Haut fonctionnaire, Maître de conférence à Sciences Po Paris, à l’IEP de Rennes et à l’Institut catholique de Paris, Christophe-Alexandre Paillard est Chercheur associé de l’Université Bernardo O’Higgins, Santiago du Chili. Il est ancien auditeur de la 67ème session nationale « politique de défense » de l’IHEDN. Les propos, commentaires et réflexions contenus dans cet article n’engagent que leur auteur à titre personnel et ne sauraient correspondre à aucune position officielle.
Voici une ample étude géopolitique et stratégique de la question coréenne. Un point d’appui solide pour qui veut dépasser le traitement irrégulier du sujet par la presse. Ce document permet de dépasser les rideaux de fumée, comprendre les jeux des acteurs et de s’interroger sur les perspectives d’une réunification. Un document de référence enrichi par un glossaire et une solide bibliographie.
« Quand les baleines dansent, les crevettes trinquent » (proverbe coréen faisant référence à la situation des deux Corée par rapport à leurs voisins chinois, russes et japonais)
Résumé
Née de la Guerre froide et ayant survécu à l’effondrement du bloc communiste, la division de la péninsule coréenne, établie depuis 1945 et consolidée par la Guerre de Corée (1950/1953), est une réalité durable [1]. La réunification de la péninsule, si elle doit un jour se faire, doit tenir compte de ces spécificités et des réalités politiques et stratégiques de l’Asie du nord-est. En effet, même si la réunification de la péninsule coréenne est un objectif national, à forte portée politique et symbolique pour les deux états coréens, les conditions géopolitiques de la région font qu’elle semble aujourd’hui très aléatoire et qu’il est difficile de s’engager sur un scénario crédible de réunification et un calendrier pertinent. De fait, la chute de la Corée du Nord et de son régime n’est pas à l’ordre du jour de l’agenda international.
La réussite et le rythme de la réunification de la Corée seront d’abord fonctions des positions d’un acteur extérieur clef, la Chine, du niveau de l’économie dans la péninsule coréenne et des circonstances politiques entourant la disparition des deux Etats existants. Si l’on considère que le changement de régime peut s’effectuer sans déclencher de conflit majeur, comme dans l’exemple allemand (1989-1990), différentes options sont effectivement possibles.
Les chantres de la réunification font régulièrement allusion à certaines périodes de l’histoire de ce pays. Ainsi, le royaume de Goryeo est considéré comme l’âge d’or de la civilisation coréenne et tous les penseurs de la réunification en Corée y font invariablement référence. Il en est de même de la période Joseon marquée par le règne du roi Sejong le Grand.
La réunification reste un objectif partagé par les deux parties, mais les deux Corée en font plus un instrument tactique qu’une réalité stratégique. Pour la Corée du Nord, disposer de l’arme nucléaire constitue le seul moyen de se crédibiliser face à la superpuissance américaine et d’obtenir de Washington la reconnaissance internationale et la fin des restrictions datant de la guerre froide (1947-1990) dans les relations économiques, plus que de pousser à la réunification qui est de toute façon matériellement impossible en 2017. Pour la Corée du Sud, il faut surtout préserver l’essentiel, sa prospérité économique, et la population sud-coréenne est moins que jamais prête à sacrifier son niveau de vie à une réunification coûteuse et déstabilisante.
Au vu des évolutions possibles, trois scenarii d’évolution peuvent être retenus pour imaginer cette réunification et la fin, ou non, du régime des Kim en Corée du Nord. A l’inverse du modèle d’absorption immédiate de l’Allemagne et à la différence d’une mise en place accélérée d’un système fédéral, la voie confédérale ne serait pas nécessairement une étape à écarter pour une réunification officielle des deux Corée. La confédération pourrait être envisagée comme le stade très avancé, voire final, dans le processus d’intégration du Nord et serait à ce titre, davantage qu’une solution provisoire. Deuxième option, Un effondrement non-anticipé du régime nord-coréen aurait des conséquences considérables sur l’équilibre régional nord-est asiatique, avec des répercussions sur l’économie mondiale et la Corée du Sud, treizième puissance économique mondiale, et toute l’Asie du nord-est. Une chute du régime nord-coréen est susceptible d’engendrer des flux migratoires de grande ampleur : plusieurs millions de Nord-coréens pourraient fuir le territoire en direction de ses États frontaliers. C’est le scénario apocalyptique. Dernière option, en réalité la plus crédible, l’option du statu quo qui reste finalement l’hypothèse la plus probable en 2017, en dépit ou plutôt à cause des contraintes multiples qui planent sur la péninsule coréenne.
Introduction
LA PENINSULE coréenne vient subitement de revenir au centre de l’actualité mondiale avec l’assassinat du demi-frère du dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un, Kim Jong-Nam, à l’aéroport de Kuala Lumpur, en Malaisie, le 15 février 2017. Depuis cet assassinat, la nouvelle escalade militaire engagée autour de la péninsule coréenne depuis mars 2017 est considérée comme un nouveau facteur majeur de risque pour la paix mondiale, alors que rien n’a en réalité fondamentalement changé depuis de nombreuses années dans la péninsule coréenne.
L’actuelle tension géopolitique relève d’un activisme médiatique plus que de réalités stratégiques ou militaires nouvelles. Cette situation est surtout l’un des multiples avatars d’une situation géopolitique figée, de l’existence d’un programmes nucléaire militaire nord-coréen considéré comme dangereux et proliférant, d’essais répétés de tirs de missiles balistiques de la Corée du Nord vers son environnement proche et de la volonté renouvelée des Etats-Unis et de l’administration Trump de montrer au régime nord-coréen qu’il ne peut impunément menacer ses voisins japonais et sud-coréens sans encourir d’éventuelles représailles militaires, même au prix de gesticulations symboliques et spectaculaires mais en réalité inefficaces.
Ces tensions et cette division persistante de la péninsule coréenne sont nées de la Guerre froide (1947-1990). La division a survécu à l’effondrement du bloc communiste (1989-1991) et elle est une réalité durable, même si des efforts ont été engagés dans les années 1994/2005 pour réunifier la péninsule. Dès 1989, en Corée du Sud, un plan avait été adopté pour réunifier, au sein d’un même Etat, les deux entités. En 2014, constatant l’échec du précédent plan, le ministre sud-coréen de l’Unification avait encore proposé un nouveau plan de réunification de la péninsule de Corée, encore une fois sans aucune chance sérieuse d’aboutir du fait du caractère extrêmement antagoniste des relations entre les deux pays.
De fait, le régime communiste de Corée du Nord reste pour la plupart des acteurs politiques et économiques mondiaux un mystère géopolitique. La nature de son régime en fait un pays hors norme qui n’échappe pas aux clichés, aux fantasmes et aux interprétations les plus contradictoires sur ce qui s’y passe véritablement. Cet article vise donc à faire le point sur les réalités politiques et stratégiques d’une éventuelle pacification et réunification de la péninsule coréenne, en donnant une interprétation aussi proche que possible de la réalité des données disponibles, pour rendre crédible une telle approche.
Les informations provenant de Corée du Nord, souvent lacunaires et très largement faussées par des années de désinformation sur les conditions réelles de développement politique et économique de ce pays, font l’objet d’une analyse qui n’est pas sans évoquer la méthode d’observation des transits destinée à majoritairement détecter des planètes extrasolaires, le plus souvent par manque ou limite de moyens d’observation directs.
En avril 2017 comme durant toutes les années passées, la Corée du Nord a continué d’être traversée de rumeurs persistantes sur l’état réel du pays et sur les purges provoquées par Kim Jong-Un. A titre d’exemple, la manière dont le ministre des forces armées nord-coréen, Hyon Yong-Chol, a apparemment été exécuté le 30 avril 2015, au moyen « d’un canon antiaérien », entretient de multiples supputations sur le régime, sur l’évolution du pouvoir suprême et sur les conditions d’émergence de possibles acteurs pouvant contribuer à modifier la donne politique en Corée du Nord.
La Corée du Nord, consciente de sa capacité à faire peur ou à surprendre, entretient cet état de fait. Ainsi, en mai 2015, elle affirmait être capable de lancer des têtes atomiques miniaturisées à partir de fusées de haute précision. Le régime de Pyongyang avait également annoncé avoir réussi un essai de tir de missile balistique à partir d’un sous-marin (MSBS), même si de très nombreux experts estiment que les annonces nord-coréennes sont le plus souvent exagérées et que le Nord est toujours loin d’être en mesure de mettre au point une véritable capacité MSBS. Les photographies et films présentés par les Nord-Coréens à cette occasion, de même que l’état opérationnel réel des sous-marins nord-coréens et de leurs capacités d’emport, permettent effectivement de douter très fortement des affirmations de Pyongyang. L’échec du tir de missile engagé le 16 avril 2017 confirme d’ailleurs que la Corée du Nord n’a pas forcément les moyens de ses menaces balistiques.
Les évènements récents ne sont pas sans rappeler la situation d’incertitude entourant la Corée du Nord en 1994, lorsque les rumeurs sur l’état de santé de Kim Il-Sung allaient bon train, laissant espérer que le décès du dirigeant historique de la Corée du Nord pouvait conduire à une réforme du système, voire à sa disparition prochaine et à la réunification de la péninsule coréenne. Des interrogations similaires, volontairement nimbées d’une aura de mystère, continuaient aussi de circuler autour de la survie du régime et des luttes de pouvoir liées au moment du décès de son fils, Kim Jong-Il, en 2011.
Un constat s’impose donc : au-delà des titres et interprétations de la presse internationale sur ce pays et la région, et même si les acteurs et l’époque ne sont plus tout à fait identiques, selon la formule utilisée par Winston Churchill à propos de la Russie, la Corée du Nord est effectivement une énigme entourée de mystère et cachée dans un secret [2].
S’en tenir à ces querelles de succession et à la personnalité de Kim Jong-Un nous ferait cependant passer à côté de l’essentiel. En effet, alors que ces enjeux ne regardent finalement qu’un petit Etat de 24 millions d’habitants, isolé et peu intégré à l’économie mondiale, la nature de son régime fait de la Corée du Nord un pays qui ne peut laisser indifférent pour de bonnes et de mauvaises raisons, au même titre que les exactions en Syrie et en Irak de l’Etat islamique au Levant. Elle reste le dernier État de notre planète disposant d’un régime d’essence essentiellement stalinienne. Bien qu’il existe d’autres régimes totalitaires à travers le monde, aucun n’égale l’image de la Corée du Nord pour son mélange de kitsch, de propagande surréaliste et de terreur qu’il peut inspirer comme régime véritablement prêt à tout pour survivre, y compris la mort certaine et déjà effective de nombre de ses ressortissants et de nombre de ses hauts cadres dirigeants, voire de membres de la famille dirigeante, comme le rappelle le récent assassinat de Kim Jong-Nam.
On oublierait le plus souvent jusqu’à son existence si le régime nord-coréen n’avait le talent de rappeler au monde de manière récurrente qu’il se montre capable, malgré son dénuement économique constaté, de faire peur à la planète, de défier les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud, et de les menacer de représailles militaires et nucléaires certaines en cas d’agression.
Et peu importe que la réalité du programme nucléaire militaire nord-coréen soit ou non menaçante, la Corée du Nord est aussi le pays qui enlève des ressortissants étrangers pour en faire des « instructeurs » pour leurs maîtres espions, qui se lance directement dans des actes terroristes [3] et qui utilise des méthodes mafieuses pour obtenir des devises ou déstabiliser ses ennemis potentiels.
Si l’expression d’État voyou devait être appliquée à un État, la Corée du Nord pourrait donc effectivement prétendre au titre. Certes, la Corée du Nord n’occupe pas en permanence les devants de l’actualité internationale, dans un environnement essentiellement marqué par des questions plus directement liées à la crise financière mondiale, la crise en Ukraine ou l’instabilité croissante du monde arabe. De multiples sommets internationaux ont quand même fait de la Corée du Nord un thème de préoccupation majeure [4].
De même, les ruptures successives des négociations nucléaires avec les États-Unis, les menaces répétées d’attaques ou de représailles nord-coréennes sur la Corée du Sud [5], ne semblent plus vraiment intéresser les enceintes internationales, sauf pour mentionner le fait que ce régime est décidemment parfaitement incontrôlable et totalement déconnecté des réalités internationales les plus élémentaires.
Il n’empêche que la question nord-coréenne et celle d’une hypothétique réunification, comme en témoigne le plan de réunification présenté en 2014 par le ministère de l’Unification sud-coréen, rebondissent régulièrement et qu’elles continuent d’être l’un des thèmes les plus brûlants des relations internationales contemporaines. En effet, hors de la seule question nucléaire, la Corée du Nord reste géographiquement le point de rencontre de quatre puissances mondiales majeures, la Chine, les États-Unis, le Japon et la Russie, et ce point de contact particulier est aussi un point de friction évident pour tous ces Etats. De plus, dans un monde qui valorise, parfois à l’extrême, la transparence et la mondialisation, au point d’ailleurs d’obtenir l’inverse de l’effet recherché, la Corée du Nord reste l’antithèse de ces « nouvelles modernités » et son apparente marginalité en fait malgré tout un pôle d’intérêt majeur pour la résolution des conflits de prolifération du monde contemporain.
Si l’économie n’apparaît pas instinctivement comme l’outil clef de compréhension de la Corée du Nord et de la question de la réunification, l’enchaînement des évènements ayant présidé au basculement politique d’Etats aussi différents que l’Afrique du Sud de l’Apartheid, l’Union soviétique ou l’Argentine des Généraux (1976-1983) montre qu’une bonne anticipation des réalités économiques de ces pays pouvait nous permettre de relativiser l’ampleur de la menace stratégique et d’évaluer à leur juste valeur les capacités de résistance réelles de ces régimes à plus long terme. Comprendre le fonctionnement de l’économie nord-coréenne, c’est anticiper sur une chute certaine du régime, estimer ce qu’elle coûterait à la Corée du Sud (et donc tenir compte de réalités sociales financières bien concrètes), et essayer de déterminer ce qu’en seront ses conséquences les plus immédiates sur les grands équilibres internationaux.
La complexité de l’analyse ne peut toutefois pas provenir que de la seule bonne compréhension économique de ce pays. Elle vient aussi très clairement d’une analyse de la double dimension politique du dossier nord-coréen. La Corée du Nord est tout d’abord une particularité historique ; elle est l’un des derniers avatars [6] de la Guerre froide, c’est-à-dire l’un des derniers états nés de la Guerre froide et son ultime expression vivante, symbolisée physiquement par l’existence de la zone démilitarisée entre les deux Corée, la DMZ.
C’est également une crise parfaitement d’actualité. Les problèmes que pose ce pays, notamment la question nucléaire, correspondent autant à une problématique héritée des années 1947/1989 qu’au nouveau contexte stratégique international marqué par la volonté de certains pays émergents ou en développement de disposer des technologies nucléaires pour leurs besoins de sécurité ou d’indépendance énergétique, à l’image de l’Iran ou du Pakistan. Imaginer dans un tel contexte la future réunification, c’est aussi rappeler que l’écrasante majorité des données disponibles sur la Corée du Nord provient de sources qui lui sont étrangères, principalement de Corée du Sud (centralisées notamment par le South Korea’s National Statistical Office), du Japon et, dans une moindre mesure, des États-Unis ou de la Chine ; ce qui complique le débat sur une éventuelle réunification.
Deux raisons majeures expliquent ce phénomène :
. La Corée du Nord ne fournit pas d’informations fiables sur sa situation intérieure, rendant problématique une évaluation réaliste du coût de la réunification : le culte du secret, entretenu par les autorités nord-coréennes, est justifié par le principe, partagé à un moment par la Chine et d’autres pays communistes, que le dévoilement de toute information à l’étranger revêt une dimension politique et stratégique capitale pouvant être exploitée par ses adversaires. La généralisation d’une telle pratique à tous les secteurs d’activité et à l’échelle nationale complique ainsi le travail de diagnostic.
. La situation d’exclusion intégrale de la Corée du Nord à l’égard des institutions monétaires ou financières internationales (OMC, Banque Mondiale, Fonds Monétaire Internationale) et régionales (Banque de Développement Asiatique notamment) : depuis 1987, malgré la répétition et la gravité des crises économiques, alimentaires et sanitaires, le régime nord-coréen n’a pu contracter aucun prêt auprès des banques ou des organismes financiers internationaux à titre officiel. La Corée du Nord ne possède aucune place financière lui permettant de financer son économie et ne détient, du moins officiellement, aucun portefeuille d’investissement international. Pyongyang a été placée en 1986 par Washington sur la liste des États soutenant le terrorisme. Bien que Séoul ait régulièrement demandé aux Etats-Unis d’assouplir leur position sur ce point et que Tokyo y ait ponctuellement fait allusion, Pyongyang continue donc de rester en marge des institutions financières internationales.
Même si la Corée du Nord peut constituer un cas extrême, le fonctionnement de son régime n’est pas franchement différent de ce qu’ont connu d’autres pays communistes dans le passé. A partir de l’analyse de son économie et de ses principaux ressorts politiques, ce rapport se donne pour objectif de montrer que la question du terme, pour la durée de vie du régime nord-coréen, est donc fondamentale pour cette question de la réunification. Ecrasée par ses dépenses d’armement, victime d’un régime politique paranoïaque et tributaire de conditions économiques désastreuses, la Corée du Nord peut continuer de subir ses dirigeants pour de longues années encore. Toutefois, si les conditions économiques et politiques sont réunies, un basculement doit être anticipé, même si le cygne noir de la réunification, en référence à l’ouvrage éponyme de Nassim Nicholas Taleb, n’est par construction pas connu aujourd’hui.
Trois idées essentielles doivent donc être retenues pour comprendre et traiter la énième crise coréenne à laquelle nous assistons aujourd’hui :
1. La réunification de la péninsule coréenne est un objectif partagé par les deux Etats, mais cette perspective reste hypothétique pour des raisons fondamentalement politiques.
2. Les divergences politiques, économiques et stratégiques entre les deux Corées sont appelées à perdurer.
3. Les grandes puissances, et en particulier la Chine, ont un intérêt au statu quo, expliquant que le régime nord-coréen soit finalement globalement stable.
Première idée, bien que la réunification de la péninsule coréenne soit un objectif partagé par les deux Etats, cette perspective reste lointaine et très hypothétique pour des raisons fondamentalement politiques. La situation de division de la péninsule coréenne est donc appelée à durer et sa réunification restera dépendante de circonstances politiques par nature imprévisibles et à ce jour peu crédibles.
Si l’on considère que le changement de régime peut s’effectuer sans déclencher de conflit majeur, comme dans l’exemple allemand (1989-1990), cette réunification dépendra de trois facteurs clefs :
. La manière dont les coûts politiques et économiques sont définis est un outil de calcul pour tous les acteurs de la région. Or, il existe de nombreuses façons de calculer les « dépenses » occasionnées et d’évaluer les bénéfices qui en découleront. Chiffrer les coûts de la réunification est une opération complexe, pouvant donner lieu à des évaluations a priori divergentes, selon la perspective considérée.
. Pour nombre d’experts, les coûts de la réunification peuvent être définis comme la somme des capitaux investis en Corée. Cette vision très extensive est défendue par l’économiste et diplomate sud-coréen Hwang Joon-Kook qui avance le chiffre de 2 400 milliards de dollars, soit près de deux fois le PIB actuel de la Corée du Sud actuellement de 1 305 milliards de dollars répartis sur 20 ans). L’économiste américain Marcus Noland estime qu’il est nécessaire d’inclure à ce chiffre la valeur des dépenses quotidiennes du gouvernement sud-coréen en préparation à la réunification (« present discounted value of expenditures »).
. Les coûts de la réunification sont considérés de manière plus restrictive par l’économiste Young Sun Lee. Ils sont assimilés à la seule hausse de la fiscalité qui sera imposée aux populations sud-coréennes, soit selon Lee, entre 290 et 389 milliards de dollars.
Toutes ces approches mettent en avant le coût de la réunification, bien au-delà de la question géopolitique, et dominent la littérature sur la question de la réunification, alors que la réunification est d’abord et avant tout un problème politique et stratégique de très grande ampleur qui tient compte de l’Histoire, de la Culture et d’un pays coupé en deux à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.
Or, comprendre ces questions historiques et culturelles est crucial et fondamental pour comprendre la crise de 2017 et interpréter correctement ce qui est à l’œuvre dans la péninsule coréenne.
La situation contemporaine de la Corée n’est pas seulement l’héritage de la Guerre froide. Après les invasions japonaises et mandchoues des XVème et XVIème siècles, la Corée de la dynastie Choson a fermé le pays à toute influence extérieure et ce, jusqu’en 1876. La Corée fut alors surnommée le royaume ermite par les rares voyageurs occidentaux autorisés à y pénétrer. Les tentatives de pénétration en Corée de jésuites chinois aux XVIIIème et XIXème siècles se sont soldées par des échecs et l’ouverture de 1876, date à laquelle le Japon obligea la Corée à signer avec lui un traité d’amitié et de commerce, s’est traduite par des révoltes populaires et l’émergence de mouvements politiques ou philosophiques ultranationalistes comme le mouvement Tonghak [7].
Cette ouverture forcée de la Corée n’a toutefois pas conduit à faire disparaître l’expression de royaume ermite. Elle est au contraire abondamment utilisée par la presse internationale pour décrire la Corée du Nord aujourd’hui. Le Juché [8] reprend à sa manière cette tradition isolationniste et exalte la « Coréanité » et la volonté du peuple coréen. Cette dernière ne peut toutefois s’exprimer que par l’entremise du Leader, lui-même élu par des « éléments naturels ». La Corée du Nord n’est donc seulement un régime totalitaire, nationaliste et délirant ; c’est une étrangeté idéologique qui puise son inspiration à la fois dans le marxisme et dans une tradition nationaliste coréenne historiquement identifiée.
Héritière de cette pensée née de l’histoire coréenne, la Corée du Nord est en 2017 l’un des régimes les plus militaristes au monde, avec une armée permanente de plus d’un million d’hommes – un Nord-Coréen sur 18 est soldat et au moins 10% du PNB est officiellement consacré à la défense, soit le ratio le plus important du monde – et un arsenal balistique exceptionnel au vu des dimensions et de la richesse limitée du pays. Cette militarisation à outrance de ce pays n’est pas sans conséquence sur la perception qu’a le régime du monde extérieur et sur cette question de la réunification. Les crises de prolifération venues de Corée du Nord rappellent régulièrement au monde le cas très particulier de la situation stratégique en Corée.
Le régime développe une rhétorique anti-américaine qui peut rappeler la Guerre froide. En caricaturant, on pourrait dire que le discours antiaméricain typique de cette époque repose sur une opposition idéologique, tandis que le discours d’aujourd’hui s’appuie davantage sur une opposition culturelle. La séparation reste artificielle, puisque ces deux éléments sont le plus souvent mêlés. Reste que la rhétorique nord-coréenne présente parfois des relents de Guerre froide, par exemple en 2001 lorsque le « Cher Leader », parlant des Etats-Unis, déclare ceci : « nos ennemis essaient de coopérer avec nous et de faire des échanges… Mais ce qu’ils veulent en réalité, c’est détruire notre système de l’intérieur. Nous devons être prudents ».
La Corée du Nord, face au géant américain, bénéficie de l’appui de la Chine qui se sert de Pyongyang comme d’un moyen de pression sur les Etats-Unis : la coopération chinoise sur le dossier nord-coréen pourrait par exemple susciter des concessions américaines sur Taiwan. En se rapprochant aussi de la Corée du Sud, critique envers la politique intransigeante des Etats-Unis, Pékin pose les bases d’un axe Chine/Corée pouvant faire contrepoids à l’influence américaine et japonaise dans la région. Le résultat de ce qui est de fait une protection chinoise est de donner une coloration étrangement « Guerre froide » à la question nord-coréenne.
Le géant américain peine donc à s’imposer face à un petit Etat communiste, du fait que celui-ci est protégé par un grand de l’autre camp, la Chine. La guerre du Vietnam correspondait en partie à cette configuration.
En plus du soutien de la Chine à la Corée du Nord, malgré certaines tensions à propos du comportement de Kim Jong-Un, le souvenir des royaumes anciens de Goryeo et de Joseon impacte l’approche coréenne de la réunification à l’époque contemporaine. En revenant dans des temps plus anciens, vers la fin du IXe siècle, il faut rappeler que le royaume de Silla décline dans la péninsule coréenne et doit faire face à une période de guerre civile et de soulèvements paysans, puis à des scissions en de petits États qui proclamèrent leur indépendance. En 918, Wanggeon, fils d’un riche marchand de Kaeseong et ancien dignitaire de Silla, se proclame chef d’un État dit de Goryeo ; ce qui marque la fin de l’époque de la Corée unifiée dans le royaume de Silla et le début d’une période intermédiaire, dite Période des Trois Royaumes postérieurs, qui dura jusqu’en 935. Deux autres royaumes sont fondés : Goguryeo et Baekje. De 918 à 935, Goryeo prend le contrôle de la péninsule et s’étend. La conquête vers le nord va jusqu’au fleuve Chongcheon, et s’arrête face aux Khitans, tribu du nord. Plusieurs guerres ont lieu contre les Khitans à partir de 993, s’achevant par la bataille de Kwiju en 1019 qui les repousse définitivement hors de la péninsule.
Le royaume de Goryeo occupe progressivement toute la péninsule de Corée du début du Xe siècle à la fin du XIVe siècle. Sa capitale, Kaesong, est aujourd’hui située en Corée du Nord et pourrait peut-être un jour constituer la capitale d’une Corée réunifiée. Il est le modèle de référence de tous les Coréens pour la réunification. Malgré les invasions mongoles du XIIIe siècle, le royaume de Goryeo est considéré comme l’âge d’or de la civilisation coréenne, auquel font invariablement référence tous les penseurs de la réunification en Corée. Dans le domaine des arts, Goryeo excella notamment dans les céramiques. Les Coréens mirent au point le céladon, un vernis bleu-vert avec parfois des incrustations d’émail. Cette céramique s’exportait dans tout l’Orient et constitue la forme d’art typiquement coréenne la plus connue. Les Coréens inventèrent également les caractères mobiles en 1234, pour un ouvrage sur l’étiquette de la Cour.
La présence mongole reste forte durant un siècle et il faut attendre le roi Gongmin régnant de 1351 à 1374 pour que le recul mongol commence. Le général Yi Seonggye vainc les Mongols en 1364. Il s’attaque aux pirates japonais qui menaient des raids sur les côtes depuis le XIIIe siècle. Yi Seonggye organise la chasse aux pirates et éradique ce danger, ce qui lui vaut une grande popularité. Le roi Gongmin est assassiné en 1374 et la faction mongole prend le pouvoir. Elle paie tribut aux Ming à partir de 1384. Cette situation provoque la réaction du général Yi Seonggye est chargé du commandement de l’armée. Il prend le pouvoir en 1392, fonde la dynastie Joseon et ouvre un deuxième âge d’or coréen. Ce deuxième âge d’or qu’est la période Joseon est entre autre marqué par le règne du roi Sejong le Grand, fils de Taejong, deuxième roi de la dynastie. Le royaume s’étend. L’installation de colons consolide cette avancée territoriale. Les côtes sont pacifiées par la victoire définitive sur les pirates de Tsushima. Surtout, son règne marque la création de l’alphabet hangeul. Son but était de réduire le taux d’analphabétisme du pays. Bien que méprisée pendant plusieurs siècles, elle remplacera l’Hanmun, écriture utilisant les Hanja, qui sont des caractères chinois, dans les années 1900. Ces périodes sont encore aujourd’hui des références majeures pour tous ceux qui parlent de l’intérêt de la réunification.
La Corée contemporaine est également marquée par les mythes et les réalités de son identité, en particulier le Mont Paektu, Asadal, l’endroit où le soleil du matin brille, et autres Chosŏn. Au-delà de l’Histoire, l’identité commune coréenne tient effectivement à des légendes, des contes, des symboles et une civilisation commune qui constituent les bases intellectuelles et morales d’une possible réunification. Ces mythes et légendes sont régulièrement instrumentalisés par le régime nord-coréen, mais les Sud-Coréens ne sont pas insensibles à ces éléments sacrés de leur histoire. Dans son ouvrage La Corée dans ses fables, Patrick Maurus se propose de ne fonder notre réflexion sur ce pays que sur ce que les Coréens disent d’eux-mêmes, sans considérer a priori que ces Coréens existeraient ou seraient dotés d’une spécificité évidente. Il propose de prendre au sérieux et même au pied de la lettre ce que la Corée, les Corées disent d’elles-mêmes. Patrick Maurus précise aussi dans cet ouvrage que, selon le Nationaliste, « il n’y a qu’une Corée, pure et saine, divisée par la guerre froide (ou toute autre raison), les Coréens sont un seul et même peuple homogène, séparé par, au choix, la même guerre froide, l’histoire, la bêtise des dirigeants, les Autres, les Méchants ».
Il n’y a donc qu’une Corée et cette Corée possède les mêmes symboles historiques des deux côtés de la frontière. Ainsi, les monts Kumgang ou Kumgangsan ou Montagnes de diamant (ainsi appelés à cause du scintillement des monts au lever du soleil ; là où le soleil brille !) sont situés à 108 km au sud de Wonsan, dans le sud-est de la Corée du Nord et forment la partie septentrionale de la chaîne des monts Taebaek. Il s’agissait là d’un haut lieu du chamanisme coréen et ce mont est un symbole des liens de la péninsule avec la nature pour tous les Coréens. Pour cette raison, elle est devenue l’une des trois régions administratives spéciales de Corée du Nord et le principal site touristique potentiel de Corée du Nord. En effet, l’entreprise Hyundai Asan a lancé l’exploitation de circuits touristiques de visiteurs sud-coréens dans ces monts à partir de novembre 1998, après autorisation de Kim Jong-Il. En 2005, plus d’un million de Sud-coréens avaient visité ces montagnes dont tout l’équipement et l’énergie venaient de Corée de Sud. Ce projet traduisait certes l’engagement personnel de Chung Ju-Yung, fondateur du groupe Hyundai, originaire de cette région, mais il était aussi un moyen de reprendre langue des deux côtés pour créer un début de processus de rapprochement. Cette même année 1998, Chung Ju-Yung, dans un geste symbolique, a personnellement conduit 1001 têtes de bœufs en Corée du Nord, en traversant la zone démilitarisée (DMZ), pour « rembourser » une dette personnelle contractée lorsqu’il avait fui la Corée du Nord. Il allait alors négocier puis signer un contrat d’exploitation touristique de la région au nom du groupe Hyundai.
L’ensemble des redevances versées à Pyongyang s’élevait à 455 millions de dollars en 2007. Chaque visiteur déboursait au moins 700 dollars pour deux nuits sur place et Hyundai devait acquitter des droits d’entrée s’élevant à environ un million de dollars par mois. Or, en juillet 2008, les gardes du site touristique des monts Kumgang ont abattu une touriste sud-coréenne égarée dans une zone interdite. Cette affaire a mis fin, au moins pour le moment, à l’ouverture au sud des monts Kumgang.
Autre exemple, le mont Paektu ou Baekdusan est le point culminant de l’ensemble de la Corée à 2 744 mètres d’altitude. Il est situé à l’extrême nord de la frontière coréenne, à la limite de la Mandchourie chinoise. Il est considéré comme un mont sacré pour les Coréens et comme le berceau de leur peuple, lieu de naissance légendaire de Tangun, créateur de la nation coréenne. Le régime nord-coréen y fait allusion de manière répétitive en affirmant que Kim Il-Sung a commencé la résistance contre les Japonais sur ses contreforts et que Kim Jong-Il est né en 1942 sur ce lieu sacré de la civilisation coréenne (en fait, il est né en Sibérie dans la région de Khabarovsk).
Une photographie de Kim Jong-Un avait été prise sur cette montagne et diffusée le 20 avril 2015. Kim Jong-Un y exhortait les membres de son armée populaire à l’imiter pour faire le plein d’énergie mentale : « réaliser l’ascension du Mont Paektu fournit de précieuses nourritures mentales, plus puissantes qu’une arme nucléaire ».
L’instrumentalisation des mythes coréens par le régime nord-coréen est fréquente, au point parfois de confiner au grotesque. A titre d’exemple, en décembre 2012, la Corée du Nord annonça avoir retrouvé une ancienne tanière de licorne, à 200 mètres du temple Yongmyong, au centre de la capitale Pyongyang. La licorne aurait été chevauchée par TongMyong, roi du pays en 37 avant J-C. Un cheval légendaire, Chollima, symbole de la Corée, serait un cheval ailé symbolisant l’héroïsme et l’esprit combatif du peuple coréen avançant à la vitesse dite de Chollima. En Corée du Nord, il est devenu un symbole auquel se réfère le régime depuis 1956. Il a donné son nom au mouvement Chollima, un système chargé de motiver les travailleurs pour accroitre leur productivité et obtenir un développement économique rapide ; le « stakhanovisme » version nord-coréenne. Chollima est aussi le surnom de l’équipe de Corée du Nord de football, rappelant l’exploit de cette équipe à la coupe du monde de football tenue en Angleterre en 1966 lorsqu’elle est éliminée en quart de final face au Portugal, après avoir battu l’Italie [9].
La liste pourrait s’allonger d’autres symboles récupérés par les uns et par les autres. On peut citer Dangun, fils du ciel et créateur mythique de la Corée, qui aurait régné entre 2357 et 2255 av. JC, aurait fondé en 2333 av. J-C le royaume de Joseon et sa capitale Asadal ; une sorte de Kitège ou d’Ys nord-coréen [10]. Enfin, c’est également le cas de l’Amiral Yi Sun-Sin, célébré des deux côtés de la frontière comme héros national de Corée, dont la statue trône en plein cœur de Séoul, sur l’avenue Sejong, qui, à la fin du XVIe siècle, repoussa les Japonais à l’aide des bateaux tortue (sorte de cuirassé à voile) et mit fin à la guerre Imjin. Cette guerre Imjin (du nom de l’année où elle a été déclenchée, suivant la nomenclature du cycle sexagésimal) commence en avril 1592 et se termine en 1598 par la défaite de la flotte japonaise à la bataille de No-Ryang, bataille durant laquelle l’Amiral Yi perdit la vie. Il est donc le Nelson coréen.
Pour toutes ces raisons, les deux Etats coréens font de la réunification un impératif politique de première importance, alors que la péninsule coréenne reste invariablement au cœur des équilibres de sécurité les plus incertains à long terme de l’Asie. Sa partition et l’existence au Nord d’un régime totalitaire voulant procéder à la réunification par la force est un facteur d’instabilité récurrent. L’affaiblissement diplomatique et économique de Pyongyang, conséquence de la chute du bloc communiste, a fait de la survie du régime le principal objectif stratégique des autorités nord-coréennes, repoussant l’objectif de la réunification avec le Sud à plus long terme. La réunification reste un objectif partagé par les deux parties, mais les deux Corée en font plus un instrument tactique qu’une réalité stratégique. Pour la Corée du Nord, disposer de l’arme nucléaire constitue le seul moyen de se crédibiliser face à la superpuissance américaine et d’obtenir de Washington la reconnaissance diplomatique et la fin des restrictions datant de la Guerre froide dans les relations économiques, plus que de pousser à la réunification qui est de toute façon matériellement impossible aujourd’hui. Pour le Sud, il faut préserver l’essentiel, la prospérité économique.
Toutefois, même si la rhétorique nord-coréenne tourne largement autour de la question de la réunification, mais ce n’est pas le premier objectif du régime. La crise des années 1990 avait fragilisé le régime nord-coréen, expliquant la crispation du régime et l’accélération de son programme nucléaire et de ses revendications unificatrices. Avec un relief composé de 70% de montagnes et un climat continental à courte saison agricole, la survie de l’état a longtemps été liée au soutien des pays frères (Union des Républiques socialistes soviétique, l’URSS principalement), palliant autant la fourniture en matières premières (pétrole, gaz, charbon), que celle des produits manufacturés et alimentaires. L’effondrement du bloc de l’Est en 1989-1991 a engendré une forte diminution des productions économiques et des ressources énergétiques du pays. Les inondations de 1994 et 1995, la sécheresse de 1997 ont alors contraint le gouvernement à faire appel à l’aide internationale ; rendant d’autant plus fort le désir de revanche du régime nord-coréen. Cette revanche est venue avec le nucléaire, mais elle a sacrifié l’objectif historique du régime nord-coréen, la réunification.
De fait, les « aveux » de la Corée du Nord sur le développement d’une filière à l’uranium enrichi et des essais nucléaires réalisés entre 2006 et 2017 ont donné à la question nord-coréenne une dimension plus que jamais internationale, en éloignant toute perspective de réunification. Cette politique a montré où étaient les vraies priorités de la Corée du Nord : garantir la survie du régime des Kim, quoi qu’il en coûte, en dépit d’un cadre stratégique régional indiscutable marqué par les relations avec la Corée du Sud, des impératifs de sécurité contraires du Japon et l’intérêt de la Chine comme de la Russie de préserver la stabilité de l’Asie orientale et non de gérer un pays dangereusement proliférant. Le défi posé par ce « cas » nord-coréen a largement contribué à reposer la question de la crédibilité d’une réunification.
Le chantage nucléaire de Pyongyang comporte deux implications politiques majeures tant pour la réunification de la péninsule que pour la politique de la Corée du Sud. Désormais, et Pyongyang le sait, le processus d’unification ne pourra être accepté par la communauté internationale que si celle-ci est convaincue qu’il ne porte pas atteinte aux équilibres stratégiques interrégionaux et aux équilibres nucléaires internationaux, avec le dossier iranien en arrière-plan actuellement. La détention d’armes de destruction massive constituant une grave menace, le problème nord-coréen est donc tout autant politique que technique (prolifération) et doit être réglé dans sa globalité et non sur le seul point de la réunification. La Corée du Nord joue donc de cette question, sans en réalité manifester un intérêt véritable pour la réunification qu’elle sait d’autant plus difficile que son chantage nucléaire hypothèque toute avancée du dossier.
De son côté, la Corée du Sud balance entre la poursuite de la « Sunshine Policy », la patience stratégique et une politique de franche fermeté. Officiellement, la Corée du Sud est un partenaire majeur avec qui la Corée du Nord réalise un quart de son commerce extérieur, mais le rôle de la Corée du Sud dans la survie du régime nord-coréen revêt d’autres dimensions. Si le développement du commerce intercoréen est un phénomène relativement nouveau depuis la « Sunshine policy », il est rapidement devenu un pilier indispensable sans lequel l’économie nord-coréenne ne pourrait que continuer de régresser. Jusqu’à la fin de la Guerre froide, les échanges commerciaux entre les deux Corée ont été très faibles, voire inexistants. Grâce notamment à la politique d’ouverture du président Kim Dae-Jung (« Sunshine policy »), les exportations sud-coréennes ont fortement cru et mécaniquement déséquilibré la balance commerciale de la Corée du Nord.
Le déficit commercial du Nord vis-à-vis du Sud est ainsi passé d’une fourchette allant de 150 à 200 millions de dollars à la fin des années 1990 à 700 millions environ aujourd’hui. L’initiative de Séoul de développer le commerce intercoréen n’est donc que faiblement motivée par la recherche d’un profit économique. En réalité, elle tend à remplir un double objectif politique : éviter l’effondrement brutal du voisin et qu’il ne tombe dans une dépendance économique trop forte avec la Chine.
En 2014, près de 80% des exportations sud-coréennes vers la Corée du Nord (RPDC ou République populaire démocratique de Corée) étaient de nature non-commerciale. L’évolution de la nature des échanges commerciaux entre les deux pays est l’illustration du passage d’un type de partenariat commercial à une économie de l’assistance et du développement. Jusqu’en 1996, le textile était le premier type de produits importés par le Nord, rang désormais occupé par le riz et les engrais qui forment à eux seuls la moitié des produits importés par le Nord à son voisin. Le textile, les machines-outils légères et quelques produits manufacturés forment le reste des importations nord-coréennes en provenance du Sud, souvent sous la forme du « processing-on-commission », afin d’en réduire les coûts économiques et politiques.
Près de la moitié du commerce intercoréen est réalisé sous la forme d’un partenariat transfrontalier identifié sous le nom de « processing-on-commission » (POC). Les entreprises sud-coréennes, semi-privées ou publiques, font transiter des matières premières (le plus souvent des fibres textiles pour les 2/3 du POC) et des métaux vers les ateliers nord-coréens, qui s’occupent alors de les manufacturer, de renvoyer les produits finis en Corée du Sud et de toucher ainsi un dividende sur la valeur ajoutée. La Corée du Nord fabrique et revend ainsi plusieurs centaines de tracteurs par an à partir de matières premières sud-coréennes.
Le POC présente de nombreux avantages pour les deux parties. Il permet à la Corée du Sud de profiter d’une main d’œuvre peu qualifiée, très bon marché et ainsi de participer à la survie de l’économie nord-coréenne, sans donner l’impression de pratiquer une politique d’assistance humanitaire. Le POC est une source importante de devises étrangères pour le régime nord-coréen, particulièrement cruciale pendant les périodes de graves crises diplomatiques avec les Etats-Unis ou le Japon. Les économistes et diplomates américains ont compris que, pour la Corée du Nord, le POC représente une « alternative légale » aux trafics clandestins pour l’obtention de devises.
Du fait de ce volontarisme sud-coréen, les partenariats commerciaux entre les deux Corée offrent, en général, une étonnante résistance à la crise nucléaire. Ainsi, malgré la suspension régulière des discussions à six sur le nucléaire, les « Inter-Korean Economic Cooperation Promotion Committee Talks » continuent de se dérouler à un rythme régulier. La Corée du Sud affiche toujours sa volonté de relancer le projet de ferroutage transfrontalier avec son voisin (la ligne est construite et pourrait être opérationnelle, en dehors des convois allant à Kaesong) et a fait don de matériels industriels légers à la Corée du Nord à cet effet.
L’essentiel du budget de l’aide alimentaire internationale de Séoul se porte vers Pyongyang. Durant les grandes famines de 1995 à 2003, Séoul a fourni l’équivalent de 904 millions de dollars d’aide au régime nord-coréen. Selon les chiffres du Programme Alimentaire Mondial, cette tendance reste encore à la hausse aujourd’hui. La Corée du Sud se situe à la deuxième place mondiale des pourvoyeurs d’assistance alimentaire au régime nord-coréen avec une moyenne de 400 000 tonnes de denrées par an. A la différence notable de la Chine, premier contributeur, environ un tiers des fonds est collecté par les ONG sud-coréennes.
Elles forment un réseau très dense et sont généralement affiliées à la Croix Rouge ou à des ONG catholiques (National Episcopal Committee, Korean Rotary Foundation principalement) et bouddhistes (National Reconciliation Buddhist, Good Friends). La nature de l’aide apportée par les ONG sud-coréennes évolue selon la gravité de la crise et la conjoncture politique. Elle se compose en majorité de denrées de base (riz, blé, pommes de terre, œufs), d’engrais, de vêtements et d’une assistance médicale d’urgence.
Il est donc clair que la réunification fait a priori consensus dans les deux Corée. Toutefois, en pratique, tout les sépare selon de multiples théories politiques et économiques. La question de la reconstruction de la Corée du Nord domine le débat sur la réunification. Elle se posera immanquablement si les deux Corée sont effectivement réunifiées, mais elle n’est que marginalement abordée par les dirigeants sud-coréens en raison des implications politiques qu’elle sous-tend, sans même parler de la perception des Nord-Coréens sur un tel sujet. Cette question centrale est le plus souvent traitée au travers du thème plus général de la réunification, qui fait l’objet d’une littérature foisonnante formant un corpus de nature hétérogène, pour éviter aux dirigeants politiques coréens de mettre des chiffres derrière les réalités de la réunification.
Pourtant, trois approches permettent d’identifier clairement ce qui sépare les deux Corée en cas de réunification et la manière de procéder à cette réunification, en tenant compte des contraintes économiques et financières. Il s’agit des trois approches suivantes :
L’approche stratégico-politique est mise en avant par les think tanks Heritage Foundation, American Entreprise Institute et RAND. Pour l’économiste Nicholas Eberdstadt, il y a un besoin net d’anticiper très en amont les coûts et les solutions de financement d’une réunification. La réunification doit intervenir le plus tôt possible afin de neutraliser le régime communiste nord-coréen et les programmes nucléaires, cause de déstabilisation politique et économique de la région nord-est asiatique. La Chine doit jouer un rôle majeur dans la reconstruction économique de la Corée.
L’approche du « soft landing » est défendue par le Korea Institute for International Economic Policy et la majorité des centres de recherche japonais. L’intégration économique entre les deux Corée doit être maximum au moment de la réunification. L’économie nord-coréenne doit être réformée avant la réunification. Du type de système politique qui remplacera le régime nord-coréen dépendra le niveau d’investissement économique des différents acteurs.
Enfin, l’approche « économétrique » de l’Institute for International Economics (IIE), de la Banque Mondiale (BM), de la Banque Asiatique de Développement (BAD), entre autre représentée par les économistes Marcus Noland et Lawrence Summers montre l’importance de l’exemple allemand. Le coût de la réunification serait proportionnel à la différence de PNB entre les deux pays. La réunification doit être perçue avant tout en termes de coûts et bénéfices, les décisions politiques devant être adaptées à ces réalités. Des indices économétriques tels que le CGE (« Computable General Equilibrium ») ou le KIM (« Korean Integration Model ») sont utilisés pour simuler les scénarii possibles sans prendre formellement en compte les spécificités des systèmes politiques qui en découleraient. La réunification de la péninsule ne serait pas nécessairement catastrophique pour l’économie sud-coréenne à condition qu’elle intervienne le plus tôt possible, tout retard entraînant une hausse des coûts.
Il nous faut donc clairement relativiser la priorité accordée par les deux Etats coréens à la réunification. Il a été expliqué plus haut que les stratégies nord et sud-coréennes conduisaient de facto à un éloignement des perspectives de réunification. Pour la Corée du Nord, le nucléaire, et non la réunification, est la priorité et c’est même l’assurance vie du régime des Kim. Cette approche n’est pas nouvelle. L’intérêt du régime nord-coréen pour la question nucléaire remonte pratiquement à la création officielle du régime. En 1955, soit deux ans seulement après la fin de la guerre de Corée (1950-53), Kim Il-Sung envoie des scientifiques suivre des conférences sur le sujet à Moscou [11]. L’année suivante, Pyongyang signe un premier accord de coopération scientifique sur la question nucléaire avec le grand allié soviétique, puis, quatre ans plus tard, un autre accord avec la Chine. En 1964, le premier essai nucléaire réussi de la Chine attise toutes les convoitises de Pyongyang et la volonté d’imiter les deux références soviétiques et chinoises, dans un contexte de bipolarisation du monde mais également de tension grandissante au sein du même bloc entre Moscou et Pékin, devient une obsession pour le leader Kim Il-Sung.
Cependant, les progrès réalisés par le régime au cours des années 1960 sont très limités. La méfiance de Moscou et de Pékin pour le leader nationaliste nord-coréen Kim Il-Sung et ses ambitions nucléaires limite la portée de la coopération scientifique sur la question nucléaire. Certes, en 1965, Pyongyang reçoit de l’Union soviétique un petit réacteur nucléaire d’expérimentation, mais la très faible capacité du réacteurs en question (2MW), le rendant inapte à « produire une quantité de plutonium suffisante pour un programme nucléaire militaire » [12], la défiance de Moscou à l’égard d’un régime imprévisible qui, rappelons-le, avait agressé le Sud sans l’accord formel de Joseph Staline [13] et la situation d’isolement de Pyongyang au sein du bloc communiste laissent raisonnablement penser qu’il ne sera pas tâche aisée pour le régime nord-coréen d’acquérir la technologie et les matériaux nécessaires pour fabriquer une bombe.
Au cours des années 1970 et malgré ces obstacles, l’intérêt de Pyongyang pour la question nucléaire ne faiblit pas. Deux facteurs géopolitiques aggravants vont relancer les efforts du régime : la rupture sino-soviétique de la fin des années 1960, qui favorise les transferts croisés de technologie que provoque la mise en concurrence des deux grandes puissances communistes, et la compétition nationaliste auquel se livre Pyongyang avec la Corée du Sud, qui affirme elle aussi ses ambitions nucléaires. Toutefois, la crainte des deux grands de voir une péninsule nucléarisée fait prévaloir la logique des blocs sur la rivalité intercoréenne. Après sept années d’efforts soutenus de la part de Washington et la menace du Secrétaire de la Défense de l’époque du président Gerald Ford, Donald Rumsfeld, de revoir le spectre entier des relations des États-Unis avec la République de Corée, Séoul se résigne enfin à mettre un terme à ses ambitions nucléaires. Au sein du bloc communiste, Pyongyang est forcée par Moscou au mois de décembre 1985 à signer le traité de non-prolifération (TNP). Elle le quitte en 2002 pour d’évidentes raisons liées à la survie du régime.
Plus que la réunification et l’apaisement géopolitique, la Corée du Nord poursuit d’abord deux objectifs : la survie du régime et sa légitimation sur la scène internationale.
Les spécificités propres à la Corée du Nord ne doivent pas pour autant être oubliées pour rappeler à quel point ce régime est en recherche permanente de reconnaissance internationale. L’idéologie nord-coréenne, en particulier, est unique : à partir de 1970, elle a progressivement abandonné le marxisme-léninisme au profit du Juché, une philosophie qui consiste à affirmer l’indépendance face aux influences extérieures, voire l’autosuffisance, alors même que le pays dépendait totalement des aides de la Chine et de l’URSS jusqu’en 1990.
Le Juché exalte ainsi la coréanité et la volonté du peuple coréen, qui ne peuvent s’exprimer que par le leader, lui-même élu en quelque sorte par les éléments naturels. Aujourd’hui, la Corée du Nord est ainsi devenue une étrangeté idéologique, une sorte de régime autoritaire, nationaliste et délirant. C’est également un des régimes les plus militaristes au monde, avec une armée de 1,2 million d’hommes – c’est-à-dire qu’un Coréen sur 18 est soldat –, 10% du PNB officiellement consacré à la défense (il est en réalité au moins égal à 30% du PIB) – le ratio le plus important du monde –, et un arsenal balistique exceptionnel au vu des dimensions du pays.
C’est également un « Etat voyou », dans le sens que le régime lui-même organise officiellement des trafics de tout genre (héroïne, faux billets de dollars), protège des groupes terroristes, pratique lui-même le terrorisme (à travers par exemple l’enlèvement de citoyens étrangers, principalement des Sud-coréens et des Japonais), fabrique des armes de destruction massive et vend du matériel militaire, de préférence dans les points chauds du globe. La Corée du Nord apparaît donc comme une anomalie, un vestige quasi-intact de la Guerre froide, aussi est-il tentant de voir dans la question nucléaire nord-coréenne une problématique de cette époque [14].
La Corée du Nord est un exemple typique d’Etat qui trouve ses racines dans la Guerre froide, c’est-à-dire qui s’est créé à partir d’une partition idéologique : c’est aujourd’hui un des rares Etats de ce genre à perdurer, si on considère par exemple l’Allemagne et le Vietnam, qui sont réunifiés. Ce n’est pas le seul cependant, puisque Taiwan (Chine nationaliste) est toujours indépendant, bénéficiant de la protection des Etats-Unis.
Ce qui fait toutefois la spécificité nord-coréenne, c’est le fait que ce soit le seul Etat à avoir gardé aussi radicalement les attributs d’un régime communiste. La Corée du Nord est un régime dur, plus proche des régimes des années 1950 que de ceux de la fin des années 1980.
Le totalitarisme politique est toujours aussi fort : la propagande est générale et se traduit par une exaltation mystique du peuple coréen, une éducation idéologique et la pratique de l’autocritique et de la dénonciation. Le régime, qui se confond avec le Parti du Travail, a organisé un culte de la personnalité autour du « Cher Leader » Kim Jong-Il jusqu’à sa mort en 2011 – on compte par exemple 30 000 statues à son effigie dans le pays, sans parler des œuvres artistiques faisant son apologie – et de son père Kim Il-Sung, dirigeant du pays de 1948 à 1994.
Sur le plan économique, le dirigisme étatique reste la norme, même si un léger processus de libéralisation a été engagé, au moins en apparence, après 1998. Les biens de consommation les plus courants, auparavant distribués par l’Etat, peuvent être achetés individuellement. Les lopins individuels sont autorisés depuis 2002. Le Los Angeles Times a même pu parler en mai 2002 d’un « printemps de Pyongyang ». Il faut cependant faire attention à ne pas voir là une volonté de rompre avec le communisme : ces mesures répondaient à un objectif de consolidation et de pérennisation du régime. Elles sont souvent la simple reconnaissance d’états de fait (le marché noir est par exemple très développé) qui perdurent sous Kim Jong-Un. La Corée du Nord vit en quasi-autarcie. Ses exportations ne représentent pas 1% en valeur des exportations sud-coréennes. De plus, figurant sur l’Axe du Mal défini par les Etats-Unis en 2001, la Corée du Nord peine à trouver des investisseurs internationaux qui s’exposent à des sanctions américaines en cas de commerce avec Pyongyang.
Par ses caractéristiques propres, la Corée du Nord est donc le seul régime communiste à être resté aussi radicalement intact : la Libye du colonel Kadhafi avait entamé une ouverture économique après 2003 et a cherché à s’intégrer à son environnement, même si ce pays a rejeté en juin 2008 les propositions européennes de partenariat euro-méditerranéen et a aujourd’hui sombré dans la guerre civile à la suite des printemps arabes de 2011. Le Vietnam s’est modernisé et s’est largement ouvert au commerce international. La Chine s’est pour sa part radicalement métamorphosée en adoptant l’économie socialiste de marché inspirée du capitalisme. Cuba est peut-être le seul régime à pouvoir être comparé à la Corée du Nord, bien que le régime castriste soit plus un régime autoritaire qu’un régime totalitaire. Le régime du Myanmar (Birmanie) pouvait également être comparé à la Corée du Nord en termes d’isolement et d’anachronisme, mais il n’avait rien de communiste et n’a plus vraiment d’idéologie. La Corée du Nord, avec Cuba dans une moindre mesure, semble donc bien être le dernier Etat à demeurer dans une configuration spécifique aux temps de la Guerre froide.
La Corée du Sud cherche donc beaucoup plus à définir une puissance économique de dimension mondiale et une puissance stratégique de dimension régionale, sans lien avec la question de la réunification.
Comme souvent dans une configuration géopolitique compliquée, le jeu des acteurs est fréquemment plus complexe que les apparences. Les équilibres construits depuis 1953 dans la péninsule ont permis à la Corée du Sud de se développer, de s’intégrer à l’économie mondiale et, non pas d’oublier, mais de relativiser le poids de la menace du régime nord-coréen. Pour Barthélémy Courmont, les positions à Séoul sont le reflet d’une diversité d’approche des Sud-Coréens sur la question nord-coréenne et la réunification.
Ainsi, dans son article publié par Diploweb le 14 avril 2013, Barthélémy Courmont [15] rappelait que « côté sud-coréen, le déséquilibre est jugé rassurant, et la classe politique autant que la population peut continuer tranquillement à rêver de réunification, sans pour autant anticiper ce à quoi elle ressemblera, ce qu’elle coûtera, et ce qu’elle signifiera en terme de mutations économiques et sociales pour le Nord, mais aussi pour le Sud. Pendant ce temps, les faucons, les milieux les plus hostiles à Pyongyang, souvent nostalgiques du régime autoritaire de Park Chung-hee, et ardents opposants à la Sunshine policy, se disent qu’il est peut-être le temps de mettre un terme définitif au différend entre les deux Corées, en répondant aux provocations de Kim Jong-Un, et en le prenant au mot. L’équation est simple pour les faucons : puisque la Corée du Sud est certaine de remporter la guerre, pourquoi ne pas s’y engager, puisque c’est le souhait proclamé de Pyongyang ? »
La position des faucons de Séoul n’est toutefois pas partagée par la population sud-coréenne qui se concentre d’abord sur la réussite économique et universitaire. Pour l’essentiel, membre du G20, treizième puissance économique mondiale, la Corée du Sud cherche toujours plus à s’affirmer comme un membre actif de la communauté internationale et à devenir une puissance économique mature. La réunification est un obstacle à ce projet.
Comme le rappelle Arnaud Leveau dans son ouvrage géopolitique de la Corée du Sud (éd. Argos, 2014), « la Corée du Sud cherche à s’affirmer comme une puissance moyenne et se présente comme un pilier de la sécurité en Asie du Nord-Est, tout en voulant promouvoir son modèle de développement en Asie du Sud-Est ». La Corée du Sud n’appuie pas cette volonté sur du sable, sachant tirer profit d’un ensemble de facteurs, économiques, politiques ou culturels.
La Corée du Sud s’appuie sur sa puissance économique et ses « Chaebols » présents dans les secteurs clefs de la construction navale, de l’automobile, de l’acier, de la pétrochimie ou de l’électronique pour rentrer dans la compétition internationale. Ses quatre grands groupes (Samsung, Daewoo, Hyundai ou LG) ont acquis une visibilité mondiale et montent en gamme. Le pays s’est également doté d’une politique très volontariste en matière de recherche, à l’image du KAIST [16], mélange de CNRS et de Silicon Valley.
La stratégie de Global Korea décrite par Arnaud Leveau permet à Séoul de dépasser son cadre asiatique vers d’autres continents. La vague culturelle coréenne ou Hallyu se matérialise par le succès mondial de la K-pop dont le chanteur Psy est l’exemple le plus visible. En matière de cinéma, de bandes dessinées ou de jeux vidéo, Séoul joue son jeu et exporte la langue et la culture coréenne. Cette stratégie est payante en matière d’organisation de grands évènements internationaux : après les Jeux olympiques de Séoul en 1988 et la Coupe du monde de football en 2002, la Corée du Sud hébergera les Jeux olympiques d’hiver à Pyeongchang en 2018, à proximité de Séoul.
Dernier point important qui contribue à éloigner la Corée du Sud des objectifs de réunification, militairement, elle développe une politique d’armement ambitieuse et une industrie de défense capables de lui permettre de faire face à une agression nord-coréenne.
La Corée du Sud dispose aujourd’hui de l’une des armées les plus importantes du monde en termes d’effectifs : 5 155 000 soldats en 2013, dont 655 000 personnels actifs et 4 500 000 réservistes. Elle dispose surtout de multiples systèmes militaires de pointe qui lui confèrent un véritable avantage technologique et capacitaire pour se prémunir d’une éventuelle attaque conventionnelle venue du Nord.
Bien sûr, au-delà de la stratégie globale de la Corée du Sud et du Hallyu, ce pays donne régulièrement des signes contradictoires vis-à-vis de la question de la réunification. A titre d’exemple, le 17 mai 2007, Deux trains ont franchi jeudi la frontière intercoréenne pour la première fois depuis la guerre de Corée (1950/1953). Cet événement a été salué au Sud comme le symbole de la réconciliation entre les deux Corées toujours théoriquement en guerre. Chaque train transportait cent Coréens du Sud et cinquante Coréens du Nord. Il ne s’agissait que d’un test, la Corée du Nord ayant refusé d’accéder aux demandes de Séoul en vue de l’établissement d’une ligne ferroviaire régulière. L’événement fut considéré comme un symbole de la réconciliation entre les deux Corée, mais les trains ne circulent toujours pas en 2015.
Autre exemple, l’opération touristique déjà citée des Monts Kumgang [17]. Là aussi, les efforts sud-coréens n’ont pas été payés de retour et cette approche à petit pas de la réunification s’est révélée être un échec.
La réunification est donc bien une rhétorique avant d’être une réalité pratique. Une réunification de la péninsule coréenne poserait d’abord des problèmes juridiques et politiques inédits, non abordés lors de l’unification allemande (1990). Le modèle fédéral mis en place en Allemagne, après une phase de transition de moins de deux ans, constitue une source d’inspiration « théorique » indéniable pour une large portion des élites sud-coréennes, référence tenue le plus souvent secrète en raison des tensions diplomatiques avec le Nord. Deux difficultés « inédites » illustrent toutefois la spécificité du cas coréen et suggèrent que la phase de transition précédant une réunification intégrale de la péninsule devrait faire l’objet d’ardentes tractations entre Séoul, Washington, les pays composants le voisinage du régime et le reste de la communauté internationale :
La question du devenir des installations nucléaires nord-coréennes, de la succession des traités (TNP notamment) et de la sécurité de la péninsule.
La question de la personnalité juridique et politique de la nouvelle entité. La division de la Corée, parce qu’elle est issue d’une guerre (ce qui n’était pas le cas, rappelons-le, en ce qui concerne le cas allemand), devra faire l’objet d’un règlement juridique qui pourrait nécessiter la participation de la Chine et des Etats-Unis.
En cas de disparition du régime nord-coréen, un fort degré d’incertitude subsiste sur la durée de la phase de transition et sur la configuration politique que décidera Séoul (fédération, confédération, « provisorium » ou mise sous tutelle internationale). La réalisation effective d’une de ces configurations politiques, liste évidemment non exhaustive, dépendra en grande partie des circonstances liées à une disparition du régime nord-coréen (implosion ou explosion) et de l’état de l’économie sud-coréenne à cet instant. Il est en effet probable que le degré d’intégration politique entre les deux Corée soit lié avant tout à la capacité d’absorption économique de la Corée du Sud.
Pour la France, la réunification est souhaitable et Paris soutient cette option, mais les autorités françaises savent qu’elle reste aujourd’hui théorique. La France demeure, avec l’Estonie, le seul pays de l’Union européenne à n’avoir pas établi de relations diplomatiques avec la Corée du Nord. Particulièrement préoccupée par les problèmes de prolifération nucléaire et de droits de l’homme, la France a toujours tenu un discours intransigeant sur la non-prolifération en général (respect des engagements, intégrité du régime). La France se sent concernée par les équilibres de sécurité sur la péninsule coréenne à plus d’un titre. Elle est signataire de la Déclaration de Washington de juillet 1953 et serait tenue de se joindre à une éventuelle intervention militaire de l’ONU sur la péninsule en cas de nouvelle guerre de Corée. En tant que membre de l’Union européenne, elle a contribué au budget de la KEDO de 1995 à 2006, ainsi qu’aux efforts de l’Union européenne dans le domaine humanitaire, comme en témoigne la présence de l’ONG Première urgence à Pyongyang. La France entretient par ailleurs des relations politico-militaires suivies avec l’ensemble des puissances asiatiques concernées par la crise nord-coréenne. Les dialogues stratégiques franco-sud-coréen et franco-japonais, en mettant au centre des discussions la menace nord-coréenne, ont incité la France à s’impliquer dans la recherche d’une solution de sortie de crise qui garantirait la stabilité de la région d’Asie du Nord-Est, quelques soient les perspectives de réunification.
Deuxième idée, les divergences politiques, économiques et stratégiques entre les deux Corées sont appelées à durer.
La chute d’un régime politique ne survient pas nécessairement au moment du pic de la crise économique. Il est même courant que ce soit l’inverse qui se produise. Comme l’avait déjà souligné une spécialiste américaine de l’étude des famines, Sue Lautze, les situations d’extrême pauvreté affectent bien davantage les populations que le régime en place. Il ne paraît donc pas pertinent de miser sur une chute du régime en cas de nouvelles tensions économiques et sociales comparables aux années 1990.
Or, depuis 1990 et la chute des régimes communistes d’Europe, la thèse de l’effondrement prochain de la Corée du Nord s’est largement répandue parmi les observateurs étrangers, thèse soutenue principalement par les économistes américains, au point d’être devenue un véritable paradigme au sein de la communauté épistémique (« collapsist school »). Selon les prévisions de ces experts qui dataient pour la plupart du début des années 1990, le régime de Corée du Nord aurait dû s’effondrer entre 1995 et 1999, alors que le pays connaissait l’une des pires famines de son histoire connue sous le nom de « arduous march ». Si la Corée du Nord est effectivement dans une situation de crise économique permanente, force est de constater qu’à défaut de fonctionner, elle continue malgré tout d’exister. Comme on peut le constater, la Corée du Nord constitue un cas exceptionnel dans l’histoire qui suppose de revenir sur ce qui fait la résilience nord-coréenne et un obstacle à la réunification de la péninsule.
La division de la péninsule coréenne est de facto le dernier avatar de la Guerre froide et son actuelle situation est directement liée à la guerre de Corée. Le terme de « dernier avatar » est sujet à interprétation. Nous pouvons en effet entendre deux choses : nous pouvons comprendre le « dernier en date », c’est-à-dire le plus récent avatar à ce jour. Surtout, nous pouvons comprendre que c’est le dernier de la série au sens de l’ultime expression de la Guerre froide.
La guerre de Corée s’inscrit dans le cadre des conflits de Guerre froide entre le bloc occidental et le bloc soviétique qui se dessinent après 1947. Il en est le premier conflit, conflit global qui vient se greffer sur une problématique locale qu’est l’intérêt jamais démenti des grandes puissances régionales pour le sort de la péninsule coréenne depuis le début du XXe siècle. Symbole de la rivalité sino-japonaise puis russo-japonaise, la Corée se révèle à la suite du second conflit mondial un des théâtres de la lutte d’influence entre les Etats-Unis et l’URSS. Elle inaugure la politique américaine de containment énoncée par Georges Kennan dans son télégramme du 20 février 1946.
La reddition du Japon est signée le 2 septembre 1945 à bord du cuirassé USS Missouri. En février 1945, la conférence de Yalta pose le principe de l’entrée en guerre de l’URSS contre le Japon, volonté réaffirmée à Potsdam et qui se réalise à partir du 8 août 1945. Parallèlement, les puissances réaffirment leur engagement à accompagner la Corée, placée sous tutelle administrative japonaise à partir de 1941, vers l’indépendance. Or en août 1945, l’avance soviétique en Mandchourie puis l’entrée des troupes communistes en Corée conduisent les autorités militaires américaines à établir avec leurs homologues soviétiques une ligne de partage temporaire de la péninsule autour du 38ème parallèle.
C’est la ligne de partage qui recoupe approximativement aujourd’hui la frontière entre les deux Corée. En 1947, les Etats-Unis proposent donc, avec l’accord de l’ONU, la tenue d’élections dans l’ensemble de la Corée. L’URSS s’y refuse. A défaut, Syngman Rhee est élu président de la nouvelle République de Corée proclamée le 15 août 1948, sous contrôle américain. Le 3 septembre 1948, une Constitution est adoptée au nord et Kim Il-Sung devient Premier ministre. Le 12 septembre, l’URSS reconnaît la République démocratique et populaire de Corée, alors que l’ONU fait de même avec le République de Corée. La partition est entérinée. Soviétiques et Américains achèvent leur retrait en juin 1949.
Le 25 juin 1950, sans déclaration de guerre, les troupes nord-coréennes pénètrent en Corée du Sud, prétextant une agression des forces de la République de Corée. Les maigres troupes de Syngman Rhee sont rapidement balayées. Le 26 juin 1950, en l’absence du représentant soviétique qui en boycotte les réunions suite au refus de l’organisation de reconnaître la République populaire de Chine, est adoptée par le Conseil de sécurité une résolution condamnant l’agression nord-coréenne et exigeant un cessez le feu immédiat suivi d’un retrait au-delà du 38ème parallèle. Séoul tombe le 28 juin 1950. Le 27, le Conseil prend des sanctions économiques et militaires contre la Corée du Nord et décide d’une intervention sous bannière onusienne.
Après différentes opérations militaires où se succèdent des offensives américaines puis chinoises qui ne peuvent emporter la décision, les opérations militaires se figent sur la ligne « Kansas » au nord du 38ème parallèle, à partir de juillet 1951. Elles se prolongent pendant deux ans, alors même que les opérations continuent. La mort de Staline en mars 1953 permet de débloquer la situation. Malgré l’offensive du 13/14 juin 1953 destinée à impressionner Syngman Rhee et à le contraindre à négocier, malgré l’organisation par ce dernier de l’évasion de prisonniers nord-coréens réfractaires à un retour en zone nord, les deux parties arrivent à un accord. La Convention d’armistice est signée le 27 juillet 1953 à Pan Mun Jon. Est mise en place une zone démilitarisée, les prisonniers sont libérés. Le 26 avril 1954 s’ouvre à Genève une conférence sur l’Indochine et la Corée. Le 15 juin 1954, les protagonistes restent sur un constat d’échec, qui est aujourd’hui encore d’actualité avec la division de la péninsule.
La guerre de Corée est donc un conflit de Guerre froide et même le premier d’entre eux par sa situation géographique aux frontières des sphères d’influence respectives des deux blocs. C’est également un conflit moderne, de par les armements déployés et leur corollaire, un bilan humain catastrophique pour les deux Corée. On estime ainsi que 995 000 hommes furent mis hors de combat du côté onusien, dont 843 000 sud-coréens et 138 000 américains. De l’autre côté on avance des chiffres de 1 420 000. Les auteurs américains estiment par ailleurs les pertes civiles sud-coréennes entre 315 000 morts et 600 000 tués et disparus.
Elle marque une étape dans la réalisation progressive d’une stratégie d’alliances par les deux blocs. Ainsi plusieurs pays occidentaux envoient leur contingent en Corée, concrétisant ainsi leur association stratégique avec les Etats-Unis dans le cadre de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Ces derniers renforcent également leurs alliances en Extrême-Orient, avec les Philippines en 1951, avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande la même année (Australia, New Zealand, United States Security Treaty, traité ANZUS), alors que la Conférence de San Francisco qui permet la signature d’un traité de paix avec le Japon ancre encore plus fortement celui-ci dans le camp occidental.
62 ans après la fin du conflit, la Corée du Nord, création de la Guerre froide, inspire un sentiment d’anachronisme qui rend particulièrement forte la division psychologique et politique de la péninsule coréenne. Il convient de rappeler que la Corée du Nord, mais aussi la Corée du Sud, sont de pures créations des Etats-Unis et de l’URSS à la fin de la Seconde Guerre mondiale, au même titre que la RFA et la RDA en Allemagne. Staline, voyant que les Etats-Unis étaient sur le point de vaincre le Japon en août 1945, s’empressa d’engager ses propres troupes dans la bataille, qui pénétrèrent en Corée du Nord. Suite à une proposition américaine de co-administration de la Corée, il accepta cependant de les arrêter à hauteur du 38ème parallèle. Dans la zone qu’elle contrôlait, l’URSS mit alors rapidement en place un régime de type communiste (nationalisation de l’industrie, des banques, des transports, collectivisation de l’agriculture, parti unique) et les Etats-Unis, un régime économiquement libéral mais rapidement autoritaire sur le plan politique ; la libéralisation n’intervenant qu’en 1987.
La Corée du Nord vit en quasi-autarcie : ses exportations officielles s’établissent en moyenne à environ 2,2 Mds de dollars, là où les exportations sud-coréennes approchent 400 Mds de dollars. De plus, figurant sur l’Axe du Mal défini par les Etats-Unis en 2001, la Corée du Nord peine à trouver des investisseurs internationaux qui s’exposent à des sanctions américaines en cas de commerce avec Pyongyang.
La comparaison répétée avec la Guerre froide ne semble néanmoins pas pertinente pour expliquer la situation actuelle. Cette analogie ne doit pas tromper, et analyser la question nord-coréenne selon une grille de lecture datant de la Guerre froide ne paraît pas pertinent. L’objection majeure que l’on peut faire à cette interprétation est l’aide financière et alimentaire que les Etats-Unis, la Corée du Sud et plus largement la communauté internationale apportent à la Corée du Nord. Cette situation tranche en effet nettement avec la logique de la Guerre froide, dans laquelle chaque superpuissance était tenue de respecter l’inviolabilité du camp adverse, qui était en fait une chasse gardée de la superpuissance concurrente. Si le problème nucléaire nord-coréen devait effectivement s’inscrire dans une logique de Guerre froide, il faudrait donc que ce soit la Chine et non la communauté internationale qui fournisse de l’aide à la Corée du Nord. Les « pourparlers à six » ne pourraient par ailleurs exister, Pékin devant être l’unique interlocuteur de Pyongyang.
On peut également objecter à cette grille de lecture le fait que les caractéristiques de la question nord-coréenne se retrouvent dans d’autres régions du monde, sans lien avec la Guerre froide : ainsi l’Iran mène-t-il également une politique de développement nucléaire, et sent-il également menacé dans son existence par les Etats-Unis, sans que cela ne puisse être analysé comme une réminiscence de la Guerre froide. Il est en effet plus courant de lire ce problème comme un nouvel exemple de la crispation générale entre l’Occident et le monde musulman.
Les jeux d’influence en Ukraine depuis 2013-2014, pays tiraillé entre la Russie et l’Occident, ne répondent pas non plus à une logique de Guerre froide : ces conflits correspondent désormais à des luttes d’influences régionales, généralement entre les Etats-Unis et les puissances dominantes de la région. La Corée du Nord, bien qu’étant intérieurement le vestige d’un temps révolu, n’en est qu’une des expressions actuelles.
A l’inverse, en développant un arsenal nucléaire, la Corée du Nord applique une stratégie typique de la Guerre froide, c’est-à-dire la stratégie qui consiste pour un pays à avoir la Bombe pour assurer son indépendance et maintenir les ennemis idéologiques à distance. Pyongyang joue également sur une peur emblématique de cette époque.
Le régime de Kim Jong-Un développe une rhétorique anti-américaine qui peut rappeler la Guerre froide. En caricaturant, on pourrait dire que le discours antiaméricain typique de cette époque repose sur une opposition idéologique, tandis que le discours d’aujourd’hui s’appuie davantage sur une opposition culturelle. La séparation reste artificielle, puisque ces deux éléments sont le plus souvent mêlés. Reste que la rhétorique nord-coréenne présente régulièrement des relents de Guerre froide, par exemple en 2001 lorsque le « Cher Leader » Kim Jong-Il, parlant des Etats-Unis, déclare ceci : « nos ennemis essaient de coopérer avec nous et de faire des échanges… Mais ce qu’ils veulent en réalité, c’est détruire notre système de l’intérieur. Nous devons être prudents ».
La Corée du Nord, face au géant américain, bénéficie de l’appui de la Chine qui se sert de Pyongyang comme d’un moyen de pression sur les Etats-Unis et ces derniers peinent à s’imposer face à un petit Etat communiste, du fait que celui-ci est protégé par un grand « de l’autre camp », la Chine.
Au-delà des questions purement géostratégiques et de la relation Chine/Etats-Unis, la division est appelée à durer car le coût économique et social d’une réunification de la Corée serait faramineux. D’ailleurs, répondre à la question du coût économique et social de la réunification, c’est s’engager dans l’utilisation des « statistiques miroirs » pour comprendre ce qui se passe en Corée du Nord. En raison du manque de transparence et de la désinformation persistante à propos de l’économie nord-coréenne, les économistes ont recours aux « statistiques miroirs » (« mirror statistics ») pour détecter les grandes tendances de l’économie nord-coréenne, c’est à dire la collection puis l’agrégation des différentes données recueillies par les pays ayant des relations commerciales avec la Corée du Nord.
L’idée, très simple, est de pallier le manque d’information, politique ou économique, fournie par le régime nord-coréen en lui substituant celles, beaucoup plus fiables, réunies par les pays engagés dans des échanges avec la RPDC. Cette méthode est loin d’être parfaite dans la mesure où elle manque d’exhaustivité (elle ne concerne que le secteur commercial) et reste soumise elle-même à l’objectivité des pays « donneurs ». Cependant, elle permet de renseigner de manière satisfaisante sur les principales évolutions de l’économie nord-coréenne. L’étroitesse des liens commerciaux de la Corée du Nord, l’éventail restreint des activités économiques du pays et l’aspect rudimentaire de celles-ci font que les « statistiques miroirs » restent une méthode pertinente de diagnostic pour évaluer l’état du pays et la solidité du régime.
La difficulté d’évaluer la situation réelle de la Corée du Nord s’explique aussi par les spécificités économiques de ce pays qui dispose d’une structure socio-économique hors norme. En effet, la survie du régime est souvent mise en cause au titre de la faiblesse des résultats économiques de ce pays. Or, la résilience de l’économie nord-coréenne ne doit être ni mystifiée ni sous-estimée. En effet, malgré le poids des contraintes structurelles citées, auxquelles viennent s’ajouter d’autres facteurs de déstabilisation conjoncturels comme les aléas climatiques (typhons, inondations), il faut souligner l’étonnante résilience du régime aux crises économiques répétées. Cette résilience provient avant tout de la « simplicité » du modèle économique nord-coréen, basé sur l’endoctrinement et le contrôle total des populations par le régime et résultant en un processus de darwinisme social, comme illustré pendant la période de famine des années 1995/98 qui aurait éliminé près de 5% de la population.
Toutefois, la résilience de l’économie nord-coréenne s’accompagne également d’une dépendance accrue du régime à un nombre fini et de plus en plus limité de partenaires extérieurs. Il est ainsi probable que les taux de croissance positifs qu’aurait enregistré le régime au cours de dernières années de pouvoir de Kim Jong-Il traduisent moins le succès des réformes internes que le développement des trafics clandestins de Pyongyang (drogues, activités proliférantes, contrefaçons de devises étrangères) et les craintes d’un effondrement brutal du régime nord-coréen des gouvernements chinois, sud-coréen, japonais, américain, qui ont tour à tour contribué à l’envoi massif d’aide humanitaire en Corée du Nord.
Depuis l’écroulement de l’URSS, le commerce nord-coréen s’est d’abord réorienté vers les pays de l’Asie du Nord-Est et dans une moindre mesure, vers certains Etats d’Asie du Sud-Est. Cette évolution pouvait faire croire en une véritable régionalisation de son économie. Cependant, depuis l’éclatement de la seconde crise nucléaire en Corée du Nord après 2006, des pays comme l’Inde ou Singapour, qui avaient amorcé des échanges commerciaux avec la RPDC, se sont rapidement rétractés. La RPDC a recentré son commerce et évolue à présent vers un modèle des « trois tiers » : un tiers du commerce avec la Chine, un tiers avec la Corée du Sud et un tiers avec le reste de ses partenaires commerciaux (Russie, Japon, Thaïlande, etc.). Cette tendance doit toutefois être relativisée car elle ne correspond qu’à une perception purement quantitative des relations de la Corée du Nord. On peut classer les partenaires de la Corée du Nord qualitativement en trois groupes : les partenaires « vitaux » (Chine, Corée du Sud), les partenaires « spéciaux » (Russie, Japon) et les partenaires « clandestins » (Pakistan, Iran, Syrie).
Les différences économiques, sociales, politiques et structurelles majeures pèsent de tout leur poids sur la Corée du Sud en cas de réunification. Le gouvernement sud-coréen devrait imaginer et mettre en place un plan de financement spécifique afin d’amortir au maximum les coûts élevés de la réunification. Dans un premier temps, c’est l’Etat sud-coréen qui serait le principal créancier de la reconstruction du Nord. Une étude de la Rand estime, à titre d’ordre de grandeur, que la réunification et la reconstruction de la Corée du Nord pourrait être financée à hauteur d’un tiers par l’Etat sud-coréen et les grandes entreprises semi-privées du pays. Afin de disposer d’une marge de manœuvre budgétaire supplémentaire, Séoul pourrait émettre des titres de rentes (ou de rentes sur l’Etat) et décider la hausse des prélèvements fiscaux. Des représentants sud-coréens et chinois auraient également lancé l’idée de créer un « fonds d’investissement de prévoyance pour la réunification », par épargne ou par capitalisation, afin de permettre à Séoul de disposer d’une marge de flexibilité budgétaire et donc d’éviter les hausses brutales de la pression fiscale dans l’éventualité d’une réunification. Pour l’heure, ce fonds de réunification reste à l’état d’ébauche.
A la manière de l’unification allemande (1990) où l’impulsion fut donnée par le secteur public, l’Etat sud-coréen et les grandes entreprises semi-publiques sud-coréennes (de type « Chaebols ») auraient la responsabilité de redéfinir intégralement et sans délai la relation entre les secteurs public et privé émergent nord-coréens, afin, notamment, de favoriser l’injection de capitaux sud-coréens au Nord. Un plan de privatisation de l’économie nord-coréenne, inspiré du modèle allemand et placé sous le contrôle de l’administration centrale sud-coréenne, devrait probablement être lancé. Dans cette optique, les grandes firmes sud-coréennes seraient sans doute chargées de piloter la privatisation des sociétés publiques nord-coréennes situées dans leur secteur d’activité et de les reconvertir dans des filières plus spécialisées. Une institution, sur le modèle du Treuhandanstalt allemand, pourrait être créée afin d’encadrer le processus de privatisation.
Malgré ces initiatives, la marche de manœuvre budgétaire de Séoul ne sera probablement pas aussi élevée que celle dont disposait le gouvernement ouest-allemand en 1990. Le modèle économique libéral de la Corée du Sud est, de surcroît, peu adapté à l’émission massive de titres de rentes ou d’obligations. Rappelons enfin que la population sud-coréenne se déclare réticente ou très réticente à payer un surplus fiscal pour la réunification selon de multiples sondages.
Le départ de Kim Dae-Jung et la fin de la politique du « rayon de soleil » (« Sunshine policy ») en 2002 ont marqué un fléchissement significatif des initiatives politiques de rapprochement entre Séoul et Pyongyang. Depuis le sommet intercoréen de juin 2000, aucun geste de réconciliation notable n’a été entrepris par Séoul. Toutefois, comme il été précisé précédemment, une politique d’assistance économique et humanitaire de grande envergure a été lancée par le président Roh Tae-Woo dans les années 1990 et maintenue en grande partie malgré la persistance de la crise géopolitique jusqu’à aujourd’hui.
Pour Séoul, les estimations des coûts de reconstruction de la Corée du Nord et de la réunification de la péninsule sont communément comprises entre 1 000 et 3 000 milliards de dollars sur dix ans. Les estimations établies par différents instituts, centres de recherche ou institutions financières sont nécessairement très fluctuantes du fait du degré d’incertitude subsistant sur l’état de l’économie nord-coréenne, des issues possibles à la crise nucléaire et du « timing » de la réunification. Toutes les études s’accordent toutefois sur les points suivants :
. Les coûts de la réunification coréenne seront, selon toutes vraisemblances, beaucoup plus élevés que dans le cas de l’unification allemande.
. Les coûts seront d’autant plus élevés que l’écart de richesse par habitant entre les deux Corée continuera de s’élargir. En 2014, le PNB par habitant en Corée du Sud était près de 20 fois supérieure à celui du Nord, alors qu’il existait un différentiel de 3 entre les deux Allemagne au moment de l’unification. Étant donné l’évolution diamétralement opposée des économies des deux Corée, le coût potentiel d’une réunification devrait encore augmenter à mesure que la division persiste.
Devant l’ampleur des problèmes, la priorité pourrait être donnée au secteur agroalimentaire et à la réforme des infrastructures critiques et non à la restructuration générale de l’industrie. Des économistes sud-coréens estiment qu’une restructuration du secteur industriel nord-coréen, inspirée de la méthode de la « thérapie de choc » entraînerait une chute brutale dans la production, tout en favorisant le chômage de masse, deux phénomènes que Séoul redoute par-dessus-tout. La reconversion de l’industrie est-allemande avait, en effet, été l’une des priorités de l’Etat allemand. Le niveau de production de cette dernière était passé en six ans de 19,6% à 50,7% du niveau de l’industrie ouest-allemande, soit une progression spectaculaire de 31 points. Par contraste, le réseau des transports n’avait subi qu’une amélioration quantitative équivalente à une hausse de 12 points au cours de la même période. Il est probable que dans le cas coréen, les priorités seraient inversées.
La politique monétaire de Séoul ne pourrait que conduire au rejet d’un plan de parité immédiate entre le won sud et nord-coréen. Les risques de perturbation du système monétaire coréen et le spectre d’une propagation d’une seconde crise financière, après celle de 1998, à l’ensemble de l’économie asiatique constituent deux des craintes principales des dirigeants et des milieux d’affaires sud-coréens, américains et japonais. L’aspect sans doute le plus controversé de la politique de réunification d’Helmut Kohl à Séoul reste la décision de rétablir la parité entre l’Ostmark et le Deutschemark dès le mois de juillet 1990, alors que le différentiel entre la valeur réelle de la monnaie ouest et est-allemande était estimé à près de 400%. Pour Clifford Combs [18], économiste à la Banque Mondiale, la politique de parité aurait, in fine, favorisé l’inflation et la hausse des taux d’intérêt en Allemagne. La pression des places financières asiatiques et américaines, la crainte de Séoul de perdre le crédit gagné depuis vingt ans auprès des instances financières internationales et surtout, la possibilité d’amortir les déséquilibres et les coûts de la réunification induite par le maintien d’un taux de change flexible entre les Won pourraient motiver Séoul à reporter l’exécution d’un plan de parité monétaire en cas de réunification.
Le degré de préparation de Séoul et de Pékin à l’hypothèse d’une chute du régime nord-coréen reste encore très incertain. Dans le contexte de tensions diplomatiques grandissantes à propos du problème nucléaire nord-coréen, toute question associée à une hypothèse d’un changement de régime fait l’objet de la plus grande discrétion de la part des élites et n’est abordé que sous le terme générique de « réunification ».
Au nord, très probablement doté de l’arme nucléaire, le régime joue actuellement et comme à son habitude la stratégie de la forteresse assiégée ; ce qui correspond aussi à la réalité d’un pays isolé.
Comme suite au tir de sept missiles et surtout à l’essai nucléaire souterrain revendiqué par le régime nord-coréen en septembre 2006, le Conseil de Sécurité des Nations unies a voté à l’unanimité le 17 octobre 2006 la résolution 1718, première mesure contraignante prise multilatéralement par la communauté internationale à l’encontre de la Corée du Nord depuis le début de la crise nucléaire à la fin des années 1980. Les sanctions prononcées par le Conseil de Sécurité pourraient priver le régime nord-coréen de 5% supplémentaires de ses revenus et ont provoqué « un effet de cliquet » sur certains de ces partenaires stratégiques comme la Chine et la Russie, qui ont consenti pour la première fois au vote de sanctions contre la Corée du Nord. En outre, par son comportement récurrent, Pyongyang a probablement hypothéqué toute chance d’un assouplissement des embargos bilatéraux imposés par Washington et Tokyo ; ce qui correspond de toute façon à la ligne suivie par Donald Trump.
La Corée du Nord est aussi un pays isolé par la vétusté de ses infrastructures. Elle ne tire que très peu de bénéfice de son voisinage, pourtant très dynamique d’un point de vue commercial. Près des ¾ des transports sont assurés par chemin de fer, 18% par bateau, seulement 8% par route et la voie aérienne est quantité négligeable. Le niveau de sous-développement du réseau des transports nord-coréens n’est que partiellement reflété par ces chiffres. Bien que le réseau ferré soit dense (5 235 km) et que 79% des voies ferrées soient électrifiées, une proportion minime de trains nord-coréens fonctionnent à l’électricité. L’écrasante majorité des transports est assurée par train à vapeur dont la vitesse ne peut dépasser les 40 km/h. De même, seules 4% des routes sont recouvertes d’asphalte. Enfin, les ports ont une capacité de déchargement trop faible (35 millions de tonnes de marchandises en moyenne) pour pouvoir permettre un déploiement rapide d’une assistance à la reconstruction en cas de réunification. Un seul des six ports principaux de Corée du Nord, à Chongjin, dispose de capacités pour les containers.
Malgré sa prétendue autonomie (la doctrine du Juché) et la faiblesse de ses exportations, la Corée du Nord reste très dépendante de l’extérieur. Elle doit importer un nombre important de biens et services, notamment des denrées de base (riz, eau), des fertilisants agricoles, de l’énergie et du textile. La Corée du Nord importe beaucoup plus qu’elle n’est en mesure d’exporter et en conséquence, la balance commerciale de la Corée du Nord est, au moins depuis les années 1970, historiquement déficitaire. Cette tendance lourde s’est confirmée depuis quinze ans. La valeur nominale des importations a évolué entre 3,5 milliards de dollars par an alors que celle des exportations évolue autour de 2,2 milliards de dollars.
En 2000, le taux d’importation par rapport à l’exportation avait atteint le chiffre de 283% ; ce qui plaçait la Corée du Nord parmi les derniers de la liste dans le monde. Elle se classait alors 150ème sur 158 sur la base de ce critère, derrière le Burkina Faso et devant le Rwanda. La dette extérieure de la Corée du Nord s’alourdit et atteint plus de 15 milliards de dollars. Les principales « victimes » de cette balance déséquilibrée sont ses plus proches voisins et principaux créanciers, la Russie, la Chine et la Corée du Sud. La Corée du Nord a obtenu l’annulation de 90% de sa dette par la Russie.
En réalité, la Corée du Nord dépend étroitement de la Chine pour le commerce bilatéral et les investissements, leurs relations économiques ont augmenté notablement en 2013, mais elles sont désormais en recul du fait des tensions géopolitiques apparues au premier trimestre 2017.
Si la position américaine reste favorable à la perspective de réunification de la péninsule coréenne, ces éléments très défavorables venus de Corée du Nord contraignent les Etats-Unis à la prudence. Ce pays est certes le protecteur de la Corée du Sud et l’interlocuteur avec lequel la Corée du Nord aimerait discuter de manière privilégiée, mais si le régime de Pyongyang venait à disparaître, emportant avec lui la menace balistique et nucléaire nord-coréenne dans la région, les Etats-Unis conserveraient une obligation morale et juridique à l’égard de la sécurité du territoire sud-coréen. Dans l’article III du traité de défense mutuelle, signé le 1er octobre 1953 par les Etats-Unis et la Corée du Sud, il est mentionné qu’une réunification consécutive à l’effondrement du régime nord-coréen aurait a priori pour conséquence d’obliger Washington à maintenir ses garanties de sécurité envers un gouvernement d’une Corée réunifiée. S’il semble qu’à l’heure actuelle, les Etats-Unis souhaitent maintenir une grande partie de leurs troupes sur la péninsule même en cas de réunification et contrairement à ce qu’avait affirmé Donald Trump durant la campagne présidentielle, cette position ne semble pas nécessairement inflexible. En 1996, un rapport de la RAND commandé par le Pentagone soulignait la possibilité d’une coopération défensive entre Américains et Sud-coréens après la réunification, avec une préférence pour une « structure régionale de sécurité », en coopération avec les alliés de Séoul et Tokyo, même si l’idée d’un désengagement stratégique de la péninsule, où les troupes américaines seraient positionnés à l’extérieur du périmètre incluant la Corée et seraient projetées à l’intérieur du cercle en cas de nécessité, semble exister.
Malgré tout, la perspective d’une réunification, à Washington, semble encore lointaine. L’hypothèse de voir disparaître un Etat tampon entre la Chine et la Corée du Sud et donc que les troupes américaines puissent se retrouver contiguë avec celles de la Chine, nécessiterait des efforts considérables de l’administration américaine, comme l’élaboration d’un plan de repositionnement des troupes du côté américain et peut être un accord avec Pékin. De plus, le creusement du déséquilibre économique entre les deux Corée et le coût potentiel d’une éventuelle réunification incitent toujours Washington à la plus grande réserve. Il est possible que l’initiative de Washington de mettre en place des « discussions à six » dans la région serve à favoriser une concertation régionale à ce sujet. Le format des négociations choisi par Washington semble en tout cas indiquer la ferme volonté de cette dernière de ne pas voir l’axe Washington-Tokyo-Séoul devenir l’unique source de financement de la reconstruction de la Corée en cas de réunification.
Troisième et dernière idée, de fait, et malgré l’existence de scenarii d’évolution, la réunification de la péninsule coréenne et son apaisement géopolitique restent des objectifs lointains car aucune des grandes puissances de la région, et surtout pas la Chine, n’a finalement intérêt à voir la Corée se réunifier.
En cas de disparition officielle du régime nord-coréen et de réunification, l’anticipation des coûts de reconstruction à court et moyen termes est une opération intimement liée à la nouvelle configuration politique qui sera mise en place sur la péninsule. Trois grands scénarii sont envisageables : les deux gouvernements pourraient décréter de mettre en place un processus concret de réunification de la péninsule ; le régime nord-coréen pourrait s’effondrer et entraîner une réunification forcée et rapide ; le statu quo est maintenu vaille que vaille dans la région.
Quelles que puissent être les raisons d’une réunification, on peut s’attendre à une intense lutte d’intérêts entre les différents acteurs et notamment entre la Corée du Sud, la Chine, les Etats-Unis, le Japon et la Russie. Une des modalités centrales des négociations de réunification, qui conditionnerait la suite des étapes, concerne la sécurité de la péninsule pendant la phase qui suivrait la chute du régime nord-coréen. Il serait probable que des troupes sud-coréennes et du voisinage pénètrent dans la partie Nord sous mandat des Nations unies, mais le souvenir de 1948, lorsque la division de la péninsule coréenne avait été instituée sous l’égide des Nations unies, est susceptible d’inquiéter une frange de la population sud-coréenne et surtout la Chine. Les sous-scénarii envisageables dépendront bien sûr du degré de volonté de Séoul de réunifier la péninsule à ce moment-là, de la neutralité chinoise et donc en grande partie des circonstances dans lesquelles le régime nord-coréen a disparu. Comme l’exemple allemand l’a suggéré, une réunification de la péninsule ne pourrait sans doute pas être unilatéralement décidée par le Sud, même si la partie nord n’est plus en mesure de s’y opposer. A moins d’être capable de supporter intégralement le coût de la réunification et d’assurer la sécurité de la péninsule, ce qui semble très improbable, Séoul devra certainement céder au moins temporairement, une part de sa souveraineté en échange d’une coopération des pays voisins et vraisemblablement d’autres membres de la communauté internationale comme ceux de l’Union européenne. Les tractations devraient alors être immédiatement lancées dans deux grandes directions : la sécurité sur la péninsule avec la question du nucléaire, le contrôle des frontières et des flux d’immigrants nord-coréens pendant les premières mois de la réunification ; les systèmes politiques envisageables pendant la phase de réunification de la Corée.
Le scénario confédéral, parfois évoqué, reste certes politiquement acceptable pour les deux parties, mais il n’est guère crédible.
La politique d’unification poursuivie par l’Allemagne est souvent critiquée à Séoul pour avoir fait de la restauration de l’équilibre économique entre les deux parties une fin en soi. Pour une majorité des économistes sud-coréens, l’objectif principal de Séoul en cas de réunification, devrait être le redressement de l’économie nord-coréenne et non la convergence des deux parties vers un équilibre. Séoul s’inquiète d’un possible « nivellement vers le bas » de son économie après la réunification et l’option confédérale pourrait dans ce cas constituer une solution acceptable pour la population sud-coréenne.
L’idée que le travail de trois générations pour faire du pays la 13ème puissance économique mondiale puisse être remis en question par une politique égalisatrice à l’égard du Nord est susceptible de provoquer de fortes oppositions au sein des milieux d’affaires et de la population, à la différence d’un processus lent et progressif. Certaines mesures sont particulièrement craintes au sud, en particulier la politique des « hauts salaires » (politique d’attractivité salariale hausse du niveau des revenus de la population active nord-coréenne sans l’indexer sur la productivité réelle du travail pour limiter l’exode des populations), les mesures de restitution des droits de propriété au Nord, sur la base juridique ante divisio ou la fusion des systèmes de sécurité sociale des deux parties. Ces mesures, jugées irréalisables par nombre d’économistes sud-coréens, expliquent l’existence d’un scénario confédéral sudiste, très différent par ses origines du scénario confédéral nordiste plutôt destiné à garantir la survie des Kim et de leur entourage en cas de rapprochement des deux Corée.
A l’inverse du modèle d’absorption immédiate de l’Allemagne et à la différence d’une mise en place accélérée d’un système fédéral, la voie confédérale ne serait pas nécessairement une étape à écarter pour une réunification officielle des deux Corée. La confédération pourrait être envisagée comme le stade très avancé, voire final, dans le processus d’intégration du Nord et serait à ce titre, davantage qu’une solution provisoire. Dans cette hypothèse, il est possible d’imaginer que Panmunjeon [19] devienne la capitale d’une confédération coréenne formée des deux régions Nord et Sud, selon la ligne de partage déjà existante. Le degré d’intégration de la partie Nord au sein de ce système confédéral pourrait varier d’un modèle proche d’une fédération à deux régions (armée commune, élections générales des représentants politiques nationaux dans les deux régions, représentation diplomatique unique, etc.) à une structure minimaliste, où les deux régions possèderaient une grande marge d’autonomie sur le plan politique, diplomatique, juridique et économique. En quelque sorte, le modèle confédéral pris dans sa forme la plus légère, correspondrait au degré le plus avancé du rapprochement et de la réconciliation entre les deux Corée, sans toutefois signifier une réunification complète de la péninsule.
La mise en place d’un tel système a été suggérée de manière officielle par le régime nord-coréen depuis plusieurs décennies [20], projet portant le nom de fondation de la « République Démocratique et Confédérale de Koryo ». Pensée à l’origine comme un moyen d’exclure les forces étrangères et notamment les Américains de la péninsule, la confédération a ensuite été défendue par le régime nord-coréen comme l’alternative au modèle allemand de réunification par absorption. Le modèle confédéral pourrait être perçu par le gouvernement sud-coréen comme une solution de compromis, la plus susceptible d’assurer la continuité des réformes entamées dans le Nord.
Les deux parties constitueraient une cloison relativement étanche entre les deux économies. Dans le cas où le régime nord-coréen perdurerait pendant une longue période ou si le courant volontarisme politique pro-réunification venait à s’essouffler au Sud, le modèle confédéral gagnerait sans doute des partisans.
La mise en place d’un système confédéral serait cependant perçue avec suspicion par Tokyo et Washington qui redouteraient la création d’un nouveau régime communiste ad hoc. La question du choix des dirigeants et du degré d’autonomie politique laissé au Nord sera donc capitale. L’établissement d’une confédération impliquerait une refonte de l’architecture administrative et politique, certes moins importante que dans le cadre d’une réunification complète, mais qui devrait passer par un amendement de la constitution sud-coréenne afin de faire coexister les deux entités distinctes, une étape qui causerait de sérieuses oppositions à Séoul non seulement en raison du passé mais aussi des difficultés à remettre en cause le modèle très centralisé de la Corée du Sud.
Cette formule, mise en avant durant la période de la « Sunshine Policy », n’est pas viable. Il paraît peu probable qu’une Corée réunifiée puisse immédiatement prendre la forme d’un Etat confédéral ou fédéral du fait des complications juridiques induites par la chute du régime nord-coréen. En effet, même si la division de la péninsule a été décidée à la fin de la Seconde Guerre mondiale par les mêmes puissances alliées que dans le cas allemand (à l’exception notable de la France, absente des négociations), la situation a ensuite été bouleversée par le déclenchement de la guerre de Corée. Les forces chinoises et soviétiques ont soutenu la Corée du Nord contre les troupes sud-coréennes, américaines et d’autres pays rassemblés sous le commandement des Nations unies. La guerre de Corée s’est achevée sur la signature d’un armistice que Séoul n’a pas signé et qui n’a toujours pas été remplacé par un traité de paix, malgré les efforts entamés par les Etats-Unis, la Chine et les deux Corée à ce sujet dans le cadre du « four party process » créé en 1996. Largement évoqué durant la phase de Sunshine policy, la mise en place d’un système fédéral ou confédéral en Corée sur un modèle par exemple inspiré de l’Allemagne requiert, en théorie du moins, la signature d’un traité de paix intercoréen et donc la participation des Etats-Unis et de la Chine à ce processus. Le cas échéant, un modèle basé sur le 2+2 pourrait être envisagé. Toutefois, l’Union soviétique étant l’un des signataires de l’armistice de 1953, la question de la succession des traités signés du temps de l’Union soviétique se poserait alors. La Russie pourrait ainsi revendiquer sa participation à un système de 2+3 pour créer ce nouveau système politique en Corée, bloquant peut-être par avance tout soutien de la Corée du Sud et des Etats-Unis à ce processus.
Autre élément susceptible de retarder l’instauration d’un système coréen commun, la question à terme de l’autodétermination des populations coréennes. A la différence de l’Allemagne, il serait inenvisageable que des élections libres puissent être organisées dans la partie Nord du territoire après 72 ans de régime dictatorial. De même, une longue phase d’apprentissage des règles de vie dans un Etat de droit démocratique serait nécessaire avant qu’un système confédéral cohérent puisse être mis en place. Il faut souligner que la Corée du Sud n’est elle-même sortie de la période de transition démocratique que récemment (en 1987) et a pendant longtemps été dirigée, soit par un dictateur (Syngman Rhee), soit par des dirigeants militaires.
Les nombreux scandales politiques, encore récemment, rappellent que la démocratie sud-coréenne a elle-même ses propres problèmes. Si une réunification devait avoir lieu dans le court terme, la mise en place précipitée d’un modèle confédéral serait traumatisante pour la population nord-coréenne et pourrait s’avérer globalement très risquée. Le déséquilibre économique et démographique entre les deux Corée catalyserait ce risque. Il est peu probable que Séoul accepte un tel scénario qui créerait une Corée à deux vitesses et serait facteur de ralentissement au Nord. Les sondages paraissant régulièrement dans la presse sud-coréenne font état de véritables hésitations de l’opinion publique sud-coréenne par rapport à l’hypothèse d’une réunification selon un tel scénario.
A mon sens, le seul scénario crédible d’une éventuelle réunification reste celui d’une opération « apocalyptique » provoquée par l’effondrement puis l’absorption du Nord par le Sud.
Or, un effondrement non-anticipé du régime nord-coréen aurait des conséquences considérables sur l’équilibre régional nord-est asiatique, avec des répercussions possibles sur les économies américaine et européenne.
Une chute du régime nord-coréen est susceptible d’engendrer des flux migratoires de grande ampleur : plusieurs millions de Nord-coréens pourraient fuir le territoire en direction des trois États frontaliers (la Corée du Sud mais aussi la Chine et, dans une mesure probablement moindre, la Russie). Ces déplacements de populations pourraient s’accompagner d’une crise humanitaire majeure : aucun signe ne laisse aujourd’hui présager, par exemple, que la Chine se montre prête en cas de chute du régime nord-coréen, à faire entorse à sa politique restrictive vis-à-vis des immigrés nord-coréens et à accueillir massivement les populations en exil. Du fait de la présence de plus d’un million de mines anti-personnelles le long de la ligne de démarcation entre les deux Corée, le « retour » des populations nord-coréennes au Sud posera des problèmes de sécurité majeurs. Dans ce cadre, il est possible que la région russe de Vladivostok puisse servir d’asile temporaire pour une portion de la population nord-coréenne fuyant le territoire nord-coréen.
Même si sur le moyen et le long termes, l’intégration des travailleurs nord-coréens les moins qualifiés au sein du marché du travail sud-coréen pourrait se révéler plus aisée que dans le cas allemand en raison du déficit croissant de main d’œuvre en Corée du Sud, l’arrivée de flux d’immigrés nord-coréens en Corée du Sud et en Chine provoquera un choc exogène susceptible de provoquer une déstabilisation majeure des places financières chinoises, sud-coréennes et japonaises. Les risques de contagion d’une crise économique nord-est asiatique vers les Etats-Unis et, à une moindre mesure, vers l’Europe, semblent d’autant plus réels qu’une chute du régime nord-coréen risque d’engendrer des tensions diplomatiques entre Pékin, Washington, Séoul et Tokyo au sujet de la réunification coréenne.
Pour éviter de voir complètement disparaître la Corée du Nord, l’énervement croissant de Pékin à l’égard de Kim Jong-Un pourrait pousser la Chine à soutenir un putsch interne. Mais d’éventuelles rivalités de factions entre Nord-Coréens et la fragilité du pays pourraient permettre d’imaginer un scénario d’effondrement du régime et la mise en place accélérée d’un système fédéral par absorption du Nord par le Sud. C’est en quelque sorte la « Big Bang Theory ». Selon ce scénario, le régime nord-coréen s’effondrerait et le gouvernement sud-coréen se montrerait immédiatement favorable à une réunification politique. Ce scénario reviendrait en quelque sorte à juxtaposer dans un laps de temps très court deux phases successives.
La première phase verrait le régime nord-coréen imploser, comme dans le cas de l’Union soviétique (1991) par exemple, avec une seconde phase d’absorption territoriale de la partie Nord, comme dans le cas allemand. Séoul deviendrait la capitale d’une Corée réunifiée comportant plusieurs régions jouissant chacune d’une certaine autonomie politique. La Chine aurait alors joué à l’apprenti sorcier.
Evidemment, il existe un précédent historique, l’unification allemande (1990), sans toutefois l’aspect insurrectionnel proposé pour un tel scénario. Il est possible d’imaginer qu’à la suite du précédent allemand, les autorités sud-coréennes décident de faire pression sur les Etats-Unis et la Chine pour qu’un texte inspiré du traité de Moscou soit rapidement signé. Rappelons que le traité de Moscou a donné la pleine souveraineté à l’Allemagne unifiée et a officialisé la mise en place d’un système fédéral au mois de décembre 1990, un an après la chute du mur de Berlin. La mise en place accélérée d’un modèle de type fédéral serait probablement la solution souhaitée par une minorité de l’aile gauche et à l’autre extrémité du spectre, par la frange la plus nationaliste de la classe politique sud-coréenne.
Il faut aussi souligner que la chute du régime nord-coréen entraînerait inévitablement une ouverture forcée des frontières. Séoul serait contraint de faire appel à la contribution de la communauté internationale et notamment de l’Union européenne pour financer les coûts de reconstruction de la Corée du Nord. Or, du fait de capacités budgétaires plus restreintes que celles de l’Allemagne de l’Ouest et de l’ampleur du déséquilibre économique entre les deux Corée, Séoul devrait probablement envisager un recours massifs aux institutions financières internationales (Banque Mondiale, FMI, OMC), aux bailleurs de fonds publics étrangers (Etats-Unis, Japon, Chine, Russie, Union européenne, Australie) et aux investisseurs privés pour financer la reconstruction du Nord et couvrir les coûts de la réunification. Il faut également noter, à en croire les travaux existants à ce sujet et certains sondages, que la politique économique de réunification de Séoul pourrait s’écarter significativement du modèle allemand. La population sud-coréenne et certaines élites sud-coréennes se montreraient plus favorables à un modèle de rattrapage économique limitant la perméabilité des deux économies qu’à un modèle de convergence économique des deux économies, comme dans le cas allemand.
Une réunification spontanée de la péninsule coréenne engendrerait très certainement un exode massif des populations nord-coréennes vers le Sud. Une partie des flux d’immigrants nord-coréens en partance vers les frontières chinoises et russes au moment de l’annonce de la chute du régime pourraient se rediriger vers Séoul. Etant donné le bas niveau de vie et de qualification de la population nord-coréenne, un tel phénomène inquièterait profondément Pékin et Séoul et risquerait de créer des perturbations majeures.
Afin de limiter ce risque, la ligne de démarcation pourrait être maintenue pendant un temps par les autorités sud-coréennes, mais la dimension symbolique d’un tel geste entraînerait certainement des mouvements de protestations de grande ampleur. En tout état de cause, les opérations de maintien de la paix seraient sans doute moins nécessaires à l’intérieur du territoire nord-coréen qu’aux frontières. Du fait de la situation économique de la Corée du Nord, les pillages seraient sans doute d’ordre limité. Les familles ayant été séparées depuis 70 ans maintenant, de part et d’autre d’une zone bien plus étanche que ne l’était le mur de Berlin (1961-1989), les risques de règlements de comptes entre bandes rivales du Sud et du Nord seraient limités.
La question du devenir de la population nord-coréenne en cas de disparition du régime nord-coréen est, depuis la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, l’un des sujets de préoccupations majeurs des gouvernements des trois pays partageant des frontières avec la Corée du Nord, c’est-à-dire la Chine, la Corée du Sud et la Russie. Il est en effet à craindre qu’une disparition subite du régime communiste au Nord provoque un phénomène de migration massif des populations nord-coréennes d’une extrême pauvreté (PNB par tête annuel de 914 dollars en 2004) hors du territoire national. Il paraît aujourd’hui évident qu’aucun des trois pays frontaliers ne souhaiterait, le cas échéant, devenir la cible exclusive de la diaspora nord-coréenne. S’il était incontrôlé, ce phénomène migratoire serait susceptible de provoquer un choc exogène sur les économies nord-est asiatiques d’une magnitude sans doute supérieure à celle induite par le passage des populations émigrées d’Allemagne de l’Est à l’Ouest. La dégradation prévisible de la situation sanitaire des populations nord-coréennes en exil est un facteur de risque de déclenchement d’une crise humanitaire majeure. En raison de considérations d’ordres politiques et stratégiques évidentes [21], très peu d’informations filtrent sur le degré de préparation des gouvernements nord-est asiatiques à l’hypothèse d’un déplacement massif des populations nord-coréennes [22], incertitude renforcée par les critiques des médias sud-coréens sur la supposée absence de plan opérationnel de grande envergure. Il n’est cependant pas à exclure que le Haut-Commissariat pour les Réfugiés des Nations unies ait déjà mis au point divers « plans de route » à soumettre aux différents gouvernements en cas de crise migratoire inopinée et que plusieurs plans d’évacuation des populations aient été élaborés.
Dans cette configuration, la Chine est le partenaire politique et commercial de premier plan qui a le plus à perdre d’une réunification déstabilisant la région. Elle est le numéro un commercial de la RPDC aussi bien pour ses exportations que ses importations. Une fois combinés, ces volumes représentent près de 50% du commerce extérieur total de la RPDC. Le partage d’une frontière commune, même fluviale, facilite grandement les flux commerciaux et permet aux entreprises chinoises d’employer une main d’œuvre nord-coréenne moins coûteuse encore qu’en Chine. Toutefois, l’intensité des liens commerciaux entre les deux pays doit se comprendre avant tout comme une entreprise de sauvetage d’un pays en permanence au bord de l’implosion économique. La Chine entretient une relation très asymétrique avec la Corée du Nord. Les perspectives de développement des liens demeurent très incertaines et les Chinois semblent encore dans la phase de prospection et d’évaluation du nouveau dirigeant Kim Jong-Un.
L’accélération des flux commerciaux de la Chine avec la RPDC depuis 2011 semblerait marquer les prémisses de l’implantation d’un modèle de développement à la chinoise qu’encourage Pékin mais dont Pyongyang se méfie. Ce modèle chinois repose donc avant tout sur les initiatives du secteur privé.
Les investissements chinois sur le sol nord-coréen, quoique assez irréguliers et d’un volume faible, paraissent progresser. Les capitaux chinois ne se limitent pas aux entreprises situées près de la frontière. Plusieurs commerces et restaurants sont financés par des fonds chinois. En octobre 2005, le groupe chinois Zhejiang Yunyang Guohui Trading Co. a obtenu l’autorisation de réouvrir le plus grand magasin de Pyongyang.
Jusqu’en 2002, les entreprises chinoises implantées en Corée du Nord occupaient des niches commerciales sans grandes perspectives d’évolution : production d’eau minérale, matériels de restauration et petit artisanat. A cette époque, la Corée du Nord était une destination peu attractive pour les travailleurs chinois. La situation a considérablement évolué. La RPDC n’attire pas toujours pas les travailleurs chinois mais des ONG présentes sur place rapportent que les usines nord-coréennes fabriquent à présent des vélos, du verre et même des ordinateurs qui sont ensuite acheminés en Chine.
La situation économique tendue de la RPDC est incontestablement l’une des préoccupations majeures de la Chine. Afin de limiter les famines et l’arrivée massive de réfugiés nord-coréens vers ses frontières, Pékin fournit une assistance alimentaire conséquente à la population nord-coréenne, une exception notable à la politique chinoise dans ce domaine puisque cette somme représente au moins 80% du budget alloué par Pékin à l’aide alimentaire dans le monde. La Chine est donc le principal soutien de la RPDC en situation de crise. En marge de l’aide alimentaire, la Chine vendrait également à un prix très préférentiel, ou ferait crédit, d’une quantité de pétrole pouvant aller jusqu’à 500 000 tonnes par an. Enfin, bien qu’il soit très difficile d’obtenir des chiffres fiables sur ce sujet, il faut noter que l’aide humanitaire chinoise provient de manière écrasante de l’initiative du gouvernement et seulement de façon marginale d’ONG chinoises.
En dépit des problèmes posés par la Corée du Nord et de ses relations commerciales massives avec la Corée du Sud, la Chine a clairement pour objectif de conserver une péninsule divisée, sauf à obtenir un état coréen unifié neutralisé et libéré de la présence de l’influence américaine. La Chine ne veut en aucun cas d’une présence américaine directe à ses frontières, étant déjà engagé dans des relations maritimes tendues avec les Etats-Unis, le Japon et Taiwan. La division est dans l’intérêt de la Chine, d’autant qu’elle estime qu’une réunification ne pourrait se faire qu’en faveur de la Corée du Sud du fait de son poids politique et économique de 13ème puissance mondiale. La Chine est donc un obstacle réel à la réunification selon un processus à l’allemande.
Au-delà des observations déjà présentées, les cas allemand et coréen s’avèrent en réalité plus divergents qu’ils n’y paraissent. Comme on peut l’observer, un ensemble de variables lourdes font de l’unification allemande par absorption accélérée un modèle peu adapté à l’hypothèse d’une réunification coréenne. L’écart de population entre le Sud et le Nord est près de deux fois moindre qu’entre l’Allemagne de l’Ouest et l’Allemagne de l’Est. Les écarts de richesse entre les deux Corée sont considérables, bien plus importants encore que dans le cas allemand. Le déséquilibre économique entre les deux Corée est, de manière générale, trois fois plus large que celui entre les deux Allemagne. La Corée du Nord est un pays bien plus fermé sur l’extérieur que ne l’était l’Allemagne de l’Est. Pyongyang échange 180 fois moins de biens et services avec l’étranger que Séoul, ratio d’environ 13 fois en ce qui concerne les deux Allemagne.
Ce différentiel reflète le degré d’impréparation du Nord à une ouverture aux capitaux étrangers. Les Sud-coréens sont aussi comparativement moins nombreux que les Allemands de l’ouest pour assumer des coûts de reconstruction plus importants. En outre, l’économie nord-coréenne est considérablement plus fermée et distordue que celle de l’Allemagne de l’Est. Si l’on compare la taille relative de l’économie des deux Allemagne en 1989 et celle des deux Corée en 2017, il est donc probable que la Corée du Sud aura à dépenser une proportion supérieure de son PIB afin que sa politique de reconstruction puisse avoir une magnitude comparable à celle de l’Allemagne de l’Ouest. Les premières estimations et modélisations suggèrent donc que le fardeau de la réunification sera plus lourd pour les Sud-coréens qu’il ne l’a été pour les Ouest-allemands. Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que le statu quo ait finalement la préférence de tous les acteurs de la région. Les coûts politique et économique sont beaucoup trop incertains pour entrevoir la moindre évolution vers une réunification ; d’autant que le régime des Kim n’est pas aussi faible que le régime est-allemand.
Le régime des Kim est en réalité extrêmement stable et peu susceptible d’être renversé à court terme. Une telle résilience s’explique pour les raisons suivantes :
. Le soutien de la communauté internationale et le niveau de l’aide humanitaire en Corée du Nord. La Corée du Nord figure en bonne place sur la liste des Etats prioritaires du Programme Alimentaire Mondial (PAM). La RPDC récolte à elle seule au moins 13% du volume total des aides alimentaires allouées par le programme des Nations unies. La prévalence de la malnutrition reste un enjeu important en République populaire démocratique de Corée. Selon une étude nutritionnelle nationale menée en 2012, plus de 28% des enfants souffrent d’un retard de croissance faute de micronutriments pendant les deux premières années de la vie. C’est une condition qui pourrait entraver le développement physique et cognitif de l’enfant pendant toute sa vie.
L’action du PAM dans le pays se focalise sur la nutrition des mères et des enfants. L’agence distribue des produits nutritionnels spécialisés comme Super Cereal, un mélange de maïs et de soja enrichi en micronutriments. Le PAM fournit également aux enfants vulnérables des biscuits hautement nutritionnels localement produits.
Le PAM vise à atteindre 1,8 million d’enfants et de jeunes mères en Corée du Nord mais l’agence se trouve confrontée à des défis budgétaires importants. L’agence a dû réduire ses rations au cours de ces derniers mois et a été obligée à distribuer des rations moins importantes, voire suspendre entièrement les distributions dans certains cas.
. L’accroissement majeur des importations en temps de crise malgré les sanctions commerciales. Chaque fois que la conjoncture économique de la RPDC se dégrade brutalement, le pays parvient à accroître ses importations. La RPDC bénéficie d’aides alimentaires et de conditions commerciales préférentielles de la part des gouvernements chinois, sud-coréen, japonais et russe. En temps de crise, le régime nord-coréen peut également compter sur les trafics illégaux de drogue, de fausses devises et de ventes d’armes qui se développent malgré les efforts déployés par les autorités de pays comme le Japon ou les Etats-Unis pour les limiter.
. Des capacités agricoles à ne pas sous-estimer. Les années où les récoltes ne sont pas affectées par des catastrophes naturelles, la Corée du Nord serait capable, avec une population deux fois plus réduite qu’au Sud, de produire 4,3 millions de tonnes de céréales, 1,8 million de tonnes de riz et 1,2 million de tonnes de poisson contre respectivement 5,7, 5 et 2,5 au Sud. Toutefois, la vulnérabilité du régime aux intempéries et aux aléas du climat reste importante et les famines, larges ou ponctuelles, étaient fréquentes jusqu’au milieu des années 2000.
. La force et la singularité de l’endoctrinement idéologique du régime. La Corée du Nord est le dernier Etat du monde où doctrine stalinienne, nationalisme exacerbé et croyance religieuse parviennent à coexister. L’idéologie nord-coréenne est composite et d’une certaine façon, anachronique : révérence de type féodale plus que dictatoriale pour le chef, éléments de communisme dans la structuration sociale, croyances religieuses, confucianisme mais aussi catholicisme [23], servant de ciment social. Il serait donc hasardeux de bâtir des prévisions tablant sur un déclin idéologique du régime nord-coréen en se basant sur l’exemple soviétique ou sur des types de dictature ayant existé. Depuis la chute de l’Union soviétique puis le passage du pouvoir entre Kim Il-Sung et son fils Kim Jong-Il, puis entre Kim Jong-Il et Kim Jong-Un, l’idéologie nord-coréenne semble évoluer vers un modèle dynastique. Kim Jong-Un s’est même permis de prendre quelques distances avec le système communiste. Il cherche à mettre en place des réformes et instaurer des mécanismes de marché dans l’économie, tout en imposant un contrôle plus strict de la production.
. La simplicité du régime et de la société nord-coréenne. La force idéologique du régime, en elle même, est insuffisante pour expliquer son efficacité politique. Bien que l’idéologie nord-coréenne soit complexe, sa traduction sociale et politique est simple donc efficace. Comme l’explique Ruediger Franck, spécialiste allemand de la Corée du Nord, « en RPDC, ce n’est pas du socialisme, ce n’est pas du communisme, c’est Kim Jong-Il, Kim Jong-Il, Kim Jong-Il ». On pourrait ajouter que c’est maintenant Kim Jong-Un, Kim Jong-Un et Kim Jong-Un. Cette simplicité se retrouve également dans le centralisme des élites et des institutions. Le pouvoir exécutif est tout entier concentré dans les mains du Dear Leader, tandis que le prestige et l’autorité sont distribués en priorité aux chefs militaires puis aux membres du parti unique (« Parti des Travailleurs de Corée »). Le but ultime du régime étant, surtout dans les circonstances de 2017, sa sauvegarde et sa pérennité, les élites de Corée du Nord forment un corps fortement cohérent.
. La grande homogénéité et la capacité d’adaptation de la population nord-coréenne. Les inégalités sociales sont, en général, faibles en termes de revenus. D’une certaine façon, la « classe moyenne nord-coréenne » peut être considérée comme une sorte de « Tiers Etat » contemporain. Les populations doivent s’accommoder d’une vie pauvre et reçoivent une éducation faiblement analytique favorisant la stagnation sociale. Depuis la création de la RPDC, la population vit en état de guerre permanent, réel ou instrumentalisé par le régime. N’ayant jamais connu d’autres horizons, la population nord-coréenne a développé une grande capacité d’adaptation aux difficultés et contraintes économiques persistantes.
. Les erreurs d’interprétation des économistes américains, qui ont tendance à surévaluer l’importance de certaines données comme le taux de croissance nord-coréen et par voie de conséquence, l’imminence de l’effondrement du régime. Ces erreurs proviennent à la fois du manque d’information sur les trafics clandestins et le niveau réel de la production nord-coréenne et, à un degré moindre, de la confiance peut-être excessive dans les outils économétriques traditionnellement utilisés pour les études macroéconomiques (paradigme académique de l’économie du développement issu du consensus de Washington).
Dernier point important, l’opinion publique sud-coréenne se désintéresse progressivement de la réunification, surtout parmi les plus jeunes. En simplifiant au maximum, la ligne de clivage traditionnelle sur la question de la réunification coréenne s’est longtemps située entre les élites politiques et militaires, plutôt favorables à une réunification, et certains milieux économiques plutôt inquiets par une telle perspective. La population, pour sa part, restait très favorable à la réunification. Aujourd’hui, les opinions sont plus divisées et fluctuantes à propos de l’hypothèse d’une réunification coréenne. Le fait désormais avéré que la durée de vie du régime nord-coréen puisse être plus importante que prévue et que l’économie sud-coréenne ferait les frais de la réunification bouleversent la donne. Deux arguments ont pris de plus en plus de poids dans le débat public en faveur d’une réunification en Corée du Sud.
Tout d’abord, la Corée du Sud est définitivement entrée dans le cercle des grands pays capitalistes. Une Corée réunifiée serait nécessairement basée sur une économie de marché, mais le coût de la réunification est un obstacle lourd pour un nombre croissant de Coréens, surtout parmi les jeunes générations. Une Corée réunifiée serait affaiblie durablement sur le plan économique et souffrirait toujours des mêmes déséquilibres dans les relations commerciales avec le Japon ou la Chine. A mesure que la dangerosité du régime nord-coréen s’accentue, une réunification par absorption du Nord serait favorablement perçue par l’opinion publique sud-coréenne qui craint des tirs de missiles balistiques et une catastrophe nucléaire de type Tchernobyl en Corée du Nord, mais le bouleversement stratégique attendu introduit de fortes incertitudes sur la capacité d’une Corée réunifiée à vivre en paix avec ses voisins.
Les sondages réalisés par TNS Corée en décembre 2014 sont d’ailleurs éloquents et montrent l’indécision croissante des Sud-Coréens sur ce sujet. De fait, pratiquement les deux tiers des Sud-Coréens croient possibles la réunification, mais ces pourcentages doivent être nuancés en fonction de deux paramètres clefs, la perspective calendaire de la réunification d’une part ; la perception réelle de la Corée du Nord par les Sud-Coréens d’autre part ; sans même parler du recul de l’idée de réunification dans la jeunesse sud-coréenne.
Comme la Chine, la Russie et le Japon favorisent le maintien du statu quo. Premier partenaire historique de la Corée du Nord durant la guerre froide, l’Union Soviétique a été un partenaire commercial de tout premier plan pour le régime nord-coréen puis a brutalement perdu de son importance vers la fin des années 1980 au profit de la Chine. La Russie post-communiste reste cependant un acteur économique mineur que Pyongyang cherche à conserver. La RPDC entretient un type particulier de relations commerciales avec la Russie, qui s’apparente, toutes proportions gardées, à un retour de la politique d’assistance pratiquée par l’Union soviétique du temps de la guerre froide. Les exportations nord-coréennes vers la Russie sont négligeables alors que la RPDC importe de Russie pour 100 à 200 millions de dollars de biens par an, essentiellement du gaz et du pétrole brut.
Afin de s’acquitter d’une partie de sa dette, Moscou étant intransigeante à ce sujet, la RPDC envoie environ 10 000 travailleurs par an dans les camps de déboisement de la taïga, près de Khabarovsk, dans la région de l’Amour. Officiellement, avec 3 à 6% des échanges commerciaux réalisés, la Russie n’est que le cinquième ou sixième partenaire de la RPDC. Ces chiffres doivent, là encore, être considérés avec prudence, car ils ne semblent refléter ni l’importance stratégique des relations entre les deux pays, ni les perspectives de développement futur. Vladimir Poutine a affirmé au cours des trois visites de Kim Jong-Il en Russie [24], avec qui il semblait entretenir de bonnes relations personnelles, qu’il entendait prolonger le Transsibérien jusqu’à la future voie ferrée intercoréenne afin de faciliter le transport des marchandises entre les deux pays. Les deux dirigeants sont également convenus d’étendre l’exploitation commerciale du port de Rajin et de lancer une ligne aérienne hebdomadaire entre Vladivostok et Pyongyang.
Dans le cadre des relations commerciales et énergétiques entre Séoul et Moscou, la RPDC pourrait tirer bénéfice de sa position d’intermédiaire sur le plan géographique avec la Corée du Sud. La Corée du Nord pourrait ainsi accueillir le gazoduc d’où transiterait le gaz naturel de la région russe de la Kovykta (près d’Irkoutsk) en direction de la Corée du Sud, en cas de succès dans les négociations entre la Chine, la Russie et la compagnie BP [25]. Un autre projet de gazoduc reste en cours, dans lequel la Corée du Nord servirait de relais entre les exploitations situées dans la partie russe des îles Sakhaline et la Corée du Sud. Intéressée par un environnement économique positif en Asie du Nord-est, la Russie ne pousse pas à la réunification. Le statu quo lui convient tout à fait et la Russie ne souhaite pas particulièrement rapprocher les forces américaines de ses frontières terrestres pour ne pas avoir à combattre sur deux fronts.
Pour le Japon, les relations avec la RPDC connaissent une régression depuis quinze ans. De deuxième partenaire commercial derrière la Chine en 2001, avec 18% des échanges commerciaux entretenus par la Corée du Nord, le Japon est tombé à la quatrième place avec moins de 5%. Le Japon reste toutefois la seule puissance commerciale avec laquelle la RPDC exporte davantage de produits (fruits de mer, biens manufacturés de petite consommation notamment) qu’elle n’en importe. Le Japon est la source d’une grande partie des devises étrangères, des composants de haute technologie et des produits chimiques qui transitent via le Chosun Soren vers le régime nord-coréen. Le Chosen Soren (General Association of Korean Residents in Japan ou Zainichi Chosenjin Sorengokai) est, de par ses fonctions et l’ampleur de son action, une organisation dont le rôle dépasse largement ce que son titre « d’association de résidents coréens » pourrait laisser croire.
Elle sert en réalité de couverture à une nébuleuse d’activités légales et illégales destinées au soutien du régime nord-coréen. A sa création en 1955 après la guerre de Corée, le Chosen Soren était considéré positivement par une large portion de la population japonaise en raison du passé colonialiste du Japon envers la Corée. Le Chosen Soren détient notamment près du tiers de l’industrie japonaise du pachinko (pinball, sorte de jeu de flipper) et possède une filière souterraine, composée d’environ 5 000 membres, connue sous le nom japonais de Gakushu-gumi. Cette dernière est considérée comme un véritable réseau d’intelligence et de renseignements qui travaille notamment à la collecte d’information, favorise l’infiltration d’espions en Corée du Sud et l’exportation de technologies sensibles (nucléaires, chimiques, biologiques) vers la Corée du Nord.
L’activité principale du Chosen Soren reste la collecte et l’envoi de fonds en Corée du Nord sous la forme de devises échangeables. Entre 600 millions et 1,9 milliard de dollars étaient envoyés chaque année en Corée du Nord via l’organisation. Toutefois, les essais balistiques et nucléaires intervenus depuis 2006 ont nettement entamé la popularité du Chosen Soren au Japon et, selon la police japonaise, le volume des fonds envoyés ne dépasserait plus les 100 millions de dollars par an.
La politique japonaise à l’égard de la RPDC n’est cependant pas de nature différente de celle de la Chine ou de la Corée du Sud. Même si les moyens sont différents, le but est essentiellement le même. La priorité est d’éviter un effondrement brutal du régime nord-coréen à court terme et, pourquoi pas, de repérer des marchés ou des niches susceptibles d’être ouvertes dans le moyen terme. Toutefois, l’état des liens entre les deux pays reste subordonné aux relations diplomatiques entre les deux capitales. Trois points de contentieux politique ralentissent considérablement les perspectives de normalisation des relations entre le Japon et la RPDC et, par voie de conséquence, les perspectives de soutien aux activités d’unification de la Corée, en dehors du contentieux historique lourd entre le Japon et son ancienne colonie :
. La menace nucléaire : la suspension de la KEDO en 2002, dont le Japon était l’un des trois principaux contributeurs, a marqué un coup d’arrêt considérable dans la coopération entre le Japon et la RPDC. Cette tendance a été confirmée à la suite des révélations sur l’existence d’un programme d’enrichissement d’uranium. Tokyo a en effet réagit en réduisant son aide alimentaire en direction de Pyongyang. De manière générale, lors des périodes les plus aiguës de la crise nucléaire, le Japon est contraint de respecter la politique américaine consistant à mettre en quarantaine le régime nord-coréen et donc de réduire drastiquement toutes initiatives commerciales avec Pyongyang ; ce qui est le cas en avril 2017.
. Les personnes et les enfants kidnappés : pour ne pas paraître « rançonné » par Pyongyang et pour donner l’impression de contrôler la situation devant l’opinion publique japonaise, hostile à la RPDC, Tokyo affirme indexer le volume des envois de riz ou d’autres denrées alimentaires sur les progrès effectués par Pyongyang pour résoudre certains problèmes très médiatiques, comme le renvoi des enfants japonais kidnappés par le régime nord-coréen. Une sorte de petit jeu a été mis en place entre les deux capitales. Pyongyang prend soin de renvoyer au compte-goutte un petit nombre de kidnappés afin de continuer à bénéficier des aides japonaises que Tokyo sait pertinemment qu’elle a tout intérêt à lui fournir.
. La menace balistique : pour Tokyo, qui est à portée de tir des missiles No-Dong nord-coréens, la menace balistique est considérée comme au moins aussi dangereuse qu’une Corée du Nord nucléarisée, d’autant que l’une et l’autre de ces menaces pourraient à terme être associées. Les essais de missile au-dessus ou à proximité du ciel japonais ont donc été interprétés comme une sérieuse atteinte aux efforts de normalisation que les deux pays avaient, bon an mal an, réussi à poursuivre depuis l’initiative du libéral démocrate japonais Kanemaru en 1989. A l’inverse, la mise en place d’un moratoire sur les tirs de missiles balistiques de la part de Pyongyang en 2002, à l’occasion de la visite historique du Premier ministre Koizumi à Pyongyang, avait été accueillie très positivement par Tokyo qui, peu de temps après, avait émis l’idée d’une relance de l’aide humanitaire en cas de normalisation des relations entre les deux pays. Depuis les derniers tirs de missiles de mai 2015, les perspectives d’ouverture sont de nouveau nulles.
Globalement, le Japon n’est donc pas franchement satisfait du statu quo. Toutefois, le contentieux historique qui existe entre le Japon et la Corée limite le soutien du Japon à la réunification. En clair, le Japon n’est pas preneur d’une Corée réunifiée de 75 millions d’habitants qui serait un concurrent politique, militaire et économique d’envergure dans la région. Le Japon vit donc mal avec la division, mais il s’en accommode.
En conclusion, le principal frein à la réunification restent la nature même du régime nord-coréen. La persistance de la crise nucléaire bloque les échanges éventuels de ce pays avec l’extérieur, conduisant d’ailleurs la Chine à bloquer les importations de charbon nord-coréen et à limiter les vols Pékin/Pyongyang en avril 2017. Cette crise et la nature du régime bloquent aussi les investissements étrangers et excluent la Corée du Nord de toute possibilité de recours aux institutions financières internationales et aux bailleurs de fonds étrangers. Bien que la Corée du Nord, à l’inverse de la Corée du Sud, soit toujours l’un des pays les plus fermés au monde, le développement des activités proliférantes du régime, des trafics clandestins (drogues, fausses devises, contrefaçons) et l’envoi massif d’aide humanitaire en Corée du Nord attestent que la survie du régime dépend en grande partie de ses relations avec l’extérieur.
Le réseau de soutiens du régime nord-coréen a sensiblement évolué depuis 2002 et la relance du programme nucléaire nord-coréen. De manière générale, Pyongyang tente de diversifier et d’élargir le cercle de ses partenaires hors de la zone nord-est asiatique. L’Iran figure à présent parmi les principaux partenaires énergétiques de la Corée du Nord (premier partenaire pétrolier) et la Thaïlande constitue la principale représentation du régime en Asie du Sud-est. Depuis que les États-Unis ont cessé d’être les premiers pourvoyeurs d’aide humanitaire de la Corée du Nord, le relais a été assuré par la Chine, la Corée du Sud et le Japon, malgré l’aggravation des tensions diplomatiques. De manière générale, le degré de résilience de la Corée du Nord semble dépendre autant des ressources propres du régime que de la crainte d’un effondrement du régime par ses voisins. Les sanctions multilatérales votées par le Conseil de Sécurité des Nations unies le 14 octobre 2006 en réponse au premier test nucléaire nord-coréen, n’ont d’ailleurs pas eu le rôle déstabilisateur que certains en attendaient.
Le fonctionnement du régime frappe par sa simplicité et son caractère rudimentaire. Cette caractéristique majeure constitue, certes, un rempart en temps de crise mais est aussi un facteur de stagnation, entraînant l’économie nord-coréenne dans un schéma de sous-développement de plus en plus irréversible, sauf si les réformes promises par Kim Jong-Un débouchent sur une réelle modernisation de son économie. Le développement de la consommation pour une minorité privilégiée de Pyongyang ne constitue pas un indice probant de l’ampleur d’un tel changement.
Le régime nord-coréen reste aussi pour partie une énigme. Quand les opposants sont supposés massacrés à coups de canon anti-aérien, ce qui n’est toutefois pas véritablement prouvé, il vaut peut-être mieux ne pas prendre de risque. Toutefois, l’agence sud-coréenne qui, la première, a rapporté l’information est bien connue pour exagérer, en mal, ses descriptions du voisin du nord. L’exécution de l’oncle de Kim Jong-Un en décembre 2013, puis l’abandon de son corps à 120 chiens affamés se sont révélés incorrects. Pas l’exécution, mais le recours aux chiens ! Le problème fondamental, avec la Corée du Nord, c’est que personne à l’extérieur de la classe qui gouverne le pays ne sait réellement ce qu’il s’y passe. Aux Etats-Unis, les meilleurs experts reconnaissaient que la Corée du Nord était un « head-scratcher », un sujet d’interrogation. Depuis toujours, les informations que les Nord-Coréens eux-mêmes dévoilent ne font qu’inspirer peur et méfiance. Ils ont annoncé en mai 2015, être parvenus à lancer un missile balistique à partir d’un sous-marin. Puis, ils se sont vantés d’avoir réussi à miniaturiser leur arme atomique, étape essentielle pour pouvoir en installer sur des missiles intercontinentaux. Bluff ou véritable exploit technologique ? La question reste posée et met de toute façon à mal les projets de réunification.
Autre point important, le secteur agricole occupe une place souvent sous-estimée par les analystes, expliquant en partie la résilience du régime mais aussi la sensibilité de l’économie nord-coréenne aux aléas climatiques. Contrairement à certaines idées reçues, la structure de l’économie nord-coréenne est relativement équilibrée (proche de 1/3 des activités dédiées aux activités agricoles, 1/3 pour l’industrie et 1/3 pour le secteur des services), bien d’avantage en tout cas que ne l’était celle de l’Allemagne de l’Est par exemple.
Clairement, la réunification des deux Corée devrait vraisemblablement s’avérer plus problématique que dans le cas allemand. Une chute du régime nord-coréen aurait des conséquences humaines, politiques et financières considérables pour la Corée du Sud et pour l’ensemble des pays d’Asie du Nord-est, probablement supérieures à celles de l’unification allemande. Plusieurs millions de Nord-coréens dans une situation de grande précarité pourraient se diriger en direction de la Corée du Sud et de la Chine, créant des risques sanitaires et humanitaires majeurs. Des risques de propagation d’une crise financière en Asie du Nord-est et aux États-Unis ne sont pas à exclure. Il faut une nouvelle fois rappeler que les coûts d’une réunification coréenne sont évalués entre 1 000 et 3 000 milliards de dollars, un chiffre très supérieur au coût de l’unification allemande.
En outre, la réunification coréenne pose des problèmes juridiques et politiques inédits, entre autre le devenir des installations nucléaires du Nord ou la personnalité juridique de la Corée du Nord toujours techniquement en guerre contre les États-Unis.
L’ampleur des coûts de financement et la rapidité de la réunification coréenne et de la reconstruction du Nord dépendront principalement :
. De l’écart de richesse entre les deux Corée au moment de la chute du régime nord-coréen.
. Du degré de préparation et de l’état de l’économie sud-coréenne.
. De la participation des institutions financières internationales et des bailleurs de fonds et investisseurs privés étrangers.
La politique de réunification de Séoul devrait s’inspirer du modèle de l’unification allemande. Cependant, du fait de capacités budgétaires moindre que l’Allemagne de l’Ouest en 1989, de l’écart de richesse entre les deux Corée (PNB par habitant 20 fois supérieur au Sud) et de l’antagonisme historique entre Séoul etPyongyang, il est plus que légitime de s’interroger sur l’intégration politique et économique progressive des deux Corée et sur la réalité objective de tout projet de réunification.
La crise à laquelle nous assistons en ce printemps 2017 est donc appelée à durer et à se renouveler dans le temps.
Copyright Mai 2017-Paillard/Diploweb.
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P. Verluise (dir. ) "Histoire, Géographie et Géopolitique de l’Asie. Les dessous des cartes, enjeux et rapports de force"", éd. Diploweb aux format Kindle et papier broché via Amazon, 2018.
GLOSSAIRE
Chaebl ou Chaebols : traduction coréenne du terme japonais zaibatsu. Désigne un conglomérat industriel ou un holding financier coréen. Entretenant de forts liens entre elles et, le plus souvent, avec le gouvernement et l’administration centrale, les Chaebols jouent un rôle majeur et structurant dans l’économie coréenne.
Chikalsi ou jikhalsi : ville de grande taille se distinguant par son mode d’administration centralisé plutôt que locale. En 1992, la Corée du Nord comptait trois chikalsi : Pyongyang, Kaesong, and Namp’o.
Chip ou jip : foyer familial, unité de base de la société nord-coréenne.
Choch’ongryn : abréviation de « Chae Ilbon Chson In Ch’ong Yonhaphoe », littéralement Association Générale des Coréens Résidant au Japon. En réalité, les membres de cette association, plus connus sous le patronyme de “Chosen Soren”, sont le plus souvent d’actifs supporters du régime nord-coréen.
Chokpo : terme coréen désignant l’arbre généalogique rassemblant les divers membres d’une même descendance.
Ch’llima ou Ch’llima : c’est le nom de la campagne lancée en 1958 par le régime nord-coréen afin d’améliorer la productivité économique de l’industrie nord-coréenne. Le « Ch’llima » est une figure de la mythologie nord-coréenne symbolisant un cheval capable d’atteindre une vitesse fabuleuse.
Chngbo : unité coréenne de mesure de l’espace, équivalent à 0,99 hectare.
Ch’ngsan-ni Method ou Ch’ngsan-ri : mode de « management » mis en place par Kim Il-Sung basé sur l’attribution de récompenses matérielles en échange de l’obédience du corps de fonctionnaire dont l’origine remonte au mois de février 1960 au cours d’une visite d’une coopérative dans la province de Pyongyang.
Chuch’e ou juche : idéologie politique promulguée par Kim Il-Sung puis par Kim Jong-Il, sorte d’adaptation de la doctrine Marxiste-léniniste à la société nord-coréenne, basée sur un double objectif d’autonomie économique et d’indépendance politique et prônant une vision organiciste de la société.
DMZ : abréviation désignant (à tort) la « zone démilitarisée » longue de 241 kilomètres et large de 4 kilomètres entourant la ligne de démarcation entre les deux Corée, instaurée à la suite de la signature de l’armistice de 1953.
Do ou to : suffixe signifiant « île ». Est parfois employé pour désigner l’une des neuf provinces composant la Corée du Nord (comme par exemple pour la province “Kangwŏn-do”).
Sadaejuui : doctrine opposée à celle de la “Juche”, décrivant un état de dépendance de la Corée du Nord envers les puissances étrangères et notamment la Chine.
han’gl ou hangul : alphabet coréen utilisé dans les deux Corée développé au XVe siècle à la court du Roi Sejong, source de grande fierté pour les Coréens. Le Hangul nord-coréen est employé dans une forme plus “pure” au Nord qu’au Sud, où celui-ci est souvent associé à des caractères chinois.
Pukbang chngch’aek ou Nordpolitik : il fait référence à l’ « Ostpolitik » de Willy Brandt et désigne la politique de rapprochement de Séoul vis-à-vis de Pyongyang lancée en 1984 afin de renforcer les liens diplomatiques et économiques de la Corée du Sud avec les pays du bloc communiste.
Suryng : terme ancestral désignant le chef ; titre donné à Kim Il-Sung.
Taean : inspiré du Ch’ngsan- ni, consiste à détourner des techniques agricoles dans certains domaines industriels.
Tonghak : il se réfère au mouvement religieux inspiré du Christianisme fondé par le Ch’oe Che-u au début des années 1860, ancêtre du Ch’ndogyo.
Won nord-coréen : devise nord-coréenne. Un won nord-coréen vaut 100 chon. Sa valeur reste très fluctuante sur les marchés de change.
Yangban : terme tiré du Coréen traditionnel désignant la catégorie de notable (petite noblesse, professeur) ayant accédé au pouvoir durant le Dynastie Yi (1392-1910) au travers d’un mode de sélection méritocratique (examens et concours civils et militaires).
Copyright Mai 2017-Paillard/Diploweb.
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Vidéo. La Corée du Nord et l’arme nucléaire, par B. Hautecouverture (FRS), septembre 2017
. Quelles sont les idées fausses à propos de la Corée du Nord ?
. Quels sont les faits importants à connaître pour comprendre la Corée du Nord et l’arme nucléaire ?
. Quels sont les points importants à suivre dans les prochains mois ?
BIBLIOGRAPHIE DE L’ETUDE
Cette bibliographie ne présente aucun caractère exhaustif. Elle ne couvre que les articles, rapports et ouvrages les plus pertinents, traitant directement ou indirectement des questions coréennes et facilement disponibles en France ou sur internet. Malgré une abondante bibliographie, la Corée reste encore une terre lointaine pour la plupart des Français, même si le Korean soft power [26], le Hallyu [27], impacte fortement notre jeunesse au travers de la K-pop, des dramas, du taekwondo, de la mode et des cosmétiques venus du pays du matin frais, et non calme, comme c’est communément admis.
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Pour mémoire, les ouvrages et articles du professeur Edmond JOUVE, professeur émérite de sciences politiques de la faculté de droit de l’Université René Descartes Paris V, sont marqués par un soutien sans nuance au régime nord-coréen. Edmond JOUVE participe régulièrement aux colloques destinés à soutenir le régime, comme ceux qu’organise l’Institut international des idées du Jouché. Il est d’ailleurs directeur général Europe de cet institut. Ses textes, le plus souvent hagiographiques sur les dirigeants nord-coréens, doivent être lus avec un véritable recul, en particulier ses articles et entretiens parus dans People’s Korea. On peut entre autre se référer à son texte, Le Président Kim Il-Sung est un formidable penseur et théoricien qui a apporté à l’humanité un brillant avenir, paru dans le numéro 83 de juin 2012 de la revue Juche éditée par l’Institut International des Idées du Juche basé au Japon : http://juche.v.wol.ne.jp/fr.htm
On peut également citer Benoit QUENNEDEY et son ouvrage L’économie de la Corée du Nord en 2012, paru en février 2013 aux Indes savantes. Membre actif de l’association d’amitié franco-coréenne, officine nord-coréenne agissant en France, ses écrits et propos doivent être considérés avec prudence.
LIENS UTILES
Sites officiels ou officieux des autorités nord-coréennes :
Association d’amitié franco-coréenne, http://www.amitiefrancecoree.org/
DPRK official webpage, http://www.korea-dpr.com/
Institut international des idées du Juché, http://juche.v.wol.ne.jp/fr.htm
Korean news (agence officielle), http://www.kcna.co.jp/index-e.htm
People’s Korea (Chosun Shimbo), La Corée du peuple, association de nord-coréens au Japon, http://www.chosonsinbo.com/
Site officiel sud-coréen :
Ministère de l’unification, http://eng.unikorea.go.kr/main.do
Think tanks, centres universitaires et de recherche :
ASAN institute for policy Studies, http://en.asaninst.org/
Centre Asie (Paris), http://www.centreasia.eu/
Center for non-proliferation studies, http://cns.miis.edu/
Ecole française d’Extrême-Orient (Séoul), http://www.efeo.fr/base.php?code=22
FAS, Intelligence Resource Program, http://fas.org:8080/irp/world/dprk/
Fondation pour la recherche stratégique (FRS), Asie, www.frstrategie.org/barreCompetences/ApprochesRegionales/asie.php
Global Security Network, www.globalsecurity.org
Heritage Foundation, http://www.heritage.org/places/asia-and-the-pacific/south-korea & http://www.heritage.org/places/asia-and-the-pacific/north-korea
Institut Sejong (Séoul), http://www.sejong.org/english/
Korea Economic Institute of America, http://www.keia.org/
Korea Institute of New South Wales, http://www.kri.unsw.edu.au/ et la Korea review of international studies, http://www.kri.unsw.edu.au/IROKS.htm
Korean National Defense University, http://www.kndu.ac.kr/eng/01abo/abo_07mil.jsp
Korean studies Chair, Institut d’Études politiques de Paris, http://asia-centre.sciences-po.fr/academics/korean_chair.html
Nautilus Institute for security and sustainability, http://nautilus.org/?s=Korea
Rand Corporation, http://www.rand.org/topics/south-korea.html et http://www.rand.org/topics/north-korea.html
Réseau des études coréennes, http://parisconsortium.hypotheses.org/
Copyright Mai 2017-Paillard/Diploweb.
[1] Avertissement et remerciements : Cet article est né d’un travail continu d’analyse économique et stratégique commencé en 2005 sur la péninsule coréenne en général et sur la Corée du Nord en particulier, et d’un travail, accompagné d’un voyage d’étude en Corée du Sud, réalisé pour le Comité 6 de la session nationale 2014/2015 « politique de défense » de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN).
A ce titre, je souhaiterais remercier pour leur soutien à ce travail de recherche et d’analyse mes camarades du comité 6, en particulier mon ami et collègue Denis FOURMEAU, spécialiste de la Chine, et les différents services et les responsables de l’IHEDN, le Professeur Jean-Jacques ROCHE, Directeur de la formation, des études et de la recherche de l’IHEDN, et le Général Bernard de COURREGES d’USTOU, directeur de l’IHEDN.
Je souhaiterais également remercier pour leurs réflexions et leurs conseils les experts français de la Corée qui m’ont permis d’enrichir mes réflexions sur ce pays, en particulier Sophie BENOLIEL, responsable Asie, et Véronique MONDON, chef de mission en Corée du Nord de l’ONG 1ère urgence – Aide médicale internationale (PU-AMI) ; Elisabeth CHABANOL, responsable du centre EFEO (Ecole française d’extrême orient) de Séoul ; Jean-Jacques FORTE, rédacteur Corée au Ministère des Affaires étrangères ; Antoine BONDAZ, chercheur à l’Asia Centre, au Carnegie Center et à l’université Tsinghua (Pékin) ; Barthélémy COURMONT, directeur de recherche à l’IRIS ; Patrick MAURUS, professeur de langue et de littérature coréenne à l’INALCO ; Juliette MORILLOT, journaliste et écrivain ; Pierre RIGOULOT, directeur de l’Institut d’histoire sociale ; Pascal DAYEZ-BURGEON, diplomate, Directeur adjoint de l’Institut des sciences de la communication du CNRS.
Je souhaiterais également remercier les chercheurs du think tank sud-coréen Institute of Policy Studies (ASAN http://en.asaninst.org/ ) et ses chercheurs, en particulier Kany CHOI, Myung-Hyun GO et Jiyoon KIM, de même que l’ Institute for National Security Strategy (INSS http://www.inss.re.kr/eng/history.htm ) et Young-Hwan KO pour leur apport à mes réflexions et à mes travaux sur la Corée du Nord lors de mes rencontres en Europe et en Corée du Sud. Enfin, je souhaiterais remercier les réfugiés nord-coréens avec qui j’ai échangé sur cette thématique mais qui, pour des raisons de sécurité, n’ont pas souhaité voir leur nom figurer dans cet article.
[2] I cannot forecast to you the action of Russia. It is a riddle wrapped in a mystery inside an enigma ; but perhaps there is a key. That key is Russian national interest. It cannot be in accordance with the interest of the safety of Russia that Germany should plant itself upon the shores of the Black Sea, or that it should overrun the Balkan States and subjugate the Slavonic peoples of south eastern Europe, That would be contrary to the historic life-interests of Russia”. BBC Broadcast, Londres, 1er octobre 1939.
[3] La Corée du Sud continue d’accuser la Corée du Nord d’avoir organisé en 1983 un attentat à la bombe à Rangoon (Birmanie) qui tua dix-sept Sud-Coréens en visite officielle, dont quatre membres de cabinets ministériels. La Corée du Nord est également accusée d’avoir organisé un autre attentat qui a causé la mort des cent quinze passagers d’un vol de Korean Airlines. Les éléments de preuve manquent et le gouvernement nord-coréen a toujours nié toute implication dans l’attentat de Rangoon. Un agent nord-coréen aurait en revanche reconnu avoir placé une bombe dans l’attentat du vol de Korean Airlines.
[4] A titre d’exemple, lors du sommet de l’APEC de 2002, ses États membres avaient évoqué le dossier nord-coréen, influencés par le contexte de lutte contre les États voyous et par le retrait des Nord-Coréens de la procédure de négociation avec les États-Unis sur leur programme nucléaire. La déclaration de l’APEC avait alors été la suivante : “We note the potential for the Democratic People’s Republic of Korea to benefit economically from greater participation as a member of the Asia Pacific community. Such a prospect will rest upon a nuclear weapons-free status on the Korean Peninsula. We reiterate our continued support for the nuclear non-proliferation regime. We uphold that a nuclear weapons-free Korean Peninsula is important to the peace and stability of the Peninsula and Northeast Asia, and is also in the interests of all members of the region. We call upon the DPRK to visibly honor its commitment to give up nuclear weapons programs and reaffirm our commitment to ensure a peaceful resolution of this issue”.
[5] Lors de multiples déclarations, la Corée du Nord a par exemple fait état de sa volonté d’en découdre avec son voisin du sud et avec les Etats-Unis. A titre d’exemple, le 23 décembre 2008, Kim Il-Chol, ministre des Forces armées du peuple, à l’occasion de l’anniversaire de la prise du commandement suprême de l’Armée du peuple coréen du 24 décembre 1991 par Kim Jong-Il, souhaitait contrer ses ennemis avec « une frappe préemptive sophistiquée plus rapide et plus puissante dans le style coréen », parce qu’une situation grave domine dans la péninsule coréenne du fait « de la politique hostile des Etats-Unis et de ses actions frénétiques pour mener une guerre agressive … l’attaque préemptive de style coréen sera plus puissante que les armes nucléaires, réduira en miette tout ce qui est déloyal et contre la réunification ».
[6] Pour mémoire, un avatar est, selon le dictionnaire « le Petit Robert », « chacune des formes diverses que prend une personne ou une chose ».
[7] Le mouvement Tonghak (ou philosophie orientale, par opposition à la philosophie occidentale) nait en 1859. C’est un syncrétisme développé par Choe Che-U (1824-1864) entre Néoconfucianisme, Bouddhisme, Taoïsme et Chamanisme. Il rejette l’Occident et le Catholicisme (le Seohak), bien qu’il reprenne certains de ses éléments. Il croît en un maître céleste qui assure l’immortalité. Devenant également critique du régime royal, Choe Che-U est arrêté et exécuté. Les Tonghak sont néanmoins présents dans toutes les révoltes populaires de la fin du 19ème siècle, dont celle qui déclencha la guerre sino-japonaise de 1894. La Chine et le Japon luttaient alors pour la suprématie politique et commerciale sur la Corée. La Chine fut battue et dut signer le traité de Shimonoseki d’avril 1895 qui mit fin à douze siècles d’allégeance coréenne vis-à-vis de la Chine. Au début du 20ème siècle, le mouvement Tonghak devint le mouvement Cheondogyo ou doctrine de la voie céleste, dirigé par Son Byeong-Hui qui inspira la déclaration du 1er mars 1919. Cette déclaration fut suivie d’une révolte écrasée par l’armée japonaise.
[8] La doctrine du Juché est basée sur un dogme établissant que seule une société auto-suffisante d’un point de vue économique et politique ne peut être véritablement viable. Elle se base sur un rapport à l’étranger et un sentiment d’insécurité hérité de la colonisation japonaise puis de la guerre de Corée. Elle prône un culte de l’époque médiévale, période pendant laquelle le royaume de Corée a connu une longue période de paix politique en position de vassal de la Chine.
[9] La BBC a consacré un reportage aux rescapés de cette équipe nord-coréenne en 2014. Ce reportage est disponible sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=rG-ivV-ps50
[10] Cette légende est expliquée dans l’ouvrage de Pascal Dayez-Burgeon, histoire de la Corée des origines à nos jours, paru aux éditions Tallandier en 2012.
[11] Jeffrey RICHELSON, Spying on the Bomb, American Nuclear Intelligence from Nazi Germany to Iran and North Korea, Norton, NY, 2006, p. 332.
[12] Ibid.
[13] Kathryn WEATHERSBY : To Attack or Not to Attack ? Stalin, Kim Il Sung and the Prelude of War, Cold War International History Project Bulletin, Issue 5, Woodrow Wilson International Center for Scholars, printemps 1995.
[14] La première crise nucléaire nord-coréenne a eu lieu en 1993. La Corée du Nord est alors membre du Traité de non-prolifération (TNP), qu’elle a signé en 1985, mais l’AIEA la soupçonne d’abriter des centrales nucléaires secrètes. Un accord est signé en 1994, aboutissant à la KEDO à partir de 1995, un programme dans lequel les Etats-Unis et la Corée du Sud s’engagent à livrer deux centrales à eau légère à Pyongyang, plus de l’aide alimentaire, en échange de la promesse d’abandonner toute recherche nucléaire. En 2002, une nouvelle crise éclate lorsque la Corée du Nord expulse les inspecteurs de l’AIEA, et se retire du TNP en 2003. Le régime est alors soupçonné d’avoir repris ses recherches en secret depuis une période indéterminée. Commencent ce qu’on appelle les « pourparlers à six », impliquant en plus des Etats-Unis et des deux Corées, le Japon, la Russie et l’Union européenne. C’est un échec, puisqu’en février 2005 une déclaration du ministre nord-coréen des affaires étrangères semble indiquer que le régime possède des armes nucléaires. Les Etats-Unis décident alors de mettre en place le Proliferation Security Initiative (PSI), qui vise à déstabiliser le régime en réduisant ses revenus extérieurs illicites, tandis que la Corée du Sud souhaite poursuivre la « Sunshine policy » qu’elle a entamée en 2002, une politique de réconciliation entre les deux Corée. Cette politique s’est traduite par un échec.
[15] Voir Diploweb : http://www.diploweb.com/La-Coree-du-Sud-m-inquiete.html
[16] Voir leur site : http://www.kaist.edu/html/en/index.html
[17] La touriste sud-coréenne, Park Wang-Ja, âgée de 53 ans, a été tuée sur les monts Kumgang le 11 juillet 2008. Elle a été atteinte alors qu’elle se promenait sur une plage et qu’elle venait de pénétrer de 1,2 km sur une zone militaire comme l’avaient précisé les autorités nord-coréennes aux responsables de la société sud-coréenne Hyundai qui exploitait le site. Le soldat a fait feu alors qu’elle avait reçu l’ordre de s’arrêter. « Nous avons compris que Mme Park a pénétré dans la zone sans savoir qu’elle était interdite, et ce durant sa promenade matinale ». C’était l’un des rares sites ouverts aux touristes sud-coréens, situé sur la côte est de la Corée du Nord. La Corée du Sud avait exprimé ses « profonds regrets » et annoncé qu’elle suspendait les visites de ses ressortissants sur ce site touristique ; ce qui encore le cas en 2015. Elle a demandé une enquête : « il est profondément regrettable qu’une touriste sud-coréenne ait été tuée par un soldat nord-coréen » avait alors déclaré Kim Ho-Nyoun, porte-parole du ministère sud-coréen de l’Unification. Il s’agissait du premier incident de la sorte depuis l’ouverture de ce site en 1998. Cet indicent est intervenu le jour même où le président sud-coréen Lee Myung-Bak proposait à la Corée du Nord des discussions sur l’application d’accords conclus par le passé, tentant ainsi d’apaiser plusieurs mois de tension entre les deux pays : « un large dialogue doit reprendre entre les deux Corées » déclara le président Lee dans un discours au Parlement où il a également proposé d’aider le régime communiste à résoudre sa grave crise alimentaire. Le gouvernement sud-coréen « souhaite engager de sérieuses consultations sur les moyens de mettre en œuvre des accords intercoréens conclus jusqu’à maintenant ».
[18] Clifford Combs, Some Economic Factors in German Reunification, Security Dialogue 24, no.4, décembre 1993, p. 310-20.
[19] Ville de taille moyenne située à proximité de la frontière coréenne où fut signé l’armistice mettant fin à la guerre de Corée, Panmunjeon est depuis lors considérée par les dirigeants des deux Corée comme le symbole du rapprochement entre les deux parties. L’accord de réconciliation entre les deux Corée de 1991 y a d’ailleurs été signé.
[20] Il faut rappeler que depuis la fin de la guerre de Corée, le régime nord-coréen s’est toujours déclaré officiellement favorable à la réunification de la péninsule selon des modalités certes très spécifiques. Depuis 1991, la Corée du Nord a réitéré sa préférence pour l’établissement d’un système confédéral.
[21] Il est évident qu’admettre qu’un plan d’accueil des populations nord-coréennes puisse être en préparation aurait un impact direct sur les négociations internationales et notamment sur la résolution du problème nucléaire, en accréditant la thèse qu’une chute du régime communiste est anticipée par Séoul.
[22] L’Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) aurait livré des conseils au gouvernement chinois sur les différents plans d’urgence à mettre en place en cas d’afflux massif de populations nord-coréennes.
[23] Il est difficile d’obtenir des chiffres précis sur les cultes religieux en Corée du Nord. Le catholicisme semble être une religion en plein essor et paraissait encouragée par Kim Jong-Il. Lors de la visite de la Secrétaire d’Etat Madeleine Albright à Pyongyang en 2000, le dirigeant nord-coréen lui avait fait part de son inclinaison pour cette religion. Cette assertion s’est révélée sans lendemain.
[24] Les trois rencontres ont eu lieu respectivement au Kremlin, dans la région de Khabarovsk et de Komsomolsk (sud-est de la Russie) et à Vladivostok en 2001, 2002 et 2003. Invité, Kim Jong-Un ne s’est pas rendu aux cérémonies du 9 mai 2015 à Moscou.
[25] Le consortium international mené par la compagnie BP a longtemps été prêt à investir plus de 17 milliards de dollars dans ce projet de gazoduc. Ces négociations revêtaient un enjeu de première importance pour Pyongyang, mais aussi pour Séoul. Le principal obstacle au projet, expliquant les multiples retournements des négociations, est une nouvelle fois le problème nucléaire et politique. En 2003, peu après que Pyongyang admette avoir redémarré son programme nucléaire, la compagnie BP n’était plus favorable à faire transiter le gazoduc sur le territoire nord-coréen et annonça qu’elle se montrerait prête à allonger le tracé de près de 5.000 km pour contourner la RPDC afin de relier Moscou à Séoul en cas d’aggravation des tensions. BP dut faire face aux pressions de Séoul, qui préférerait que le gazoduc traverse le territoire nord-coréen pour alimenter sur sa route une série d’usines et d’installations, façon détournée de compenser partiellement l’arrêt du programme de la KEDO. Aujourd’hui, les négociations sont au point mort.
[26] Sur cette question, on peut se reporter au dossier constitué par le CERI présenté en ligne, http://ceriscope.sciences-po.fr/puissance/content/part2/la-construction-du-soft-power-l-exemple-de-la-coree-du-sud?page=6 et en particulier à l’article d’Eric BIDET, La construction du soft power : l’exemple de la Corée du Sud, CERISCOPE Puissance, Paris, 2013.
[27] Voir la définition du Hallyu sur le site Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Hallyu
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