La Corée du Nord fait la Une des journaux, puis retombe dans l’oubli. Pour la faire comprendre, il faut s’y rendre plusieurs fois comme les auteurs des deux livres de référence présentés ici. Découvrez l’ouvrage de Dorian Malovic et Juliette Morillot, "La Corée du Nord en 100 questions", éd. Tallandier ; puis la somme de Philippe Pons, "Corée du Nord. Un Etat-guérilla en mutation", éd. Gallimard.
SUR LA ROUTE de la connaissance de la République populaire démocratique de Corée, on peut emprunter la voie expresse. Si on se pose des questions simples à propos de la Corée du Nord, sur son histoire, son régime politique, sa valeur géopolitique, ses capacités nucléaires, son économie, sa vie culturelle ou sa société, on se rapportera à l’ouvrage très pédagogique récemment publié par le journaliste du quotidien La Croix Dorian Malovic et sa consœur du média en ligne Asyalist, Juliette Morillot : La Corée du Nord en 100 questions (Tallandier, Paris, 2016, 381 p, 15,90€). Un outil qui éclaire l’actualité et aide véritablement à la décrypter !
Bonus vidéo. La Corée du Nord et l’arme nucléaire, par B. Hautecouverture (FRS), septembre 2017
. Quelles sont les idées fausses à propos de la Corée du Nord ?
. Quels sont les faits importants à connaître pour comprendre la Corée du Nord et l’arme nucléaire ?
. Quels sont les points importants à suivre dans les prochains mois ?
A rebours de la facilité, comme ils l’avaient déjà fait en en 2004 lors de leur enquête sur les Nord-Coréens fuyant par tous les moyens leur pays (Evadés de Corée du Nord. Témoignages,Belfond – Presses de la Cité, 329 p, 19,5€), ces deux enquêteurs ne se voient pas emporter par le sensationnalisme qui caractérise tant d’ouvrages consacrés aux pays des Kim. Mieux leur petit manuel dépeint sans emphase la propagande, l’explique sans pourtant exprimer la moindre sympathie pour le régime totalitaire de Kim Jung-un. Il prend aussi ses distances vis-à-vis de certains témoignages de transfuges et explique le développement ces dernières années du marchandising de leurs périples par la presse internationale et sud-coréenne. Une distance critique appréciable à l’heure où les relations de Pyongyang avec Washington pourraient bien connaître de nouvelles turbulences.
Ces livres démontrent l’intérêt du terrain et du suivi sur la durée.
En ayant pu interviewer pendant des années en langue coréenne et en mandarin nombre de témoins ayant vécu au nord de la zone démilitarisée (DMZ) J. Morillot et D. Malovic ont acquis une réelle familiarité avec la dictature nord-coréenne, son expression idéologique et son habileté manœuvrière. Se prêtant au jeu des questions – réponses, ils offrent un tableau très documenté et une réflexion mature sur un pays particulièrement difficile d’accès mais où J. Morillot a pu se rendre à plusieurs reprises ces dernières années. Ses derniers reportages [1] nous démontrent que l’on peut faire un travail sérieux d’information sur le Royaume Hermite, loin des clichés les plus souvent véhiculés, en y séjournant à l’invitation des autorités officielles et en y retournant. Cette réalité n’est pas pour autant un signe d’ouverture de la Corée du Nord à la presse internationale, et encore moins l’expression d’une libéralisation du régime du « jeune général ». Cela veut tout simplement dire que la RPDC ne s’en remet pas seulement à quelques « idiots utiles » et aux performances de ses hackers pour donner une image de ses réalités.
Si peu de journalistes étrangers sont autorisés à se rendre au nord du 38ème parallèle, J. Morillot et D. Malovic ne sont pas les seuls experts français à travailler depuis longtemps sur la Corée du Nord, à lui consacrer articles sur articles et à être autorisés à s’y rendre de temps en temps lors de voyages très encadrés. Parmi ces chroniqueurs, un homme se distingue depuis longtemps : Philippe Pons, le correspondant du Monde à Tokyo depuis 1976.
Ayant pu se rendre en Corée du Nord une quinzaine de fois depuis 1980, ce journaliste est l’un des très rares commentateurs à avoir visité le pays sous les régimes successifs de Kim Il-sung (1912 – 1994), Kim Jong-il (1941 – 2011) et Kim Jong-un (1984 ? - ). Cet observateur hors pair est aussi un érudit accompli comme en témoigne sa bibliographie fournie sur le Japon : D’Edo à Tokyo. Mémoires et modernités (Gallimard, 1988, 464 p.), Misère et crime au Japon : Du XVIIème siècle à nos jours (Gallimard, 1998, 551 p.) ou encore Peau de brocart. Le corps tatoué au Japon (Seuil, 2000, 148 p.). Ces travaux extrêmement sérieux et la constance de son intérêt pour la Corée du Nord ont pu laisser penser à beaucoup que Philippe Pons était un analyste des sociétés en marge, un constat qui ne rend pas justice à vrai dire à l’éclectisme de ses centres d’intérêt et pour tout dire à l’ensemble de ses talents car P. Pons est aussi un remarquable traducteur (Yasunari Kawabata : Kyoto, Livre de Poche, 1987, 192 p.) et auteur d’ouvrages et de textes sur l’histoire de l’art (Images du monde flottant : Peintures et estampes japonaises XVIIème – XVIIIème siècles, RMN, 2004, 398 p.), sur Macao (Macao, un éclat d’éternité, Le Promeneur, 1999, 216 p.) et plus souvent encore sur le Japon et les Japonais (Japon, Seuil, 1988, 246 p. ; avec Pierre Souyri : Le Japon des Japonais, Liana Levi, 2004, 159 p. ; Japon d’Hiroshima à Fukushima, Le Monde, 2013, 103 p.). Dans ce contexte, c’est peu dire que son livre sur la Corée du Nord était attendu.
Depuis une bonne dizaine d’années, tous ceux qui s’intéressent au régime communiste nord-coréen attendaient le livre de Philippe Pons. L’attente a parfois du bon. L’ouvrage est une somme, dans tous les sens du terme : 900 grammes d’analyses détaillées de sciences politiques et d’histoire de la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Autant dire que le livre du journaliste français va s’installer durablement dans toutes les bibliothèques des coréanologues et autres spécialistes de Mangyondaologie ; les « Kremlinologues » du Parti des travailleurs de Corée.
Les 49 pages de bibliographie rendent compte pour partie seulement de l’ampleur du travail de documentation effectué par l’auteur pendant plus d’une décennie. On se félicitera des mentions des manuscrits précisant l’édition originale et sa traduction dans la langue de Molière mais plus encore de trouver mention des ouvrages en langue japonaise qui ont été consultés. Une littérature trop peu exploitée y compris par les universitaires américains les plus renommés. C’est heureux car la très grande majorité de ces livres en japonais n’est accessible ni en allemand, ni en français, ni en anglais et ceux-ci ont profondément influencé l’approche conceptuelle de P. Pons à commencer par l’idée d’une rémanence d’un « Etat-partisan » développée depuis le début des années 1990 par le professeur émérite de l’université de Tokyo : Wada Haruki (1938 -). Cette filiation intellectuelle nourrit d’ailleurs le panorama historique de la fin du XIXème siècle à nos jours, une réflexion politique sur la formation de l’Etat, la construction de ses légitimités, l’ordonnancement de son appareil et de ses ambitions. Une déconstruction méticuleuse, non polémique des préjugés et autres jugements à l’emporte pièces sur les Corée du Nord de Kim Il-sung à Kim Jong-un.
Pour un tel travail d’anthologie quel dommage de ne pas disposer d’un index pour suivre les parcours sinueux des acteurs ! D’autant que certains personnages non-politiques font des apparitions fugaces et ont pu offrir au journaliste des informations de première main, que l’on ne retrouve jusqu’ici nulle part ailleurs. Ainsi, les soins apportés par un neurologue français de l’université Pierre & Marie Curie à Paris au lendemain de l’accident cardiovasculaire dont fut victime Kim Jong-il en août 2008, même si ce n’est pas la première fois que des médecins de l’Hexagone apportent leurs concours aux dirigeants nord-coréens à Pyongyang et/ou en France, comme ce fut notoirement le cas par exemples pour le maréchal O Jin-u (1917 - 1995), soigné en métropole pour un cancer du poumon, puis pour Ko Yong-hui (1952 - 2004), la mère de Kim Jong-un décédée d’un cancer du sein à l’hôpital Gustave-Roussy de Villejuif. Les éléments médicaux apportés ici sont loin d’être anecdotiques. Ces événements sont en effet révélateurs des comportements des apparatchiks et la méfiance qui peut être la leur vis-à-vis des grands frères russes et chinois dès lors qu’il s’agit de la vie et de la mort du premier cercle des dirigeants.
Un livre très vivant, une saga familiale palpitante.
Dans son exposé des réalités nord-coréennes, Philippe Pons n’abandonne jamais sa curiosité de journaliste, adoptant même parfois le ton du reportage comme lors du chapitre sur la capitale à l’heure de la dernière succession dynastique. Cela ne veut pas dire que le correspondant du journal le Monde ait cherché à rééditer ses enquêtes publiées dans le quotidien du soir. Non, ses reportages ont nourri sa réflexion politique.
Ce travail de terrain a permis à P. Pons de rédiger non seulement un livre très vivant mais qui n’hésite pas à aborder les sujets les plus récents. Ainsi, l’accession au pouvoir de Kim Jong-un, sur laquelle on sait encore peu de choses, est traitée avec beaucoup d’à-propos.
L’hypothèse selon laquelle l’élite du régime se serait ralliée à une nouvelle succession dynastique y compris pour ne pas donner corps à des interventions de la République populaire de Chine dans les affaires intérieures de la RPDC est des plus intéressante, même si elle est bien difficile à documenter. Il en est de même d’un choix supposé de tensions militaires accrues dans la péninsule par Kim Jong-il afin de mobiliser à partir de 2009 tout un pays derrière ses dirigeants. Un scénario de militarisation plausible et qui n’est pas sans rappeler le mode d’accession dans les enceintes du pouvoir du Cher Dirigeant à partir des années 1970 mais il n’explique pas pourquoi au tournant de la décennie en cours, les organes du parti ont retrouvé une place prééminente dans le processus de décision politique car ils s’avèrent toujours aussi difficile pour eux de répondre aux besoins économiques et sociaux primaires des Nord-Coréens.
Plus qu’ailleurs appréhender finement les rapports entre l’armée et les cercles civils du pouvoir, leurs évolutions et les jeux factionnels est difficile dans le cas nord-coréen. De la même manière, parler des joutes politiciennes contemporaines dans le détail s’avère une gageure même pour un expert comme P. Pons. Toutefois, en reprenant l’idée développée de l’ « Etat-famille », le commentateur aurait pu parler plus longuement des rivalités entre Kim Jong-un et son frère aîné né d’un autre lit : Kim Jong-nam (1971 -) car celui-ci aurait fait l’objet d’une tentative d’assassinat à Macao en juin 2009. Déjouée par les Chinois, elle aurait été perpétrée selon certaines sources sur ordre de l’actuel dirigeant suprême nord-coréen. En outre, les liens étroits entretenus par Kim Jong-nam avec sa tante, la sœur de Kim Jong-il, Kim Kyong-hui (1946 - ) et son époux, Jang Song-taek (1946 – 2013) peuvent expliquer pour partie la disgrâce qui conduisit ce dernier jusqu’au poteau d’exécution. L’élimination de Jang Song-taek pourrait bien, elle aussi, avoir pris un tour familial. Une mise à l’écart aux raisons multiples (ex. relations avec la Chine, processus de réformes, factionnalisme, rupture des relations entre la tante et l’oncle, divergences avec le département de politique générale de l’armée, rivalités entrepreneuriales,…) mais elles ont été accentuées par l’affaiblissement ces dernières années des réseaux de Jang Song-taek dans l’appareil militaire et de sécurité notamment après la disparition de ses deux frères aînés : le vice-maréchal Jang Song-u (1935 – 2009), l’ex commandant de la garde et le lieutenant-général Jang Song-kil (1939 - 2006), l’un des responsables de la défense de Pyongyang.
Comme son père avant lui, Kim Jong-un semble vouloir affermir son pouvoir en s’appuyant sur sa lignée. Il a ainsi fait filtré le nom de sa fille Kim Ju-ae (2012 ? - ), présentée comme étant opportunément née l’année du centième anniversaire de la naissance de son grand-père dont il se plait à ressembler physiquement le plus possible. Kim Jong-un promeut aussi sa fratrie dans son entourage, l’appareil du parti, les forces armées et la sécurité.
Sa sœur cadette Kim Yo-jong est d’ores et déjà la plus en vue. Directrice adjointe du département à l’agitation et à la propagande du Parti, elle aurait convolé en justes noces en 2014 selon l’agence sud-coréenne Yonhap avec un certain Choe Song, un « prince rouge » au cœur des intérêts de la famille puisqu’il travaillerait au département des Finances du parti. Son père Choe Ryong-hae (1950 - ) est le vice-président de la Commission des affaires d’Etat qui vient d’être instaurée et constitue le cœur du nouveau pouvoir. Il est également membre du présidium du parti depuis le VIIème Congrès (mai, 2016). Son épouse, Kang Kyong-sil, aurait été une condisciple et une proche de la mère de Kim Jong-un au temps où les deux femmes étaient des danseuses de la troupe Mansudae. Si manifestement le beau-père de la sœur de Kim Jong-un joue un rôle de premier plan y compris sur la scène diplomatique comme envoyé spécial auprès des partenaires stratégiques [2], sa position élevée dans l’appareil de sécurité il l’a doit à son statut de commandant-adjoint auprès de Kim Jong-un mais aussi au parcours de son père Choe Hyon (1909 – 1982) qui fut ministre de la Défense de 1968 à 1976 et un compagnon d’armes dès les années 1930 de Kim Il-sung au sein de la 88ème brigade.
Le frère aîné de Kim Jong-un, Kim Jong-chol (1981 -) que l’on dit parfois avoir été écarté du pouvoir pour une homosexualité supposée, jouerait également un rôle grandissant dans l’appareil. Selon des informations chinoises, il aurait participé voire dirigé l’arrestation de son oncle Jang Song-taek. Quant à la demi-sœur Kim Sul-song (1974 - ) qui aurait été en charge des déplacements de son père Kim Jong-il, on ne sait quasiment rien de ses fonctions actuelles si ce n’est qu’on l’a déjà vu photographiée en uniforme de lieutenant-colonel des forces armées. Manifestement la saga familiale n’est pas terminée. Elle mériterait à elle seule un ouvrage aussi accompli que celui de P. Pons qu’on a entre les mains. Le journaliste français installé à Tokyo ayant pu se rendre après la publication de son « Etats-guérilla en mutation » une nouvelle fois à Pyongyang, peut-il se lancera-t-il dans un tel nouveau défi de plusieurs années !
Copyright Mars 2017-Guilbert/Diploweb
Plus
. Dorian Malovic et Juliette Morillot, La Corée du Nord en 100 questions, Tallandier, 381 p, 15,90€.
4e de couverture
Faut-il avoir peur de la Corée du Nord ? Les dirigeants nord-coréens sont-ils fous ? Comment la Corée du Nord est-elle devenue la première dynastie communiste du monde ? Combien la famine a-t-elle tué de Nord-Coréens en 1995 ? Comment vit-on aujourd’hui en Corée du Nord ? Une économie de marché y est-elle née ? Comment les réfugiés nord-coréens sont-ils manipulés ? Derrière les menaces nucléaires, que veut vraiment Pyongyang ?
La Corée du Nord défie le monde. L’intensification des essais nucléaires et des tirs de missiles balistiques menés par le jeune leader Kim Jong-un ravive plus que jamais les tensions en Asie du Nord. Systématiquement diabolisée, la République populaire démocratique de Corée reste pourtant une énigme pour les Occidentaux.
Pour dépasser fantasmes et clichés, Juliette Morillot et Dorian Malovic lèvent le voile sur la réalité de cette puissance nucléaire qui inquiète chaque jour davantage la planète.
En 100 questions, ils racontent l’Histoire ancienne pour éclairer le présent, décryptent l’impuissance de la communauté internationale face aux provocations de Pyongyang et nous révèlent une société traversant une mutation sans précédent.
Sur le site des éditions Taillandier
. Philippe Pons, Corée du Nord. Un Etat-guérilla en mutation, Gallimard, 707 p., 34,50€.
4e de couverture
La Corée du Nord est le pays le plus haï, mais aussi le plus mal connu de la planète.
Comprendre les ressorts d’un système totalitaire sans équivalent par son monolithisme idéologique, l’inscrire dans son espace et dans son temps pour en saisir l’ancrage et décrypter le fonctionnement d’une économie émergente, de facto de marché : tel est l’objet de ce livre.
La Corée du Nord est le fruit d’une histoire disputée : colonisée par le Japon (1910-1945) puis divisée par les États-Unis et l’URSS en 1945, partition entérinée trois ans plus tard et contestée par une guerre fratricide (1950-1953), et restée depuis sans traité de paix.
Kim Il Sung au pouvoir a élevé la lutte de libération au rang de récit fondateur et organisé le pays sur le modèle d’une unité de guérilla, entretenant la population dans une mentalité d’assiégé permanent. La résilience de cet « État-guérilla » est sans doute à chercher moins dans son caractère stalinien que dans un nationalisme invétéré.
La Corée du Nord évolue néanmoins vers une économie hybride, où la frontière entre secteur public et initiative privée est de plus en plus floue et qui génère de profondes mutations sociales.
Cette évolution interne a pour toile de fond des enjeux géostratégiques : les risques entraînés par les ambitions nucléaires de Pyongyang, les visées hégémoniques du puissant voisin chinois et le retour de la Russie dans le Grand Jeu diplomatique.
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[1] De retour de Pyongyang : « Travailler plus pour gagner plus » , Asyalist, 12 décembre 2016 (https://asialyst.com/fr/2017/01/09/retour-pyongyang-travailler-plus-pour-gagner-plus/) – De retour de Pyongyang : « Apprendre les bonnes manières avec l’étranger », Asyalist, 9 janvier 2017 (https://asialyst.com/fr/2017/01/17/retour-pyongyang-aprendre-bonnes-manieres-avec-etrangers/)
[2] En 2013, Choe Ryong-hae est envoyé en Chine puis en novembre 2014 il est dépêché auprès de V. Poutine avec une missive du nouveau leader suprême nord-coréen.
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