L’UE-27, puissance économique et commerciale étrange

Par Pierre VERLUISE, le 4 juillet 2011  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Directeur du Diploweb.com. Distinguished Professor de Géopolitique à l’ESC Grenoble. Directeur de recherche à l’IRIS.

L’Union européenne à 27 est souvent présentée comme une « puissance économique et commerciale ». Cette affirmation – flatteuse – mérite d’être questionnée afin d’approcher une réalité toute en nuances. En fait, l’Union européenne à 27 s’avère une étrange puissance économique et commerciale. Si son PIB est plus élevé que celui des Etats-Unis et du Japon, c’est d’abord parce qu’elle est plus peuplée. L’étude de son PIB par habitant démontre que les habitants de l’UE sont de manière relative « les pauvres de la Triade ». L’UE ne compte qu’une seule véritable puissance commerciale exportatrice extra-communautaire : l’Allemagne. La performance de ce pays ne peut suffire à cacher la réalité de l’ensemble : la balance commerciale extra-communautaire de l’UE est systématiquement déficitaire.

L’UE, une puissance économique… relative

Recourons aux données consolidées publiées par Eurostat dans son annuaire le plus récent [1]. [2] A la différence d’Eurostat, nous utiliserons l’expression « espace UE-27 » pour désigner l’ensemble de pays formé par les 15 anciens États membres et les 12 candidats à une date antérieure à leur adhésion effective, le 1er mai 2004 ou le 1er janvier 2007. [3] Sans prétendre à l’exhaustivité, considérons successivement le PIB, le PIB par habitant, le commerce intra et extra UE-27 puis son évolution.

Commençons par le graphique « Espace UE-27, UE-27, zone euro, Japon et Etats-Unis : PIB aux prix courants du marché de 1998 à 2008, en milliards d’euros. » [4] Celui-ci offre la vision classique d’une UE « championne du monde ».

L'UE-27, puissance économique et commerciale étrange
Espace UE-27, UE-27, zone euro, Japon et Etats-Unis : PIB aux prix courants du marché de 1998 à 2008, en milliards d’euros

Alors que le Japon affiche des performances à la baisse depuis l’an 2000 et que les Etats-Unis présentent une courbe avec des hauts et des bas, l’espace UE-27 puis l’UE-27 offre l’image d’une croissance du PIB quasi régulière de 1998 à 2008, avec cependant un tassement sur la dernière année. Le PIB aux prix courants du marché de la zone considérée passe de 8162,3 milliards d’euros en 1998 à 12 512,1 en 2008. Soit une augmentation de 4 349,8 milliards d’euros. Chacun aura noté qu’à compter de 2003 les performances de l’espace UE-27 (10 108,2 milliards d’euros) sont supérieures à celles des Etats-Unis (9 849,8). Cinq ans plus tard, en 2008, la différence entre l’UE et les Etats-Unis est de 2 693,4 milliards d’euros, presque le PIB du Japon à cette même date (3 329,3). Rappelons, cependant, que la population de chacun de ces ensembles n’est pas identique.

Avec à cette date 497,4 millions d’habitants, l’Union européenne à 27 dépasse de loin la population des Etats-Unis et plus encore celle du Japon. Aussi importe-t-il de prendre en compte la population, via le PIB par habitant pour avoir une vision plus réaliste des performances économiques de l’UE.

Comme une douche froide

Considérons ensuite le graphique « PIB par habitant aux prix courants du marché en 2008, UE-27 base 100, en euros et en standards de pouvoir d’achat [5] » [6]. Ce graphique fait l’effet d’une douche froide.

PIB par habitant aux prix courants du marché en 2008, UE-27 base 100, en euros et en standards de pouvoir d’achat (SPA)

Sur la base d’un PIB par habitant aux prix courants du marché en 2008, UE-27 base 100, le Japon se place à 104 en euros et 111 en standards de pouvoir d’achat. Sur ce même paramètre, les Etats-Unis se situent à 128 en euros et à 154 en standards de pouvoir d’achat. Autrement dit, un habitant des Etats-Unis dispose d’un pouvoir d’achat 1,54 fois supérieur à celui d’un habitant de l’UE. Un différentiel existait déjà à l’époque de l’ex-UE-15 mais les élargissements de 2004 et 2007 ont creusé le fossé entre le niveau de vie moyen de l’UE et celui des Etats-Unis, de l’ordre de 11 points de pourcentage. Ce qu’on se garde généralement de faire observer. Chacun aura d’ailleurs remarqué que ce graphique d’Eurostat ne présente pas la configuration « ex-UE-15 ». Pour le dire d’une manière abrupte, les habitants de l’UE-27 sont donc de manière relative « les pauvres de la Triade ». Etrange pour une puissance économique… [7]

L’UE : quelle puissance commerciale ?

Considérons le deuxième volet de l’assertion commune : « l’UE puissance commerciale ». Observons d’abord le graphique « UE-27 et pays membres : commerce intra et extra UE-27, 2008, (Importations et exportations en % du commerce total) » [8]

UE-27 et pays membres : commerce intra et extra UE-27, 2008, (Importations et exportations en % du commerce total)

Chacun se souvient que la Communauté économique européenne fonde en 1957 un « Marché commun ». L’idée est d’abaisser les barrières douanières entre pays de la zone afin d’y faciliter les échanges et de mettre en place une barrière douanière commune avec « le reste du monde ».

Dans une large mesure, il s’agit d’un succès. Qu’on en juge : en 2008 l’UE-27 réalise 65% de son commerce en intra-communautaire. Il ne « reste » donc que 35% pour l’extra-communautaire, soit tout de même quelques 6 milliards d’habitants… Il existe cependant d’importantes différences entre pays membres. Le Royaume-Uni ne réalise que 54,7% de son commerce en intra communautaire, soit 45,3% pour l’extra-communautaire. Les cinq pays membres les moins dépendants du marché intra-communautaire en la matière sont le Royaume-Uni, l’Italie, la Bulgarie, la Lituanie et la Finlande.

Les cinq pays membres les plus dépendants du marché communautaire en matière de commerce sont l’Autriche, l’Estonie, la Slovaquie, la République tchèque et le Luxembourg. En effet, le Luxembourg réalise 81,5% de son commerce en intra-communautaire et seulement 18,5% en extra-communautaire.

Comme une douche froide (bis)

Pour mieux apprécier les performances commerciales de l’UE, considérons enfin le graphique « Espace UE-27 et UE-27 : développement du commerce extérieur, en milliards d’euros, de 1999 à 2008 » [9].

Espace UE-27 et UE-27 : développement du commerce extérieur, en milliards d’euros, de 1999 à 2008

De 1998 à 2008, le commerce extérieur de l’espace UE-27 puis de l’UE-27 a été régulièrement déficitaire. Depuis 2002, le déficit se creuse même de plus en plus. Etrange puissance commerciale dont la balance hors zone s’avère structurellement déficitaire… Dire que les Etats-Unis sont dans le même cas reste un peu court pour persister dans l’affirmation.

Les déficits les plus importants sont réalisés, par ordre décroissant, avec la Chine, la Russie et le Japon.

Ainsi, l’Union européenne à 27 s’avère une étrange puissance économique et commerciale. Si son PIB est plus élevé que celui des Etats-Unis et du Japon, c’est d’abord parce qu’elle est plus peuplée. L’étude de son PIB par habitant démontre que les habitants de l’UE sont de manière relative « les pauvres de la Triade ». L’UE ne compte qu’une seule véritable puissance commerciale exportatrice extra-communautaire : l’Allemagne. La performance de ce pays ne peut suffire à cacher la réalité de l’ensemble : la balance commerciale extra-communautaire de l’UE est systématiquement déficitaire. Les importations de produits industrialisés chinois et de produits énergétiques russes jouent ici des rôles déterminants.

Il serait possible d’ajouter au nombre des éléments qui font de l’UE une étrange puissance économique et commerciale que 10 pays sur 27 ne font pas partie de la zone euro à la date du 1er juin 2011… Et que la gouvernance économique de cette dernière n’a pas atteint le niveau de coordination de sa gouvernance monétaire. Autrement dit, les membres de la zone euro ont admis un fédéralisme monétaire, puis sous pression de la crise une forme de fédéralisme budgétaire mais ils hésitent encore – à tort ou à raison – à franchir le pas d’un fédéralisme économique qui porte en lui un fédéralisme politique.

Le tout sans véritable débat, puisqu’à son déficit commercial l’Union européenne ajoute depuis plus longtemps encore un déficit démocratique [10]. Mais ceci est une autre histoire.

Copyright Juin 2011-Verluise/Diploweb.com


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Avantages et limites des données d’Eurostat


Avantages

Les graphiques présentés ici sont construits à partir des données consolidées passées au filtre d’Eurostat. Certes, cette structure au service de la Commission européenne s’est fait connaître pour avoir accepté un peu facilement des données fausses de la Grèce lors de son passage à l’euro… Pour autant, cela ne saurait faire oublier la masse de données collectées et harmonisées, puis mises gratuitement au service du public, via le site éponyme [11]. Les données utilisées ici sont extraites des fichiers Excell joints à Europe in figures, Eurostat yearbook 2010 [12].

Ces données sur 27 pays membres, voire sur les candidats et de grands pays partenaires, offrent la possibilité de sortir d’une approche limitée à l’échelle nationale. Ces chiffres permettent une approche à la fois globale, à l’échelle de l’UE et comparative entre pays membres. Eurostat présente dans son annuaire annuel des séries sur près d’une dizaine d’années, ce qui donne un recul appréciable pour distinguer des tendances ou des ruptures.

Limites

On peut cependant regretter que de manière un peu forcée voire déterministe Eurostat agrège dans certaines séries sous l’étiquette « UE-27 » des données de douze pays qui n’en étaient pas membres avant 2004 ou 2007. Ce qui revient à sortir ces chiffres de leur contexte, voire à fausser l’appréciation de ce qu’était alors l’UE à douze ou quinze membres. La comparaison des performances entre les configurations successives de l’UE (UE-12, UE-15, UE-25, UE-27) est rendue difficile par cet effet de lissage. Les tenants de la théorie du complot y verraient une manière de faire passer sous silence les effets des élargissements post-guerre froide de 1995, 2004 et 2007.

Parce qu’il s’agit de données consolidées et qu’il faut deux années pour les construire à l’échelle de l’UE-27… ces données informent sur la situation en 2008.

Entre temps, la crise financière de fin 2008 a développé de multiples effets économiques et sociaux. Alors, quel est l’intérêt de ces données consolidées… mais datées de deux ans ? Elles constituent une photographie de qualité de l’UE d’avant la crise économique. Ce qui peut d’abord permettre une mise en perspective des estimations disponibles pour les années plus récentes. Autrement dit, il s’agit d’un « point de référence ». Cela peut permettre ensuite d’identifier les effets de la crise économique majeure engagée depuis fin 2008. Une crise que l’Union européenne semble avoir plus de difficultés à surmonter que bien d’autres pays ou régions. Rappelons qu’à l’échelle de l’UE, la crise a augmenté de 7 millions le nombre de chômeurs, le portant à 23 millions en 2010 [13].

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[1Eurostat, Europe in figures, Eurostat yearbook 2010, Luxembourg, Publications Office of the European Union, 2010, 657 p. http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-CD-10-220/EN/KS-CD-10-220-EN.PDF

[2Cf. encadré en fin d’article : Avantages et limites des données d’Eurostat.

[3Cette formulation veut prendre le contre-pied de l’approche déterministe induite par l’agrégation de pays membres et candidats dans une « UE-27 » antérieure à sa réalité, donc inexistante…

[4Dans l’annuaire Eurostat 2010, il s’agit du graphique 1.2 dont le titre original en anglais est : « GDP at current market prices, 1998-2008 (EUR 1 000 million) ».

[5Définition des standards de pouvoir d’achat (SPA) par Eurostat. « Le produit intérieur brut (PIB) est une mesure de l’activité économique. Il est défini comme la valeur de tous les biens et services produits moins la valeur des biens et services utilisés dans leur création. L’indice de volume du PIB par habitant en standards de pouvoir d’achat (SPA) est exprimé par rapport à la moyenne de l’Union européenne (EU-27) fixée à 100. Si l’indice d’un pays est supérieur à 100, le niveau du PIB par tête pour ce pays est supérieur à la moyenne de l’Union européenne et vice versa. Les chiffres de base sont exprimés en SPA, c’est-à-dire dans une monnaie commune qui élimine les différences de niveaux de prix entre les pays, permettant des comparaisons significatives du PIB en volume entre les pays. Il est à noter que l’indice, calculé à partir des chiffres en SPA et exprimé par rapport à EU27 = 100, est destiné aux comparaisons internationales plutôt qu’aux comparaisons temporelles. » Source : site d’Eurostat, rubrique définitions.

[6Dans l’annuaire Eurostat 2010, il s’agit du graphique 1.1 dont le titre original est « GDP per capita at current market prices, 2008, (EU-27=100), EUR, PPS ».

[7Si nous considérions la part du PIB consacrée à la Recherche et Développement (R&D), le résultat ne serait guère plus flatteur en dépit de toutes les déclarations d’intention depuis l’an 2000.

[8Dans l’annuaire Eurostat 2010, il s’agit du graphique 9.5 dont le titre original est « Intra and extra EU-27 trade, 2008, (imports + exports, % share of total trade) ».

[9Dans l’annuaire Eurostat 2010, il s’agit du graphique 9.4 dont le titre original est « External trade flows with extra EU-27), (EUR 1 000 million), 1999-2008 ».

[10Cf. P. Verluise, UE : pourquoi un tel déficit démocratique ? publié le 7 mai 2009 sur le site affaires-strategiques.info à l’adresse http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article1210

[11Le site d’Eurostat : http://epp.eurostat.ec.europa.eu

[12Eurostat, Europe in figures, Eurostat yearbook 2010, Luxembourg, Publications Office of the European Union, 2010, 657 p. http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_OFFPUB/KS-CD-10-220/EN/KS-CD-10-220-EN.PDF


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