Les biens revendiqués par l’Église orthodoxe serbe au Kosovo. Un enjeu important dans la légitimation ou la dé-légitimation de l’indépendance du territoire

Par Eva MOREAU, le 23 avril 2023  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Après avoir achevé une bi-Licence d’Histoire et Science politique à l’Institut catholique de Paris (ICP), Eva Moreau se dirige en Master de Géopolitique. Elle termine en 2023 sa deuxième année de Master à l’Institut français de géopolitique (IFG, Université Paris 8), poursuivant sa spécialisation en gestion de risques et conflit. Ces dernières années, lui ont ainsi permis de se concentrer sur son travail de recherche vis-à-vis de la question des biens revendiqués par l’Église orthodoxe serbe (EOS) au Kosovo.

La question des biens revendiqués par l’Église orthodoxe serbe au Kosovo ne se limite pas à un simple affrontement entre deux parties voulant superviser la gestion de ce patrimoine, mais concerne plus largement le statut d’un territoire devenu indépendant en 2008 pour s’émanciper de la domination serbe. Eva Moreau contextualise un sujet qui concerne de près ou de loin l’Union européenne et l’Organisation des Nations unies. Voici pourquoi et comment.
Illustré de deux cartes.

LE territoire kosovar est tiraillé de dissensus autour des propriétés revendiquées par l’Église orthodoxe serbe (EOS) et leur gestion est source de nombreux conflits multiscalaires. Cette question est notamment centrale vis-à-vis de la volonté d’indépendance du territoire kosovar. En effet, ce territoire constitue le cœur de l’ancien royaume serbe, mais aussi de l’Église orthodoxe serbe. Cette région possède une dimension sacrée [1]. Cette représentation du Kosovo prend son importance politique au XIXe siècle en faisant du Kosovo le centre de la « serbité » ethnique [2]. Néanmoins en 2008, le Kosovo proclame son indépendance. Les Kosovars albanais se pensent légitimes sur le territoire du fait de leur poids démographique. Ils représentent depuis la fin du XIXe siècle une large part de la population. À cet égard, ils représentent plus de 90 % de la population en 2005 alors que les Serbes pèsent environ 5 % des habitants du territoire [3]. Ainsi, le patrimoine revendiqué par l’Église orthodoxe serbe (EOS) se trouve désormais sur un territoire ayant ses propres institutions et voulant administrer le patrimoine présent sur les terres.

Les biens revendiqués par l'Église orthodoxe serbe au Kosovo. Un enjeu important dans la légitimation ou la dé-légitimation de l'indépendance du territoire
Le Kosovo : une indépendance remise en cause pour un espace totalement inclus dans le territoire de l’Eglise orthodoxe serbe
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte. Conception et réalisation : Eva Moreau
Moreau/Diploweb.com

En dépit de sa déclaration d’indépendance de 2008, contestée par la Serbie, la carte ci-dessus montre que le territoire kosovar fait entièrement partie d’une des éparchies de l’Église orthodoxe serbe (EOS), celle de Raska-Prizren, comprenant également une partie du territoire serbe. L’organisation de cette Église ne prend donc pas en compte le détachement du territoire du Kosovo vis-à-vis de la Serbie. Par ailleurs, cette éparchie regroupe d’éminents monastères pour la religion orthodoxe et ce territoire du Kosovo est considéré comme le berceau de cette religion ce qui lui donne toute son importance pour les Serbes.

En avril 2023, la Serbie est des sept pays candidats à l’Union européenne. A cette même date, le Kosovo est un des trois pays candidats potentiels à l’UE.

C’est dans cette perspective que nous allons voir dans quelles mesures cette thématique est utilisée pour légitimer ou non l’indépendance du territoire. En effet, l’Etat kosovar souhaite montrer le bon fonctionnement de ses institutions dans la protection de ce patrimoine et également, à une échelle plus internationale, prendre part aux décisions de l’UNESCO malgré les nombreuses lacunes que soulève l’EOS pour délégitimer son ambition.

I. Une légitimation au travers du fonctionnement des institutions étatiques kosovares dans la protection de ce patrimoine

A. La mise en place d’un cadre institutionnel

En s’occupant de la gestion du patrimoine et en assurant sa protection, on peut supposer que le gouvernement kosovar souhaite démontrer le bon fonctionnement de ses institutions et ainsi sa capacité à administrer le territoire. En effet, le processus de détermination du statut futur du Kosovo lancé en 2005 par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies comprenait des principes directeurs dont faisaient partie des garanties pour la protection du patrimoine religieux et culturel. Ainsi, en 2007 la proposition globale de règlement portant sur le statut du Kosovo, aussi nommée plan Ahtisaari, présente une annexe à propos des mécanismes de protection. Des zones protégées sont mises en place autour de plus de 40 sites orthodoxes serbes et un Conseil chargé de la mise en œuvre et du suivi [4] est créé. Celui-ci gère les désaccords entre les autorités locales et l’EOS en coopérant avec le Conseil du patrimoine culturel de la République du Kosovo au sujet des questions touchant ces zones protégées [5]. De plus, le plan Ahtisaari prévoit d’attribuer au ministère de la Culture du gouvernement kosovar la responsabilité de la protection du patrimoine orthodoxe serbe. C’est dans la perspective d’un lien entre la protection du patrimoine ecclésiastique et la légitimation de l’indépendance du territoire que le chef de la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK) rappelait en 2015 que : « Le respect, la protection et la préservation du patrimoine culturel orthodoxe serbe sont un devoir “ fondamental ” et ils testent la responsabilité des institutions de gouvernance du Kosovo. Tout échec (…), remettrait en question plusieurs autres fonctions et responsabilités importantes. Il est, en conséquence, de la plus grande importance que le cadre juridique de protection, consacré par la Constitution, soit respecté avec la plus grande rigueur [6]. »

En effet, lors de notre entretien avec un homme politique kosovar, Bekim Collaçu, celui-ci précise que la bonne gestion du territoire est une prérogative indispensable au gouvernement kosovar si ce dernier souhaite voir son indépendance être reconnue par davantage de pays [7]. Il précise à ce titre que : « Le Kosovo a mis en place des législations pour protéger le patrimoine et pour protéger la plupart des églises orthodoxes serbes puisque ce patrimoine est considéré comme une part de notre culture. En tant qu’État indépendant, toutes les églises ont une valeur historique importante pour le territoire et sont donc protégées [8]. »

Dans ce sens, le ministère de la Culture, de la jeunesse et des sports de Pristina est désigné par le gouvernement comme « l’un des secteurs prioritaires du gouvernement de la République du Kosovo » [9].

Par ailleurs, les autorités du Kosovo réservent des fonds pour la restauration des biens orthodoxes dégradés comme ce fut fait après les pogroms de 2004. En effet, selon les autorités kosovares, 80 % des sites religieux serbes ont été reconstruits par la suite via un budget provenant en grande partie du gouvernement kosovar [10]. De plus, différentes mesures sont prises afin d’assurer un traitement juste du patrimoine serbe. Ainsi, une commission mixte, comprenant le ministère de la Culture, l’EOS et des représentants internationaux au Kosovo a évalué les dommages matériels survenus après les émeutes de 2004 et le patrimoine culturel est régi par le Conseil du Kosovo, lequel respecte par sa composition la diversité ethnique du territoire.

Enfin, en 2016, suite aux négociations entre Belgrade et Pristina, l’Agence du Kosovo pour la comparaison et la vérification des biens (AKCVB) est créée. Elle est chargée notamment de résoudre les divergences entre les documents cadastraux originaux avant la fin de la guerre du Kosovo en juin 1999 qui ont été obtenus du Kosovo par les autorités serbes et les documents cadastraux actuels de la République du Kosovo, notamment vis-à-vis de la propriété privée des communautés religieuses [11]. Ainsi, le gouvernement kosovar a mis en place tout un cadre juridique afin d’assurer la protection de ce patrimoine.

B. Des conflits liés aux prérogatives de la police kosovare

Les prérogatives du nouvel État kosovar ont également vu un transfert progressif de la mission de protection des édifices religieux orthodoxes de la Force pour le Kosovo (KFOR), organisme neutre de l’OTAN, à la police kosovare (KP) [12]. À partir de 2013, un accord trilatéral entre la KFOR, mission de l’Union européenne au Kosovo (EULEX) et KP, confie la protection des monuments du patrimoine religieux et culturel orthodoxe à la police du Kosovo. Nonobstant, un conflit reste présent entre cette police chargée de protéger les biens de l’EOS et le diocèse de Raska-Prizren. À cet égard, Maître Radovanović, l’avocat en chef de l’éparchie accuse la police de dissimuler dans ses statistiques les violences inter-ethniques à l’égard des Serbes et de l’EOS. Lors d’une manifestation devant le temple du Christ-Sauveur à Pristina, les portes du temple ont été dégradées par des graffitis nationalistes et aucune enquête n’a été menée afin de découvrir l’auteur de ce vandalisme. C’est en ce sens qu’il ne pourrait donner de la légitimité à ses institutions et à leur faculté d’administrer le territoire. Pour autant Hashim Thaçi, président de la République du Kosovo de 2016 à 2020 restait attaché « à la stricte conformité avec la Constitution de la future loi globale relative à la protection du patrimoine culturel serbe » [13]. D’après lui, la police protégeait alors à 95 % ces biens [14]. Certains médias serbes tels que Politika, mettent en lumière le fait que malgré la présence de cette police, la question de la sécurité de la propriété se pose toujours ce qui remet en cause leur capacité de protection [15]. L’absence de sérieux de la part de la police kosovare lors de l’acte de vandalisme survenu en 2016 au monastère de Dečani est pour le Père Sava un indice supplémentaire de leur incompétence [16]. Néanmoins, Bekim Collaçu met en exergue l’absence d’accidents notables ces derniers temps ce qui révèle selon lui, le travail sérieux de la police kosovare, laquelle vient en renfort des deux lois sur la protection du patrimoine pour s’assurer de leur préservation. Ainsi, la police kosovare est également une source de conflit entre les Kosovars albanais et les Serbes dénonçant son incompétence. La mise en place du rôle de cette police dans la protection du patrimoine religieux constitue un des enjeux autour de cette volonté d’indépendance.

Au-delà de la mise en place d’un cadre institutionnel sur le territoire afin de protéger ce patrimoine, le Kosovo souhaite aussi obtenir davantage de reconnaissance au niveau international, en intégrant notamment un organisme central dans la protection de ces biens.

II. L’UNESCO : un organe prépondérant dans la gestion du patrimoine au sein duquel le Kosovo veut agir afin de légitimer son indépendance

A. La volonté d’adhésion du Kosovo

En 2015, le Kosovo a voulu devenir membre de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). On assiste ainsi au désir du Kosovo d’accroître sa place sur la scène internationale. Pour cet organisme, la protection de la culture permet la protection de la paix et c’est à ce titre qu’elle se place en tant que défenseur de ces monuments serbes et joue donc un rôle primordial dans ce conflit [17]. Cependant, cela se solde par un échec malgré les garanties internationales sur le fait que l’Église orthodoxe serbe continuerait à jouir de l’immunité, des privilèges et de la conservation de ses droits. De ce fait, l’admission du Kosovo dans les organisations internationales permettrait, on peut le supposer, d’asseoir davantage la légitimité de son indépendance sur la scène internationale, puisque son statut de membre justifierait sa capacité à administrer son territoire et à avancer dans le sens de la paix. Effectivement, pour Bekim Collaçu, l’adhésion du pays à l’UNESCO est nécessaire pour « finir le processus de construction étatique » [18]. Pour l’EOS, cette adhésion légitimerait et achèverait le travail réalisé contre celle-ci par les Kosovars albanais en 1999 et poursuivi en 2004. Actuellement, les quatre sites de l’UNESCO au Kosovo sont historiquement les églises orthodoxes serbes les plus importantes et comprennent donc le Patriarcat de Peć, le monastère de Dečani, le monastère de Gracanica et l’église de la Sainte Vierge de Leviša à Prizren.

Par conséquent, pour l’Église serbe et certains membres du gouvernement serbe, le Kosovo ne peut devenir le protecteur d’un patrimoine qui ne lui appartient pas en adhérant à l’UNESCO. Vucić, alors Premier ministre, s’était publiquement opposé à leur adhésion à l’UNESCO, déclarant que « Pristina n’a pas le droit moral de demander l’adhésion à l’UNESCO, car par ses actions au cours de la période précédente, elle a démontré sans équivoque qu’elle n’a ni la capacité ni la volonté de remplir les obligations » qui en découlent [19]. Le conflit se déplace ainsi également au niveau international au travers de cet organisme dépassant ces frontières étatiques.

B. Une admission nécessaire dans ce processus d’indépendance

On peut supposer qu’il y a pour le Kosovo un lien de corrélation entre la volonté d’adhésion à l’UNESCO afin d’obtenir la responsabilité de la protection de ces monuments et son désir de légitimer son indépendance sur la scène internationale. Une telle responsabilité pourrait nourrir sa crédibilité. La liaison entre la reconnaissance de son indépendance et le renforcement de ses prérogatives en gérant potentiellement en partie le patrimoine peut être mise en exergue par l’étude de la carte suivante.

Carte. La volonté d’adhésion du Kosovo à l’Unesco
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte : La volonté d’adhésion du Kosovo à l’Unesco afin de le rendre responsable de la protection du patrimoine revendiqué par l’Eglise orthodoxe serbe : un principe qui fait débat. Conception et réalisation : E. Moreau
Moreau/Diploweb.com

Dans cette perspective, nous pouvons voir sur la carte, la répartition des pays ayant voté, pour, contre et s’étant abstenu sur l’adhésion du Kosovo à l’UNESCO ainsi que les pays n’ayant pas participé au vote. En comparant cette carte avec le positionnement des pays sur l’indépendance du Kosovo [20], on remarque une certaine similitude entre les deux. La plupart des pays n’ayant pas reconnu l’indépendance du Kosovo tels que la Russie ou l’Argentine n’ont pas voté en faveur de son adhésion à l’UNESCO. De ce fait, on peut supposer que l’adhésion de ce pays à cet organisme, lui offre certaines prérogatives légitimant la volonté d’autonomie d’État en place.

Ainsi, le gouvernement kosovar cherche à obtenir la gestion de l’ensemble de ce patrimoine en le considérant en tant que patrimoine culturel du territoire avant de le voir comme le patrimoine orthodoxe serbe. Bekim Collaçu précise à cet égard lors notre entrevue, que l’attachement à la définition de ce patrimoine comme bien culturel kosovar se fait en parallèle d’une identité kosovare en construction et devant s’affirmer.

Par conséquent, l’UNESCO, de par l’importance qu’elle possède en termes de protection du patrimoine, devient un organe central dans le conflit. Le Kosovo tente d’agir au sein de cet organisme afin d’accroître ses prérogatives en tant qu’État indépendant et de prendre davantage de poids sur la scène internationale.

III. La remise en cause du fonctionnement des prérogatives kosovares vis-à-vis de ce patrimoine

A. La méfiance de l’EOS face à l’instance juridique

Le Kosovo, comme on l’a vu, tient à démontrer le bon fonctionnement de ses organes étatiques afin d’asseoir sa légitimité à être indépendant. Néanmoins, l’EOS remet en cause la partialité de ses organes juridiques à son égard et la difficulté d’application des jugements rendus. À ce titre, l’avocat Radovanović précise que l’éparchie n’a « connaissance d’aucune destruction punie, autre que des punitions symboliques contre les exécuteurs immédiats, mais jamais contre les organisateurs » [21]. En effet, dans une publication de lOrganisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) sur le pogrom de 2004, on peut observer que la plupart des condamnations des acteurs de ces émeutes étaient soit des peines avec sursis, soit de courtes peines de prison [22].

De surcroît, la partialité des jugements qui sont rendus est dénoncée par l’EOS mais aussi par certains hommes politiques serbes. L’avocat en chef du diocèse de Raska-Prizren souligne que dans les affaires pénales souvent basées sur la haine ethnique, si les auteurs se font prendre, ils ne sont jamais poursuivis dûment pour leurs crimes. Dans la même lignée, Petar Petković, directeur du Bureau pour le Kosovo-et-Métochie, a ainsi déclaré que les autorités kosovares ne « veulent pas non plus appliquer leurs décisions chaque fois que les Serbes sont en cause » [23].

Par ailleurs, la Commission européenne a mis en lumière le manque de communication entre l’EOS et les institutions kosovares [24]. En effet, plusieurs problèmes sont survenus sur des zones appartenant à l’EOS. Par exemple, la Commission européenne a noté la volonté de la municipalité de Gjakova de construire un parc sur un terrain appartenant à l’Église serbe avec un projet qui couvrirait les fondations d’une chapelle détruite lors des déboires de mars 2004. La construction de ce parc soulève directement les enjeux de l’usurpation des terres et des constructions illégales sur ces terres de l’EOS. Cet acte est dénoncé par l’Église en tant que « violence institutionnelle » où la loi est violée par les autorités kosovares elles-mêmes [25].

En parallèle d’une justice considérée par l’éparchie de Raska-Prizren, comme incompétente vis-à-vis des affaires la concernant, certains des jugements qui y sont rendus ne sont pas respectés, ce qui met en lumière les lacunes de cet organe pour l’EOS. Un des exemples concrets pouvant illustrer la défaillance du système judiciaire kosovar d’après l’EOS est le cas du monastère de Dečani. Le monastère s’est vu confisquer 700 hectares de terres lors de l’époque communiste en 1946 sur les 800 hectares qu’il possédait en totalité. Le monastère a alors lancé une procédure judiciaire pour récupérer 24 hectares de ses terres situées au Sud-Est du monastère. Cependant, la décision de la Cour constitutionnelle visant à redonner ces terres au monastère, ainsi que de nombreuses autres décisions ou obligations légales, n’ont jamais été mises en œuvre. Par ailleurs, les plus hauts dignitaires du gouvernement, y compris le Premier ministre, se sont prononcés à plusieurs reprises contre l’application du verdict de leur propre Cour constitutionnelle, tout en répétant en même temps des récits historiques s’opposant à ceux de l’Église serbe, appuyant le fait que les monastères et églises seraient en fait des monuments albanais, occupés par les orthodoxes serbes [26]. De ce fait, face à l’absence de discours unifié sur la gestion de ce patrimoine par les autorités kosovares, la partie serbe tient à rappeler leur importance sur le territoire.

B. L’EOS souligne le poids de son implication dans la protection de ce patrimoine

L’Église serbe met en exergue, l’importance de son implication dans la protection de son patrimoine afin de permettre la mise en place de la loi sur les zones protégées [27]. En effet, l’EOS s’est engagée dans des activités diplomatiques et dans des activités juridiques depuis 1999, poursuivant les accords Ahtisaari. Pour Maître Radovanović indiquant parler au nom de l’EOS, le gouvernement kosovar ne peut se vanter de la mise en place de cet organe puisque son travail est bloqué depuis plusieurs années. Ainsi, ce conseiller juridique principal de l’éparchie de Raška-Prizren, défend l’opposition de l’EOS face à l’instance législative du gouvernement kosovar en citant notamment une loi discutée en 2015. Le Kosovo essaye d’adopter une loi sur le patrimoine culturel visant à accaparer les biens de l’Église, leur permettant de légitimer leurs revendications sur le territoire et l’Église serbe agit afin de bloquer la mise en place de cette mesure. Cette loi soutenue par la Ligue démocratique du Kosovo et ayant pour objectif de retirer du patrimoine culturel du Kosovo cette propriété ecclésiastique et de la transférer au gouvernement central aurait permis la nationalisation du patrimoine. D’après l’avocat en chef de l’éparchie, cette loi aurait été contre la Constitution kosovare et d’après Sava Jancić contre la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies et les normes européennes. Pour les orthodoxes elle n’est pas envisageable dans la mesure ou elle les priverait de sa propriété sur ces biens. Par conséquent, l’EOS remet en cause le mérite du gouvernement kosovar d’avoir mis en place un cadre légal assurant la protection du patrimoine orthodoxe. Cette dernière considère son rôle comme essentiel dans l’élaboration de ces lois et déclare donc sa présence nécessaire sur le territoire.

*

In fine, la question de la gestion du patrimoine revendiqué par l’EOS se retrouve au centre de la légitimation ou non de l’indépendance du Kosovo. Le gouvernement kosovar souhaite démontrer le bon fonctionnement de ses institutions au travers de la protection de ces biens. Il veille à la mise en place d’un cadre juridique efficace. En outre, sa volonté d’intégrer un organisme international tel que l’UNESCO se fait également dans la logique d’agrandir ses prérogatives sur un territoire qu’il considère sien. Ainsi, en s’acquittant de sa mission de protection de ce patrimoine, le Kosovo souhaite mettre en avant sur la scène internationale sa faculté de pouvoir assurer la gestion de ce pays autoproclamé. Néanmoins, cette question est également utilisée par l’EOS et le gouvernement serbe pour démontrer l’incapacité de ce gouvernement à administrer ces terres et donc une nécessaire supervision du territoire. Ils soulèvent ainsi les faiblesses de ce régime et l’importance du rôle joué par cette Église serbe dans la mise en place de la gestion actuelle de ces biens. Par conséquent, la question des biens revendiqués par l’EOS ne se limite pas à un simple affrontement entre deux parties voulant superviser la gestion de ce patrimoine, mais concerne plus largement le statut d’un territoire voulant s’émanciper d’une domination serbe.

Enfin, cette question est également reprise en dehors de ces frontières et devient un enjeu international que ce soit au niveau politique en Serbie ou avec la difficile neutralité des organismes internationaux dans le conflit.

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[1. GHEBALI HEBALI Victor-Yves, « Totem et tabou dans le conflit du Kosovo : remarques sur les limites naturelles d’une médiation internationale », Cultures & Conflits, 37, printemps 2000, https://doi.org/10.4000/mimmoc.1080

[2. EJDUS F., SUBOTIĆ J, « Kosovo as Serbia’s Sacred Space : Governmentality, Pastoral Power, and Sacralization of Territories », Politicization of Religion, the Power of Symbolism. Palgrave Studies in Religion, Politics, and Policy, Palgrave Macmillan, New York, 2014.

[3. ROUX Michel. « Le Kosovo en voie d’homogénéisation  : quelle est la part du “ nettoyage ethnique ”  ? » Revue Géographique de l’Est, vol. 45, no 1, janvier 2005, p. 23‑33, https://doi.org/10.4000/rge.572.

[4. Communauté de Sécurité, « Protection du patrimoine culturel au Kosovo : Piliers de la paix », OSCE, Numéro 2/2016, 05/10/2016, https://www.osce.org/fr/magazine/291886

[5. Art 4.8, « Protection and Legal Measures », Cultural Heritage Law, 09/10/2006, https://www.ecoi.net/en/file/local/1235900/1504_1220513623_law-on-special-protective-zones.pdf

[6. Conseil de sécurité, « le Chef de la Mission de l’ONU au Kosovo fait preuve d’un « optimisme prudent » quant à la poursuite du dialogue et des compromis politiques dans l’intérêt de tous les Kosovars », Nations Unies, 7510E séance, 21/08/2015

[7. D’après l’entretien avec Bekim Collaçu.

[8. Ibid.

[9. Department of Heritage, Republic of Kosovo-Ministry of Culture, Youth and Sport.

[10. SHEHU Bekim, « Trashëgimia kulturore dhe fetare në Kosovë garantohet me kushtetutë », Deutsche Welle, 06/10/2008, https://www.dw.com/sq/trash%C3%ABgimia-kulturore-dhe-fetare-n%C3%AB-kosov%C3%AB-garantohet-me-kushtetut%C3%AB/a-3693699

[11. « Business plan 2017 », Kosovo Property Comparison and Verification Agency, 2017, http://www.kpcva.org/pdf/KPCVA%20-%20Action%20Plan%202017.pdf

[12. FAURE Jean et André VANTOMME André, « Le Kosovo trois ans après l’indépendance », Rapport d’information au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, n° 698, http://www.senat.fr/rap/r10-698/r10-698_mono.html

[13. Conseil de sécurité, op. cit. p. 2.

[14. Ibid.

[15. RADOMIROVIĆ Biljana, « Од вербалног деликта до премлаћивања деце », Politika, 31/08/2021, https://www.politika.rs/scc/clanak/486630/Od-verbalnog-delikta-do-premlacivanja-dece

[16. Ibid.

[17. NIKANDER Päivi et ZIRL Valerie, « Protection du patrimoine culturel au Kosovo : Piliers de la paix », OSCE, , Numéro 2/2016, 5/10/2016, https://www.osce.org/fr/magazine/291886

[18. Bekim Collaçu, op. cit. p, « complete the state-building process »

[19. « Вучић Унеску : Неморалан захтев Косовa », RTS, 11/10/2015, https://www.rts.rs/page/stories/ci/story/1/politika/2067197/vucic-unesku-nemoralan-zahtev-kosova.html, « Приштина нема ни морално право да тражи чланство у Унеску, јер је својим чињењем у претходном периоду недвосмислено демонстрирала да нема ни способност ни вољу да испуни обавезе »

[20. FEERTCHAK Alexis, « Dix ans après son indépendance, le Kosovo face à un sombre bilan », Le Figaro, 17/02/2018, https://www.lefigaro.fr/international/2018/02/17/01003-20180217ARTFIG00016-dix-ans-apres-son-independance-le-kosovo-face-a-un-sombre-bilan.php

[21. Ibid, « knowledge of no punished destruction, other than symbolic punishments against the immediate executors, but never against the organizers ».

[22. Monitoring Department, Legal System Monitoring Section, « Four Years Later : Follow up of March 2004 Riots Cases before the Kosovo Criminal Justice System », OSCE Mission in Kosovo, 08/07/2008, https://www.osce.org/files/f/documents/e/1/32700.pdf

[23. « Debati për pronat e Manastirit të Deçanit në Kosovë », Deutsche Welle, 24/05/2022, https://p.dw.com/p/4Bm88, « por as nuk duan t’i zbatojnë vendimet e tyre sa herë që janë në pyetje serbët ».

[25. Archange Sava Janjic, « Video Report on the Usurpation of Chuch Land in Đakovica & Information Related Thereto », Serbian orthodox church, 17/07/2008, http://www.spc.rs/sr/video_reportaza_o_uzurpaciji_crkvene_zemlje_u_djakovici_i_ostale_informacije_o_ovom_slucaju

[26. Ibid

[27. D’après l’entretien avec Maître Radovanovic.


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