Géopolitique. Comment les micro-États parviennent-ils à exister et peser sur l’échiquier mondial en dépit de leur modeste taille ?

Par Thomas MERLE, le 14 octobre 2018  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Professeur agrégé de géographie, professeur agrégé d’histoire, Thomas Merle est doctorant en géographie politique, Université de Reims Champagne-Ardenne, laboratoire E.A.2076 Habiter.

Sur un impensé géopolitique, voici un article de référence, illustré d’une précieuse carte. Il existe des dizaines de micro-États dans le monde. Leur poids spatial et démographique souvent réduit ne doit pas faire oublier leur surreprésentation politique à l’ONU et la puissance économique de certains d’eux, en lien avec des rentes pétrolières (Qatar), fiscales (Bermudes) ou de situation (Singapour). Certains micro-États sont confrontés à des enjeux accrus à l’heure de la lutte contre les paradis fiscaux et quand les ZEE aiguisent les appétits pour leurs ressources halieutiques et minières.

LES MICRO-ETATS, souvent oubliés ou invisibles sur les cartes au format A4 ou écran d’ordinateur, sont des objets géopolitiques particuliers. Formellement indépendants mais dépendants en général de puissants voisins ou de lointaines anciennes métropoles, ils se caractérisent par leur petite taille. Les définir n’est pas aisé, faute de définition officielle. Ils se caractérisent à la fois par une grande diversité de trajectoires et de stratégies mais aussi par des enjeux et expédients communs, eu égard à leur petitesse mais aussi à leur contexte régional. Les micro-États, pour oubliés qu’ils soient des analyses de géographie politique habituelles, ne sont pas en réalité dans l’ombre de toutes les grandes puissances. Leur poids géopolitique voire géoéconomique est souvent supérieur à ce que leur faible taille laisserait penser car ils savent profiter des failles, plus ou moins légales, du système-monde contemporain. Comment les micro-États parviennent-ils à exister et peser sur l’échiquier mondial en dépit de leur modeste taille ? La première partie de l’article reviendra sur la définition et le classement possible des micro-États en fonction de leur genèse. Les enjeux géoéconomiques spécifiques aux micro-États feront l’objet d’un deuxième temps. Enfin nous traiterons en troisième partie des enjeux géopolitiques au sens strict, avec les questions de dépendance et de poids diplomatique.

I. Comment définir et classer les micro-États ?

A. Un critère de superficie et de population ?

Le critère le plus évident pour définir les micro-États est celui de la superficie. Il n’existe aucun seuil qui revête un caractère officiel fort. Le seuil le plus fréquemment retenu est celui de 1 000 km², qui place 27 États reconnus dans cette catégorie, soit un peu moins d’un État sur 7. Le seuil de 1 000 km², outre le fait qu’il s’agit dans le système métrique d’un nombre facile à retenir, a l’avantage de correspondre à un « seuil naturel » au sens statistique. Il y a de fait un saut entre Sao-Tomé-Et-Principe (964 km²) et Maurice (2 040 km²). Un seuil à 5 000 km², qui correspondait à peine à la superficie moyenne d’un département français, n’ajoute que cinq nouveaux États et le passage à 10 000 n’inclut que 4 États supplémentaires. Avec un seuil à 20 000, une petite cinquantaine d’États soit près d’un sur 4 peuvent être qualifiés de micro-États.

L’autre grand critère proposé pour fixer une liste de micro-États est celui du nombre d’habitants. Ce critère démographique pose les mêmes difficultés que celui de la superficie, faute de seuil reconnu internationalement. Un seuil un peu facile à retenir donnant un nombre de micro-États comparable à celui de 1 000 km² est 500 000 habitants ; dans ce cas, le monde compterait 31 micro-États en 2016. Le seuil du million ajoute 12 autres États ; 12 États supplémentaires se situent entre un et deux millions. 55 États, un peu plus d’un quart, ont moins de 2 millions d’habitants en 2016.

B. Les limites de telles approches

Ces deux critères posent un premier problème car ils ne se recoupent pas : les 30 ou 50 États les plus petits ne sont pas exactement les 30 ou 50 États les moins peuplés et vice-versa. Les recoupements sont nombreux mais pas parfaits. Dès lors ces deux critères doivent-ils être tous deux remplis pour qu’un État soit considéré comme micro-État ou le fait de ne pas répondre qu’à l’un des deux suffit-il ? La première hypothèse aboutit à une liste assez réduite et sans doute plus cohérente. Elle pose problème en excluant certaines entités très petites mais très densément peuplées et qui sont généralement considérées comme des micro-États (Singapour avec 718 km² mais près de 7,5 millions d’habitants). À l’inverse, la seconde possibilité aboutit à une liste large qui inclut des entités vastes mais peu denses pour lesquelles le statut de micro-État est pour le moins discutable (Islande avec environ 330 000 habitants mais plus de 100 000 km²).

Par ailleurs, si la superficie n’évolue pas ou que de manière réduite, il n’en va pas de même pour la population. Une adaptation régulière du seuil serait donc logique ; mais relever ce seuil sur la base de la croissance mondiale moyenne ou même de celle des micro-États identifiés pose problème sur le long terme, avec la divergence des taux entre ces entités (déclin annuel de 2 ou 3 % pour les îles Cook quand le Timor oriental se situe entre + 2,5 et + 3,5 % [1]).

D’autre part, les définitions absolues des seuils sont critiquables. Une autre définition possible des micro-États serait relative à chaque région du monde. L’Europe, petit continent, compte en effet beaucoup de micro-États tout comme l’Océanie et les Caraïbes tandis que l’Afrique et l’Asie n’en auraient aucun ou presque. Pourtant, à l’échelle des États relativement massifs qui s’y trouvent, Taïwan et la Guinée-Bissau par exemple (36 000 km² environ dans les deux cas) peuvent être considérés comme des micro-États sur le plan géopolitique, au moins régional.

Enfin les États non reconnus sont fortement surreprésentés parmi les micro-États et les listes officielles ne les comptent pas. L’Ossétie du Sud mais aussi la Transnistrie, l’Abkhazie et la partie nord de Chypre sont des micro États autoproclamés. Pour la suite de cet article, c’est le seuil de 20 000 km² qui est pris.

C. Un classement selon la genèse

Les micro-États ne sont pas tous apparus au même moment. Il existe deux origines principales. La première concerne des États anciens qui sont les vestiges directs du morcellement politique du Moyen Âge et de l’époque moderne. Ces entités ont échappé au processus de concentration des territoires et d’unification. Toutes ces entités se situent en Europe et presque toutes celles situées en Europe relèvent de cette catégorie. Saint-Marin a su échapper à l’unification italienne. Andorre, Monaco, le Liechtenstein et le Luxembourg sont des États qui ont réussi également à maintenir leur indépendance. Tous ces États ont conservé leur régime politique d’il y a plusieurs siècles et sont des principautés, sauf Saint-Marin qui est la plus vieille république du monde (ses frontières datent de 1462). Parfois l’État a pu disparaître un temps, comme les États pontificaux entre 1870 et 1929, date des accords du Latran qui créent le Vatican [2], ou Monaco sous la Révolution française (annexion en 1793 par la France).

La seconde origine principale correspond à des États issus de la décolonisation. Ils sont souvent insulaires et situés principalement dans les Antilles (toutes les îles des petites Antilles sont soit des territoires dépendants, soit des micro-États [3]) et dans le Pacifique (Kiribati, Tonga, Nauru, le Vanuatu) même s’il y en a aussi dans l’océan indien (Maldives, Seychelles, Maurice) et au large de l’Afrique (Cap Vert, Sao-Tomé-Et-Principe). Le morcellement provoqué par l’insularité due à des arcs volcaniques (Antilles) ou à des formations coralliennes avec des atolls (Pacifique, océan Indien) est un élément explicatif important, même si le facteur humain reste déterminant dans le choix des regroupements ou non. La plupart sont des archipels (la Micronésie) mais certains sont des îles uniques (Nauru).

Dans quelques cas, il existe des micro-États d’origine coloniale sur le continent notamment dans l’ancien empire britannique (Bahreïn, Qatar dans la péninsule arabique, Swaziland en Afrique). Les États issus de la décolonisation sont récents mais ceux situés sur le continent ont des fondements remontant au XIXe siècle voire avant (le sultanat de Brunéi est un royaume millénaire). Il s’agit de protectorats britanniques qui n’ont pas été incorporés à d’autres territoires plus grands et qui ont obtenu une indépendance séparée.

Une troisième vague européenne est liée à la décomposition des deux fédérations socialistes qu’étaient l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) et la Yougoslavie, avec des entités apparaissant dans les années 1990 et 2000, qu’elles soient reconnues (Monténégro en 2006) ou non (Transnistrie en 1990), le cas intermédiaire étant celui d’une reconnaissance discutée (Kosovo en 2008). Pour une minorité de cas, notamment dans l’ancien empire britannique, la colonisation avec son instrumentalisation selon le principe du « diviser pour régner » n’est qu’un facteur d’explication parmi d’autres d’une partition qui divise un petit État en deux, donnant alors potentiellement un couple de micro-États (Israël et Palestine ; Chypre et Chypre Nord, non reconnue).

II. La petite taille, faiblesse ou atout économique ?

A. Souvent une économie de rente

Un enjeu majeur des micro-États est la viabilité économique, l’indépendance n’étant pas toujours une solution. Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie qui s’interroge sur son indépendance à l’occasion du référendum du 4 novembre 2018, le nickel peut à la fois offrir des garanties de viabilité en cas de cours élevé (l’île possèderait entre 20 et 40 % des réserves mondiales selon les estimations) et se révéler un véritable poisson si le cours mondial est faible (avec une dépendance puisque 18 % du PIB en est issu directement, sans compter les effets induits). Certains micro-États s’y sont laissés prendre, l’archétype étant Nauru : le décollage économique suite l’indépendance en 1968 fut très rapide, classant rapidement l’île parmi les États parmi les plus hauts niveaux de vie (en 1974 le PIB par habitant se classe au deuxième rang mondial, derrière l’Arabie Saoudite !) mais l’effondrement fut inédit par sa rapidité et son ampleur car les gisements étaient largement épuisés dès le début des années 1990. Le chômage dans les années 2000 y est le plus élevé au monde (autour de 90 % !) et l’obésité mine l’espérance de vie.

Pour peu qu’un micro-État dispose de ressources recherchées et qu’il les gère correctement, le revenu par habitant peut être élevé en raison du faible nombre d’habitants (pétrole pour le sultanat de Brunéi et Bahreïn) ; l’enjeu reste cependant la diversification (Qatar, qui utilise la manne des hydrocarbures pour développer les médias comme Al Jazeera et les transports avec Qatar Airways qui se place sur le créneau de la qualité). Ponctuellement la ressource peut être une rente dont l’épuisement ne dépend pas de la consommation ; c’est le cas d’entités situés sur des passages stratégiques comme Singapour (micro-État indépendant qui a pris son indépendance du Royaume-Uni en 1965 et s’est spécialisé dans l’import-(ré)export [4] notamment), verrou du détroit de Malacca.

B. Des expédients liés à leur faible taille démographique

Beaucoup de micro-États n’ont cependant pas de telles ressources. Le statut de micro-État induit des coûts liés au statut d’État (existence d’un chef d’État, d’un gouvernement, etc.) exerçant une pression financière forte quand le nombre d’habitants est réduit. Les micro-États peuvent certes tirer profit des amateurs de numismatique et des philatélistes mais les revenus tirés de ces émissions sont souvent marginaux, avec des exceptions notables (10 % des revenus de Saint-Marin). Tout est bon à prendre pour certains États : les îles Tuvalu louent ainsi leur nom de domaine (.tv), lequel intéresse les chaînes de télévision, moyennant plusieurs millions de dollars par an. Le Vatican peut quant à lui s’appuyer sur les revenus et le patrimoine de l’Église dans le monde, lesquels ne doivent cependant pas être exagérés.

Les micro-États sont sur-représentés parmi les paradis fiscaux et réciproquement beaucoup de micro-États sont des paradis fiscaux. En fait, ils fonctionnent souvent en système avec une puissance régionale ou mondiale, a démontré V. Piolet.

Les micro-États insulaires bien situés par rapport aux bassins émetteurs de touristes peuvent en tirer profit : c’est le cas en particulier dans les Antilles, première zone pour le tourisme de croisière au-delà des séjours sur les îles (le lien avec l’ancienne métropole conditionne en partie l’origine du tourisme). C’est le cas aussi dans l’océan indien (Seychelles, Maldives). Le morcellement insulaire, qui explique en partie le nombre de micro-États suite à la colonisation, est ici un atout. Malte et dans une moindre mesure Chypre drainent aussi des touristes en Méditerranée.

Surtout les micro-États en général sont sur-représentés parmi les paradis fiscaux et réciproquement beaucoup de micro-États sont des paradis fiscaux. Cela permet à certaines entités une viabilité issue de faibles prélèvements sur un nombre d’entreprises important au regard de leur population ; la petite taille se fait atout. Ce modèle concerne en particulier les Antilles (proximité avec les États-Unis et intégration à la zone dollar) et les micro-États européens (proximité de grands États anciennement développés, avec une intégration de fait à la zone euro de plusieurs micro-États non membres de l’Union européenne comme Monaco et Andorre) [5]. Certains États du Pacifique sont aussi des paradis fiscaux. Le succès est parfois au rendez-vous (Bahamas) mais ce n’est pas toujours flagrant (Tuvalu). La lutte contre les paradis fiscaux, renforcée depuis la crise de 2008-2009, ne fait pas leur jeu. Les règles fiscales expliquent qu’un grand nombre de micro-États (Monaco, les Kiribati, Tuvalu, etc.) ne soient pas candidats à l’OMC, ou que leur dossier de candidature piétine (Andorre, les Bahamas).

C. Des micro-États insulaires qui attisent les convoitises

Beaucoup de micro-États, notamment dans le Pacifique, restent cependant pauvres, marqués principalement sur le plan économique par des cultures vivrières (noix de coco) et la pêche. Leur écart des grands pôles émetteurs de flux touristiques ne leur permet que difficilement de développer ce secteur même si le lien à l’ancienne métropole peut aider, avec la beauté des lagons et ensemble coralliens. Cependant ces archipels en apparence déshérités possèdent en général de vastes Zones Économiques Exclusives (ZEE) : les Kiribati se classent ainsi au 13ème rang mondial, à l’opposé du classement selon la superficie terrestre, avec près de 3,5 millions de km² ; la Micronésie est à 2 millions tout comme les îles Cook. 11 autres micro-États, la plupart dans le Pacifique (mais aussi les Seychelles et Maurice dans l’océan Indien et le Cap-Vert dans l’Atlantique) ont une ZEE de plus de 600 000 km². La ZEE est d’une importance croissante pour la pêche mais aussi potentiellement les nodules polymétalliques (même si les profondeurs du Pacifique s’y prêtent moins que d’autres océans). Les micro-États, par leur faible taille, sont encore plus confrontés que les grands (qui ont déjà des difficultés à faire respecter leurs droits) à l’enjeu de la maîtrise de ces espaces.

L’exploitation directe est matériellement (manque de ressources humaines), financièrement (insuffisance des capacités d’investissement) et/ou technologiquement difficile pour beaucoup de micro-États mais ils peuvent s’associer à d’autres États notamment leur protecteur officiel ou non pour exploiter ces ressources (Timor Oriental avec l’Australie). Des accords négociés directement avec des entreprises portant sur des concessions sont également envisageables (voir les consortiums privés autour de Nauru et des îles Tonga pour exploiter les nodules polymétalliques) mais posent le risque d’une dépendance accrue.

III. Un poids géopolitique limité ?

Géopolitique. Comment les micro-États parviennent-ils à exister et peser sur l'échiquier mondial en dépit de leur modeste taille ?
Carte géopolitique des micro-Etats. Des origines multiples mais des logiques régionales dans leur genèse et leurs stratégies
Cette carte des micro-Etats, des origines multiples mais des logiques régionales dans leur genèse et leurs stratégies, a été réalisée par Thomas Merle pour Diploweb.com.
Merle/Diploweb.com

A. Dépendance ou indépendance politique ?

La faiblesse économique de la plupart des micro-États (sauf exception comme Singapour) induit qu’ils sont largement dépendants de puissances extérieures, en général voisines ou proches, pour assurer leur défense. Les micro-États sont largement surreprésentés parmi les États sans armée (17 sur 20, les trois autres États sont de petits États : le Costa Rica, le Panamá et l’Islande). Les accords de défense peuvent s’appuyer sur un défenseur principal (la France pour Monaco, les États-Unis au moins jusqu’en 2044 pour les Palaos) ou sur deux (la France et l’Espagne pour Andorre), ce dernier cas permettant de maintenir un équilibre plus favorable aux micro-États. La zone des Caraïbes se distingue par l’existence d’un Système de sécurité régionale qui mutualise la défense de sept micro-États (Antigua et Barbuda, la Barbade, la Dominique, la Grenade, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines). La coopération permet ici de réduire les coûts, tout en augmentant l’effet dissuasif (qui reste certes limité).

Cela montre combien l’insertion régionale est vitale pour les micro-États, dont les besoins ne peuvent être couverts par eux-mêmes et qui, le cas échéant, ne bénéficient pas d’un marché intérieur suffisant pour écouler leurs productions et se développer. Certains micro-États disposent de forces armées conséquentes au regard de leur superficie mais maintiennent tout de même des accords de défense (Singapour, protégé par les États-Unis et le Royaume-Uni) ; dans certains cas il n’existe aucun accord officiel de défense mais un protecteur évident se dessine eu égard à la force des liens entre le micro-État est un voisin puissant (Nauru, avec l’Australie). En général quand il y a un voisin direct, c’est ce dernier qui a pu imposer sa protection (Saint-Marin et l’Italie) mais parfois les relations sont plus délicates et le micro-État s’appuie sur d’autres États proches (le Lesotho, qui dépasse certes le seuil de 20 000 km², enclavé en Afrique du Sud, peut compter sur le soutien du Mozambique et du Zimbabwe).

La dépendance à un (ou plusieurs) pays ami(s) peut se voir au niveau purement politique. La Nouvelle-Zélande gère ainsi très officiellement l’essentiel de la diplomatie des îles Cook depuis 1965, même si une autonomisation est en cours dans ce domaine. De fait, les micro-États n’ont pas les moyens d’ouvrir d’ambassades dans la plupart des États du monde : la petite taille s’oppose aux économies d’échelle en la matière. Même sur le plan intérieur une tutelle au moins formelle peut s’exercer : jusqu’en 2002, le « Ministre d’État », chef du gouvernement de Monaco, devait être un haut-fonctionnaire français proposé par le gouvernement français ; depuis la révision de la Constitution il peut aussi être monégasque mais la France reste consultée. Andorre, dernier État féodal d’Europe (il date du XIIIe siècle) est une co-principauté dirigée par l’évêque d’Urgell et le président de la république française en tant qu’héritier du roi de France, lui-même héritier du pouvoir du comte de Foix. La constitution établie en 1993 va dans le sens d’une émancipation de la tutelle française, illustrant la tendance à l’autonomisation croissante des micro-États.

B. L’ONU, organisation essentielle, et la question de la reconnaissance

Si d’une manière générale les micro-États sont extrêmement sensibles à l’intégration régionale (par exemple dans les Caraïbes, ou en Europe avec l’Union européenne), l’ONU (Organisation des Nations Unies) est encore plus importante pour eux. Preuve en est que, en dépit de moyens limités, tous les micro-États membres de l’ONU, comme tous les autres États, ont une représentation à l’ONU, le dernier à l’avoir établi étant les Kiribati en 2013. L’adhésion des micro-États à l’ONU s’est faite en deux vagues principales en fonction de leur genèse : dans les années 1970 et au début des années 1980 adhèrent la plupart des micro-États issus de la décolonisation (Antilles et Pacifique en particulier) tandis que les années 1990 comprennent une autre vague avec quelques micro-États du Pacifique nouvellement indépendants (Palaos) ou plus anciens (Kiribati) mais aussi les micro-États européens, sauf le Luxembourg (plus massif, et membre fondateur de l’ONU en 1945) et le Vatican (qui n’a pas souhaité adhérer mais reste représenté depuis 1964 à l’ONU qui lui donne le statut d’État observateur non membre). L’adhésion des micro-États féodaux est souvent allée de pair avec une clarification démocratique ou une réforme de leurs institutions. Le Monténégro a adhéré à son indépendance en 2006, tandis que le Kosovo n’est pas membre, tout comme les États non reconnus de l’ex-URSS ; ces derniers se reconnaissent entre eux et coopèrent, organisant des sommets et signant des traités.

Les micro-États ont pu adhérer à l’ONU avec un statut plein et entier découlant de la règle voulant, qu’à l’Assemblée générale du moins, chaque État dispose d’une voix, indépendamment de sa population ou de sa superficie. La création d’un statut ad hoc avait été évoquée notamment en 1967 mais a suscité l’opposition d’une majorité de pays, en particulier ceux issus de la décolonisation qui craignaient une remise en cause du principe d’égalité. Corollaire : si les micro-États n’ont pas le même poids effectif que les membres permanents du Conseil de sécurité ni même que des États comme l’Inde ou l’Allemagne (preuve en est le fait qu’il n’y a jamais eu de micro-État des Antilles, de l’océan Indien et du Pacifique parmi les 10 membres non permanents du Conseil de sécurité à une exception près, Trinité-et-Tobago en 1985 et 1986), ils restent surreprésentés par rapport à leur superficie et/ou leur démographie.

En cela leur voix est stratégique et ils peuvent de fait la monnayer ; ce monnayage de souveraineté concerne notamment la reconnaissance d’autres États, en général des petits ou micro-États. Il existe ainsi dans le Pacifique et les Antilles une véritable guerre de reconnaissance entre la Chine et Taïwan, les micro-États faisant monter les enchères et pouvant basculer leur reconnaissance (Nauru a reconnu Taïwan entre 1980 et 2002, puis la Chine, avant de revenir en 2005 vers Taïwan ; Sainte-Lucie a changé de reconnaissance entre 1997 et 2007). Le Pacifique a été concerné dans une moindre mesure par la question de la reconnaissance des États non reconnus que sont l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie suite à leur reconnaissance par la Russie à l’été 2008 : Moscou a consenti des prêts ou aides financières à des îles comme les Tuvalu et Nauru pour obtenir une reconnaissance des entités ayant fait sécession de la Géorgie, qui de son côté essaye de s’opposer à toute reconnaissance y compris dans le Pacifique…

D’une manière générale, les micro-États sont en pointe dans la reconnaissance : plusieurs reconnaissent encore le Sahara occidental (Antigua-et-Barbuda, le Timor Oriental, le Lesotho, etc.), même si la majorité ont retiré cette reconnaissance dans les années 2000 (Seychelles, Nauru, Kiribati, Tuvalu, Saint-Christophe-et-Niévès, …). La vente de reconnaissance et le fait que beaucoup de micro-États sont des paradis fiscaux entachent cependant leur crédibilité. Certains mènent donc des actions visant à les présenter sous un angle positif dans les médias. Ainsi de Monaco qui, s’appuyant sur son fameux aquarium, se pose en défenseur des mers et notamment protecteur du thon rouge de Méditerranée, réalisant des campagnes publicitaires à cet effet. Ainsi en 2010, alors que la critique sur les paradis fiscaux enfle, Monaco tente de blanchir son image auprès des Français notamment.

*

Les micro-États ne sont pas des exceptions. Il en existe des dizaines dans le monde. Leur poids spatial et démographique souvent réduit ne doit pas faire oublier leur surreprésentation politique à l’ONU (même si leur poids y reste faible en valeur absolue) et la puissance économique de certains d’eux, en lien avec des rentes pétrolières (Qatar), fiscales (Bermudes) ou de situation (Singapour). Si certains conservent nominalement un monarque pour chef d’État, notamment en Europe et dans le Commonwealth, les micro-États, par exemple les cités-États, peuvent favoriser l’exercice plus direct du pouvoir sans aller jusqu’à la démocratie directe : à Saint-Marin, deux chefs d’État (les capitaines-régents) dirigent l’État pendant un an, donnant des chances relativement élevées d’exercer cette fonction au cours de leur vie aux peu nombreux (25 000 environ) citoyens. Cependant l’effectivité de leur pouvoir est limitée. Certains micro-États sont confrontés à des enjeux accrus à l’heure de la lutte contre les paradis fiscaux et quand les ZEE aiguisent les appétits pour leurs ressources halieutiques et minières.

Les micro-États sont également l’occasion de réfléchir à ce qui fait l’État. Le fait que Vatican soit un État fait plutôt consensus (même si certains juristes discutent son cas) car il dispose de 44 ha comme territoire. En revanche, l’ordre souverain de Malte n’est pas considéré comme un Etat en général, malgré son passé d’État attesté (1530-1798), ses représentations diplomatiques, ses timbres et l’extra-territorialité dont il bénéficie au siège de son gouvernement, le Grand Conseil, au 68 via Condotti à Rome.

Octobre 2018-Merle/Diploweb.com


Références complémentaires

. Blevin Pierre-Alexis, « Les micro-Etats européens - Etude historique, juridique et fiscale (Andorre, Liechtenstein, Monaco, Saint-Martin, Vatican) », Paris, L’Harmattan, 2016, 616 p.
. Dehoorne Olivier, « Les petits territoires insulaires : positionnement et stratégies de développement », Études caribéennes, 2014.
. Duranthon, Arnaud. « Qu’est-ce qu’un micro-État aujourd’hui ? L’exemple des micro-États d’Océanie », Revue française de droit constitutionnel 92 (4), 2012, pp. 785-797.


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[1Un taux de déclin annuel de 3 % signifie une perte de 27 % de la population en 10 ans tandis qu’un taux de croissance de 3,5 % signifie une augmentation de 41 %. Des temps relativement courts suffisent pour créer des écarts significatifs entre des entités à population comparable.

[2La Cité du Vatican est donc le reliquat des anciens États pontificaux, un État qui n’a pas échappé à l’unité italienne mais qui est parvenu à s’en défaire en partie. Le pape était protégé par la France mais la guerre de 1870 a poussé à l’évacuation des troupes françaises permettant l’annexion de Rome par les troupes du Piémont, pilier de l’unification du royaume d’Italie. Pie IX s’est alors réfugié au Vatican, s’y considérant comme prisonnier et en sortant peu. Ce fut le début de la « question romaine », finalement résolue sous Mussolini en 1929. Le Vatican échappa, notamment par sa neutralité, à l’occupation allemande en 1943, ce qui permet l’exfiltration de plusieurs milliers de juifs et soldats alliés.

[3Par exemple la Martinique, les îles vierges américaines et britanniques, les îles Caïmans et les Bermudes dans le premier cas ainsi que la Barbade, la Dominique et Saint-Christophe-et-Niévès dans le second cas.

[4En 2004, plus de 45 % des exportations étaient en fait des réexportations. Singapour était en 2008 le premier port mondial, le deuxième pôle financier d’Asie derrière le Japon et le troisième pays mondial pour le raffinage (plus de 15 % des importations étaient des produits pétroliers en 2004).

[5Dans ces cas en particulier, si les entreprises restent le cœur du modèle, les particuliers tirent aussi l’économie, avec une fiscalité sur certains produits de consommation (alcool, tabac, produits de luxe) attractive pour les habitants des grands États voisins, frontaliers en tête mais aussi résidents plus éloignés (« tourisme de shopping »).


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