Roumanie 2012, le bel été des Camarades

Par Catherine DURANDIN, le 5 août 2012  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Ecrivain, historienne. Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure, Agrégée d’Histoire, Docteur es Lettres. Diplômée de roumain, INALCO. Auditrice IHEDN, 37 éme session

Spécialiste de la Roumanie, Catherine Durandin offre ici une mise en perspective de la crise politique roumaine. Un éclairage qui sera utile pour en saisir les prochains rebondissements.

Une belle histoire qui tourne mal

LA ROUMANIE traverse durant cet été 2012 [1] une crise politique qui, en première lecture, se lit simplement : le gouvernement socialo-libéral dirigé par le socialiste Victor Ponta (PSD), a décidé de mettre un terme à la présidence de Traian Basescu, centre droit, (Parti Démocrate Libéral, PDL) élu en 2004, réélu en 2009. L’objectif : ne pas attendre la fin du mandat présidentiel, c’est-à-dire 2014, et « normaliser » au plus vite la vie politique du pays, selon la formule de l’actuel gouvernement.

Traian Basescu fut - lors de son premier mandat - populaire. Son style direct, brutal parfois, séduisait ; alors, la Roumanie - nouveau membre de l’OTAN depuis 2004 – évoluait vers l’intégration dans l’UE, effective en 2007. Le pays connaissait une forte croissance économique et jouissait d’un partenariat dit « spécial » avec les Etats-Unis, accueillant des bases américaines, une école du Renseignement OTAN à Oradea, et bientôt des éléments futurs de la panoplie Anti Balistique Missile - selon un accord signé avec Washington en décembre 2011. Ancien membre de la nomenclature, Traian Basescu semblait converti au rêve américain : il prit une initiative forte en 2006, faire condamner les crimes du communisme, lors d’une séance solennelle du Parlement… Il s’est appliqué à traquer en Roumanie tout signe d’un antisémitisme rampant.

La crise financière et économique qui frappe la Roumanie en 2009 / 2010 met fin à la belle histoire. Basescu accepte les conditions posées par le Fonds Monétaire International et instaure une politique d’austérité drastique qui frappe la fonction publique, les retraités … Cette politique a eu des effets macro économiques positifs, mais menée sans ménagement, sans accompagnement politico-pédagogique, elle n’a pas été acceptée par la population.

Comment supporter l’appauvrissement dans un pays où la richesse tapageuse, ex-nomenclatures ayant pillé les biens de l’Etat dans les années chaotiques post-1989, nouveaux riches affairistes dans l’immobilier, par exemple, étalent un « bling bling » offensant. En janvier 2012, des manifestants « indignés » crient leur colère à Bucarest et dans plusieurs villes de province. Le mouvement est hétéroclite, mais le message est clair : Basescu a chuté dans l’opinion. Le président qui ne semble pas s’émouvoir constate son échec annoncé devant les résultats des élections locales de juin 2012 qui donnent la majorité à ses concurrents, les socialistes alliés aux libéraux. (Alliance/ USL)

Le courant d’hostilité qui grandit contre Basescu rassemble des groupes hétérogènes : les socialistes lui sont hostiles depuis l’élection présidentielle de 2004, perdue par Adrian Nastase, protégé de Ion Iliescu (président socialiste de 1990 à 1996, puis de 2000 à 2004). Les socialistes autour de Mircea Geona, ont de nouveau perdu en 2009. De peu. La cure d’opposition leur pèse. Les libéraux, dont la tradition historique est de lutter contre ces socialistes, ne se reconnaissent pas dans le parti de Basescu, ni dans ce style populiste abrupt. Ils franchissent le pas en novembre 2009 : Mircea Geona et le leader du parti libéral Crin Antonescu scellent une alliance anti-Basescu. Ce moment de retournement des libéraux demeure surprenant. Très vite s’impose le langage socialiste roumain traditionnel, fondé sur une vision binaire, ennemi/ami, l’ennemi est qualifié de « fascistoïde ». La simplicité radicale de la démarche séduit l’opinion : Basescu est devenu l’homme à abattre, cette cristallisation de haine contre l’ennemi numéro 1 mobilise une population désenchantée qui ne s’interroge pas sur les dysfonctionnements d’un programme impossible à construire autour des deux idéologies opposées, socialiste et libérale. Nombre d’universitaires et d’intellectuels, frappés par la réduction de leur salaire, mis à l’écart par Basescu qui s’est construit une cour de conseillers intellectuels jalousés, trouvent en Crin Antonescu, historien universitaire à qui l’on ne peut reprocher ni affaires de mœurs ni corruption, leur candidat vertueux … Ce glissement de nombreux universitaires vers l’alliance socio-libérale traduit le malaise lié au statut d’intellectuel en Roumanie. La majorité de ces intellectuels n’a pas de passé dissident, certains d’entre eux ont milité contre Iliescu au début des années 1990, mais Basescu les a négligés. Le ressentiment contre ce président vulgaire venu de la marine marchande fait oublier, semble t-il, les engagements d’il y a 20 ans. Les intellectuels se tournent largement vers un universitaire, Crin Antonescu, en dépit de l’alliance que ce dernier a passée avec les ennemis d’hier !

L’éviction, c’est-à-dire la destitution de Basescu est programmée selon une procédure légale, vote du Parlement confirmé par un referendum, dont les résultats doivent être validés par la Cour Constitutionnelle.

C’est en juillet, que la belle histoire se transforme en sale histoire

Le cumul des mesures prises par le Premier Ministre Victor Ponta en accord avec le libéral Antonescu, bientôt promu comme président intérimaire, en une précipitation fébrile, est inquiétant. Victor Ponta n’a que 39 ans mais c’est un héritier loyal à Iliescu, à l’ex-premier ministre de Iliescu, Adrian Nastase, son mentor, « son parrain » condamné le 20 juin 2012 par la Cour de Cassation à deux ans de prison ferme pour corruption, et arrêté.

La liste des coups de poigne comme autant de marches à gravir vers le pouvoir est longue : renvoi du directeur des Archives Nationales alors que dessinait une politique d’ouverture des dossiers des années de l’époque Ceausescu, renvoi des équipes de l’Institut des Statistiques, renvoi des présidents du Sénat et de la Chambre, renvoi du Médiateur qui garantit l’équilibre des pouvoirs, mise sous tutelle du Journal Officiel ; démission sous contrainte du directeur de l’Institut Culturel Roumain.

En ce contexte vertigineux, des voix s’élèvent, quelques philosophes, romanciers, renommés, lancent l’alerte. Victor Ponta est amené le 12 juillet 2012 à s’expliquer à Bruxelles alors que le président Basescu vient d’être suspendu par le vote du 6 juillet au Parlement.

S’enclenche alors une campagne systématique de pression auprès de l’Union européenne émanant des cercles de soutien à Crin Antonescu. Les éléments de langage à l’adresse des experts étrangers, sont bien formatés : les amis de Crin Antonescu soulignent l’absence d’information, dénoncent la désinformation des analystes étrangers, exposant que Basescu « triche ». Ce lobbying va jusqu’ à prétendre contrôler les émissions consacrées à la Roumanie ! (courriel adressé à chaîne de télévision France 24, le lundi 30 juillet pour l’émission en langue anglaise, The Debate)

Le ton nationaliste va grandissant à l’adresse de l’électorat roumain… Pays souverain, la Roumanie n’a pas de leçon de démocratie à recevoir ! La formule est martelée tant par V. Ponta que Crin Antonescu.

La dramatisation monte en puissance, les dérapages se multiplient : l’on voit un ex-président, Emil Constantinescu appeler au vote, au nom de la morale, sur la chaîne de télévision Realitatea en plein déroulement des opérations de referendum, le 29 juillet ! Iliescu s’engage et soutient le tandem Ponta/Antonescu.


Le referendum du 29 juillet 2012… Une manipulation exemplaire

Le referendum a pour objet de valider ou non le vote de suspension de Basescu par le Parlement. Bruxelles a imposé un quorum de participation : 50% plus un des électeurs doivent se présenter aux urnes afin que ce referendum soit valide. Le gouvernement déclenche la grosse artillerie : les urnes mobiles iront vers les électeurs ! L’analyse de l’écart entre les inscrits sur les listes et le nombre des bulletins de vote comptabilisés est stupéfiante ! De pseudo touristes se retrouvent voter dans des hôpitaux de province ou des pénitentiaires ! En dépit de cette manipulation, Basescu qui a demandé à ses partisans de s’abstenir et de boycotter le referendum, remporte la bataille légale : seuls 46, 26% des électeurs ont voté.
Mais la guerre continue. 87% des 46, 26% des électeurs réclament la destitution de Basescu.

Le gouvernement social- libéral, au pouvoir depuis mai 2012, qui a jugé convenables les listes électorales et pour les élections locales de juin et pour le referendum, opère une volteface et découvre soudain que certains noms de citoyens morts n’ont pas été rayés : l’abstention viendrait de cette cohorte de morts ! Donc une liste électorale est valable si les sociaux libéraux l’emportent, la même liste est incriminée lorsqu’ils perdent.

La victoire de Basescu est contestée.

La balle passe à la Cour de Cassation qui doit trancher : referendum valide ou pas ? La Cour suit au final le gouvernement et s’engage sur une demande de re-vérification des listes électorales…Le verdict final est reporté au 12 septembre 2012. La Cour se ravise le 3 août et annonce la date butoir, le 31 août. La Cour ? Ce sont 9 membres, dont 5 ont été appointés par le parti socialiste, 1 par le parti libéral et 3 par le parti du président Basescu…

Ce délai va permettre au président par interim Crin Antonescu de s’installer face au pays comme le président pour le futur : il s’est engagé le 2 août 2012 à « informer » régulièrement la population…

Une course contre la montre : la Justice en jeu

Pour le gouvernement qui compte des amis de Adrian Nastase, le ministre de la Justice et Victor Ponta en particulier, l’enjeu est serré : Nastase arrêté, il serait bienvenu d’obtenir sa grâce, l’homme d’affaires libéral Dinu Patriciu passible de 20 ans de prison pour corruption, doit repasser en jugement, le 20 août 2012, il serait opportun de lui éviter le sort de Nastase. Un personnage de poids est ciblé : le procureur Daniel Morar à la tête de la Direction Nationale Anti Corruption (DNA), dont la rigueur est saluée par l’UE. Il est probable que tout sera mis en œuvre pour l’évincer. La panique des milieux des barons est l’un des éléments d’explication de la hâte à investir tous les rouages du pouvoir : en 2011, la DNA a mis en examen 1 091 personnes, un ancien Premier ministre, un ancien vice-Premier ministre, un certain nombre d’anciens ministres et membres du Parlement, des préfets, des maires, des directeurs d’entreprises… Ces réseaux vouent une haine tenace à Basescu qui a activé la lutte anti corruption, dont les progrès sont reconnus par le rapport de la Commission européenne de juillet denier.

Il n’en reste pas moins que Traian Basescu a échoué à rallier une population frappée par la crise. Il est indéniable que la non validation du referendum est illégale : la règle du jeu avait été fixée. Il est clair que le groupe Nastase/Iliescu s’emploie à revenir au pouvoir en accumulant, avec Victor Ponta, les coups de force. Et il est clair, qu’avec une direction libérale-socialiste hybride, la Roumanie se trouve dans une impasse. La guerre déclenchée par le gouvernement Ponta débouche sur un grand dommage. La seule éviction de Basescu ne constitue pas un projet politique, le langage hostile à l’adresse de l’UE nourrit un nationalisme provincial…

Manuscrit clos le 4 août 2012
Copyright Août 2012-Durandin/Diploweb


Plus

Voir sur le Diploweb.com un livre sous la direction de Catherine Durandin, « Roumanie, vingt ans après : la "révolution revisitée" » Voir

Voir sur un blog de Mediapart un article de SamuelR, « La Roumanie est-elle dirigée par des anarchistes ? », illustré de plusieurs cartes et graphiques Voir


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[1Le titre de cet article est une allusion à l’ouvrage de Catherine Durandin, Le Bel été des Camarades, Paris, Michalon 1999, roman.


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