France d’outre-mer

Quelle direction stratégique pour la politique française contre l’orpaillage illégal en Guyane ?

Par Maelig TERRIEN, le 2 avril 2023  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Diplômé de Licence de géographie et d’histoire de l’Université Rennes 2, Maelig Terrien intègre ensuite l’Institut français de géopolitique (IFG) en Master pour y réaliser un mémoire de recherche sur la politique française de lutte contre l’orpaillage clandestin en Guyane française. Depuis, il s’intéresse aux enjeux et risques environnementaux de l’extraction minière.

Construit sur une enquête de terrain, cet article fait un bilan critique de la politique française contre l’orpaillage clandestin en Guyane. L’auteur s’interroge sur la politique publique mise en oeuvre et ses contradictions. Avec deux cartes et un assemblage de deux photos.

L’ORPAILLAGE, terme désignant l’exploitation aurifère, est un phénomène méconnu en France métropolitaine malgré la gravité de sa branche clandestine qui sévit sur le territoire national, au sein de la région monodépartementale d’outre-mer de Guyane. Présent sur l’ensemble du bouclier guyanais, région géologique allant du nord du Brésil au sud du Venezuela, ces orpailleurs essentiellement brésiliens et appelés garimpeiros utilisent des techniques artisanales. Au nombre d’environ 11 000 en Guyane française, ils produiraient entre 5 et 10 tonnes d’or chaque année. Cette activité clandestine qui s’est généralisée durant les années 1990 pose un certain nombre de problèmes par ses conséquences désastreuses sur l’environnement, la santé et l’économie, mais également ses atteintes à la sécurité des personnes et la souveraineté territoriale française.

Depuis une vingtaine d’années, la France mène une politique publique d’envergure dans l’objectif d’éradiquer le phénomène, mais sans succès durable. Quelque 70 millions d’euros sont annuellement dépensés pour mettre sur pied l’opération Harpie. Il s’agît d’un système de répression unique au monde piloté par la Gendarmerie nationale [1] avec le soutien des Forces armées en Guyane et des inspecteurs de l’environnement.

Néanmoins, ce dispositif interroge par ses résultats très mitigés sur le long terme : en 2023, après plus de vingt ans d’engagement, la situation est toujours aussi alarmante bien qu’elle ait changé de forme. Face au bilan de l’action de l’État français, c’est donc un constat d’échec relatif qui émerge, remettant en question les décisions stratégiques prises depuis vingt ans. De ce constat émerge la question suivante : dans quelle mesure le bilan mitigé de l’action française amène-t-il à un conflit sur la direction stratégique de la politique de lutte contre l’orpaillage clandestin en Guyane ? Pour y répondre, il importera de tout d’abord tirer le bilan de deux décennies d’intervention française (I), pour mettre en lumière par la suite les tensions autour de la définition d’une nouvelle stratégie d’action (II).

I. Le bilan critique de la politique française de lutte contre l’orpaillage clandestin

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L’orpaillage clandestin, un phénomène réticulaire aux ramifications régionales

Plusieurs facteurs font que l’orpaillage clandestin qui est déjà profondément enraciné dans le paysage guyanais, n’est pas près d’être éradiqué. En théorie, la France qui est une puissance économique et militaire à l’échelle mondiale dispose des moyens techniques pour assurer sa souveraineté sur son territoire national. Pourtant, des facteurs géographiques, économiques et culturels créent un rapport de forces territorial qui s’inverse pour s’établir en faveur des garimpeiros.

L’orpaillage est une activité historique en Guyane dont les débuts remontent au milieu du XIXe siècle. L’activité clandestine telle qu’on la connaît de nos jours remonte quant à elle aux années 1990. Les orpailleurs brésiliens se répartissent alors massivement sur l’ensemble du plateau guyanais pour des questions à la fois de teneurs en or attractives, de répression politique au Brésil, mais également en raison d’un savoir-faire particulier alors très recherché par les patrons guyanais [2].

En Guyane et sur l’ensemble du plateau des Guyanes, les garimpeiros font système et forment un cadre culturel, technique, social et économique spécifique qui ne varie que très peu d’une région amazonienne à l’autre [3]. L’activité clandestine dépend ainsi d’un important réseau logistique soutenu par divers acteurs clandestins (patrons, ouvriers, transporteurs, piroguiers, mécaniciens, colporteurs…). Ainsi, cette organisation réticulaire et décentralisée implique de multiples flux à l’échelle régionale dans l’objectif d’exporter l’or vers les marchés internationaux les plus demandeurs. Le système garimpeiro utilise à la fois des chemins clandestins et légaux, complexifiant fortement les tentatives de régulation de la part des autorités françaises. Ces dernières n’ont, en effet, pas directement la main sur la plupart des mécanismes du phénomène, comme le marché mondial de l’or ou encore les réglementations des pays voisins.

Quelle direction stratégique pour la politique française contre l'orpaillage illégal en Guyane ?
Carte 1. France d’outre-mer. Les dynamiques internationales de l’orpaillage clandestin guyanais
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte. Conception et réalisation : Maelig Terrien
Terrien/Diploweb

Ainsi, comme l’illustre la carte 1, les clandestins dépendent largement des flux de matériel indispensable à l’extraction qui sont contrôlés par la diaspora chinoise [4]. Le mercure, utilisé par les illégaux pour amalgamer l’or des boues et roches extraites, est importé depuis le Guyana. Entre 13 et 20 tonnes seraient rejetés dans la nature chaque année posant d’importants problèmes de santé publique pour les populations autochtones vivant en aval des cours d’eau. Enfin, l’or extrait termine majoritairement sa route au Suriname où se trouve la seule raffinerie de la région capable de purifier le métal. L’inscription spatiale particulière et les techniques rudimentaires des clandestins sont des facteurs essentiels de leur grande capacité de résilience face aux autorités françaises.

Un phénomène transfrontalier très contraignant

Par ailleurs, les clandestins se structurent depuis des bases arrières situées de l’autre côté des deux fleuves-frontières guyanais, sur les rives surinamaises du Maroni et brésiliennes de l’Oyapock. Ces bases arrières sont des hubs commerciaux où les marchandises à destination des chantiers de l’intérieur guyanais arrivent en toute légalité avant d’être vendus aux orpailleurs. Elles sont ensuite redistribuées par des transporteurs qui utilisent les voies fluviales vers l’intérieur guyanais comme cela est illustré ci-dessous dans la carte 2.

Carte 2. France d’outre-mer. Organisation et itinéraires de pénétration des orpailleurs clandestins en Guyane
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte. Conception et réalisation : Maelig Terrien.
Terrien/Diploweb

Depuis le début des années 2010, la frontière ouest de la Guyane est devenue la plus active et concentre l’essentiel des chantiers illégaux. La porosité des limites administratives permet aux clandestins de jongler entre différentes législations et ainsi d’échapper facilement à la répression française qui s’arrête à la frontière. L’orpaillage illégal est de ce fait un véritable phénomène transfrontalier. Il existe également une différence de gestion de l’orpaillage entre les pays de la région. En France, les autorités opèrent dans un cadre réglementaire précis dans le respect du code pénal et des droits de l’homme. En effet, pour reprendre l’expression utilisée par les forces armées, les clandestins jouissent de la « caresse guyanaise » [5]. Une situation loin d’être observée dans les pays frontaliers où ils risquent la mort lors d’interpellations en forêt. L’expérience du décalage réglementaire qui existe entre les pays de la région forge ainsi la représentation géopolitique qu’ont les garimpeiros de la région. Ils voient donc en la Guyane une terre attractive. Ces éléments montrent que les frontières administratives sont loin d’être des obstacles pour les garimpeiros et révèlent qu’ils intègrent une véritable réflexion géopolitique dans leurs actions compliquant par la même les tentatives de répression de l’État français.

L’action des autorités française est d’autant plus complexe qu’elle s’implante sur un territoire immense. En effet, l’enjeu est de contrôler plus de 900 km de frontières au niveau des points d’entrée clandestins tels qu’ils sont représentés sur la carte 1. Cette ambition apparaît raisonnablement impossible à réaliser au regard des moyens alloués à la politique de lutte contre l’orpaillage illégal et au département dans son ensemble. D’autant plus que les clandestins s’inscrivent sur un espace difficile d’accès qui est presque entièrement recouvert par une forêt équatoriale humide. Celle-ci complique la projection opérationnelle des autorités, tandis que les garimpeiros profitent d’un savoir-faire rudimentaire leur offrant une extrême résilience.

Face à la généralisation des interventions policières, les orpailleurs se sont adaptés.

Une réponse uniquement répressive à l’effet paradoxal

La répression française trouve ses origines au début des années 2000. Mais ce n’est qu’avec l’opération Harpie mise en place par le président de la République Nicolas Sarkozy en 2008, que la politique de répression se concrétise de façon pérenne avec l’association des forces armées. Dès lors, l’action française a pour conséquence une redistribution spatiale des orpailleurs qui n’étaient jusqu’alors que peu inquiétés. Essentiellement répressive, elle s’articule autour d’opérations coups de poing qui se matérialisent par des interventions héliportées visant à détruire le matériel des orpailleurs. Les forces françaises stationnent également en différents points de contrôle stratégiques dans l’objectif de compliquer l’accès aux orpailleurs, mais également permettre un déploiement opérationnel plus rapide.

Face à la généralisation des interventions policières, les orpailleurs se sont adaptés, car ils profitent notamment d’une grande flexibilité permise par la faible mécanisation des chantiers. Deux grands changements peuvent alors être identifiés. Tout d’abord, l’action des autorités pousse les orpailleurs à se faire plus discrets modifiant leurs techniques d’extraction. Ainsi, on observe depuis les années 2010 une généralisation de la mise en place de barrages sommaires pour éviter l’augmentation de la turbidité des cours d’eau qui trahirait leur présence en aval. On observe également l’augmentation du nombre de gisements primaires qui se caractérisent par le creusement de puits comme sur la photo ci-dessous.

France d’outre-mer. Guyane, février 2022. Puit clandestin avant destruction par les forces Harpie et zone de concassage avec la présence de restes de barrages rudimentaires
Cliquer sur la vignette pour agrandir les photos. Crédit : Maelig Terrien.
Terrien/Diploweb

Ce type d’exploitation ne nécessite pas de déboisement aussi important et rapide que les exploitations alluvionnaires qui consistent au déblaiement des couches supérieures du sol à l’aide d’un jet d’eau à haute-pression. Ce modèle d’exploitation est amené à devenir majoritaire. L’autre grande mutation observée est l’intégration par les garimpeiros dans leur modèle économique, de la possibilité de se faire intercepter par les autorités. C’est ainsi que les prix des marchandises et services vendus en forêt ont fortement augmenté. D’une manière paradoxale, plus la répression est efficace, plus les prix augmentent, ce qui rend la réussite des services rendus en forêt plus rentable et donc attractive [6].

De plus, l’intensification de la répression frontale comporte un double risque [7]. En effet, elle pourrait d’une part inciter les clandestins à devenir plus violent et à s’armer en conséquence. Cela contribuerait à tendre la situation en rompant l’équilibre qui existe actuellement avec des missions encore accueillies avec calme et fatalisme par les garimpeiros. D’autre part, la destruction du matériel d’orpaillage entraîne paradoxalement leur maintien dans le milieu. En effet, cela entraîne les clandestins dans une spirale infernale de l’endettement auprès des commerçants. Ils sont alors obligés de continuer à chercher de l’or dans l’objectif de rembourser leurs dettes. En plus de ces deux éléments, une répression plus « musclée » pourrait par ailleurs ternir les relations avec le gouvernement brésilien qui s’inquièterait alors pour ses ressortissants présents en Guyane.

II. Une politique publique en crise

Un développement timide de modes d’action indirects

Selon les derniers chiffres transmis en janvier 2023, le nombre de chantiers d’orpaillage serait passé de 500 en janvier 2020 à 400 début 2022 puis à 280 en janvier 2023. On observe donc une importante baisse, mais l’activité reste toutefois à un niveau très élevé qui est comparable au milieu des années 2000. D’autre part, le phénomène se transforme perpétuellement avec une répartition spatiale des chantiers qui reste très variable, tandis qu’ils deviennent de plus en plus difficiles à détecter. Les conséquences sociales, économiques et environnementales de l’activité sont également loin d’être éradiquées.

Face aux difficultés posées par le système garimpeiro, l’unique réponse répressive trouve ses limites. C’est ce constat d’échec, porté par des niveaux historiquement haut de l’activité, qui pousse l’État à engager une réforme de l’opération Harpie en 2018. Baptisée Harpie II, elle a pour objectif d’apporter « une diversification de la réponse de l’État dans un cadre interministériel renouvelé » [8]. Misant sur une nouvelle stratégie intégrée, quatre volets d’action sont alors développés : le renforcement de la répression (1), la création d’axes de travail dans les domaines diplomatique (2), économique (3), social et sanitaire (4). L’objectif ne vise plus uniquement à s’attaquer frontalement aux garimpeiros, mais bien d’agir sur des mécanismes indirects pour les dissuader de se rendre en Guyane et les faire sortir de la clandestinité. Cette réforme a également pour but de répondre à une inquiétude de la population locale vis-à-vis des impacts négatifs de l’activité. De plus, cela permet de réaffirmer l’engagement de l’État français dans le département à la suite des importantes manifestations du printemps 2017 [9]. Celles-ci avaient pour origine la dénonciation de l’insécurité et de la pression migratoire sur le territoire avant de plus globalement revendiquer plus d’autonomie et de considération de la part de l’État.

Alors que l’action répressive fait l’unanimité, la notion d’intérêt général des stratégies indirectes diverge selon les acteurs et des tensions se cristallisent sur les modalités et l’échelle géographique à donner à celles-ci. L’avenir de la politique française de lutte contre l’orpaillage illégal se trouve ainsi au centre d’un jeu d’influences entre acteurs aux représentations territoriales contradictoires.

La coopération régionale, volet d’action indispensable mais à l’issue incertaine

Jusqu’en 2018 et la réforme Harpie II, la coopération régionale dans le domaine de la lutte contre l’orpaillage illégal est restée atone. Elle est alors uniquement marquée par une collaboration policière à petit niveau avec le Brésil et le Suriname voisins, restant essentiellement cantonnée aux territoires transfrontaliers. Depuis, elle est devenue un axe central autour duquel se structure l’approche frontale des autorités. Les efforts engagés ont ainsi développé une coopération interétatique décentralisée à l’échelle locale. En effet, faute de développer une coopération entre les pouvoirs centraux pour lesquels la question de l’orpaillage illégal reste marginale, les exemples de coopération restent essentiellement cantonnés à l’échelle locale entre les services de police et de justice de chaque pays. Ils sont principalement constitués de relations interpersonnelles entre agents permettant un échange efficace des informations.

D’autre part, le dialogue qu’il soit du côté surinamais ou brésilien est fondé sur une asymétrie tant au niveau des moyens que des préoccupations envers l’orpaillage clandestin. L’objectif de l’administration française est d’instaurer une relation de confiance avec les administrations des deux pays dans l’objectif d’harmoniser les réglementations pour pouvoir contrôler les flux illégaux. Cet objectif, porté sur le temps long, s’est notamment concrétisé en mars 2021 par la signature de trois accords fixant précisément la frontière franco-surinamaise sur plus de 400 km le long du Maroni. Il s’agit d’une importante base de travail qui permet d’entrevoir la possibilité de développer une approche bilatérale et coordonnée dans la lutte contre les pratiques illégales de l’orpaillage.

Bien qu’elle facilite les démarches et améliore la fluidité des relations transfrontalières, cette situation est régulièrement pointée du doigt pour deux raisons. Tout d’abord, tout ne peut pas se faire avec les collectivités territoriales locales et les dialogues doivent souvent se faire par l’intermédiaire des autorités centrales. Le Suriname ne pose pas trop de problème sachant sa proximité géographique, tandis qu’avec le Brésil, le dialogue diplomatique se fait majoritairement entre Paris et Brasilia. Ce faisant, les agents préfectoraux de Guyane doivent passer par l’Ambassade de France alourdissant les démarches administratives. L’autre raison est la faiblesse des collectivités locales pour faire pencher les choses en faveur de la lutte contre l’orpaillage illégal et de la Guyane. De ce constat émerge la suggestion d’instaurer une véritable prise en main diplomatique de la part du ministère des Affaires étrangères afin de mettre en avant la question de l’orpaillage clandestin dans la diplomatie interétatique.

Pourtant, cette perspective rencontre des difficultés et les efforts du côté français restent précaires dans la mesure où ils dépendent des contextes politiques voisins. Alors que la coopération avec le Suriname semble à l’heure actuelle en voie de développement depuis l’élection du président Chan Santokhi en juillet 2020 et la signature de l’accord transfrontalier, le Brésil a quant à lui été marqué par plusieurs blocages récents. La position du gouvernement fédéral a limité la dynamique positive engagée localement entre les services de police. Cette situation s’explique par le courant extractiviste qui a accompagné le mandat du président Jaïr Bolsonaro entre 2019 et 2023. Ce dernier a même soutenu politiquement les revendications identitaires des garimpeiros en légiférant par décret pour développer légalement leur activité. Le retour du président Lula au pouvoir depuis janvier 2023 laisse espérer dans l’administration française une nouvelle dynamique de rapprochement.

L’État entretient un flou sur sa position : oscillant entre une volonté de protéger l’environnement et une envie de développement économique des ressources.

Les tensions autour de l’association du secteur minier légal

Le 31 janvier 2022, Barbara Pompili alors ministre de la Transition écologique rappelait la position de son gouvernement et plus globalement de l’État en faveur du développement des activités minières légales dans l’objectif d’exploiter les chantiers illégaux démantelés par les autorités. L’idée est ainsi d’occuper le territoire et par la même occasion repousser les clandestins. On pourrait résumer la position défendue par la ministre par la formule suivante : « prendre l’or de Guyane avant qu’il ne soit pillé par les clandestins ». Il s’agit d’un point de vue partagé et relayé par la Fédération des opérateurs miniers de Guyane (FedomG), le syndicat majoritaire des métiers miniers dans le département, qui découle d’une vision extractiviste du territoire. Cette vision vise à utiliser les bénéfices retirés de l’exploitation aurifère en faveur d’un développement économique souverain de la Guyane. Le gouvernement a par la suite entériné dans le code minier la possibilité pour une exploitation légale de s’installer sur un ancien site clandestin sans avoir à fournir les documents administratifs habituels, notamment d’étude d’impact environnemental, en avril 2022 dans le cadre de l’application par ordonnance de la loi « Climat et résilience » [10]. Pourtant, cette nouvelle stratégie suscite des inquiétudes au niveau de la population et des défenseurs de l’environnement qui y voient une nouvelle justification pour le secteur minier légal d’étendre ses activités. D’autant plus qu’elle paraît largement illusoire. En effet, le pouvoir dissuasif d’une mine légale n’a jamais été démontré. On observe plutôt une satellisation des chantiers clandestins autour de celles-ci, les garimpeiros associant leur existence à la forte présence d’or localement et utilisant les pistes aménagées pour pouvoir se déplacer plus facilement. De plus, le secteur légal peine à être rentable en Guyane et à concurrencer les clandestins. Le cadre réglementaire très restrictif, notamment en termes de protection de l’environnement, limite l’expansion du secteur et est souvent dénoncé par la Fédération des opérateurs miniers de Guyane (FedomG). L’État entretient alors un flou sur sa position : oscillant entre une volonté de protéger l’environnement et une envie de développement économique des ressources, ce sont deux visions contradictoires sur l’usage du territoire qui s’affrontent entretenant un statu quo politique qui ne permet pas d’envisager une fin prochaine de l’opération Harpie.

Cette situation conflictuelle révèle la polarisation des positions et débats autour des questions minières en Guyane et n’est pas sans rappeler le débat qui avait animé la société française autour du projet de mine industrielle de la Montagne d’or dans l’ouest guyanais. Le manque de positionnement clair de l’État sur la stratégie à adopter est finalement la marque d’un manque général d’interventionnisme politique à l’échelle de la Guyane. On peut ainsi en déduire que le maintien de l’orpaillage clandestin est significatif d’une marginalisation du territoire guyanais. Ce manque de prise en main politique est notamment mis en lumière par les retombées politiques du rapport rendu par la Commission d’enquête parlementaire sur la lutte contre l’orpaillage clandestin en juillet 2021. Celui-ci n’a pas été suivi d’effets alors même qu’il mettait sur la table un certain nombre de propositions innovantes. L’avenir de la politique de lutte contre l’orpaillage illégal apparaît dès lors tributaire de décisions politiques à l’échelle nationale quitte à continuer à exacerber les tensions politiques entre la Guyane et la métropole.

Conclusion

Dans quelle mesure le bilan mitigé de l’action française amène-t-il à un conflit sur la direction stratégique de la politique de lutte contre l’orpaillage clandestin en Guyane ?

Le constat d’échec relatif de la politique française de lutte contre l’orpaillage clandestin est aujourd’hui acté et largement partagé par les différents acteurs de celle-ci. La nature même de l’activité associée au contexte territorial particulier dans lequel elle s’inscrit contribue aux difficultés rencontrées par l’administration française. L’action frontale de la répression a été et reste toujours le modèle privilégié. Il est en effet le plus simple à mettre en œuvre et est celui qui produit des résultats le plus rapidement. Néanmoins, un certain recalibrage stratégique est observé depuis 2018 et tend à développer des modes d’action indirects dans l’objectif d’apporter une réponse systémique. Mais cette évolution pose question sur le modèle de développement à donner à la stratégie de répression et au territoire. Cela révèle définitivement un conflit de représentations très profondément ancré au sein de la société guyanaise.

L’État manque de clarté dans la définition d’un projet territorial pour la Guyane.

Bien que l’on observe depuis 2020 une tendance à la baisse du nombre de chantiers recensés, il est encore trop tôt pour se prononcer sur la durabilité de cette situation. Par ailleurs, cette tendance s’explique par un niveau d’engagement intense et continu des autorités. L’opération Harpie a donc pour vocation de s’inscrire durablement dans le paysage politique et sécuritaire guyanais. En oscillant entre protection de l’environnement et développement économique des ressources dans sa réponse au phénomène, l’État manque de clarté dans la définition d’un projet territorial pour la Guyane. En ce sens, il ne fait en qu’exacerber les tensions au sein de la population jouant par la même sa crédibilité sur le territoire.

Copyright Mars 2023-Terrien/Diploweb.com


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[1NDLR : Arnaud Blanc, membre du GIGN en Guyane, l’élite de la gendarmerie, est mort le 25 mars 2023, tué par balle dans une opération contre l’orpaillage illégal. « Il nous lègue son amour pour la France, sa volonté de la défendre », a salué Emmanuel Macron qui l’a décoré de la Légion d’honneur et déclaré ses deux enfants « pupilles de la nation ».

[2Jean-François, Orru, « Inventaire historique de l’activité d’orpaillage en Guyane française », in Carmouze, Jean-Pierre, Lucotte M., Boudou A., Le mercure en Amazonie : rôle de l’homme et de l’environnement, risques sanitaires, IRD, Paris, 2001, pp. 409‑24.

[3François-Michel, Le Tourneau, Chercheurs d’Or. L’orpaillage clandestin en Guyane française, CNRS Éditions, Paris, 2020, 421 p.

[4R. Evan, Ellis, « Suriname and the Chinese : Timber, Migration, and Less-Told Stories of Globalization », SAIS Review of International Affairs, vol. 32, n° 2, Johns-Hopkins University Press, Baltimore, 2012.

[5Josselin, De Rohan, et al., Guyane : une approche globale de la sécurité, Sénat, Rapport d’information n°271, Paris, 2011, 71 p.

[6François-Michel, Le Tourneau, « La frontière ? Quelle frontière ? La dynamique transnationale de l’orpaillage clandestin en Guyane française », IdeAs. Idées d’Amériques, n° 18, 2021.

[7Gabriel Serville, Lénaïck Adam, « Rapport de la commission d’enquête sur la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane », Assemblée Nationale, Rapport n°4404, Paris, 2021.

[8Ibid.

[9Thibault, Letertre, Le conflit autour du projet minier de la Montagne d’or : luttes et enjeux de pouvoir pour le développement du territoire guyanais, Mémoire de master 1, Institut français de géopolitique, Université Paris 8, 2019.

[10Article L621-4-1 du code minier modifié par l’ordonnance n°2022-537 du 13 avril 2022.


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