UE Prospective démographique

Par Gérard-François DUMONT, le 20 avril 2011  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Recteur, Professeur à l’Université de Paris-Sorbonne, Président de la revue Population & Avenir

Alors que l’Italie et la France s’opposent au sujet des migrations tunisiennes, le Recteur Gérard-François Dumont publie sur le Diploweb sa communication au Groupe de réflexion sur l’avenir de l’Union européenne intitulée : Prospective démographique de l’Union européenne. (6 graphiques, 1 tableau, 1 carte)

Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre
Sun Tzu, vers le IIIe s. av J.-C.

Nous nous proposons de réfléchir à l’avenir de l’Union européenne en recourant aux méthodes de la prospective [1]. Conformément à ces dernières, cela nécessite une bonne connaissance de la situation initiale. Nous commencerons donc par singulariser la nature du système démographique de l’Union européenne à la fin des années 2000 [2].

Puis nous proposerons plusieurs scénarios prospectifs à l’horizon de 2030. en combinant les tendances possibles sur les principaux paramètres démographiques.

Enfin, les analyses et réflexions menées précédemment permettront, in fine, de proposer des recommandations dont l’objet est d’écarter les scénarios qui n’apparaissent pas souhaitables et de favoriser l’évolution vers un avenir meilleur.

1. Le système démographique de l’Union européenne : un « hiver démographique » inégal, tempéré par l’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé et par des apports migratoires

Un « hiver démographique »…

Dès la fin des années 1970, nous avons proposé la dénomination « d’hiver démographique » [3], pour définir une période de fécondité [4] nettement et durablement au-dessous du seuil de remplacement des générations [5]. Or une telle définition s’applique effectivement à l’Union européenne, depuis les années 1970. Les cinquième et sixième élargissements [6], aux 1er mai 2004 et 1er janvier 2007, ont confirmé cette réalité, avec l’entrée de pays à fécondité inférieure à la moyenne de l’Union européenne.

La mesure de cet « hiver démographique » peut être considérée notamment de deux façons : d’une part en examinant la pyramide des âges de l’Union européenne [7], par exemple par rapport à la moyenne mondiale, d’autre part en comparant l’évolution de la fécondité dans l’Union européenne avec celle des États-Unis.

UE Prospective démographique

Dans le premier cas, s’observe le rétrécissement de la base de la pyramide des âges de l’Union européenne. Dans le second, le contraste entre une fécondité qui est remontée au seuil de remplacement des générations aux Etats-Unis, alors qu’elle demeure environ inférieure à 25% de ce seuil en Europe. Autrement dit, ceteris paribus, le vieillissement « par le bas » est beaucoup plus intense dans l’Union européenne qu’aux États-Unis.
En deuxième lieu, l’Union européenne se trouve confrontée à une baisse de sa population active. En troisième lieu, si la fécondité demeurait dans les mêmes ordres de grandeur, les générations ne seraient remplacées qu’à 75%.

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…tempéré par l’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé…

Cet « hiver démographique » est d’abord tempéré par la hausse bienvenue de l’espérance de vie à la naissance [8] et, plus encore, par l’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé [9]. Ceci signifie qu’il est possible d’enrayer la diminution de la population active en retardant l’âge de départ à la retraite, puisque travailler à des âges plus élevés, tout en bénéficiant ensuite d’une retraite assez longue, est devenu possible.

…et par des apports migratoires

Les apports migratoires non européens reçus par l’Union européenne ces dernières années ont deux effets.

Le premier, direct, améliore les effectifs de la population active. Le second porte sur les naissances, dans la mesure où la population immigrée en Europe est souvent jeune et compte une fécondité souvent supérieure à celles des personnes non immigrées [10].

Mais des évolutions très contrastées selon les pays et les territoires européens

La devise de l’Union européenne, « Unis dans la diversité », s’applique aussi en matière démographique. En réalité, l’« hiver démographique » est fortement contrasté selon les pays, comme l’atteste une comparaison des données nationales.

Excédent des naissances sur les décès, versus excédent des décès sur les naissances.

En considérant la dernière année pour laquelle Eurostat a livré des données, certes provisoires [11], soit 2007, une première distinction oppose 18 pays à solde naturel positif, donc ayant un excédent des naissances sur les décès, et neuf pays à solde naturel négatif, donc enregistrant plus de décès que de naissances.

Mais, au sein de chacun des deux groupes, les intensités sont fort variées. L’excédent naturel le plus élevé des 27 pays, celui de la France, explique son deuxième rang pour le taux d’accroissement naturel, avec 4,6 pour mille habitants. L’excédent naturel de l’Irlande n’est que le cinquième des 27 en valeur absolue, mais, compte tenu du faible peuplement de ce pays, il traduit le plus fort taux d’accroissement naturel, avec 9,8 pour mille habitants. En revanche, d’autres pays ont un excédent naturel extrêmement faible, comme la Slovaquie, avec un taux d’accroissement naturel à peine positif, de seulement 0,1 pour mille habitants.

Parmi les neuf pays à solde naturel négatif, le contraste est aussi incontestable par exemple entre le Portugal et la Hongrie, deux pays dont la population est du même ordre de grandeur. Le Portugal compte un faible solde naturel négatif, de 1 000 habitants seulement, mais celui de la Hongrie est de 35 000 habitants.

Un large éventail de fécondité

L’une des raisons explicatives de ces différences de soldes naturels tient aux niveaux variés de fécondité. Même si les 27 pays comptent tous une fécondité inférieure au seuil de remplacement, le pays à la plus faible fécondité, la Slovaquie, a un niveau inférieur de 37% au pays ayant la fécondité la moins affaiblie, la France. Entre ces deux extrêmes, les pays s’étagent à des niveaux variés, ce qui aura, si de tels écarts perdurent, des conséquences importantes en raison de ce que j’appelle « l’effet tir à l’arc », c’est-à-dire le fait que des écarts aux conséquences limitées sur une courte période creusent à terme, en raison de la logique de longue durée en science de la population, des différences importantes.

Des soldes migratoires entre le négatif et le fortement positif

Le caractère d’éventail du solde naturel selon les 27 États se retrouve pour le solde migratoire, avec 22 pays à solde migratoire positif et 5 pays à solde migratoire négatif. Toujours pour l’année considérée, soit 2007, le pays comptant le solde migratoire le plus élevé, 749 000, l’Espagne, n’est pas le pays le plus peuplé des 27, ce qui met bien en évidence des différences d’attirance migratoire. Les deux pays comptant le plus fort solde migratoire 2007 sont les deux pays méditerranéens de l’UE.

En revanche, le solde migratoire du pays le plus peuplé, l’Allemagne, apparaît modeste, inférieur à celui de pays ayant un peuplement huit fois, comme l’Irlande ou la Belgique.

À l’opposé, les cinq pays à solde migratoire négatif sont les deux pays du sixième élargissement, la Bulgarie et la Roumanie, auxquels s’ajoutent deux pays Baltes, la Lettonie et la Lituanie, et un pays d’Europe occidentale, les Pays-Bas, caractérisés par un important changement de sa politique migratoire, mais aussi par une émigration non négligeable vers les pays voisins [12].

En conséquence, les effets dus à l’immigration modérant l’« hiver démographique » sont très différents selon les systèmes migratoires des pays. En effet, certains pays accueillent des populations immigrées appartenant à des classes d’âge jeunes, alors que d’autres voient émigrer des populations jeunes. Cette situation doit être mesurée non seulement à l’échelle des pays, mais également à des échelles infranationales. Par exemple, les nouveaux Länder de l’Allemagne, ceux issues de la réunification du 3 octobre 1990, évoluent fort différemment des Länder de l’Ouest, puisqu’ils connaissent une forte émigration des jeunes et notamment des jeunes femmes.

Les politiques familiales, éléments explicatifs des différences de fécondité ?

Outre le système migratoire, un élément explicatif des contrastes au sein de l’Union européenne semble tenir aux politiques familiales différenciées selon les pays. En effet, à travers leurs lois, leurs réglementations, leur politique éducative…, tous les pays européens déploient des mesures qui forment ensemble une politique familiale, qu’elle soit explicite ou implicite. Or l’analyse des éventuelles correspondances entre les budgets consacrés à la politique familiale et les niveaux de fécondité donne pour l’Europe des résultats cohérents.

La recherche d’une corrélation entre la proportion de la fonction famille/enfants dans le PIB [13] et le niveau de fécondité dans chaque pays de l’Union européenne conduit effectivement à une claire typologie qui se définit par rapport à la moyenne communautaire.

Douze pays à faible politique familiale

Douze pays se caractérisent à la fois par un pourcentage de la fonction famille/enfants dans le PIB inférieur à celui de la moyenne (2,2 %) de l’Union européenne (à vingt-cinq pays) et une fécondité inférieure à la moyenne européenne (1,51 enfant par femme). Il s’agit des pays suivants : Chypre, Espagne [14], Estonie, Italie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie et Slovénie. Dans ces douze pays, il y a donc correspondance entre une fécondité très abaissée et le faible budget de la fonction famille/enfants.

Quatre pays à politique familiale non adaptée

Quatre pays (Allemagne, Autriche, Grèce et Hongrie), tout en ayant un pourcentage de la fonction famille/enfants dans le PIB plutôt supérieur à la moyenne européenne, ont néanmoins une fécondité inférieure à cette moyenne. Cela peut s’expliquer de deux façons : soit la manière dont sont utilisés les budgets de cette fonction famille/enfants ne conduit pas à une répartition favorable aux choix de fécondité, soit d’autres éléments, culturels par exemple, exercent des effets engendrant une fécondité particulièrement faible.

Trois pays à fécondité en partie importée

Trois pays (Belgique, Pays-Bas et Royaume-Uni [15]) ont une fécondité supérieure à la moyenne européenne et, pourtant, un pourcentage de la fonction famille/enfants dans le PIB égal ou inférieur à celui de la moyenne de l’Union européenne [16]. Le niveau relatif de fécondité ne peut s’y expliquer par un investissement significatif dans la fonction famille/enfants, mais doit tenir compte d’autres éléments, comme une répartition efficiente du budget considéré ou une fécondité supérieure de certaines catégories de population.

Six pays doublement supérieurs à la moyenne européenne

Enfin, six pays (Danemark, Finlande, France, Irlande, Luxembourg et Suède) combinent en même temps un pourcentage de la fonction famille/enfants dans le PIB supérieur à celui de la moyenne de l’Union européenne et une fécondité également supérieure à la moyenne européenne.

En dépit des fortes spécificités selon les pays de l’Union européenne, l’analyse conclut donc à une corrélation significative entre les niveaux de fécondité et le pourcentage de la fonction famille/enfants dans le PIB. Les résultats confirment l’importance de l’action politique : les choix nationaux effectués en matière de politique familiale ne sont pas neutres en ce qui concerne la situation de la famille dans les différents pays de l’Union européenne.

2. Les variables retenues et leurs hypothèses pour l’établissement des scénarios prospectifs

Pour réaliser les scénarios, nous avons retenu cinq variables susceptibles, en étant combinées, de permettre de bâtir des scénarios contrastés. Pour chacune des variables, nous avons retenu trois hypothèses d’évolution dont la synthèse figure dans le tableau suivant.

Tableau : Les 5 variables retenues pour l’établissement des scénarios prospectifs et leurs trois hypothèses contrastées d’évolution. Cliquer pour le voir

3. Les scénarios proposés

Rappelons que l’objectif de scénarios prospectifs n’est ni de se conformer à une vision politiquement correcte, ni donc de se contenter de peindre l’avenir en rose. Il convient, bien au contraire, de « prévoir pour ne pas voir », donc d’envisager des scénarios éventuellement défavorables pour réfléchir ensuite aux mesures politiques susceptibles d’écarter leur survenue.

Le scénario tendanciel

Le scénario tendanciel fait l’hypothèse de la poursuite du système démographique de l’Union européenne comme il fonctionne en 2009. C’est donc le scénario d’un « hiver démographique » inégal, tempéré par une hausse de l’espérance de vie en bonne santé et par des apports migratoires [17].

Deux de ses caractéristiques méritent d’être soulignées.

. Ce scénario tendanciel signifie un fort vieillissement de la population en dépit des apports migratoires, une baisse de la population active, malgré l’augmentation éventuelle de l’âge de départ à la retraite et, dans environ la moitié des pays européens, une diminution de la population.

. Ce scénario, dans la mesure où il consiste à prolonger pendant plusieurs décennies les évolutions actuelles, engendre à terme de considérables différences démographiques selon les territoires européens. De telles différences peuvent aller jusqu’à soulever des problèmes de cohésion dans la mesure où les territoires peuvent exprimer des revendications politiques très divergentes nées de leurs situations démographiques différenciées. Par exemple, des hommes politiques de pays en dépeuplement, perdant en conséquence des voix au Conseil européen, du fait de l’application du traité de Lisbonne, pourraient soit contester le traité en usant d’arguments populistes, donc anti-européens, soit conduire des politiques autoritaires de peuplement guère dans l’esprit des idéaux européens.

Carte. Les quatre types d’évolution tendancielles des pays de l’Union européenne européenne d’ici 2030. Cliquer pour la voir

Le scénario d’un « hiver démographique » « sibérien »

Le scénario d’un « hiver démographique » « sibérien » résulterait de deux éléments principaux.

D’une part, un fort vieillissement « par le bas » [18], en raison d’une fécondité très basse, inférieure au trois quarts du seuil de remplacement des générations, et un vieillissement « par le haut », dû à la longévité accrue des 65 ans ou plus.

D’autre part, un système migratoire appauvrissant les ressources humaines car les jeunes Européens ayant une formation supérieure auraient tendance à quitter l’Union.

Enfin, l’Union ne serait plus attirante pour les immigrants non-européens, soit parce que l’Amérique du Nord [19], ou une autre région du monde, serait considérée, vu du Sud, comme plus attirante, soit parce que l’amélioration de la gouvernance dans les pays du Sud supprimerait des effets de repoussement. En effet, le Sud réaliserait un fort développement supposant une forte mobilisation de sa population active, tant pour des biens de consommation que pour des équipements : réseau d’assainissement, infrastructures ferroviaires et de transport, aménagements urbains, réalisations portuaires, construction d’écoles, de lycées, d’hôpitaux, de maternités, de centres de protection maternelle et infantile, éclairage public, réhabilitation de quartiers, aménagements ruraux…

Le scénario serait « sibérien » dans la mesure où l’hiver démographique s’accentuerait et ne serait plus tempéré par l’apport de migrants. Comme la Sibérie, l’Union n’attirerait guère de migrants et, au contraire, pousserait à l’émigration.

La pyramide des âges de l’Union européenne serait très déséquilibrée avec beaucoup plus de personnes âgées que de jeunes et une population active à la fois en forte diminution et très vieillie.

Le scénario d’un « hiver démographique » à toutes les saisons de la vie

Selon ce scénario, l’« hiver démographique » serait à toutes les saisons de la vie, donc concernerait les jeunes comme les personnes âgées. Il y aurait d’abord un fort vieillissement « par le bas », en raison d’une fécondité très basse inférieure au trois quarts du seuil de remplacement des générations. À la baisse des effectifs des jeunes succéderait, à la génération suivante, une baisse de la population active.

En deuxième lieu, il y aurait une baisse de l’espérance de vie en raison soit de comportements moins respectueux des règles d’hygiène, soit de difficultés à financer des soins de qualité pour tous. Parvenir à l’âge de 65 ans serait entrer dans un « hiver », puisque l’espérance de vie restante des personnes concernées serait raccourcie, les systèmes de santé ne pouvant assurer leurs missions.

L’Union européenne ayant perdu toute attirance, elle ne serait plus en espace d’immigration et donc dans l’incapacité d’attirer des migrants qualifiés ou des migrations de remplacement. Ce scénario conduirait à la plus forte baisse de population, selon un mécanisme en spirale descendante, une sorte d’implosion démographique.

La place géopolitique de l’Union européenne dans le monde, comme sa capacité à assurer le bien-être de ses populations seraient, évidemment, fortement remises en question.

Le scénario du printemps démographique

L’intitulé scénario du printemps démographique signifierait que l’Union européenne verrait augmenter les effectifs de ses jeunes générations : la fécondité remonterait donc dans vers le seuil de remplacement des générations. Aussi, la population active, après avoir diminué, augmente à son tour à la génération suivante. Le dynamisme, porté par ces ressources humaines en augmentation et par le travail de seniors productifs, car en bonne santé, concourt à financer les systèmes de protection sociale et l’espérance de vie augmente. Parallèlement, l’Union européenne est attractive pour ses propres citoyens qui n’expriment aucune propension particulière à émigrer. Elle attire un type d’immigration correspondant à sa nature économique et à les intégrer dans un cadre créant la cohésion sociale.

Une sorte de spirale vertueuse porte un renouveau à la fois démographique, économique et social.

La réflexion sur ces scénarios possibles débouche sur des recommandations suivantes.

4. Des objectifs déclinés en quinze recommandations pour l’avenir

Trois types de recommandations découlent de la réflexion sur les scénarios.

Dynamiser la population active

La dynamisation de la population active passe par plusieurs éléments.

Des populations en bonne santé, ce qui suppose :

. la lutte contre toutes les formes de pollution ;

. une politique de prévention sanitaire contre l’abus d’alcool, de tabac, de la drogue et l’encouragement aux activités physiques ou sportives ;

. des politiques sanitaires améliorées par le financement des recherches médicales et pharmaceutiques.

Des populations aux compétences toujours améliorées dans l’économie de la connaissance, ce qui suppose de progresser davantage dans des efforts en matière tant d’enseignement que de formation continue.

Des populations moins contraintes par la pénibilité du travail, ce qui implique de financer toutes les recherches permettant de trouver des méthodes ou des procédés réduisant les accidents du travail et diminuant les efforts physiques excessifs, notamment dans le bâtiment et les travaux publics.

La dynamisation de la population active engendre en conséquence des populations aptes à travailler au-delà de 60 ans, ce qui suppose d’augmenter la possibilité de prendre sa retraite plus tard, avec des choix assouplis de départ et prenant en compte la pénibilité des activités professionnelles antérieurement assumées. Dans la définition de cette pénibilité du travail, l’Union pourrait exercer un rôle essentiel de conception et d’harmonisation et mériterait pour ce travail d’être considéré comme une Europe sociale.

Dynamiser l’accueil de l’enfant

L’élévation de la fécondité apparaît comme un impératif pour enrayer les risques de déséquilibres démographiques, ainsi que les conséquences néfastes d’un vieillissement excessif « par le bas », d’une dépopulation, voire d’un dépeuplement sur une partie des territoires de l’Union européenne.

Elle suppose une mise en oeuvre de politiques nationales et locales facilitant le libre choix des couples dans le nombre de leurs enfants. Cela passe notamment par une politique familiale du logement et des politiques permettant de concilier la vie professionnelle et la vie familiale.

Sachant que ces politiques ne relèvent pas de la compétence de l’Union, cette dernière pourrait donner priorité à l’organisation systématique d’échanges d’expériences sur ces questions entre les États, ainsi qu’entre les collectivités territoriales.

En réfléchissant plus avant, on pourrait aussi considérer que les budgets de politique familiale ne sont pas des budgets de fonctionnement, mais d’investissement en capital humain. Aussi, pour marquer leur caractère prioritaire, on pourrait imaginer qu’ils ne concourent que pour une partie seulement dans le calcul des normes du respect du pacte de stabilité pour les pays ayant l’euro comme monnaie commune.

Une autre possibilité consisterait à penser que l’existence de territoires européens dans un hiver démographique profond et d’autres dans une situation inverse de dynamisme démographique peut créer des difficultés. On peut alors s’interroger sur des politiques de cohésion territoriale prenant en compte les éléments démographiques, par exemple en dynamisant l’accueil de l’enfant sur les territoires ayant moins de moyens pour le faire.

Dynamiser les apports migratoires

Une première priorité concerne les immigrants non européens déjà présents et leurs descendants pour lesquels de plus ambitieuses politiques d’intégration sont nécessaires.

Ces politiques supposent d’abord une meilleure connaissance des données migratoires. Plusieurs pays, dont la France, sont loin de satisfaire au règlement communautaire du 11 juillet 2007 [20] relatif aux statistiques communautaires sur la migration et la protection internationale.

Ces politiques passent souvent par des politiques de cohésion territoriale dans les pays où la géographie des populations issues de l’immigration se trouve concentrée dans des quartiers plus ou moins isolés.

Plus généralement, cette intégration appelle des politiques urbaines de mixité sociale, mais aussi de mixité générationnelle.

Elle pourrait aussi s’inscrire dans la formulation européenne d’un contrat d’accueil et d’intégration ou d’une déclaration d’adhésion à la citoyenneté européenne. En effet, tout personne pourrait prononcer une telle déclaration lors de sa naturalisation par un pays de l’Union européenne, puisque toute naturalisation a des effets doubles, d’une part dans le pays accordant la naturalisation, d’autre part pour l’ensemble des pays de l’Union, puisqu’elle vaut délivrance d’une citoyenneté européenne, avec l’ensemble des droits attachés à cette citoyenneté. Il serait donc logique de demander à la personne la lecture d’une déclaration précisant ses droits et ses devoirs dans l’Union européenne.

Enfin, l’Union doit s’interroger sur le décalage entre les bassins d’emploi ayant le plus besoin de migrations de remplacement et les lieux ou les immigrants ont, en réalité, tendance à s’installer. Il conviendrait peut-être d’imaginer un Office européen des migrations [21] chargé de la gestion humaine et ordonnée des migrations dans le respect des droits des migrants et du droit international. Cet Office exercerait un rôle de régulation des demandes de migrations formulées à partir de payse non-européens, à l’instar de certaines pratiques bien rodées usées par le gouvernement du Canada. Cet Office pourrait aussi exercer un rôle important en matière de développement solidaire.

Conclusion

La méthode prospective est un moyen essentiel pour réfléchir aux futurs possibles. En permettant la construction de scénarios, en ouvrant le champ des possibles, elle permet d’effectuer des recommandations.

« Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre », écrivait il y a 24 siècles le chinois Sun Tzu. Dans cet esprit, cette communication privilégie un scénario, celui d’un printemps démographique européen, et émet des recommandations visant à sa réalisation.

Mais il importe d’abord, quels que soient les futurs possibles, d’améliorer considérablement la connaissance en temps réel des caractéristiques propres à chacun des territoires, en se rappelant la phrase écrite il y a plus de deux siècles, en 1778, par Jean-Baptiste Moheau : « Il ne peut y avoir de machine politique bien montée, ni d’administration éclairée, dans un pays où l’état de population est inconnu ». Il ne s’agit donc pas de rêver d’un grand soir, mais d’abord de disposer de façon pragmatique des outils permettant aux territoires européens de conduire leur avenir [22].

Ensuite, les recommandations ont pour objet de baliser un futur choisi, et supposent de balayer la première objection courante, celle du financement. Le risque est toujours de trouver un argument permettant d’écarter telle ou telle recommandation en raison de son coût initial éventuel : ce ne serait qu’une analyse à courte vue et même, souvent, un simple refus rhétorique. En effet, les recommandations avancées sont de trois natures. Certaines recommandations supposent des investissements qui mériteraient d’être évalués, mais impliquent à terme des retours sur investissements et, donc, des gains sociétaux ; d’autres n’imposent aucune dépense nouvelle, mais des réallocations des ressources ; d’autres, enfin, dont le coût est nul, peuvent engendrer dès leur mise en œuvre des économies directes ou indirectes.

L’Union européenne se trouve confrontée à de difficiles déséquilibres démographiques. Son avenir suppose leurs bonnes prises en compte et la conduite de politiques adaptées. Sa capacité à faciliter le bien-être des Européens et à contribuer à la paix et au développement dans le monde en dépend.

Copyright version revue avril 2011-Dumont/Diploweb.com

La communication de G-F Dumont au Groupe de réflexion sur l’avenir de l’Union européenne a été réalisée le 24 mars 2009.


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[1Méthode particulièrement précieuse en matière démographique. Cf. Dumont, Gérard-François, « La démographie, un outil remarquable pour la prospective », Les cahiers de Mars, n° 198, décembre 2008.

[2Ce texte considère l’Union européenne à 27 pays de 2009. L’adhésion éventuelle de deux pays candidats, la Croatie et la Macédoine, changerait à peine les logiques étudiées dans cette communication. Il en irait différemment des effets démographiques de l’adhésion de la Turquie, qui méritent une analyse spécifique que nous avons notamment conduite dans : Dumont, Gérard-François, Zaninetti Jean-Marc et Population & Avenir, « Perspectives démographiques de la France et de l’Europe à l’horizon 2030 », Rapport d’information n° 2 831 de l’Assemblée nationale de Madame Béatrice Pavy, députée, intitulé Faire face au vieillissement démographique et à la stagnation démographique : une responsabilité politique d’aujourd’hui, Documents d’information de l’Assemblée nationale, Paris, mars 2006. Par ailleurs, des cartes commentées illustrent le questionnement dans : Dumont, Gérard-François, Verluise, Pierre, Atlas de l’Union européenne élargie, Paris, Diploweb.com, Iris, Population & Avenir, 2008, téléchargeable gratuitement notamment sur : http://www.population-demographie.org.

[3Formulation ensuite utilisée par exemple dans : Dumont, Gérard-François et alii, La France ridée, Paris, Hachette, seconde édition, 1986.

[4Somme des taux de fécondité par âge pour une année donnée, l’indice synthétique de fécondité renseigne sur les comportements de fécondité de la période considérée.

[5Niveau de fécondité permettant que l’effectif moyen des générations en âge de fécondité soit remplacé nombre pour nombre par la génération naissante ; ce niveau est variable selon les conditions de mortalité des populations ; il s’abaisse à 2,1 enfants par femme dans les pays les plus avancés comme ceux de l’Union européenne, le 0,1 correspondant au taux plus élevé de masculinité des naissances et au taux de mortalité des femmes jusqu’à l’âge moyen à la maternité.

[6Cf. Verluise, Pierre, Fondamentaux de l’Union européene. Démographie, économie, géopolitique. (Première partie), Paris, Ellipses, 2008.

[7L’Europe en chiffres, Annuaire Eurostat 2008.

[8Durée moyenne de vie d’une génération, exprimée en années, qui serait soumise depuis l’année de sa naissance aux taux de mortalité de cette même année.

[9Nombre d’années d’espérance de vie sans incapacité, définie comme la situation d’une personne qui ne se trouve pas « handicapée ou ayant des gênes ou des difficultés dans la vie quotidienne ».

[10Selon la définition de l’ONU, l’immigré est une personne qui réside dans un pays autre que celui où il est né.

[11Statistics in focus, Eurostat, 81/2008.

[12Chalard, Laurent, « Un cas singulier : les Pays-Bas avec un solde migratoire devenu négatif », Population & Avenir, n° 685, novembre-décembre 2007.

[13Cette analyse est rendue possible par la publication des données chiffrées sur « La protection sociale dans l’Union européenne » qui indiquent, pour chaque pays de l’Union européenne, le pourcentage des prestations sociales consacré à la fonction « famille/enfants » dans un ensemble dont les autres rubriques sont : vieillesse et survie, maladie/soins de santé, invalidité, chômage, logement et exclusion sociale. Par ailleurs, la connaissance des dépenses de protection sociale, en pourcentage du Produit intérieur brut (PIB), permet de calculer la proportion de la fonction famille/enfants dans le PIB. Cf. Eurostat, Population et conditions sociales, 14/2006. Les données, antérieures au 1er janvier 2007, portent sur 25 pays, non sur 27.

[14En dépit de l’apport de l’immigration dans la natalité. Cf. Dumont, Gérard-François, « Natalité et immigration en Espagne », Population & Avenir, n° 679, septembre-octobre 2006.

[15Dumont, Gérard-François, Chalard, Laurent, « Des statistiques « ethniques » en Angleterre à la situation française », Population & Avenir, n° 681, janvier-février 2007.

[16Ce pourcentage relativement faible peut aussi provenir de la façon dont le pays le calcule, en dépit des efforts conduits pour harmoniser les méthodes statistiques.

[17Sur les données chiffrées, cf. le scénario moyen d’Eurostat, Statistics in focus, 72/2008, ainsi que : Feld Serge, « Les migrations internationales en Europe selon deux scénarios », Population & Avenir, n° 681, janvier-février 2007.

[18Le vieillissement « par le bas » est le vieillissement de la population résultant d’une fécondité abaissée minorant le nombre de jeunes, donc, généralement, la proportion des jeunes, et en majorant, en corollaire, la proportion des personnes âgées. Le vieillissement « par le haut » vient de la baisse de la mortalité des personnes âgées résultant de l’augmentation de leur espérance de vie. Cf. Dumont, Gérard-François et alii, Les territoires face au vieillissement en France et en Europe, Paris, Ellipses, 2006.

[19Dumont, Gérard-François, « Barack Obama et le « rêve » américain », Population & Avenir, n° 691, janvier-février 2009

[20Règlement n° 862/2007 du Parlement et du Conseil (Journal officiel de l’Union européenne du 31 juillet 2007)

[21Proposition que nous avons fait porter en France dans le rapport au ministre de l’immigration, Pour une politique des migrations transparente, simple et solidaire, Commission présidée par Pierre Mazeaud, Paris, La Documentation française, 2008.

[22Cf. Verluise, Pierre, 20 ans après la chute du Mur. L’Europe recomposée. (Troisième partie : Les défis), Paris, Choiseul, 2009.


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