Professeur de géographie politique, Département des sciences humaines et sociales de l’Université fédérale d’Amapá (Brésil). Post-doctorat à l’Université de São Paulo (École des Arts, Sciences et Lettres - EACH) / Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle. Traduction par Hervé Théry.
Découvrons un pays méconnu situé à l’ouest de la Guyane (Fr.) : la République du Surinam. Cartes à l’appui, l’auteur présente sa place dans l’internationalisation des marchés et des réseaux. Sa position de carrefour expose le Surinam à un risque environnemental et à la commercialisation de la cocaïne. Illustré de trois cartes.
LA République du Surinam, est un petit pays (environ 163 000 km²) au nord de l’Amérique du Sud, dont la population est principalement concentrée dans la capitale, Paramaribo, et quelques autres districts du pays [1]. Le Surinam a une politique étrangère favorable à la libéralisation du commerce et à des politiques économiques internes favorisant les initiatives économiques et commerciales des entreprises multinationales, en particulier celles qui travaillent avec des produits de base tels que la bauxite, de l’or et du pétrole.
Sur le point de célébrer le quarantième anniversaire de son indépendance politique, le 25 novembre 2015, le pays a encore de nombreux défis à relever, tels que les différends territoriaux non résolus avec la République coopérative de Guyana, ainsi que des difficultés à créer des interactions transfrontalières qui lui permettent de renforcer ses intérêts économiques dans le contexte régional Amérique du Sud.
L’économie du Surinam a été, pendant plusieurs siècles, fondamentalement orientée vers l’Europe en raison de son statut de colonie, et le pays était assez isolé en Amérique du Sud, non seulement en termes économiques et commerciaux, mais aussi en termes culturels, sociaux et territoriaux. Récemment, la politique étrangère du pays a cherché, mais sans beaucoup de succès, à s’aligner sur les lignes directrices d’’intégration des infrastructures régionales sud-américaines (IIRSA), et son gouvernement a entrepris des approches diplomatiques avec les pays comme le Brésil (GLOBO, 2009).
Ce document examine divers aspects de la géopolitique du Surinam, principalement ses difficultés à insérer le pays dans son environnement régional, en se concentrant sur la question des voies de circulation et la construction de ponts binationaux.
Les récents processus d’internationalisation des économies, en particulier la recherche de nouvelles façons d’optimiser la circulation et la vente de marchandises, a progressé dans le monde à des rythmes qui varient avec la façon dont les techniques et les normes en vigueur favorisent ces comportements. En effet, quand les frontières politiques entre les nations sont en situation de fragilité en raison de litiges territoriaux historiques, elles freinent le développement des réseaux techniques internationaux, appuyés ou non sur des ponts binationaux.
Gabriel Dupuy suggérait (1991) que l’étude de la configuration du réseau géographique est capable de révéler le poids ou la capacité relationnelle de chacun des nœuds qui le composent (sa « nodosité »). À partir de cette nodosité, plusieurs acteurs préparent leurs projets transactionnels (projets d’échanges commerciaux avec d’autres points et différents acteurs internationaux) qui, pris ensemble, organisent l’espace de telle sorte que chaque nœud et chaque acteur conçoit ses positions respectives en termes de relation avec les autres acteurs et les lieux pour articuler divers projets transactionnels en différents endroits (DUPUY, 1991 ; MACHADO, 1998). Il est de fait pertinent d’examiner en ces termes le rôle et les fonctions qui commencent à prendre forme sur le Plateau des Guyanes, la région qui s’étend entre les fleuves Orénoque Amazone, comprenant une partie du Brésil, la Guyane française, le Surinam, le Guyana, le Venezuela et une petite partie de la Colombie (SILVA, 2015).
L’organisation de blocs régionaux tels que l’Union des Nations sud-américaines (UNASUR), et la mise en œuvre de réseaux techniques coordonnés au niveau international sont des forces qui favorisent l’optimisation de la circulation, bien que la mobilité des personnes ne progresse pas à la même vitesse que celle des marchandises. L’Amérique du Sud, avec ses 12 pays et le département français d’outre-mer de la Guyane, suit la tendance décrite ci-dessus, des portions de territoires y sont activées de façon réticulaire, même si, comme cela a été mentionné, il existe des différends territoriaux qui freinent des avancées significatives dans l’intégration physique régionale. Ce composant est lié au fait que l’intégration physique est aussi compromise par la déforestation et la dégradation de l’environnement et – si leur progression n’est pas accompagnée par des mesures appropriées – par des problèmes sociaux tels que la croissance de la vente et de l’usage de drogues, en particulier dans les pays où le contrôle est fragile et qui deviennent des pivots de leur circulation entre les continents, comme le Surinam.
Malgré son passé de forte dépendance de l’aide néerlandaise depuis qu’il a obtenu son indépendance, le Surinam a, au cours des dernières années, cherché des alternatives internationales pour son développement avec les partenaires bilatéraux et multilatéraux. En janvier 2011, par exemple, le pays a rejoint l’UNASUR et le gouvernement du Surinam a ainsi souligné son intention d’améliorer sa position dans l’environnement régional.
Lors du sixième Sommet des Amériques à Carthagène (Colombie, 2012), le président surinamien Bouterse a souligné ce que l’unité régionale pourrait apporter à la décennie des Amériques (Abdenur, 2013), une vue romantique et sensationnelle mais qui signale, en plus d’une volonté, la nécessité pour le pays de renforcer ses bases régionales de manière diversifiée. Et donc d’accroître sa compétitivité internationale et réduire sa dépendance du secteur minier, bien que la diversité des activités économiques ne dépasse pas de manière significative le secteur primaire.
Malgré sa situation géographique en Amérique du Sud et sa participation à diverses initiatives de coopération régionale comme la CARICOM et l’UNASUR, les relations commerciales entre le Surinam et son environnement régional ont été relativement limitées, comme l’indiquent la carte 1 sur ses principaux partenaires en 2012 et la carte 2 sur le volume financier d’échanges avec les principaux blocs régionaux partenaires du Surinam entre 1980 et 2000.
Les différends frontaliers avec la Guyane, d’une part, et de nombreuses exigences françaises pour la distribution et la commercialisation en Guyane française, d’autre part, vont contre le renforcement de la coopération régionale du Surinam, bien que, comme l’a signalé le président Bouterse lors du Sommet des Amériques déjà cité, la recherche de l’intégration régionale soit une des principales orientations politiques et économiques à respecter pour le Surinam. Ces facteurs d’ordre externes ne sont pas les seuls qui compliquent l’aspect régional de coopération, il existe aussi des facteurs internes qui entravent les relations internationales avec les pays voisins. L’un d’eux, le principal et qui sera discuté ci-dessous, est la faiblesse et l’inadéquation des infrastructures de transport (routes et ponts) du pays vers l’est et vers l’ouest.
Plusieurs tronçons des deux axes structurants du Surinam ont été asphaltés ou rénovés, le plus souvent par une des actions combinées d’organismes bilatéraux et multilatéraux. La Banque de développement Interaméricaine (BID) a, par exemple, à plusieurs reprises financé la construction d’ouvrages d’infrastructure dans le pays (UNASUR, 2014). Dans le cadre de l’IIRSA, qui tente d’identifier les projets d’investissement et de modernisation stratégique pour renforcer l’intégration de l’Amérique du Sud, le potentiel du Surinam à cet égard est considéré dans le contexte plus large de la diversité économique et géographique de la Guyane et, plus largement, de la région amazonienne (UNASUR, 2014 ; IIRSA, 2010).
Au cours des dernières décennies, deux grandes catégories d’infrastructures peuvent être distingués pour l’intégration physique régionale du Surinam : (1) les liaisons internationales par la route, impliquant la réhabilitation et la construction de routes, la traversées de rivières et les ponts, privilégiés et analysées dans cet article ; et (2) les systèmes et les lignes de transmission hydroélectriques internationales (Van Dijck, 2010 ; OCDE, 2011).
La plupart des routes du Surinam, environ 4 570 km, sont encore non asphaltées, et le volume de la circulation des véhicules est faible et dangereuse entre les différents districts. Il existe deux principales artères, toutes deux des axes est-ouest, dans la partie nord du pays (carte 3), près de la côte des Caraïbes, là où est concentrée la plupart de la population (environ 560 000 personnes au total). Vers l’intérieur, le mouvement est assuré par le trafic fluvial les mois pluvieux (janvier à juin) et par de petits avions (atterrissant souvent sur des pistes de terre) pendant les mois de faibles précipitations (juillet-décembre).
Les deux axes remontent aux années 1960 et leur état – déjà précaire – s’est fortement dégradé pendant les années de guérilla (1986-1992) [2], mais ils sont maintenant l’objet d’initiatives de revitalisation grâce à un financement national et international des routes prioritaires du plateau des Guyanes pour l’intégration physique de l’Amérique du Sud (Abdenur 2013), comme le montre la carte 3. Ces deux axes de liaison est-ouest, associés à la construction de ponts binationaux, décrits ci-dessous, sont les composantes les plus urgentes du programme IIRSA pour le Surinam.
Sur le plan géopolitique, la stratégie de revitalisation de ces deux artères est également conçue pour raccorder physiquement le Surinam aux territoires voisins vers l’Est (Guyane française) et à l’ouest (Guyana), dans le cadre d’une planification conjointe, bien que chaque pays soit responsable de ses travaux. Elle vise aussi à connecter physiquement le plateau de la Guyane par la construction de la route transguyanaise, un nom encore inhabituel mais qui se réfère à l’interconnexion par la route du plateau des Guyanes. La logique est la construction d’une route côtière qui va faciliter le transport de/vers la Guyane qui, après avoir traversé la rivière Corantyne à Nieuw Nickerie, file vers la frontière avec la Guyane française, du côté opposé, sur le Maroni. Après avoir traversé la frontière sur le fleuve Maroni, à Albina, le trafic peut continuer de Saint Laurent-du-Maroni, en Guyane française, jusqu’au Brésil, au-delà de l’Oyapock.
La route est-ouest du sud (projet de route Apura-Niew Nickerie, puis Apoera-Paramaribo via Bitagron) est un autre projet stratégique du point de vue de la connexion internationale par les réseaux techniques. Cette route traverse des zones forestières de grand potentiel pour l’écotourisme, le tourisme balnéaire, etc. Cette route rejoint la Guyana via Linden, au sud de Georgetown, puis Orealla et Netteté, au Surinam, des deux côtés de la frontière de la rivière Corantyne et continue le long d’une étroite piste existante à travers la forêt vers l’aéroport international de Surinam, dans le district de Zanderij, près de Paramaribo (Van Dijck, 2010).
Dans sa partie sud, le Surinam fait frontière avec le Brésil, mais n’a aucune interaction transfrontalière avec lui. La zone frontalière entre les deux pays est considérée comme une zone-tampon, une zone difficile à pénétrer et où ont été mis en place de nombreuses zones de conservation pour empêcher le peuplement de la région et sa déforestation.
Deux travaux associés à la réhabilitation des routes couronneraient l’optimisation des améliorations techniques destinées à renforcer le potentiel d’intégration physique régionale du Surinam : les ponts binationaux sur la Corantyne, à l’ouest, et le Maroni, à l’est (carte 3). La construction de ces ponts assurerait l’interconnexion entre les pays du plateau des Guyanes et éliminerait les goulets d’étranglement de la circulation : dans les conditions actuelles, pour la traversée de la Corantyne en ferry, par exemple, le retard peut atteindre 24 heures.
Les gouvernements des deux pays étudient les modalités de financement et d’exécution de la construction du pont binational. Les Ministères des Affaires étrangères des deux pays ont demandé la coopération technique de la BID pour le financement de l’étude de faisabilité technique. Cela signifie que, malgré leur faiblesse diplomatique (en raison de différends territoriaux), ce qui complique la sécurité régionale, les deux pays tentent d’identifier des moyens d’améliorer le développement économique par le biais de celui des réseaux techniques connectés, même lent et progressif.
Deux récentes prises de positions indiquent que le Surinam est à un carrefour. La première réhabilite le transport, devenu une stratégie adoptée par le Surinam, non seulement pour apporter des améliorations à la situation de la population locale, mais aussi comme un moyen d’ouvrir l’accès à des régions éloignées et libérer un potentiel inexploité autre que la seule exploitation minière. On peut en effet faire valoir que des routes asphaltées et des ponts entre le Surinam, le Brésil, le Guyana et la Guyane française conduiront à un meilleur temps de passage des frontières, ce qui, par extension, permettra d’accroître l’offre de fret.
Les partisans de cette position soulignent qu’il est peu probable que les routes et les autres éléments de plans d’infrastructure évalués ici aient une incidence sur les zones les mieux préservées et peu peuplées du Surinam, donc peu de risques de provoquer un changement important dans l’utilisation des terres et une perte la biodiversité à grande échelle.
La deuxième position, diamétralement opposée, souligne que les avantages probables pour l’économie du Surinam et, par extension, la population du Surinam, offerts par de meilleures routes et ponts ne compensent pas toutes les implications sociales et écologiques, qui peuvent – en mettant les choses au pire - aboutir à la destruction irréversible de l’environnement à moyen terme. Jusqu’ici l’environnement physique des pays Plateau des Guyanes, comparé à de nombreuses régions de l’Amazonie internationale, a été peu affecté par des activités économiques telles que l’exploitation forestière, l’agriculture, l’élevage et l’exploitation minière. Cependant, les activités économiques légales et illégales se propagent rapidement dans toute la région avec des conséquences graves pour l’environnement, au moins à moyen terme.
Compte tenu de ces deux questions, nous soulignons que tant la sécurité régionale que le renforcement de l’intégration régionale sont affectés par les relations complexes du Surinam avec ses voisins à l’est et à l’ouest. Les différends territoriaux, s’ils n’ont pas entraîné jusqu’ici de guerre entre ces nations, renforcent une logique de vigilance militaire. Mais il est vrai, cependant, que la diplomatie régionale d’autres pays, comme le Brésil (qui est lui-même en avance sur l’intégration physique régionale en Amérique du Sud), et la nécessité de la diversification des activités pour l’expansion du commerce international sur le continent, mène les relations internationales du Surinam vers une coopération avec les pays voisins, en particulier avec le Guyana, malgré des différends territoriaux latents.
Plusieurs questions doivent être considérées du point de vue géopolitique par les récentes stratégies d’intégration physique régionale du Surinam. La première est d’ordre environnemental. Environ 80% de son territoire est préservé, ce qui le situe à la pointe de la protection de l’environnement. Cette situation sera dégradée en partie par l’ouverture de nouvelles voies de circulation. Il en va de même pour l’expansion de l’exploitation du sous-sol par les multinationales, désireuses d’explorer un pays souterrain riche en or, en pétrole, en bauxite, en diamants et d’autres ressources de grande valeur.
Un deuxième aspect est la croissance de la commercialisation de drogues illicites. Le pays est sur la route internationale du trafic de cocaïne et une amélioration de la circulation sans contrôle adéquat de la frontière compliquerait la question. Enfin, il demeure des problèmes de frontières qui vont dans la direction opposée à la coopération régionale. Il est clair que le pays aura besoin d’une grande capacité politique et diplomatique pour faire fonctionner ses plans de connexion physique avec les pays voisins.
Copyright Octobre 2015-Silva/Théry/Diploweb.com
Références
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QUACY, R., K. Unasur e IIRSA : A “Estrategic Opportunity” for Surinam ? Caribbean Journal of International Relations & Diplomacy, Vol. 2, No. 1, March 2014. p.113-122.
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[1] Soutien Pró-Defesa/CAPES (Edital nº031/2013, code 42001013065P3). Traduction Hervé Théry.
[2] La guérilla du Surinam a été menée de 1986 à 1992 entre les partisans de Ronnie Brunswijk, qui provenaient essentiellement du groupe ethnique des Noirs marrons, et l’Armée du Surinam, alors dirigée par son chef d’État-Major et chef de l’État Dési Bouterse. La guerre a commencé comme un conflit personnel entre Bouterse et Brunswijk, un ancien garde du corps de Bouterse et a pris plus tard des dimensions politiques. Brunswijk et ses partisans ont exigé des réformes démocratiques, des droits civiques et le développement économique de la minorité des Noirs marrons (URT, 2010).
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