Dix ans après la crise des Terres Rares, le niveau de sécurité minérale de l’UE demeure problématique. Les conclusions du nouveau rapport de l’initiative européenne sur les MPC en attestent. Alors que les prévisions anticipent un doublement de la demande mondiale en matières premières d’ici à 2060, la pression sur celles-ci se renforcera assurément. La Chine, premier producteur mondial de MPC, et premier fournisseur de l’UE, a donc en sa possession une arme de coercition redoutable relevant du hard power. À ces conclusions peu rassurantes s’ajoute le contexte de tension entre les États-Unis et la Chine qui fait craindre une nouvelle envolée du prix des matières premières.
Illustré par une carte et deux infographies.
LE DEBAT sur l’autonomie stratégique européenne ne peut plus se cantonner aux questions de sécurité et de défense. La crise sanitaire de la COVID-19 l’a montré. Si le secteur de la santé doit être pris en compte, il n’est pas le seul, loin de là. Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, l’a bien compris. « Ce qui vaut pour les produits de santé vaut aussi pour les métaux rares », écrivait-il avec justesse dans un article publié en anglais sur son blog personnel en décembre 2020 [1]. Assurément, et de manière plus précise, l’autonomie stratégique européenne doit se saisir de la question des matières premières critiques (MPC).
Associées à une haute importance économique et à un de degré de risque élevé sur leur approvisionnement, les MPC méritent qu’on s’y intéresse davantage. Pour l’Union européenne (UE), garantir un accès durable à ces ressources constitue un prérequis essentiel à toute politique environnementale, industrielle ou de défense. Et alors qu’il y a près de dix ans, la crise des Terres Rares faisait prendre conscience aux Européens de leur niveau de dépendance à l’égard de la Chine, il semble aujourd’hui nécessaire de faire un point. Alors, quel bilan pour la sécurité minérale européenne, dix ans après la crise des Terres Rares ?
Fin 2020, la Commission européenne (CE) publiait son nouveau rapport sur les MPC, l’occasion de faire un état des lieux de la situation de l’UE. Et alors que les conclusions sont loin d’être rassurantes, l’ombre d’une nouvelle crise des Terres Rares plane, dans un contexte de guerre commerciale entre Pékin et Washington. Dans le même temps, dans les plus hautes instances européennes, les contours d’une véritable stratégie minérale semblent se dessiner.
A. Bilan du rapport 2020 de l’initiative européenne pour les matières premières critiques
Début septembre 2020, la CE dévoile sa liste actualisée de MPC. Il s’agit de la quatrième liste après des publications en 2011, 2014 et 2017. Une énième étape d’un projet entamé en 2008 lorsque le Comité économique et social européen (CESE) lance l’initiative pour les matières premières. À cet instant, le CESE invite la CE à « préparer un bilan des analyses nationales sur les matières premières stratégiques et critiques et élaborer un panorama de la situation dans la Communauté. [...] tous les deux ou trois ans [...], afin de surveiller les changements intervenus » [2].
À travers une méthode spécifique, la criticité de matières premières candidates est évaluée. Deux facteurs principaux sont calculés, l’importance économique du matériau candidat et le degré de risque sur son approvisionnement. De nombreux indicateurs entrent alors dans l’équation : le caractère vital du matériau, sa capacité à être substitué, la concentration des pays fournisseurs, la dépendance européenne à l’égard des importations, le taux de recyclage en fin de vie, etc. Dès lors qu’un matériau candidat dépasse les niveaux seuils établis, on le qualifie de « critique ».
C’est en 2011 que la CE présente une première liste. Sur 41 matières premières examinées, 14 sont identifiées comme critiques (34%). Une deuxième liste suivra en 2014, identifiant 20 MPC parmi 54 matières premières candidates (37%). Puis une troisième en 2017 met en exergue 27 MPC parmi 61 matières premières candidates (44%). Enfin en 2020, le passage au crible de 66 matières premières révèle que 30 d’entre elles répondent aux critères de criticité de l’UE (45%) [3]. Trois matières premières déjà analysées en 2017 rejoignent la liste : la bauxite, le lithium et le titane. Le strontium, nouvellement analysé, les rejoint également. À l’inverse, l’hélium, considéré comme critique dans la liste précédente, en sort [4]. Ainsi, en tout juste dix ans, le nombre de MPC identifié a plus que doublé ; un constat inquiétant.
B. Des matières premières hautement stratégiques
Que se cache-t-il derrière ces 30 MPC ? Pour une majorité du grand public, répondre à cette question paraît loin d’être évident. Pourtant dans l’ombre, ces matières premières minérales font partie intégrante de notre quotidien. L’éventail de secteur industriel concerné est large. Industries des hautes technologies, de la transition énergétique, de la santé et de la défense, toutes sont concernées. Les exemples sont nombreux. Pas de téléphone sans tungstène, pas d’éolienne sans néodyme, pas d’imagerie médicale sans gadolinium et pas d’avions de combat sans vanadium.
À elle seule, la dépendance européenne à l’égard des importations ne permet pas d’expliquer le niveau de criticité qui pèse sur certaines matières premières. En effet, ce précédent facteur est le plus souvent combiné à une haute importance économique et stratégique du matériau. Dans un contexte de transition énergétique et numérique, renforcer les chaines d’approvisionnement des MPC fait donc figure de nécessité absolue pour l’UE. Sans cela, le Pacte vert européen qui vise la neutralité carbone à l’horizon 2050 ne saurait être un succès. C’est d’autant plus vrai quand on sait qu’une éolienne peut contenir près de 200 kg de néodyme (un des éléments de Terres Rares) par mégawatt installé [5]. En conséquence, le développement d’un parc éolien européen dépendra de la faculté de l’UE à renforcer son niveau de sécurité minérale.
La question des MPC concerne également l’industrie de défense. Sur les 29 matières premières minérales qu’elle utilise [6], 19 figurent sur la dernière liste de MPC publiée par la CE, soit près de 66%. La gamme de produits impliquée est vaste, que ce soit dans le secteur aéronautique (avions et hélicoptères de combat), naval (navires de guerre) ou terrestre (chars de combat et véhicules de combat blindés). De ce fait, la construction d’une Europe de la défense devra aussi prendre en considération cette problématique.
C. La Chine, hégémon des matières premières critiques
À cette haute importance économique se combine donc le facteur de risque sur les approvisionnements. Là encore, ce n’est pas tant la dépendance européenne à l’égard des importations qui pose problème, mais davantage la concentration des pays fournisseurs. En effet, les approvisionnements extra-européens ne reposent que sur un cercle restreint de pays qui domine la production mondiale des MPC. Si parmi eux on retrouve les États-Unis, l’Australie, la Russie, le Brésil, le Chili, l’Afrique du Sud, la République démocratique du Congo, la Turquie ou encore la Thaïlande, c’est bien la Chine qui en constitue l’acteur principal.
L’Empire du milieu se positionne comme le premier producteur mondial de 66% des MPC identifiées. Pour certaines d’entre elles, Pékin détient même une position quasi monopolistique. À cet égard, sur la production du bismuth (alliages métallurgiques), du gallium (semi-conducteurs), du germanium (fibres optiques), du magnésium (alliages automobiles), ou encore des Terres Rares (aimants permanents), la Chine se trouve à l’origine de plus de 80% de l’offre mondiale.
De cette agglomération de la production mondiale de MPC résulte donc un approvisionnement européen lui aussi extrêmement concentré. Là encore, la Chine fait la course en tête. Elle constitue le premier fournisseur de l’UE pour 44% des MPC. Elle fournit entre autres 98% des Terres Rares, ou encore 93% du magnésium aux industries européennes. De la même manière, le Brésil est à l’origine de 85% des approvisionnements de niobium (alliages d’acier), la Turquie de 98% du borate (industrie du verre), le Chili de 78% du lithium (batteries lithium-ion) et la République démocratique du Congo de 68% du cobalt (batteries). Au total quatorze pays tiers demeurent les principaux fournisseurs de 25 MPC pour l’UE. Fort de leur potentiel, tous ces pays détiennent par conséquent une arme de coercition relevant du hard power . Ils disposent ainsi d’une capacité de pression relative ou avérée face à l’UE. C’est éminemment vrai pour la Chine en ce qui concerne les éléments de Terres Rares (ETR).
A. Les Terres Rares, dix-sept « vitamines » des technologies modernes, monopolisées par Pékin
C’était il y a maintenant une décennie, en 2010-2011. À l’époque, dix-sept éléments métalliques regroupés sous le nom générique de « Terres Rares » font la Une de l’actualité internationale. L’explosion de leur prix, compte tenu de leur importance économique, inquiète. En effet, les éléments de Terres Rares (ETR) sont volontiers considérés comme les « vitamines » des technologies modernes, au regard des faibles quantités utilisées pour doper leurs performances. Les secteurs concernés demeurent aussi bien civils que militaires. Les aimants permanents constituent la principale application des ETR. Ils soutiennent la croissance du marché depuis les années 1990. On les retrouve dans une panoplie de technologies. Aussi bien dans les appareils électroniques (smartphones, tablettes, ordinateurs, écouteurs, haut-parleurs), dans les équipements électroménagers, dans les voitures, que dans les équipements ultrasophistiqués de l’industrie aérospatiale et de défense, et même jusque dans certaines technologies de la transition énergétique, telles que les turbines d’éolienne.
En se rendant indispensables, les ETR ont acquis le statut de matières premières hautement stratégiques. Mais au-delà de cet aspect, c’est bien le niveau de risque sur leur approvisionnement qui alarme. Le plus élevé de toutes les MPC. La conséquence d’une extrême concentration de leur extraction en Chine, à l’origine de près de 80% de la production mondiale. Pourtant des années 1960 aux années 1980 les États-Unis dominent le marché des Terres Rares grâce à la mine californienne de Mountain Pass. En à peine 20 ans Pékin a donc renversé les équilibres établis. La Chine avait les moyens de son ambition grâce à d’immenses réserves d’ETR (36,7% des réserves mondiales), une main-d’œuvre bon marché, des normes environnementales quasi inexistantes, et une vision stratégique de long terme. Toutefois, la Chine doit surtout sa position au processus de désindustrialisation en Occident, où les conséquences socio-environnementales de l’industrie extractive n’étaient plus supportables.
Et Pékin ne se contenta pas du monopole des mines. En lançant le programme 863 en mars 1986, un programme de recherche et développement de la haute technologie nationale, Deng Xiaoping permet à la Chine de conquérir l’ensemble de la chaine de valeur des Terres Rares, de l’extraction des métaux dans les mines, jusqu’à la production de produits semi-finis utilisant des ETR, tels que les aimants permanents.
B. La crise des Terres Rares (2010-2011) : rétrospective et conséquences
Désormais forte de son quasi-monopole, la Chine détenait une nouvelle opportunité. Celle de mettre les États consommateurs sous embargo. Symbole de cette nouvelle position, lors d’une visite à la mine de Bayan Obo en 1992, Deng Xiaoping déclare : « Le Moyen-Orient a du pétrole, la Chine a des Terres Rares ». Il faudra toutefois attendre le début des années 2000 pour que Pékin mette sa menace à exécution.
À partir de 2005, le Parti communiste chinois (PCC) instaure des quotas d’exportation sur les ETR. L’objectif : valoriser la production minière nationale et développer des filières avals sur son sol. Simultanément, les autorités établissent de nouvelles taxes à l’exportation. Dans un contexte d’augmentation de la demande mondiale en ETR, les contraintes et restrictions sur l’offre mettent sous tension le marché. Puis la crise de l’offre vient s’adosser à une crise d’ordre géopolitique. En septembre 2010, la marine japonaise arraisonne un navire de pêche chinois à proximité de l’Archipel des Senkaku [7]. En réponse, dès la fin du mois, Pékin suspend les livraisons de Terres Rares à destination du Japon, sans déclaration d’embargo officielle. À cela, viennent s’ajouter des comportements spéculatifs.
Le marché des Terres Rares explose. Certains métaux connaissent une augmentation de près de 2 000% par rapport à leur prix d’avant crise [8]. Dès 2012, l’UE, les États-Unis et le Japon s’associent et déposent plainte auprès de l’Organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le motif, des mesures protectionnistes jugées déloyales. En mars 2014, le verdict tombe. L’OMC donne raison aux plaignants. L’année suivante, Pékin supprime successivement quotas et taxes. Mais le PCC met un place un système de licences inédit lui permettant de réguler encore et toujours l’offre mondiale d’ETR.
Au-delà des répercussions financières, la crise eut également une conséquence d’ordre politico-stratégique. En Occident, les médias, les élites et les industriels prenaient conscience de leur situation de dépendance. Des stratégies différenciées se mirent en place. Au Japon on privilégia le recyclage et une diplomatie des matières premières plus optimale. Aux États-Unis on relança la mine de Mountain Pass. En Europe, malgré la préoccupation et des orientations émises, le niveau d’insécurité minérale demeure toujours aussi élevé dix ans après.
C. Les Terres Rares, une arme stratégique pour Pékin dans sa guerre commerciale contre Washington
Dans ce contexte insatisfaisant, l’ombre d’une nouvelle crise des Terres Rares plane. Absentes des gros titres pendant de longues années, les ETR refont leur apparition sur le devant de la scène en 2020, au beau milieu d’une guerre commerciale entre Pékin et Washington. En mai 2019 le Président américain D. Trump vient tout juste d’interdire à Huawei le marché américain des télécoms. Au même moment, Xi Jinping est photographié dans l’usine de JL Mag Rare Earth, une compagnie minière spécialisée dans la production d’ETR. Cette visite ne doit rien au hasard et envoie un message fort aux États-Unis. La Chine est prête à réactiver le levier des Terres Rares en cas de montée des tensions à l’extrême. Les médias chinois vont même jusqu’à estimer que les ETR constituent l’un des trois atouts dont dispose Pékin pour remporter la guerre commerciale contre les États-Unis [9].
Plus récemment, un épisode passé inaperçu dans la presse occidentale témoigne de la nécessité de surveiller la situation de près. En juillet 2020, l’approbation de la requête taïwanaise de recertification des missiles de défense aérienne Patriot PAC-3 par le Département d’État américain prend une tournure inattendue. Lockheed Martin qui produit ces missiles devient la première entreprise américaine à être désignée directement par les autorités chinoises pour des sanctions comprenant les Terres Rares. Si la menace venait à se matérialiser, il s’agirait d’un immense coup de massue pour la première entreprise mondiale de défense et de sécurité, dont de nombreux produits clés (F-35, missiles Patriot) dépendent des ETR. Si pour l’instant la menace ne s’est pas encore matérialisée, de telles mesures de rétorsion pourrait faire craindre une nouvelle envolée du prix des ETR à l’échelle globale.
La situation paraît donc explosive, et les ETR ne sont pas les seules MPC concernées. Les défis semblent donc nombreux. Fort heureusement, les contours d’une stratégie minérale européenne se dessinent. L’UE entend renforcer son niveau de sécurité minérale grâce à une stratégie s’articulant autour de trois axes : la diversification des partenaires, l’innovation dans les domaines de la substitution et du recyclage des MPC, et la considération de la problématique sous le prisme des chaines de valeur.
A. Diversifier l’approvisionnement primaire extra et intra-européen
Bien qu’à l’heure actuelle un nombre restreint de pays contrôle une grande partie des MPC, il existe des potentiels et des productions significatives ailleurs sur le globe. En effet, le reflet de la production mondiale de MPC ne se calque pas sur celui des réserves mondiales de celles-ci. À titre d’exemple, les ETR sont d’ores et déjà extraits en Australie, aux États-Unis, en Birmanie, en Russie, en Inde, au Burundi, en Thaïlande, au Vietnam, en Malaisie ou encore au Brésil. Et des gisements potentiellement exploitables ont été découverts sur les cinq continents. C’est le cas au large des côtes japonaises, en Corée du Nord, en Asie centrale (Afghanistan, Kazakhstan, Mongolie), ou encore en Afrique (Afrique du Sud, Tanzanie). Autant de partenaires potentiels pour l’UE.
Au-delà de ces nouvelles alliances, l’UE espère également valoriser son propre sous-sol. Pour soutenir cette démarche, différents projets ont vu le jour, à l’instar des projets ProMine et EURARE. Ils ont permis de dresser un inventaire exhaustif des ressources minérales européennes. Des études récentes ont mis en évidence un potentiel minier insoupçonné, en particulier dans les pays nordiques et au Groenland. Selon certains spécialistes, le potentiel groenlandais en Terres Rares pourrait combler 25% de la demande mondiale pendant près de cinquante ans [10]. Après avoir été pendant des siècles une région périphérique du monde, le Groenland pourrait devenir un nouvel eldorado pour les grandes puissances.
Toutefois, la diversification primaire se heurte à de nombreux défis complexes d’ordre économiques (rentabilité), techniques (défis métallurgiques, facilité d’accès à la ressource, localisation), socio-environnementaux (manifestations anti-mine), administratifs (délivrance de permis), financiers (accès au financement), politiques (nationalismes miniers), géopolitiques (expansion minière chinoise), commerciaux (mise en place d’un canal de commercialisation), et même parfois sécuritaires (conflits locaux, terrorisme).
B. Soutenir la recherche et l’innovation sur le recyclage et la substitution des matières premières critiques
En parallèle, l’UE soutient la recherche et l’innovation dans deux domaines : la substitution et le recyclage des MPC. Pour ce qui est de la substitution, les industriels ont déjà consenti des efforts pour réduire la quantité de MPC utilisée dans leurs technologies. Toutefois, le plus souvent ce genre d’initiative s’accompagne d’une perte de performance et/ou d’un coût beaucoup plus élevé. Et lorsque la substitution est possible, on remplace une MPC par une autre, à l’instar de certains ETR substituables entre eux.
S’agissant du recyclage, si jusqu’à présent les industriels se contentaient de recycler les grands métaux, ils ne s’étaient que peu intéressés aux MPC. En 2011, seulement dix-huit des soixante métaux les plus utilisés dans l’industrie étaient recyclés à plus de 50% [11]. Pour les MPC, les taux de recyclage demeurent quant à eux largement insuffisants. Par exemple, pour la majorité des ETR ils s’échelonnent entre 1 et 10 %. Pourtant l’innovation dans ce domaine doit se poursuivre tant les sources d’approvisionnement secondaires possèdent des avantages. En premier lieu, les impacts environnementaux du recyclage demeurent plus faibles que ceux de l’extraction primaire. De plus, les matières premières des équipements recyclés constituent celles qui sont les plus utilisées par l’industrie. Enfin, les ressources secondaires ont l’avantage d’être des ressources nationales.
Toutefois, malgré des avantages certains, la mise en place d’une filière de recyclage efficace s’oppose à différentes limites et fait face à de nombreux défis d’ordre techniques (désalliage des métaux) et économiques (coût des procédés, rentabilité), mais surtout aux réalités du marché. En effet, qu’importe le taux de recyclage des MPC, le volume potentiellement recyclé restera toujours inférieur à nos besoins croissants pour ces métaux. De plus, les systèmes de collecte restent encore insatisfaisants, particulièrement en Europe, où l’exportation des déchets en dehors du continent diminue les flux captés de produits en fin de vie. Pour toutes ces raisons, il semble illusoire de penser que le recyclage est une solution de court terme aux éventuels problèmes d’approvisionnement. Il ne s’agit que d’une contribution marginale, qui ne peut que coexister avec un approvisionnement en ressources primaires.
C. Renforcer les chaines de valeur des matières premières critiques : l’exemple de l’Alliance européenne des batteries
Enfin, la stratégie minérale européenne dépasse largement la simple question des matières premières. Elle se propose de réfléchir en termes de chaine de valeur. C’est-à-dire de l’extraction des matières premières dans les mines au recyclage des produits en fin de vie qu’elles composent. Dans ce contexte, la stratégie minérale européenne s’inscrit dans un projet plus large, communément appelé « Alliance européenne des batteries », ou encore « Airbus des batteries ». Cette initiative lancée en octobre 2017 réunit plus de deux cent soixante acteurs du secteur industriel et de l’innovation. Elle a pour objectif « de créer en Europe une chaîne de valeur compétitive, innovante et durable, centrée sur la fabrication de cellules de batterie durables », dans le but « d’éviter une dépendance technologique à l’égard [des concurrents de l’Union européenne] et de faire fructifier le potentiel d’emploi, de croissance et d’investissement lié aux batteries » [12].
D’ici quelques années, la Chine devrait produire 80% des batteries électriques commercialisées dans le monde, et dans sa logique de contrôler encore davantage les chaines de valeur des MPC, elle devrait aussi bientôt vendre des véhicules électriques au monde entier. Aujourd’hui, parmi les dix plus grands constructeurs de véhicules électriques, six sont chinois [13]. Or, au printemps 2019, le Parlement européen imposait aux industriels de la mobilité de réduire leurs émissions de CO2 de 37,5% d’ici à 2030 [14]. Face à cette situation, en février 2019, Emmanuel Macron déclarait : « en tant que président de la France, je ne peux pas être satisfait d’une solution où 100 % des batteries de mes voitures électriques sont produites en Asie » [15].
L’intégration des chaines de valeur dans la construction d’une sécurité minérale européenne plus satisfaisante est donc incontournable. La problématique dépasse de loin les seules batteries électriques. Elle concerne également les semi-conducteurs, mais aussi les aimants permanents. À cet égard, en 2020 la Chine concentrait 80% de la production mondiale d’aimants permanents. Au regard de leurs applications dans des domaines aussi stratégiques que la transition énergétique, renforcer la chaine de valeur des aimants constituera une nécessité pour l’UE dans le cadre de sa politique climatique.
Dix ans après la crise des Terres Rares, le niveau de sécurité minérale de l’UE demeure problématique. Les conclusions du nouveau rapport de l’initiative européenne sur les MPC en attestent. Alors que les prévisions anticipent un doublement de la demande mondiale en matières premières d’ici à 2060 [16], la pression sur celles-ci se renforcera assurément. La Chine, premier producteur mondial de MPC, et premier fournisseur de l’UE, a donc en sa possession une arme de coercition redoutable relevant du hard power. À ces conclusions peu rassurantes s’ajoute le contexte de tension entre les États-Unis et la Chine qui fait craindre une nouvelle envolée du prix des matières premières.
Et si la crise des Terres Rares a traumatisé certains industriels européens, les actions entreprises pour réduire le niveau de dépendance à l’égard des importations peinent à montrer leurs résultats. Notre dépendance à l’égard d’un cercle restreint de pays témoigne de la nécessité de consentir des efforts supplémentaires en termes de diplomatie des matières premières. Certes, des initiatives louables ont été prises, en particulier dans le renforcement de la recherche et développement pour trouver des matériaux de substitution aux MPC et améliorer les taux de recyclage, mais, celles-ci restent insuffisantes.
Aussi, il est impératif de rappeler que l’autonomie stratégique européenne relative aux MPC dépasse la question des ressources naturelles. Il est nécessaire de réfléchir en termes de chaine de valeur. En cela, l’Alliance européenne des batteries lancée fin 2017 s’inscrit dans la bonne voie. Toutefois, les batteries ne doivent pas accaparer toutes les attentions. Dans la lignée de ce projet, de nouveaux pourraient émerger à l’instar d’une Alliance européenne des aimants ou des semi-conducteurs.
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Maxime Berri est diplômé d’un Master 2 en Relations internationales et Diplomatie de l’Université Jean Moulin Lyon 3. Il concentre ses travaux de recherche sur les problématiques de sécurité minérale.
[1] BORRELL Josep, « De l’intérêt de l’autonomie stratégique européenne », Blog personnel de Josep Borrell, 3 décembre 2020.
[2] Avis du Comité économique et social européen sur la « Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil : Initiative “matières premières” - répondre à nos besoins fondamentaux pour assurer la croissance et créer des emplois en Europe », COM (2008) 699 final, 17 novembre 2009.
[3] Certaines MPC sont analysées en tant que groupe. C’est le cas de 15 éléments de Terres Rares (ETR) répartis dans deux groupes (ETR légères et ETR lourdes), et de 5 métaux du groupe du platine (iridium, palladium, platine, rhodium, ruthénium). Ainsi, en 2020, ce sont 83 matières premières individuelles qui ont été analysées pour 47 MPC individuelles.
[4] European Commission, “Study on the EU’s list of Critical Raw Materials”, Final Report, 2020.
[5] BRU K., CHRISTMANN P., LABBÉ J.F., LEFEBVRE G., Panorama mondial 2014 du marché des Terres Rares, Rapport public, 2015.
[6] PAVEL Claudiu C., TZIMAS, Evangelos, “Raw materials in the European defence industry”, JRC Science for Policy Report, 2016.
[7] Les îles Senkaku sont revendiquées à la fois par la Chine et le Japon. Elles sont appelées les « îles Diaoyu » en Chine. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale les ilots passèrent aux mains des Américains. Puis en 1972 elles retournèrent dans le giron japonais.
[8] SABATHIÉ Rémy, La France et les Terres Rares. Livre blanc pour une stratégie française des Terres Rares, Les Éditions du Net, 2016.
[9] Les deux autres atouts seraient la dette américaine détenue par la Chine, et les entreprises américaines exerçant sur le sol chinois.
[10] DEGEORGES, Damien, Terres Rares : Enjeu géopolitique du XXIe siècle, L’Harmattan, Paris, 2012.
[11] “Recycling Rates of Metals : A Status Report”, United Nations Environment Program (UNEP), 2011.
[12] « L’alliance européenne pour les batteries : en un an seulement, des avancées importantes dans la mise en place d’une industrie de fabrication de batteries en Europe », Communiqué de presse, Commission européenne, 15 octobre 2018.
[13] PITRON, Guillaume, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2019.
[14] « Le Parlement européen approuve la réduction de 37,5% des émission de CO2 pour les voitures neuves », Le Figaro, 27 mars 2019.
[15] « Macron défend la filière Europe des batteries et de la voiture autonome », Le Point, 13 février 2019.
[16] Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions, « Résilience des matières premières critiques : la voie à suivre pour un renforcement de la sécurité et de la durabilité », 3 septembre 2020.
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Date de publication / Date of publication : 10 juillet 2021
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Dix ans après la crise des Terres Rares, le niveau de sécurité minérale de l’UE demeure problématique. Les conclusions du nouveau rapport de l’initiative européenne sur les MPC en attestent. Alors que les prévisions anticipent un doublement de la demande mondiale en matières premières d’ici à 2060, la pression sur celles-ci se renforcera assurément. La Chine, premier producteur mondial de MPC, et premier fournisseur de l’UE, a donc en sa possession une arme de coercition redoutable relevant du hard power. À ces conclusions peu rassurantes s’ajoute le contexte de tension entre les États-Unis et la Chine qui fait craindre une nouvelle envolée du prix des matières premières.
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