Charlotte Bezamat-Mantes est en Master 2 Recherche à l’Institut Français de Géopolitique (IFG). Stagiaire assistante de la rédaction du Diploweb.com. Pierre Verluise (PhD), Directeur du Diploweb.com, vient de publier "The Geopolitics of the European Union Borders", ed. Eska, 2014.
La chronologie est souvent instructive mais la mise en relation est rarement faite. La carte commentée ci-jointe le démontre pourtant. Depuis la fin de la Guerre froide, les pays deviennent d’abord membres de l’OTAN, puis de l’UE. Voilà qui éclaire les relations souvent non dites entre deux institutions différentes mais en relation.
L’étude des élargissements de l’OTAN et de l’Union européenne fait apparaître un rythme quasi constant depuis la fin de la Guerre froide : les pays deviennent d’abord membres de l’OTAN, et adhèrent ensuite à l’UE. Comme en témoigne cette carte (deux formats, JPEG et PDF)
Le premier élargissement post-Guerre froide témoigne déjà de l’attractivité de l’OTAN aux yeux des pays européens : en 1995, la Finlande, la Suède et l’Autriche rejoignent l’UE et établissent un Partenariat Pour la Paix (PPP) avec l’OTAN, formule compatible avec leur statut de pays neutres.
« C’est l’OTAN qui donne le rythme, et l’UE court derrière ». Un général français, dès 2003.
De même, sur les 10 États qui rejoignent l’UE lors de l’élargissement de 2004, 8 sont entrés auparavant dans l’OTAN, en 1999 ou 2004.
L’élargissement de 2007 confirme lui aussi ce rythme : la Bulgarie et la Roumanie rejoignent l’UE cette année-là, 3 ans après être entrées dans l’OTAN.
Enfin, la Croatie, qui devient membre de l’Union européenne en 2013, ne fait pas exception : elle avait déjà rejoint l’OTAN en 2009.
Comme l’admettait un officier général français lors d’un entretien confidentiel dès 2003 : « C’est l’OTAN qui donne le rythme, et l’UE court derrière ». Ce qui semble trouver confirmation dans les élargissements potentiels de l’Union européenne : parmi les 5 candidats officiels à l’UE, Monténégro et Macédoine font partie du Plan d’action pour l’adhésion de l’OTAN ; la Serbie a un PPP avec l’OTAN ; Islande et Turquie sont quant à elles déjà membres de l’OTAN depuis respectivement 1949 et 1952. Reste à savoir si elles sont encore véritablement candidates pour l’UE. Dans le cas de l’Islande la réponse semble négative, dans le cas de la Turquie les deux parties en présence semblent dans le doute.
Avant de chercher à comprendre les raisons d’un tel rythme, revenons d’abord sur la création de ces deux entités, OTAN et Union européenne, et leurs objectifs respectifs.
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord est créée le 4 avril 1949 lors de la signature du traité de Washington. Sa vocation initiale est d’assurer la stabilité et la sécurité du continent européen face à l’expansionnisme soviétique et les éventuels soubresauts de l’impérialisme allemand. L’idée est de « garder les Américains à l’intérieur, les Russes à l’extérieur et les Allemands sous contrôle » [1].
L’Union européenne trouve quant à elle son origine dans le traité de Rome, signé en 1957 par la France, l’Allemagne fédérale, l’Italie et les pays du Benelux –Belgique, Pays-Bas, Luxembourg–, qui institue la Communauté Économique Européenne. Son objectif fondamental est de permettre « une union sans cesse plus étroite entre les peuples d’Europe » [2].
La levée du rideau de fer (1989), puis la dissolution du Pacte de Varsovie (organisation soviétique face à l’OTAN) et le démantèlement de l’URSS (1991) provoquent une reconfiguration géopolitique de l’Europe géographique et redessinent les enjeux de l’adhésion à l’OTAN.
La création de l’OTAN étant une réponse aux velléités expansionnistes de l’Union soviétique en Europe, la chute de cette dernière et la dissolution de son organisation politico-militaire auraient pu entrainer la fin de l’OTAN. La capacité de l’OTAN à renouveler sa forme et l’attractivité qu’elle provoque auprès des pays que la Russie inquiète lui permettent pourtant de se maintenir. Dès lors, les enjeux changent : après avoir gagné la Guerre froide, il s’agit de gagner l’après-Guerre froide, et de sortir les anciens États communistes de la zone d’influence russe. Cela passe notamment par l’établissement de Partenariats Pour la Paix (PPP) à partir de janvier 1994. Il s’agit d’accords bilatéraux conclus entre un pays et l’OTAN, et qui s’adressent à la Russie et aux États dans sa sphère d’influence, ainsi qu’aux pays occidentaux neutres ne souhaitant pas devenir membres à part entière de l’OTAN.
République tchèque, Hongrie et Pologne deviennent membres de l’OTAN dès 1999, soit seulement 10 ans après l’ouverture du Rideau de fer.
A l’exception de l’Albanie qui n’est aujourd’hui pas membre de l’UE –mais qui est toutefois considérée comme un candidat potentiel [3]– tous les anciens régimes communistes établissent ainsi un PPP dans un premier temps, puis deviennent membres de l’OTAN, et enfin de l’UE. République tchèque, Hongrie et Pologne quittent ainsi le PPP en 1999 pour devenir membres à part entière ; en 2004, c’est le tour de la Bulgarie, des États baltes, de la Roumanie, la Slovénie et la Slovaquie. L’Albanie interrompt son PPP en 2009 pour rejoindre l’OTAN en tant que membre à part entière.
Premièrement, l’antériorité de l’adhésion à l’OTAN sur celle à l’UE peut s’expliquer par l’ordre de priorités des États : d’abord la sécurité, assurée par l’OTAN, et ensuite l’intégration économique et politique, proposée par l’UE. Après la chute de l’URSS, il paraît ainsi plus urgent aux États baltes et aux Pays d’Europe Centrale et Orientale (PECO) d’assurer dans un premier temps leur sécurité face à la Russie en intégrant une structure occidentale leur permettant de sortir de la sphère d’influence directe de l’ancienne URSS, avant de finaliser leur candidature à l’Union européenne. Que cela fasse plaisir ou non, l’OTAN a fait ses preuves, même si cela mériterait un bon débat.
Ensuite, les faiblesses de la politique de défense commune de l’UE, envisagée par le traité de Maastricht qui entre en vigueur le 1er novembre 1993, rendent plus attirante une adhésion à l’OTAN. L’Europe (CEE puis UE) a ainsi montré son incapacité à maintenir la paix dans les Balkans dans les années 1990. De même, la Politique Étrangère et de Sécurité Commune (PESC), trouvant également son origine dans le traité de Maastricht, ne permet pas de calmer les inquiétudes des pays baltes et des PECO quant à leur sécurité. En effet, si la PESC a pour ambition de sauvegarder l’indépendance de l’Union européenne, renforcer la sécurité des États membres et la sécurité internationale, la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) se focalise sur la gestion des crises externes à l’UE, en maintenant ou rétablissant la paix et par le biais de missions humanitaires ; alors que la défense collective des États membres contre une agression extérieure est assurée par l’OTAN…
Enfin, ce processus s’inscrit dans un contexte stratégique par nature temporaire : les États-Unis misent sur la faiblesse de la Russie à la suite de la chute de l’URSS pour élargir le plus possible l’OTAN, et soustraire ainsi les anciens satellites et États communistes à la sphère d’influence russe. Des actes symboliques viennent compenser le passage de ces pays dans la structure politico-militaire occidentale rivale du Pacte de Varsovie. Les relations OTAN-Russie sont ainsi formalisées par l’acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelle du 27 mai 1997… Ce qui n’empêche pas d’envisager l’adhésion à l’OTAN de la Hongrie, la Pologne et la République tchèque quelques semaines plus tard. De même, l’OTAN bombarde la Serbie dans le cadre de l’opération Force Alliée entre mars et juin 1999 puis intervient au Kosovo…Actions « compensées » formellement par la création du Conseil OTAN-Russie le 28 mai 2002 avec la signature de la déclaration de Rome.
La présence de l’OTAN en Europe, et les imbrications entre adhésions à l’OTAN et à l’UE ne sont pas sans conséquences sur cette dernière.
D’abord, cette situation amenuise de facto les chances de voir émerger une PESC et une PESD efficaces et crédibles. L’article 17 du traité de Maastricht précise ainsi : « La politique de l’Union au sens du présent article n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre. ». Ce qui signifie que les actions de la PESC et de la PESD ne peuvent être incompatibles avec les intérêts de l’OTAN.
Ensuite, c’est à l’Union européenne qu’il revient d’assurer l’intendance : l’Instrument de Pré-Adhésion (IAP), la politique agricole ou encore la politique régionale de l’UE, entre autres, constituent ainsi un support logistique et financier de la part de l’UE qui peut s’étendre sur des décennies, aux frais des contribuables des États membres de l’UE plus anciens.
Le succès de l’OTAN et sa primauté relative sur la PESC [4]témoignent donc des défis qui restent à relever pour l’Union européenne : à l’heure où l’expansion territoriale de la Russie en Ukraine (Crimée, mars 2014) rappelle que l’échiquier géopolitique en Europe géographique est loin d’être figé, l’élaboration d’une politique étrangère et de sécurité qui soit réellement « commune » aux États membres de l’UE crédibiliserait celle-ci comme un acteur géopolitique qui pèse sur la scène internationale.
Copyright Juin 2014 Bezamat-Mantes-Verluise/Diploweb.com
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[1] Citation de Hastings Lionel Ismay, secrétaire général britannique de l’OTAN, cité dans Nye, Joseph, The Paradox of American Power. London : Oxford University Press, 2002. p. 33. Citation originale : « To keep the Americans in, the Russians out, and the Germans down. »
[2] Citation de Jean-François Deniau, négociateur français des traités de Rome. traitederome.fr/fr/histoire-du-traite-de-rome/25-mars-1957-signature-du-traite-de-rome/les-negociateurs-et-les-signataires.html . Consulté le 11 mai 2014.
[3] ec.europa.eu/enlargement/pdf/key_documents/2012/package/miff_adopted10-10-12_en.pdf , p.8. Document en anglais. Consulté le 11 mai 2014.
[4] Avec la montée en charge du traité de Lisbonne depuis le 1er décembre 2009, la PESD devient la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC), partie intégrante de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Elle donne à l’Union européenne la possibilité d’utiliser des moyens civils et/ou militaires dans le but de prévenir des conflits et gérer les crises internationales
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