Vidéo. E-festival de géopolitique, GEM. La révolution numérique à l’assaut de la démocratie américaine ?

Par Anne DEYSINE, Antonin DACOS , le 17 août 2020  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Anne E. Deysine est juriste et américaniste. Professeur émérite de l’université Paris-Nanterre où elle a créé et dirigé pendant 20 ans un Master d’affaires Internationales, elle s’est spécialisée sur les questions juridiques et politiques aux États-Unis. Elle a notamment écrit « Les États-Unis et la démocratie », Paris, L’Harmattan, 2019. Résumé en français par Antonin Dacos pour Diploweb.com

Durant cette visioconférence, Anne Deysine souligne les bouleversements qu’entraîne le « big data » dans la vie démocratique américaine. Alors que se déroule la campagne présidentielle, le sujet est important. A. Deysine présente successivement Le « big data », un nouvel outil aux services des candidats ; La révolution numérique, responsable d’une bipolarisation du champ politique aux Etats-Unis ; La politique américaine, victime de la polarisation de ses citoyens ?

Avec en bonus un résumé par Antonin Dacos pour Diploweb.com.

Résumé par Antonin Dacos pour Diploweb.com

La date de cette conférence pour le E-festival de géopolitique n’est pas explicitement précisée sur la vidéo mais nous savons par ailleurs qu’elle a été réalisée le 21 avril 2020, durant le confinement en France.

Le « big data », un nouvel outil aux services des candidats

Durant le processus électoral aux Etats-Unis, les candidats ne cherchent pas à attirer de la même manière tous les électeurs. Certains sont plus enclins à naturellement voter pour eux. Il est donc possible de les viser tout particulièrement pour accroître leur participation. Or, le « big data » permet de cibler le profil politique d’un citoyen par son activité numérique. Il est donc aujourd’hui facile de pratiquer un ciblage électoral très précis. Les publicités numériques sont de plus en plus fabriquées sur mesure pour chaque groupe sociaux (par exemple, les chasseurs). Le coût de ces nouvelles techniques de communication est relativement faible par rapport à celui d’autres moyens comme des spots de télévision. Leur instantanéité permet à ces méthodes de ciblage numérique de suivre l’actualité. Ainsi, dès le premier jour de sa procédure d’ « impeachment », Donald Trump a dépensé 5,4 millions de dollars en publicité politique, qui lui ont apporté 100 millions de visites sur son site de soutien, permettant de récolter une quantité importante de dons tout en remobilisant sa base électorale alors que celui-ci était relativement fragilisé politiquement. Bien sûr, cette pratique n’est pas née avec Donald Trump. Barack Obama, dès 2008, était notamment parvenu à se servir de Facebook pour mobiliser un électorat jeune.

Le constat dressé par Anne Deysine montre que les espoirs qui entouraient l’usage politique d’internet dans les démocraties se sont, au moins en partie, révélés infondés. Au lieu de devenir un espace de débat citoyen, l’Internet permet l’usage des données par les candidats afin d’influencer le comportement des électeurs. Ce phénomène entraîne une polarisation accélérée du champ politique.

Vidéo. E-festival de géopolitique, GEM. La révolution numérique à l'assaut de la démocratie américaine ?
Anne E. Deysine, juriste et américaniste. Professeur émérite de l’université Paris-Nanterre
GEM-ZOOM

La révolution numérique, responsable d’une bipolarisation du champ politique aux Etats-Unis

A. Deysine explique que 80 % des publicités politiques sont négatives, c’est-à-dire qu’elles attaquent les concurrents d’un camp politique. En plus des candidats, des lobbys puissants et des multimillionnaires ou milliardaires recourent souvent à ce type de publicité. Ces torpillages de l’adversaire ne reposent pas toujours sur des éléments factuels et objectifs. L’attaque peut devenir très personnelle, voire carrément de mauvaise foi. Ainsi, Anne Deysine raconte un montage de Nancy Pelosi (présidente de la chambre des représentants et opposante déterminée à Donald Trump) dans lequel la démocrate est présentée au ralenti pour la faire apparaître peu énergique.

Ce phénomène politique prend place dans une montée de la société de l’information où n’importe qui, y compris les acteurs politiques, peut produire de l’information sans y être formé ou respecter les codes déontologique du journalisme. Le nombre d’informations fausses, incomplètes ou modifiées n’a donc jamais été aussi important.

Les réponses à apporter à cette altération de l’information sont pour l’instant rares et insuffisantes. Ainsi, le « fact checking » ne parvient pas à convaincre les convaincus. Une expérience citée par Anne Deysine a montré que si des citoyens croyants à la falsification du certificat de naissance américain d’Obama sont exposés à des éléments de « fact-checking » convaincants (photo du vrai certificat, parole d’expert), une moitié continuent de croire à la fausse information du faux certificat.

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Ces éléments polarisent et fragmentent l’opinion. Anne Deysine cite en exemple le clivage entre CNN et Fox News, chaînes d’information au contenu diamétralement opposé, CNN étant plutôt proche de la ligne démocrate et souvent ciblée par Donald Trump tandis que Fox News tend à soutenir l’action du président. Le fossé entre démocrates et républicains se creuse à toutes les échelles de la société.

La politique américaine, victime de la polarisation de ses citoyens ?

Un journaliste du média The Atlantic a pratiqué une immersion numérique prolongée avec un faux compte pro-Trump, interagissant avec des soutiens acharnés du président. Celui-ci a donc été ciblé par les messages politiques publiés par le noyau dur républicain ainsi que par des publicités adaptée. Il raconte que la profusion d’informations fausses l’amenait à douter de chaque chose, y compris des faits dont il était certain de la véracité en tant que journaliste. La profusion d’informations mélangées aux « fake news  » crée donc un état de suspicion où la vérité, même factuelle, devient impossible à retrouver.

Le principe démocratique de « libre marché des idées » consacré par la Cour Suprême des États-Unis apparaît donc largement menacé par les conséquences politiques du « big data ». Le champ politique américain se polarise de plus en plus, avec à la clé une augmentation de la conflictualité, dans un régime où l’organisation constitutionnelle force la coopération entre institutions. Le corollaire de cette situation est la diminution de l’approbation entre les gouvernants et les gouvernés. Ainsi, avant la crise du Covid-19, seulement 9 % des américains avaient confiance dans le Congrès.

En fin de conférence, Anne Deysine explore différentes solutions qu’il serait possible d’envisager.

Il serait possible de demander plus de transparence des publicités ciblées afin d’identifier plus facilement les messages partisans. On peut également obliger les entreprises gérant les réseaux sociaux à les réguler en les rendant responsables des propos tenus sur leur réseau. Mais ces solutions sont quasiment impossibles à mettre en pratique. Pour la spécialiste, la Cour Suprême américaine pratique un « fondamentalisme du premier amendement » qui rend impossible la transparence des publications. Quant à la responsabilisation des plateformes, hors l’aspect juridique, il est difficile de s’assurer que cette restriction de leur contenu n’avantage ou désavantage pas un candidat par rapport à un autre. Une piste alternative pourrait néanmoins être de soutenir les médias locaux qui bénéficie d’un taux de confiance important chez les américains tout en respectant les codes déontologiques du journalisme.

Conclusion

Le « big data » influence le comportement politique des Américains en avantageant les candidats faisant le meilleur usage des données. Il est intéressant de noter qu’Obama et Trump ont tous les deux ceux dépensé plus d’argent en communication numérique que leurs adversaires durant leurs élections respectives. Ce rôle majeur du numérique pose la question de l’atteinte à ce que la Cour Suprême appelle le « libre-marché des idées ». Les élections américaines apparaissent de moins en moins « fair and free ». À cet égard, le duel entre Trump et Biden (2020) permettra peut-être de mesurer l’importance de la communication numérique (Trump part largement en avance sur ce secteur de la campagne) face à d’autres facteurs de vote (positionnement sur l’échiquier politique et rapport aux médias traditionnels par exemple).

Copyright pour le résumé Août 2020-Dacos/Diploweb.com


Plus

. Anne E. Deysine, « Les États-Unis et la démocratie », Paris, L’Harmattan, 2019 Voir sur Amazon

4e de couverture

La présidence Trump n’est pas une aberration mais la convergence de forces profondes ; elle résulte d’une montée du populisme et d’attentes jamais prises en compte par les élites. Le rejet par le président de la vérité factuelle, ses attaques contre le Congrès, le pouvoir judiciaire et la presse ont un impact sur les institutions et la primauté du droit. Les politiques actuelles grignotent, voire détruisent des pans entiers de l’État-providence, les droits et libertés conquis dans les années 1960. Ce démantèlement a des conséquences sur les droits humains, le soft power et le rayonnement à l’international des États-Unis.


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