Officier de l’armée de l’air et de l’espace depuis 2014, Ivan Sand occupe en 2022 le poste de chef de la division "puissance aérospatiale" au Centre d’Études Stratégiques Aérospatiales, situé à l’École militaire. Capitaine et docteur en géographie de Sorbonne Université, Ivan Sand publie un livre consacré à la géopolitique de la projection aérienne : « Géopolitique de la projection aérienne française. De 1945 à nos jours », Paris, La Documentation française, 2022. I. Sand est membre du Conseil scientifique du Diploweb.
Pierre Verluise, Docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.com. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : "Les fondamentaux de la puissance" ; "Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ?" par Kévin Limonier ; "C’était quoi l’URSS ?" par Jean-Robert Raviot.
Quels sont les écueils à éviter à propos de l’emploi de la puissance aérienne ? Quelle est la nature des opérations de projection aérienne françaises depuis 1945 ? Quelles sont les relations de dépendance entre l’armée de l’air et de l’espace d’une part et le rang de la France à l’échelle mondiale d’autre part ? Que penser de la prolifération de drones et de l’évolution de la conflictualité ?
Capitaine de l’armée de l’air et de l’espace et docteur en géographie de Sorbonne Université, Ivan Sand publie un livre consacré à la géopolitique de la projection aérienne : « Géopolitique de la projection aérienne française. De 1945 à nos jours », La Documentation française. A cette occasion, Ivan Sand répond aux questions de Pierre Verluise, pour le Diploweb.
Illustré de trois cartes réalisées par Blanche Lambert, AB Pictoris.
Pierre Verluise (P. V.) : Avec la relance de la guerre russe en Ukraine, le spectre d’un conflit de haute intensité en Europe a accentué les débats à propos des capacités militaires de la France, et notamment de son aviation. Quels sont les écueils à éviter à propos de l’emploi de la puissance aérienne ?
Ivan Sand (I. S. ) : Contrairement à une idée reçue, que l’on retrouve d’ailleurs chez certains théoriciens des premiers temps de l’aviation, l’air ne peut pas être assimilé à un milieu lisse, où règne une liberté totale de circulation. Il existe une véritable géopolitique du milieu aérien [1], pour l’aviation civile comme militaire. Sur le plan de la géographie physique, le relief et les phénomènes climatiques peuvent exercer une grande influence sur l’utilisation des appareils. Sur le plan humain, la construction de couloirs aériens, de zones réservées, et plus généralement la souveraineté exercée par chaque État au sein de son espace aérien, constituent bien les fondements d’une géographie aérienne. Cette dernière avait été esquissée par Emmanuel de Martonne dès 1948, dans un ouvrage consacré avant tout à l’analyse spatiale de l’aviation civile [2], qui symbolise un bref mouvement d’une géographie universitaire de la circulation aérienne.
La projection aérienne peut se résumer à la faculté à agir vite et loin grâce à l’aviation, souvent dans des délais très contraints. Les capacités de chaque État dépendent bien sûr de leur flotte, du personnel de leur armée de l’air, mais aussi de certains facteurs géopolitiques : le réseau des bases aériennes, notamment celles situées à l’étranger, les accords de survol de pays partenaires, les accords de défense ou encore la capacité à intégrer une coalition et à fédérer d’autres Etats au sein d’une initiative militaire. Dès lors, l’analyse de la projection aérienne doit se fonder sur un raisonnement multi-scalaire. C’est en faisant varier les échelles géographiques que l’on peut prendre la mesure de la complexité des opérations aériennes, depuis le décollage d’une base nationale, vers une éventuelle base relais, en passant par l’espace aérien de divers Etats, jusqu’au plus près d’un théâtre d’opérations.
P. V. : L’ouvrage recense une centaine d’opérations de projection aérienne depuis 1945. Quelle est la nature de ces opérations, dont une part importante demeure peu connue du grand public ?
I. S. : Ce travail a nécessité la construction d’une base de données de l’ensemble des opérations de l’armée de l’air et de l’espace depuis 1945. Les 102 opérations de projection aérienne recensées entre 1945 et 2018 offrent un aperçu de la grande variété de l’utilisation de cet outil par les forces armées françaises : guerres de décolonisation, conflits opposant les deux blocs de la Guerre froide, intervention pour défendre un gouvernement allié menacé par une rébellion, évacuation de ressortissants français, missions pour porter secours à des otages, interposition entre deux belligérants, etc. Sur le plan géographique, si les opérations couvrent une grande partie du globe, certaines zones sont surreprésentées. Ainsi le Tchad, la Centrafrique et la République démocratique du Congo sont les trois États qui comptent le plus grand nombre d’interventions recensées. De manière générale, le continent africain compte pour plus de 60% des opérations de la période étudiée.
Ce résultat est en partie une conséquence de l’importance des territoires qui ont fait partie de l’espace colonial français dans les interventions militaires ayant suivi la décolonisation. En effet, 52% des opérations recensées se déroulent, au moins pour partie, dans un État qui appartient ou qui a appartenu à l’Union française. Cette prédominance des espaces coloniaux dans les zones de projection aérienne des armées françaises n’est paradoxalement pas la plus significative au cours de la période de décolonisation.
Entre 1963 et 1989, 83% des opérations déclenchées visent des anciens territoires coloniaux, contre 62% avant 1962 [3], et plus que 37% après 1990. C’est paradoxalement au cours des trente années qui suivent l’indépendance des colonies françaises que l’arme aérienne est la plus sollicitée pour mener des interventions sur ces territoires. Le contexte politique du début des années 1960 en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale explique en grande partie cette observation. À la suite de l’échec de la Communauté française créée par de Gaulle en 1958 pour concéder plus d’autonomie aux colonies tout en maintenant l’emprise de Paris, le gouvernement doit se résoudre à l’indépendance de ses possessions africaines. La plupart des États nouvellement créés conservent des liens politiques et militaires forts avec la France, via une série d’accords bilatéraux dans le domaine de la défense. Qu’il s’agisse d’accords de défense à proprement parler, qui prévoient une intervention militaire française en cas de menace interne ou externe, ou d’un partenariat dans le domaine de l’aide militaire technique à des fins de formation des armées nationales, la France s’assure une présence militaire dans de nombreux pays africains dès les premières années voire les premiers mois de l’indépendance de ces États. Toutefois, seuls les « accords de défense » prévoient des conditions d’engagement des armées françaises sur le territoire du pays partenaire. En 1960, de tels accords bilatéraux sont signés avec le Cameroun, la Centrafrique, le Congo-Brazzaville, le Gabon, Madagascar, le Tchad et le Sénégal. L’année suivante, c’est le Dahomey (futur Bénin), la Côte d’Ivoire, la Mauritanie et le Niger qui concluent le même type d’accords avec Paris, puis le Togo en 1963.
P. V. : Votre analyse fait ressortir les enjeux territoriaux de la projection aérienne. Quelles sont les relations de dépendance entre l’armée de l’air et de l’espace d’une part et le rang de la France à l’échelle mondiale d’autre part ?
I. S. : Les 102 opérations sélectionnées décrivent un ensemble de 44 pays ou zones d’intervention, qui comptent chacun entre 1 et 10 opérations de projection. Avec le maximum de 10, le Tchad est le pays qui en compte le plus tandis qu’un groupe de vingt États n’en compte qu’une seule. Parmi ces interventions uniques au sein d’une zone, on retrouve des opérations très diverses allant de conflits de longue durée comme la guerre d’Algérie ou celle d’Afghanistan à des interventions ponctuelles comme le rapatriement de ressortissants français vivant en Éthiopie en 1991, effectué en moins de deux semaines.
Le Tchad est non seulement le pays au sein duquel les opérations de projection aérienne ont été les plus nombreuses depuis 1945 mais aussi celui pour lesquelles ces opérations ont duré le plus longtemps en cumulé. Pour chaque région considérée, plusieurs opérations peuvent avoir eu lieu en même temps, comme dans le cas des opérations Sabre et Barkhane par exemple en Afrique de l’Ouest, et notamment au Tchad.
Les cas de la Centrafrique et de la République démocratique du Congo (RDC), qui comptent chacun 8 opérations de projection aérienne, reflètent le large spectre couvert par ces interventions. Ainsi, en RDC, qui est une ancienne colonie belge et qui ne compte pas de base militaire française, les forces françaises multiplient les opérations « coup de poing », qu’il s’agisse d’évacuer des ressortissants comme en 1991 et en 1993, ou d’intervenir par la force, via le transport de troupes marocaines en 1977 ou par l’engagement de parachutistes français à Kolwezi un an plus tard. Parmi ces 8 opérations menées dans l’ex-Zaïre, seules 2 excèdent un mois et la plus longue dure à peine plus de quatre mois. La RDC constitue donc un pays où la projection aérienne a été utilisée selon sa conception d’origine : des opérations courtes, engagées avec une forte réactivité et une concentration de moyens. La Centrafrique mêle, quant à elle, des opérations de ce type avec des interventions plus longues où les forces françaises participent à la sécurisation du territoire et même à la reconstruction d’un pays avec lequel Paris entretient des relations privilégiées.
Alors que seul un petit nombre d’États dispose des capacités militaires pour faire de la puissance aérienne un instrument géostratégique, la France offre un cas d’étude singulier. Si la projection aérienne française semble avoir été façonnée pour l’intervention dans les zones d’influence de Paris, notamment sur le continent africain, la capacité des forces aériennes françaises à mener des actions dans des régions plus lointaines s’est plutôt construite de manière empirique, en fonction de besoins spécifiques liés à un conflit ou à une mission. Sur le plan chronologique, la fin de la Guerre froide représente une rupture de la distribution territoriale : la guerre du Golfe (1991) est le point de départ de nombreuses opérations dans de nouvelles zones, les Balkans, la péninsule Arabique et l’Asie centrale. Sur le plan géographique, la projection aérienne n’a pas le même rôle dans les espaces d’influence de la France d’une part (principalement des territoires situés en Europe, autour du bassin méditerranéen et dans certains États d’Afrique sub-saharienne), et à l’échelle globale, c’est à dire dans le reste du monde, d’autre part.
La projection aérienne est un marqueur de la puissance.
Dans les espaces d’influence de la France, toutes périodes confondues, la projection aérienne joue un rôle de premier plan – souvent celui de marqueur de la supériorité militaire de Paris – parce que celle-ci peut s’appuyer sur un réseau d’infrastructures et d’alliances solide. En fonction des époques, ce réseau prend différentes formes : le cadre de l’Union française dans les années 1950, les accords de défense surtout à partir des années 1970 en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, et puis l’OTAN pour les interventions dans les Balkans ou en Libye dans le contexte post-guerre froide. Dans tous ces exemples, la proximité de bases françaises, les accords d’autorisations de survol de pays de la région et parfois la coopération avec les armées locales réduisent les délais de déploiement et accroissent les possibilités d’accueil des flottes et des troupes françaises.
Parallèlement, l’armée de l’air a toutefois développé un outil d’intervention à l’échelle mondiale même si les déploiements plus lointains ne peuvent avoir la même envergure ou la même rapidité que les opérations dans les zones d’influence de la France. De ce point de vue, c’est l’acquisition d’une capacité nucléaire aéroportée dans les années 1960, qui a véritablement bouleversé la géographie militaire aérienne de la France. Dans le domaine conventionnel, ces changements ont commencé à se concrétiser environ dix ans plus tard, avec notamment les premières utilisations du ravitaillement en vol en opération extérieure à la fin des années 1970 en Afrique. Le modèle de projection aérienne français repose encore aujourd’hui largement sur ces acquis.
Puis, la guerre du Golfe a ouvert une nouvelle ère de la projection aérienne française dans le sens où l’armée de l’air a été conduite à entreprendre des opérations dans des zones où les armées françaises étaient jusqu’alors absentes. L’exemple du déploiement en Afghanistan illustre ces problématiques nouvelles, alors que la recherche de bases régionales a limité l’action initiale. C’est le symbole des difficultés à conduire des actions dans des zones lointaines, au sein desquelles la France constitue une petite proportion d’une large coalition emmenée par les États-Unis.
Alors que la projection aérienne a été façonnée pour l’intervention dans les zones d’influence de la France, notamment sur le continent africain, la capacité de l’armée de l’air à mener des actions dans des régions plus lointaines s’est plutôt construite de manière empirique, en fonction de besoins spécifiques liés à un conflit ou à une mission.
Sur le plan géopolitique, l’analyse fait ainsi ressortir les interactions réciproques entre le rang de la France à l’échelle mondiale et ses capacités de projection aérienne. Si Paris entend jouer un rôle majeur dans la gestion des crises de demain, cela passe nécessairement par un outil de projection aérienne de premier ordre tandis que, parallèlement, sa faculté à intervenir dépend de sa diplomatie, de ses accords de défense, ou encore de son réseau de bases à l’étranger.
P. V. : Les opérations que vous étudiez n’incluent pas toutes des frappes aériennes, loin de là. Pouvez-vous nous éclairer sur le spectre des missions qui peuvent être associées à la notion de projection aérienne ?
I. S. : En effet, les missions de bombardement, et encore moins de combat aérien, ne constituent pas la majorité des cas d’emploi de l’armée de l’air et de l’espace. Il peut s’agir d’évacuations humanitaires (lors d’une crise politique ou d’une catastrophe naturelle), de raids pour photographier une zone stratégique (l’aviation française a ainsi pris une part importante dans la position française vis-à-vis de la guerre en Irak en 2003), ou encore de déploiements s’inscrivant dans une diplomatie aérienne [4], qu’elle soit coercitive ou non.
Lors de ce dernier type d’opérations, l’armée de l’air permet de transmettre un message. C’est le cas lors de deux raids à long rayon d’action mis en œuvre dans les années 1980, l’un à destination du Gabon, l’autre vers la Syrie.
En 1980, le retrait du dispositif de l’opération Tacaud déployé au Tchad laisse d’une part un goût d’inachevé aux forces militaires françaises et les autorités politiques craignent d’autre part que ce départ d’une région en crise, au cœur de la zone d’influence française, ne soit perçu par les pays alliés de la France comme un renoncement à la politique de sécurité en Afrique. C’est dans ce cadre que l’état-major des armées met en œuvre l’opération Murène, qui prend la forme d’un raid depuis la métropole pour installer à Libreville un détachement de chasseurs-bombardiers Jaguar, accompagné d’un avion ravitailleur C-135F. Ce déploiement répond à un double objectif et, dans ce contexte, s’inscrit dans deux échelles géographiques distinctes. Le raid, effectué sans escale depuis la métropole par quatre Jaguar convoyés par un C-135F, est un message politique à destination des pays alliés de Paris comme de ses rivaux : même si la France retire ses troupes du Tchad, elle est capable de déployer en quelques heures une force de frappe substantielle, pour défendre ses intérêts et ceux des États avec lesquels elle est liée par un accord de défense. À l’échelle de la région, cette projection est le signe de l’importance de la base de Libreville dans la politique militaire de la France. C’est à partir de cette emprise que les forces aériennes françaises conservent une capacité de réaction extrêmement rapide dans un contexte où des militaires français sont en phase de retrait de leurs garnisons tchadiennes et donc potentiellement vulnérables.
Décollant de la base de Solenzara en Corse, des avions Jaguar délivrent un message politique à des acteurs au Liban.
Dans un contexte très différent, les capacités de projection à longue distance offertes par le ravitaillement en vol ont également été mises œuvre en 1984, cette fois-ci au-dessus du Liban. En effet, alors que plusieurs acteurs locaux s’attaquent régulièrement aux forces françaises durant leurs missions à Beyrouth, l’attentat du Drakkar le 22 octobre 1983, dans lequel 58 soldats français trouvent la mort constitue un réel traumatisme et appelle une réponse vigoureuse de Paris. Le 17 novembre 1983, à partir du porte-avions de la marine nationale déployé en Méditerranée orientale, les avions de combat de l’aéronavale mènent un raid de bombardement contre des bâtiments utilisés par le Hezbollah ainsi que par les forces iraniennes des Gardiens de la révolution islamique, tous deux considérés comme responsables de l’attentat. Quelques semaines plus tard, alors que le dispositif français prépare son retrait de Beyrouth, le porte-avions est contraint de retourner à Toulon pour une période d’entretien. Les autorités politiques et militaires françaises confient alors à l’armée de l’air la réalisation d’une mission au-dessus du territoire libanais pour démontrer la capacité de frappe française malgré le retrait des forces maritimes. L’opération Chevesne est alors planifiée à partir de la base de Solenzara en Corse, sur laquelle se déploient huit avions Jaguar tandis que les ravitailleurs se tiennent prêts sur la base d’Istres.
Alors que 2 500 km séparent Solenzara de Beyrouth, un raid aller-retour à cette distance, compte tenu des itinéraires à suivre, des multiples ravitaillements, des passages au-dessus du théâtre et d’éventuelles manœuvres, représente un trajet de 6 000 km. Si cette opération est comparable au déploiement de Jaguar à Libreville en 1980 en termes de distance, le fait de devoir effectuer une action de combat – par exemple échapper aux défenses anti-aériennes des groupes armés stationnés au Liban – en fait une mission un peu plus longue et surtout bien plus dangereuse que l’opération Murène. Le 19 janvier 1984, cinq Jaguar décollent de Solenzara – quatre participent au raid, un est prévu en cas de panne d’un des quatre premiers – deux ravitailleurs C-135F décollent d’Istres tandis qu’un C-160 transportant un détachement de mécaniciens les a précédés au cas où un des appareils devait être dérouté sur un terrain de secours. Les avions de combat suivent un trajet côtier qui passe par la pointe sud de l’Italie, la Crète puis Chypre. Ils survolent les objectifs au-dessus du Liban, prennent des photos et se montrent de manière ostensible aux acteurs visés sans mener d’actions de bombardement. Après 6h45 de vol, les Jaguar sont de retour sur leur base de Solenzara.
Ce raid est également remarquable sur le plan géographique parce qu’il se fait sans l’utilisation d’une base située au plus près des combats. L’opération Chevesne marque ainsi une rupture notable avec les précédentes missions de ce type, pour lesquelles les aviateurs français étaient dépendants d’une base stationnée à l’étranger et donc d’accords diplomatiques avec un pays allié.
P. V. : La puissance aérienne semble traversée par de profonds bouleversements, la prolifération de drones de tout type en étant l’exemple le plus médiatique. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la conflictualité à l’échelle mondiale et quelles sont selon vous les tendances à suivre dans les prochaines années ?
I. S. : La guerre en Ukraine, de même que le conflit au Haut-Karabakh, sont venus rappeler certains fondamentaux. Le premier d’entre eux est la nécessaire acquisition de la supériorité aérienne, en amont d’une opération de conquête ou de contrôle d’un territoire. Même si cette supériorité ne peut être que locale, parfois uniquement temporaire, compte tenu de la prolifération des systèmes anti-aériens, la couverture aérienne des forces terrestres est un prérequis afin de protéger nos lignes logistiques et de se préserver de pertes intolérables.
C’est souvent la combinaison d’innovations récentes et d’armes plus classiques qui permet de décupler un effet militaire.
Le second concerne la notion de masse, intimement liée à celle du coût des opérations. Les conflits de haute intensité, omniprésents dans les débats stratégiques depuis le 24 février 2022, doivent être envisagés dans la durée, ce qui fait ressortir la nécessité de constituer des stocks de munitions conséquents ou d’être en mesure d’en produire beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui. Ce critère entre par ailleurs en résonnance avec le coût des matériels et celui de leur protection. Si un Etat utilise un système extrêmement perfectionné et onéreux pour neutraliser des drones « low cost », il risque d’être ruiné au bout de plusieurs mois ou années de combat.
Finalement, l’exemple de l’armée ukrainienne montre que c’est souvent la combinaison d’innovations récentes et d’armes plus classiques qui permet de décupler un effet militaire. L’application « GIS Art for Artillery », utilisée par les artilleurs ukrainiens pour le ciblage, dont le fonctionnement est comparé à celui de Uber, en est une illustration. Et ce sera probablement une tendance à suivre à propos des différents drones et munitions rôdeuses, qui intègrent petit à petit les flottes des principales puissances mondiales.
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. Ivan Sand, « Géopolitique de la projection aérienne française. De 1945 à nos jours », Paris, La Documentation française, 2022, 510 p.
Cet ouvrage s’appuie sur le recensement d’une centaine d’opérations qui brosse une période de près de 80 ans d’engagement de l’armée française. Sur le plan géopolitique l’analyse fait ressortir les interactions réciproques entre le rang de la France à l’échelle mondiale et ses capacités de projection aérienne. La première partie s’articule en trois chapitres qui ont pour objectif de cerner précisément les différentes conceptions de la projection aérienne, puis de formuler des critères propres à l’étude. La deuxième partie reprend le découpage chronologique habituel de l’histoire militaire française depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La troisième partie s’attache à trois aspects précis de cette question, qui correspondent à des exemples très différents de projection à plusieurs milliers de kilomètres de la métropole. La guerre d’Indochine (1945-1954) constitue un acte fondateur d’une géographie militaire aérienne, à différentes échelles.
[1] Jérôme de Lespinois, « L’empire de l’air. Essai d’une géopolitique aérienne », in Jean Baechler et Jérôme de Lespinois (dir.), La Guerre et les Éléments, coll. L’Homme et la Guerre, Paris, Hermann, 2019, pp. 359-373.
[2] Emmanuel de Martonne, Géographie aérienne, Albin Michel, Paris, 1948, 242 p.
[3] Entre 1945 et 1962, il s’agit effectivement de territoires coloniaux.
[4] Lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois, « La diplomatie aérienne, the new gun boat diplomacy », Penser les Ailes Françaises, n°24, hiver 2010-2011, pp.20-28.
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