gagné et que la Russie a perdu.

Carte. L’architecture institutionnelle de l’Europe (2024)
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte de l’architecture institutionnelle de l’Europe (2024). Conception : M. Lefebvre et P. Verluise. Réalisation : AB Pictoris pour Diploweb.com
AB Pictoris-Lambert/Diploweb.com

Les Européens se décident à présent à intégrer dans leur Union six pays de plus en raison d’un nouveau calcul rationnel : à cause de l’impérialisme et du militarisme de l’État poutinien russe, il est plus coûteux, plus risqué et plus dangereux de ne pas élargir l’UE à ses pays que de les inclure dans l’UE. En effet, hors de l’UE, les sociétés des six pays en question sont bien plus sensibles aux menées et à la culture politique de cet État russe fondée sur la violence, la corruption et l’autoritarisme comme modalité de vivre ensemble. Hors de l’UE, ces pays sont bien plus exposés aux projets de l’État russe de limiter ou de violer leur souveraineté, de contrôler leur territoire et de les assujettir selon diverses modalités. Dans la mesure où ces six États sont d’ores et déjà très liés à l’UE économiquement, démographiquement, juridiquement, cette politique russe a pour effet de déstabiliser, d’intimider ou de menacer l’UE elle-même.

En comparaison aux quatre vagues d’élargissement précédentes, l’élargissement des années 2020 qui est en cours est un cas de figure différent, particulier et spécifique. En effet, l’Union européenne choisit cette fois de s’élargir à des pays dont les sociétés sont en grande partie structurées d’une part par la guerre ou l’après-guerre de conflits qui ont du mal à passer ; et d’autre part par le nationalisme. Or, la construction européenne se caractérise fondamentalement par le désintérêt de ses membres tant pour le nationalisme que pour la guerre. Cette dernière ne fait plus partie du répertoire des solutions politiques des pays membres de l’UE tant sur le plan interne (à de rares exceptions près, comme durant trente ans en Irlande du nord, il y a plus de vingt ans maintenant) que dans leur relations entre eux. Certes, dans deux pays (Hongrie depuis 2010 et Pologne de 2015 à octobre 2023), des partis occupent longtemps le pouvoir en mobilisant le nationalisme, mais celui-ci est très édulcoré, n’est ni impérialiste ni militariste, et demeure très contraint par le souhait très majoritaire des sociétés d’appartenir à l’Union européenne.

Les six pays de l’élargissement en cours des années 2020 sont de plus, à des degrés divers, des États faillis, ou très vulnérables, ou très corrompus, ou en partie amputés. Ce sont enfin des pays où une partie des forces politiques et sociales sont sous emprise de l’État russe. Ces problèmes ont pu être présents dans la vague d’élargissement des années 2000, mais marginalement et de façon étalée : Chypre est entrée en 2004 dans l’UE en étant amputée d’un tiers de son territoire envahi par l’armée turque en 1974 ; la Roumanie est entrée en 2007 en prise avec une corruption importante ; la Croatie entrée en 2013 est travaillée par la sortie de guerre et le nationalisme.

Il s’agit donc d’être inventifs : cette fois-ci, l’élargissement se caractérise secondairement par une augmentation du nombre de codécideurs (au Conseil de l’UE, au Conseil européen, à la Commission) et de députés au Parlement ; c’est secondairement qu’il se caractérise par le classique problème économique et financier de différentiel de richesse et de niveau de vie. Ce différentiel est bien là et il est très important : l’Ukraine est à la fois bien moins riche que les pays du quatrième élargissement, plus étendue que la France en superficie, et avec un nombre d’habitants compris entre celui de l’Espagne et de la Pologne. Elle est à la fois bien plus rurale que l’UE, et une puissance agricole exportatrice de rang mondial. Ce nouvel élargissement va donc amener les Européens à faire évoluer significativement leur budget, leur politique agricole commune et leurs fonds structurels. Mais, depuis le traité de Rome et la création de la CEE, les Européens ont l’expérience de ce type de défis. Et ces types de problèmes sont cette fois moins centraux que dans les élargissements précédents : cette fois-ci, en effet, le choix est en train d’être fait d’élargir à des sociétés qui sont en première instance travaillées par la guerre et les nationalismes. C’est pourquoi l’UE ne se préparera pas à cet élargissement-ci en mobilisant uniquement sa culture politique et son expérience éprouvée du demi-siècle écoulé.

L’adhésion graduelle à l’UE, ça fonctionnerait comment ?

Elle le fera en donnant ampleur et profondeur au conditionnement de l’accès aux financements européens au respect de l’État de droit et du pluralisme. Elle le fera en décidant de substituer à l’examen final et au passage du rien à tout (de candidat à État-membre) une adhésion progressive (graduelle) de type contrôle continu : on n’attend pas d’avoir ouvert et refermé la totalité des chapitres de la négociation d’adhésion pour déclarer le candidat apte à l’intégration. Les États intègrent l’UE progressivement (graduellement), par groupes de chapitres correspondants à des ensembles de politiques publiques. Dès qu’ils intègrent une politique publique de l’UE, un de leur ministre siège au Conseil de l’UE (la « chambre des États ») dans la formation qui décide de cette politique et lorsque l’ordre du jour du Conseil est dédié à la conduite et l’évolution de cette politique. Plus généralement, lorsqu’un État candidat sera intégré à l’UE à hauteur d’un certain degré (par exemple 25%), leur chef de gouvernement prendra part aux discussions du Conseil européen, organe qui réunit les chefs d’État et de gouvernement et oriente les politiques de l’UE sans les exécuter ni fabriquer la législation.

Lorsqu’il sera intégré à l’UE à 50% (par exemple), les eurodéputés qu’on aura proposé au pays candidat d’élire avec un statut d’observateur cesseront d’être observateurs et deviendront législateurs. Lorsque le pays candidat sera intégré à l’UE à 65%, il nommera un commissaire approuvé par le Parlement européen au sein de la Commission. Lorsque le pays candidat sera intégré à l’UE à 100%, son commissaire pourra y occuper un des trois postes de vice -présidents exécutifs.

Bref, l’adhésion graduelle déclinera le principe suivant : quand un État candidat est intégré à hauteur de 25% dans les politiques et les programmes de l’UE, il participe à hauteur de 25% aux institutions politiques de l’UE. Quand il est intégré à hauteur de 50% dans les politiques et les programmes de l’UE, il participe à hauteur de 50% aux institutions politiques de l’UE. Et ainsi de suite. C’est assez aisé à déployer.

Par ailleurs, il faut faire avec le réel. S’ouvrant à un nombre croissant de sociétés travaillées par le nationalisme et le souverainisme, l’UE gagnera à maintenir le droit de véto tout en le faisant évoluer.

Dans cette situation de véto résiduel (budget, fiscalité, politique étrangère et de défense sont les politiques où les décisions se prennent encore à l’unanimité), nous proposons de maintenir le droit de véto et d’y remplacer le véto par le “véto +”. Le véto + pourra prendre deux formes. Dans les deux, il s’agit de conforter la valeur du véto, de s’assurer qu’il n’est pas brandi à la légère, mais de façon très significative. Il s’agit de lui donner tout le poids qu’il mérite à l’aune de ce qu’il signifie dans un système politique supranational post-nationaliste.

Véto + forme 1 : dans les domaines à l’unanimité, le véto ne sera en principe plus posé par un seul pays ; il le sera par deux pays. Les dates d’adhésion à l’UE de ces deux pays seront séparées par une certaine période de temps - dix ans d’écart par exemple. De cette façon, la France et l’Allemagne ne pourront bloquer à elles seules une décision ; ni la Hongrie et la Pologne ; ni la Serbie et l’Albanie (par exemple et par hypothèse).

Véto + forme 2 : pour les raisons indiquées supra, il serait erroné car rigide ou idéaliste de complètement supprimer la possibilité pour un État seul d’exercer son droit de véto résiduel. Ce droit sera être maintenu en en rendant l’exercice véritablement précieux : il doit correspondre, non pas à une facilité ou une convenance, mais à l’intime conviction (si on peut dire s’agissant d’un État-nation) que la décision prise au nom de l’intérêt général européen à laquelle on s’apprête à s’opposer met vraiment en péril l’intérêt national ou supposé tel. C’est pourquoi le Véto + forme 2 est dans le monde très sérieux et très grave de la politique ce que le nombre de vies est dans le monde enfantin du jeu : une faculté rare. Concrètement, avec le Véto + forme 2, chaque État-membre a le droit à un nombre y de vétos en x années. Par exemple, chaque État-membre aura droit à 3 vétos par période de deux années glissantes.

Avec ce Véto + formes 1 et 2, la valeur du véto est rehaussée. Le véto devient précieux, rare et donc cher. Il devient un signe distinctif : il est fait pour être pris au sérieux et donc assez peu utilisé, même à 33 États membres.

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Docteur en géographie, professeur agrégé d’histoire à Sciences Po, Sylvain Kahn est chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po. Auteur de « Histoire de la construction de l ’Europe depuis 1945 », PUF, 2021. Co-auteur avec Jacques Lévy de « Le pays des Européens », Odile Jacob, 2019.
Propos recueillis par Pierre Verluise, docteur en géopolitique, fondateur du Diploweb.com. Auteur de la Masterclass "Quels sont les fondamentaux de la puissance ?"

[1NDLR : L’historien Michel Heller déclarait en décembre 1991 : « Un coup d’État a marqué ce jour (8 décembre 1991), du point de vue des lois soviétiques. Pourquoi ? Parce que les leaders de la Russie, de l’Ukraine et de la Biélorussie ont proclamé la dissolution de l’URSS. Ils forment maintenant une communauté d’États indépendants. » Interview de Michel Heller par Pierre Verluise, publiée le 13 décembre 1991 dans Le Quotidien de Paris. Texte disponible en ligne sur Diploweb.com à l’adresse https://www.diploweb.com/URSS-8-decembre-1991-pourquoi-l.html Autrement dit la Russie a été – en accord avec l’Ukraine – un des trois pays à l’origine de la dissolution de l’URSS.

[2Europe des Douze : Allemagne fédérale, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Danemark, Irlande, Royaume-Uni, Grèce, Espagne et Portugal.

[3Jusqu’alors la PESD s’est caractérisée par des OPEX (opérations extérieures) comme des projections de forces dans un cadre civilo-militaire pour maintenir une paix fragile et construire un État (cas de l’ex Yougoslavie) l’opération militaire Atalante pour mettre fin à la piraterie au large de la Corne de l’Afrique.

[4NDLR : C’est d’ailleurs pourquoi la Russie multiplie les attaques informationnelles vers les pays de l’UE afin d’affaiblir ce soutien à l’Ukraine, via des relais qui peuvent appartenir à diverses parties du champ politique. L’important est de cliver, d’hystériser, pour diviser et affaiblir.

[5Laïdi, Zaki. « L’Europe au défi du moment gaullien », Le Débat, vol. 206, no. 4, 2019, pp. 48-59.

[7NDLR. Michel Goya a écrit ainsi le 8 octobre 2023 sur Diploweb.com « L’armée ukrainienne est désormais l’armée européenne la plus puissante et la plus expérimentée. Il y a bien plus de soldats ayant connu le feu dans cette armée que dans tous les pays de l’Union européenne réunis. Je suis donc toujours étonné de voir par exemple, des unités ukrainiennes formées par des instructeurs allemands, dont la première consigne en opération extérieure est d’éviter à tout prix le combat. J’ai l’impression qu’en fait il devrait s’agir de formation mutuelle, les armées occidentales faisant profiter de leurs infrastructures de formation à l’abri des combats et de leurs savoir-faire maîtrisés, par exemple dans les techniques d’état-major, mais en coopération avec des cadres ukrainiens venant du front apportant leur expérience aux recrues comme aux Occidentaux. Pour le dire autrement tout le processus de formation proposé aux Ukrainiens, mais aussi à nos propres troupes, doit être alimenté par le retour d’expérience du front ukrainien. » https://www.diploweb.com/Comment-faire-l-histoire-immediate-de-la-guerre-russe-en-Ukraine-Entretien-avec-M-Goya.html

[8NDLR : Il faut espérer que le partage du renseignement entre pays de l’UE et Ukraine soit dans les deux sens, tant nombre de pays de l’UE ont une connaissance médiocre pour ne pas dire biaisée de la Russie, depuis plusieurs décennies, jusque dans les cercles du renseignement…

[9Cf : Kiel IFW, Ukraine Support Tracker Data | Kiel Institute Ukraine support tracker data, septembre 2023.

[10NDLR : Il serait intéressant de considérer la part d’idéologie à l’origine de cette représentation. Manifestement l’idéologie est passée à côté d’une partie des réalités.

[11NDLR : Pour autant, une proportion significative des terres agricoles ukrainienne est minée et / ou polluée par les restes des armements russes. Ce qui risque d’obérer durant plusieurs années les superficies cultivables.


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Citation / Quotation

Auteur / Author : Pierre VERLUISE, Sylvain KAHN

Date de publication / Date of publication : 22 octobre 2023

Titre de l'article / Article title : Comment la guerre russe contre l’Ukraine change-t-elle l’UE ? Entretien avec S. Kahn

Chapeau / Header : 

Il n’y a rien de pire que de croire que « rien ne change, tout continue comme avant. » S. Kahn nous aide à saisir combien la relance de la guerre russe en Ukraine a – aussi – des effets géopolitiques notables et structurants sur l’Union européenne. Une nouvelle fois l’UE se réinvente. Parce que la candidature de l’Ukraine à l’UE a relancé celles des Balkans occidentaux, S. Kahn livre aussi une réflexion audacieuse à propos d’un possible cadrage des élargissements envisagés. Il répond aux questions de Pierre Verluise pour Diploweb.com.

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