Après les élections du 11 mai 2008, un gouvernement pro-européen à Belgrade ?

Par Georges-Marie CHENU , le 25 mai 2008  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Diplomate, Ministre plénipotentiaire hors cadre

Spécialiste des Balkans, l’auteur invite à ne pas se réjouir trop vite. Il reste bien des obstacles à surmonter en Serbie.

Celle-ci fait partie des Balkans occidentaux, ayant "vocation à adhérer à l’Union européenne", mais elle n’a pas encore à ce jour le statut de pays candidat.

LA CRAINTE d’une victoire des Radicaux aux élections parlementaires et locales en Serbie était si forte que l’Union européenne (U.E) et les Etats-Unis ont reçu les premiers résultats avec un optimisme prématuré. [1]
Il est vrai que la coalition « Pour une Serbie européenne », conduite par le Parti Démocratique du président Boris TADIC, l’a emporté largement ( 39% des votes et 102 députés ) sur son principal adversaire , le Parti Radical de Serbie, dirigé par Tomislav NIKOLIC ( seulement 28,6% des suffrages et 78 députés ). [2]
Dans la quasi totalité des capitales européennes ainsi qu’à Washington, un cri de victoire a salué ce résultat inespéré : la Serbie s’ouvrait à l’Europe, aux réformes, à la coopération internationale et prenait ses distances vis à vis de Moscou.

Le combat des chefs

Le combat des chefs - TADIC contre NIKOLIC - avait bien été remporté par un leader se déclarant européen , mais la majorité des électeurs ne suivaient pas. [3]
48,2 % de leurs suffrages sont allés aux formations radicales, nationalistes, populistes et méfiantes à l’égard de l’Occident, à savoir : le Parti Radical, le Parti Démocrate de Serbie (de Vojislav KOSTUNICA, Premier ministre sortant) et le Parti Socialiste de Serbie et seulement 44% ont été accordés aux « Européens » ; les « Coalisés » du président TADIC et les « Libéraux » du Parti de Cédomir JOVANOVIC ( 5,24 des voix et 13 élus ). Les autres formations, régionales ou ethniques, ont obtenu 3,14% des bulletins et 7 députés, la plus part favorables à l’ Europe. [4]

Incontestable mais relative, la victoire de B. TADIC est attribuée aux cadeaux de dernière heure de Bruxelles : signature ( sous conditions ) de l’Accord de Sécurité et d’Association et, plus déterminante encore, l’ouverture gratuite et sans visa des frontières de 17 pays de l’Union européenne à plusieurs catégories de Serbes. De plus, des milieux d’affaires serbes ont craint un isolement économique et financier et plusieurs hauts responsables un arrêt des aides communautaires.

La formation d’un nouveau gouvernement

Pour lancer le processus de constitution du nouveau gouvernement, la Constitution charge le Président de la République, Boris TADIC, d’appeler en premier la formation ayant recueilli le plus de suffrages, c’est à dire la Coalition « Pour une Serbie en Europe » dont le noyau est le parti du Président . Or, aucune des formations en compétition n’a obtenu la majorité requise de 126 voix au Parlement ( 250 députés ) pour former un gouvernement. Il manque 6 à 7 voix à la Coalition même associée au Parti Libéral et à des Partis ethniques ou régionaux ( 102 Coalisés + 13 Libéraux + 4 ou 5 autres députés ). En revanche, en s’associant les formations radicales et nationalistes peuvent déjà compter sur 129 votes, soit un peu plus que la majorité fatidique (78 Radicaux + 30 Démocrates de Serbie + 20 Socialistes + 1 député sandjaki = 129 ).

Après la compétition électorale s’est ouverte une course aux Alliances, animée par la Coalition, d’une part, et le Parti Radical, d’autre part.

Tout de suite, les Radicaux-Nationalistes ont profité de leur avantage arithmétique pour engager des conversations préalables. Leurs trois formations se sont accordées sur quelques grands principes : entrée dans l’U.E d’une Serbie souveraine au Kosovo ; stricte autonomie de la Republika Srbska ; liberté laissée aux personnes poursuivies de se rendre au TPIY ; positionnement géopolitique entre l’Europe et la Russie. En dépit des efforts de Vojislav KOSTUNICA, qui joue son avenir politique, de l’ encouragement de SESEJL recherché dans sa cellule, des aspirations d’une partie de l’Académie et des pressions des cadres civils, militaires ou économiques demeurés en place depuis le départ de S. MILOSEVIC, cet accord ne s’est pas transformé en plate-forme de gouvernement, à cause des hésitations des Socialistes et de leurs alliés. [5]

Quelle sera la stratégie du Parti Socialiste de Serbie ?

Avec ses 20 députés, le Parti Socialiste de Serbie est « le faiseur du Roi ». Certains de ses dirigeants, les plus jeunes, pensent que le moment est venu de se débarrasser de leur trop lourd héritage (soutien à Slobodan MILOSEVIC, recherche de la Grande Serbie, recours à la force, captation de tous les services publics, etc.). L’objectif serait de transformer leur formation en un parti moderne, social, ouvert sur le monde. Dans les circonstances actuelles, faire le choix de l’Europe et de l’euro-atlantisme marquerait une véritable rupture et blanchirait le Parti. Un encouragement extérieur, n’émanant pas des « ennemis de la Serbie », faciliterait cette mutation. Or, Georges PAPANDREOU, qui préside l’Internationale socialiste, s’est déclaré prêt à réintégrer les Socialistes serbes dans l’institution s’ils se tournaient vers l’Europe. [6] Accueilli par une grande institution politique internationale qui surplombe l’Europe et les Etats-Unis, l’ancien parti de S. MILOSEVIC, converti aux valeurs européennes et occidentales, deviendrait fréquentable. [7]

L’opposition à cette contorsion politique viendra de tous les milieux nationalistes et surtout de la base du Parti qui dénoncera une trahison et une capitulation devant l’Occident. On peut s’attendre à des débats passionnés et à de violentes polémiques. Les consultations au sein de l’appareil pourraient durer. Toutefois, les Socialistes n’ont pas d’autre solution s’ils veulent survivre que de quitter le camp des Radicaux-Nationalistes. Sinon, ils demeureront à tout jamais les complices de MILOSEVIC et bientôt seront étouffés par les Radicaux populistes de NIKOLIC, beaucoup plus libres de leurs initiatives.

Un pas a déjà été franchi, sans gêne aucune, par l’une des deux petites formations associées aux Socialistes, la « Serbie Unie », laquelle possède aussi une origine sulfureuse pour avoir eu ARKAN comme fondateur. Son actuel responsable, Dragan MARKOVIC, a déclaré « Nous n’oublions pas les bombardements ...mais il n’y a pas de futur en Serbie sans une coopération avec l’Europe ... Notre attention doit aller vers les jeunes serbes ... les nouveaux investisseurs ... la création d’emplois ».

Arrimer la Serbie à l’Europe

Pour arrimer la Serbie à l’Europe, le Parti Libéral soutiendra un gouvernement composé des Coalisés de TADIC et des Socialistes, mais il n’y participera pas. Cédomir JOVANOVIC veut être l’héritier du Premier ministre Zoran DJINDJIC, assassiné en mai 2003 pour avoir transféré MILOSEVIC à La Haye et projeté de défaire le maillage administratif, militaire, économique et mafieux dans lequel ce dernier avait enfermé la Serbie. Comme DJINDJIC, il recherche de véritables réformes : une économie libérale, la dissolution des monopoles gérés par des proches du pouvoir, la dépolitisation des services publics et un contrôle du Parlement sur les services secrets etc. En outre, il se méfie de la Russie et n’approuve pas les modalités de l’accord avec Gazprom. [8]

Une gestion des affaires publiques par les Démocrates et les Socialistes avec le soutien des Libéraux, pourrait se révéler un exercice laborieux. Ralliement et conversion à l’Europe sont tardifs, rapides et entachés d’opportunisme. Les Socialistes auront de la peine à accepter les conséquences économiques et autres du libéralisme ainsi que toutes les exigences du TPIY comme à prendre leurs distances à l’égard des Serbes de B-H. Sur le Kosovo ,TADIC est aussi catégorique que les autres nationalistes : son indépendance est inacceptable et doit être combattue. Sur cette question, il subira la surenchère des Radicaux et des Démocrates de Serbie, majoritaires dans 20 des 25 communes où les Serbes du Kosovo ont voté. Mais, il réalisera bientôt qu’il ne peut pas, en même temps, vouloir l ‘ intégration dans l’Union européenne et s’ opposer à l’action de l’Union européenne au Kosovo : action qui bénéficiera à tous les Kosovars, Albanais, Serbes et autres. S’il ne modifie pas son comportement, il entrera rapidement en conflit avec Bruxelles et la plupart des pays membres de l’U.E . Il devra accepter les réalités.

Toujours imprégnés d’étatisme et désireux de conserver leur électorat populaire, les Socialistes proposeront des réformes sociales protectrices : santé, logement, retraites, travail … etc. Leurs exigences se heurteront à l’orientation social-démocrate du parti de TADIC.

Demain

Il n’est pas certain que le président TADIC, en apparence plus à l’aise dans la représentation que dans l’animation d’une équipe composite, dispose de l’autorité naturelle indispensable pour surmonter des divergences importantes. Il reviendra au Premier ministre - qui n’est pas encore désigné - la tâche d’arbitrer et de décider dans un gouvernement où les Minoritaires (20 Socialistes et 13 Libéraux sur les bancs du Parlement) seront d’autant plus exigeants qu’ils se sauront indispensables.

Si la solution européenne l’emportait - ce qui satisferait non seulement l’U.E et les Etats-Unis mais aussi la Macédoine , la Bulgarie , le Monténégro , l’Albanie , la Croatie , la Slovénie , la Bosnie-Herzégovine et les Albanais du Kosovo - la Serbie devrait être traitée comme un candidat ordinaire. Lui faire de nouveaux cadeaux pour faciliter ou hâter son intégration, par exemple, serait injuste vis à vis des autres candidats. Cela porterait atteinte aux critères et aux procédures de Bruxelles. En outre, accorder à Belgrade un traitement préférentiel serait lui rendre un bien mauvais service au plan géopolitique. Ceux des Serbes, qui pensent que la Serbie est un pays à part ayant une vocation particulière, se sentiraient confirmés dans leurs illusions. Et, on sait les désastres provoqués dans l’Europe du Sud -Est par la valorisation identitaire !

Le 22 mars 2008, le président TADIC a entamé la procédure officielle pour la désignation d’un nouveau Premier ministre et d’un nouveau gouvernement. Il a reçu les formations retenues par la Commission électorale pour constater qu’aucune ne pouvait présenter un gouvernement. Le Parlement issu des urnes se réunira pour la première fois en juin 2008. D’ici là, les tractations risquent de prendre du temps à cause des hésitations des uns, des manœuvres des autres, de la tentation de faire monter les enchères et de la volonté de réaliser pour la ville de Belgrade et dans d’autres municipalités de province des alliances politiques en harmonie avec celle qui s’imposera au sommet. Mi-septembre 2008, faute d’un accord sur un gouvernement, les électeurs serbes devraient de nouveau se rendre aux urnes.

Manuscrit clos le 24 mai 2008.


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[1Le corps électoral comportait 6 747 867 électeurs ( dont 51 211 à l’étranger et 91 639 au Kosovo ) . 22 formations étaient en compétition ( 11 représentants des minorités ou une région particulière ). La participation fut de 60%.

[2Le Parti Radical de Serbie fut crée en 1991 par Vojislav SESELJ , présentement jugé à La Haye.

[3A l’exception de la Voïvodine dont 38 communes sur 45 ont donné une large majorité aux listes pro-européennes.

[4La carte politique de la Serbie est compliquée car, le plus souvent, les grandes formations s’associent, en période électorale , avec des partis pilotes.
Ce fut le cas pour 3 d’entre elles :
. Le Parti Démocratique de Boris TADIC a formé une coalition électorale avec le ” G17 Plus “ de Mladjan DINDIC ; le “ Mouvement du Renouveau Serbe “ de l’inoxydable Vuk DRASKOVIC ; la ” Ligue de Voïvodine” de Nenad CANAC ; et le “Parti Démocratique du Sandzak “ ,
. Le Parti Démocratique de Serbie de Vojislav KOSTUNICA a passé une alliance avec la “ Nouvelle Serbie “ de Vélimir ILIC.
. Le Parti Socialiste de Serbie d’Ivica DACIC a fait équipe avec le “ Parti des Associations de Retraîtés “ de Jovan KRKOBAHIC et la “ Serbie Unie “ de Dragan MARKOVIC.

Deux formations politiques se sont présentées seules ;
. Le Parti Radical Serbe dirigé par Tomislav NIKOLIC mais présidé par Vojislav SESELJ .
. Le Parti Libéral de Cédomir JOVANOVIC .

[5Officiellement, l’Eglise Orthodoxe Serbe n’a pas fait connaître sa position.

[6L’ancien Premier ministre, président du parti socialiste de Grèce, PASOK, aurait formulé trois préalables : reconnaissance du TPIY ; acceptation de l’ASA et démocratisation interne du Parti socialiste de Serbie.

[7A Belgrade, l’Ambassadeur de Grande Bretagne s’est fait publiquement l’avocat de cette novation « Le Parti Socialiste n’est pas destiné à toujours exister comme le parti de Milosévic ! »

[8La Russie ne semble pas s’alarmer de ce virage des Socialistes ni de l’éventualité d’un gouvernement “européen“ à Belgrade. Moscou est solidement implanté en Serbie avec Gazprom et le projet de gazoduc South Stream.


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