Vidéo de la conférence : L’Arctique est-il -vraiment- stratégique ?

Par Fabien HERBERT, Jérémie ROCQUES, Joséphine BOUCHER, Laurent MAYET, Michel FOUCHER, Thomas MERLE, le 19 octobre 2018  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Par ordre d’apparition. Olivier Caron, directeur général du CSFRS. Pierre Verluise, fondateur associé du Diploweb.com. Thomas Merle, agrégé d’histoire, agrégé de géographie, doctorant en Géographie politique à l’Université de Reims. Ambassadeur Michel Foucher, Chaire de Géopolitique mondiale au Collège d’études mondiales de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme. Laurent Mayet, adjoint de l’ambassadeur pour les océans. Depuis 2006, président-fondateur du think tank Le Cercle Polaire. Plus d’une cinquantaine de séjours en Arctique. Images et son : Jérémie Rocques. Montage : Fabien Herbert. Résumé : Joséphine Boucher pour Diploweb.

Dans l’idée de contribuer davantage à la diffusion de la culture stratégique et à la connaissance géopolitique, la première édition des « Perspectives stratégiques » co-organisée par le Conseil Supérieur de la Formation et de la Recherche Stratégiques (CSFRS) et le Diploweb s’intéresse à la question suivante : L’Arctique est-il -vraiment- stratégique ?

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Résumé par Joséphine Boucher pour Diploweb.com

En 1969, les Américains plantent la bannière étoilée sur la Lune. En août 2007, la Russie fait de même, mais à la verticale du pôle Nord. Cet acte symbolise les prétentions de la Russie de 2007 en Arctique, elle qui se veut la gagnante de la course aux pôles. Cet intérêt pour l’Arctique représente un changement dans la géopolitique russe. En effet, la doctrine traditionnelle de la Russie, c’est une course non pas à l’Arctique mais aux mers chaudes. Essentiellement guidée par un tropisme sud, elle s’intéresse à la Baltique, à la Mer Noire, à la Méditerranée et au long du Pacifique, d’où la révolution russe de 2007 à travers un retournement de sa doctrine diplomatique. Pourtant, malgré les nouveaux enjeux économiques qui justifient cet attrait pour le nord, celui-ci pourrait être considéré comme un enfer blanc : le coût d’exploitation des hydrocarbures fait face à un englacement qui le rend bien moins compétitif. Du point de vue du commerce, la rentabilité commerciale semble également limitée compte tenu de l’absence de ports intermédiaires en Arctique et des surcoûts engendrés par ce passage. Il s’agit en fait davantage d’un rééquilibrage que d’un retournement géopolitique russe, dans la mesure où la Russie met en valeur l’Arctique sans pour autant délaisser ses atouts géopolitiques situés au sud, tel que le Proche-Orient.

« Il y a deux types de problèmes en Arctique : l’imaginaire et le réel. Des deux, l’imaginaire est le plus réel. » écrivait en 1945 l’explorateur arctique canadien Vilhjalmur Stefansson. Mais qu’est-ce que l’Arctique dans les perpectives géostratégiques actuelles ? Cette zone du nord du cercle polaire équivaut à 14 millions de kilomètres carrés et est traversée par des routes maritimes étroitement liées à la géographie de la fonte. Contrairement à l’Antarctique, il s’agit d’un océan qui relève du droit ordinaire international, d’où l’existence de contentieux territoriaux et notamment maritimes, par exemple entre le Danemark et le Canada. Etant régi par un cadre juridique et par des règles, l’espace arctique est alors l’objet de tout un débat sur la problématique de la délimitation des limites maritimes au-delà du plateau continental, en particulier à propos de la question des dorsales comme prolongation des éléments continentaux émergés ou pas. Cet espace arctique est fortement marqué par la stratégie géopolitique de la Russie, et en particulier dans la route maritime du nord. Il s’agit en effet du seul pays qui organise le transport sur cette route fonctionnelle, active, et qui est un passage manifestement crucial pour le transport du transit. Ainsi, l’Arctique est stratégique pour la Russie essentiellement. Il existe un véritable activisme stratégique russe, incarné entre autres par une stratégie économique de contrôle des ressources, de création de ports en eau profondes, de réouverture de bases de l’époque soviétique ou d’installation de nouvelles bases. En 2013 est créée une entité administrative en charge de la navigation arctique qui vient s’ajouter au programme d’installation militaire pour contrôler la route maritime du nord et à la volonté russe de concurrencer les Etats-Unis. La Russie a également mis en place depuis 2014 un commandement stratégique nord, le tout témoignant d’une véritable stratégie tant économique que maritime et militaire mais aussi de contrôle et d’affirmation de la souveraineté nationale russe en Arctique. Face à la Russie et à ses intérêts multiples, le Canada opère un retour prudent à travers la mise en place de stratégies maritimes. Après avoir désinvesti toute présence de souveraineté sur le nord canadien après 1989, l’espace arctique est devenu synonyme de méconnaissance tant cartographique qu’hydrologique. C’est un espace difficile et coûteux. Pourtant, il convient de noter qu’une stratégie maritime pour le nord a été conçue et que l’Etat major canadien travaille actuellement sur des perpectives de trafic transarctique. Quant aux Etats-Unis, c’est un acteur réticent qui ne s’intéresse pas à cet espace, mis à part pour l’Alaska. De son côté, la Chine est active à travers des investissements, des projets, et la création d’un centre de recherche, le China Nordic Arctic Research. Enfin, le Groenland fait face au joug notamment financier et budgétaire du Danemark. Il existe en définitive une inquiétude générale sur le rôle des acteurs extérieurs que sont les grands Etats par rapport aux sous-régions. S’agit-il d’une remilitarisation de l’espace arctique ou d’une restauration de la présence russe dans les anciennes bases soviétiques ? Finalement, un élément de réel s’impose face à l’imaginaire qu’offre l’Arctique : cet espace difficile rentre actuellement dans le jeu global de la problématique des forces du marché et donc dans la problématique de souveraineté, d’où les contentieux sur les frontières maritimes. Il s’agit de considérer ce phénomène qui se rattache à la globalisation actuelle, jusqu’à considérer un impact à terme sur le statut particulier de l’Antarctique.

Vidéo de la conférence : L'Arctique est-il -vraiment- stratégique ?
L’Arctique est-il -vraiment- stratégique ? Un événement CSFRS et DIPLOWEB
De gauche à droite, par ordre d’intervention : Thomas Merle, Michel Foucher, Laurent Mayet.
Diploweb

Une idée semble par conséquent être acquise pour tous : la superpuissance arctique, c’est la Russie, ne serait-ce qu’en termes de superficie, de ressources naturelles, d’activités et de présence historique dans l’Arctique. Il convient aussi d’ajouter que c’est un intérêt majeur pour la Norvège qui fait l’objet de stratégies de développement pour le pays. L’essentiel des ressources en hydrocarbures de Norvège se trouve, en effet, dans la zone arctique, qui est par conséquent une zone hautement stratégique pour la Norvège. Par ailleurs, contrairement aux autres pays nordiques que sont la Finlande et la Suède, elle possède des côtes sur l’Arctique.

Finalement, peut-on parler de « région » arctique ? Deux représentations se font face : d’un côté, l’une appelle « arctique » la juxtaposition des territoires septentrionaux de puissance de latitude moyenne comme le Canada, les Etats-Unis ou encore le Danemark. Ces puissances arctiques sont les centres de gravité économique, démographique et de décision politique. Il s’agit d’une conjoncture complexe qui invite à penser la gouvernance de ces territoires par rapport à un Etat central géographiquement lointain. De l’autre côté, la projection dite polaire fait apparaître une authentique région arctique constituée de puissances riveraines et d’un espace maritime enserré par des continents. Cependant, il semble important de garder à l’esprit que l’Arctique désigne aussi, sur les plans économique et politique, des territoires contrôlés par des puissances subarctiques, c’est-à-dire situées hors de cet espace spécifique. La question qui se pose pour les puissances subarctiques semble alors être la suivante : comment exercer un relatif contrôle sur une région quasi désertique dont la population n’est estimée qu’à quatre millions d’habitants et comment exercer sa souveraineté dans une zone que les géographes qualifient de périphérie du monde ?

Au-delà de ces pluralités de représentations, il subsiste une indétermination quant à la définition même de ce qu’est l’Arctique. Le critère de l’englacement qui semble le plus fondamental n’est pas acceptable dans la mesure où il n’est pas vérifié sur l’ensemble du territoire arctique. Bien qu’incorrecte, c’est aujourd’hui la définition politique qui prévaut. Celle-ci stipule que tout Etat qui possède des mers ou des terres sous souveraineté ou juridiction nationale est arctique. Ainsi, les 8 Etats membres de la zone arctique se reconnaissent comme tels parce qu’ils ont chacun reconnu une partie de leur territoire comme étant arctique, et ce selon des critères non uniformisés. L’Arctique semble alors être une sorte de mosaïque, une juxtaposition de définitions disparates et non une représentation purement géographique. Il n’existe en somme aucune définition scientifique et géographique qui permette de légitimer le panel du Conseil de l’Arctique.

Par ailleurs, l’Arctique est un espace qui suscite des intérêts stratégiques pour plusieurs pays extérieurs à la zone même. En effet, autour du noyau constitué par les 5 Etats riverains et par les 3 Etats non riverains, un certain nombre de pays extérieurs considèrent qu’ils ont un intérêt à participer à la réflexion et à la mise en place de la gouvernance dans la zone arctique. La stratégie récente de la Chine est à ce titre intéressante. Elle se définit comme un Etat du « proche Arctique » et témoigne de son affirmation dans le jeu arctique par l’importance stratégique croissante de cet espace à l’échelle mondiale et pas seulement régionale. La feuille de route française de juin 2016 nommée Feuille de route nationale sur l’Arctique affirme de son côté le haut niveau d’engagement stratégique de la France pour la zone boréale, malgré l’absence de présence nationale au sens de territoire(s) français dans l’espace arctique.

Enfin, l’évolution de l’Arctique et de ses perspectives stratégiques dans les années qui viennent dépendent tant d’éléments politiques imprévisibles que de paramètres écologiques. Une seule chose peut être anticipée, c’est l’évolution du désenglacement de l’Arctique. Or, une question se pose alors : ce phénomène pourrait-il être à l’origine d’une dimension stratégique renouvelée de l’Arctique ?

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