Professeur des Universités, historienne, ancien élève de l’ENS, ancienne auditrice de l’IHEDN, enseigne à l’INALCO. Ex - consultante à la DAS, ministère de la Défense, elle a publié un grand nombre d’articles et d’ouvrages consacrés aux équilibres géopolitiques du monde contemporain.
Le Diploweb.com publie un livre de Catherine Durandin, OTAN, histoire et fin ?.
« Le constat s’impose, au moins à titre provisoire : une institution dont les membres ne s’accordent qu’à minima, sur son rôle actuel, et moins encore sur son rôle futur, est une institution en crise, même si sens politique et sens bureaucratique se rejoignent pour garantir sa survie. »
Dominique David, France/OTAN, La dernière marche, Politique Etrangère 2/2008, p. 434.
Voir le chapitre précédent, 8. OTAN, histoire et fin ?
L’OTAN, la France et le bourbier afghan
LE 5 FEVRIER 2011, lors d’un colloque organisé par l’association « Démocraties » et consacré à l’état présent et au futur de la Russie, le général Michel Yakovleff, représentant du Commandement suprême interallié auprès du Comité militaire de l’OTAN avance quelques propos qui font à demi sourire le public nombreux réuni dans l’une des salles de conférence de l’Assemblée nationale. Evoquant le sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Lisbonne les 18-20 novembre 2010, le général souligne, avec une pointe d’humour, que tout va très bien pour l’OTAN, en particulier pour l’OTAN et sa relation avec la Russie et que nous serions entrés dans une ère nouvelle, marquée par l’esprit de Lisbonne, optimiste.
La déclaration publiée par les chefs d’Etat et de gouvernement qui ont participé à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord, le 20 novembre 2001 s’ouvre sur une tonalité ferme et positive. A lire les lignes qui suivent, l’on ne peut que se rassurer : défense de la liberté, des valeurs et de la sécurité s’inscrivent dans la longue durée de l’histoire de l’OTAN depuis 1949 : « Nous réaffirmons notre attachement à la vision et aux valeurs démocratiques communes énoncées dans le traité de Washington ainsi qu’aux buts et aux principes de la Charte des Nations- Unies (…) L’ Alliance a le devoir et la volonté de continuer à remplir efficacement, et toujours dans le respect du droit international, trois tâches fondamentales essentielles- la défense collective, la gestion de crise et la sécurité coopérative- qui toutes contribuent à la sauvegarde de ses membres »…Ces mots renvoient à d’autres formules analogues, prononcées lors du sommet de l’OTAN à Prague, le 21 novembre 2002. Mais alors, à Prague, pesaient encore très proches les images et la mémoire des attentats du 11 septembre 2001. L’administration Bush se voulait martiale ou « marsienne » pour s’inscrire dans le langage des néo -conservateurs, et la déclaration du sommet débutait sur un ton d’alerte et de mobilisation à la fois : « Nous, chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de l’ Alliance de l’Atlantique Nord, nous sommes réunis aujourd’hui pour élargir notre Alliance et renforcer encore l’OTAN face aux nouvelles menaces graves et aux redoutables défis de sécurité du XXI ème siècle… » L’accent était mis sur la dynamique d’extension de l’OTAN, avec à cette date, l’annonce de l’invitation à l’intégration faite à la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. L’OTAN s’engageait à mieux remplir toute la gamme de ses missions et à répondre aux défis que représentent le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. C’était le temps de l’assurance et de la performance.
Catherine Durandin, OTAN, Histoire et fin ? Ed. Diploweb, 2013
Le livre complet au format pdf. 2,2 Mo
Les entrées en matière de la Déclaration du sommet de Strasbourg - Kehl du 4 avril 2009, sont plus sobres alors qu’est célébré le 60 ème anniversaire de l’OTAN. Est évoqué un processus de long terme pour le rôle de l’OTAN dans le cadre du nouvel environnement sécuritaire du XXI ème siècle. La présidence d’Obama rompt avec le style va-t-en guerre de G. W. Bush. Le Président américain a rêvé, à Prague, au fil du discours prononcé, le 5 avril 2009, la réduction du rôle des armes nucléaires affirmant l’engagement des Etats-Unis à chercher la paix et la sécurité dans le monde, un monde débarrassé de l’arme nucléaire… Le discours d’Obama retrouvait à Prague les accents du démocrate Wilson inspiré, lors du congrès de Versailles en 1919, par le projet de paix perpétuelle de Kant, daté de 1795.
Chaque étape de la transformation de l’OTAN post - 2001, s’est inscrite dans le contexte d’insécurités qui évoluent et dont la prise en compte, au nom de la représentation et de la conception que les membres de l’Alliance se font de la sécurité, s’élargit. Les responsabilités de l’OTAN s’étoffent, la réflexion stratégique s’adapte, l’outil militaire entend, ou du moins, prétend coller aux défis. Au sommet de Prague, en 2002, la préoccupation terroriste domine. La résolution est donc prise de souscrire à la mise en œuvre de cinq initiatives de défense contre les armes nucléaires, biologiques et chimiques et de renforcer les capacités de défense contre les armes de destruction massive. Washington, alors en pleine préparation de l’offensive contre l’Irak de Saddam Hussein, se focalise sur la prétendue existence cachée de ces armes en Irak pour légitimer sa posture. La défense contre le terrorisme suppose également de renforcer les capacités de l’Alliance dans le domaine du renseignement et d’améliorer le partage des informations. Les temps sont graves mais l’Alliance s’applique à contrebalancer ses inquiétudes par un credo plein de satisfaction à l’adresse de l’élargissement à de nouveaux partenaires.
Faux semblants, culture de l’illusion, sans nul doute, mais l’attachement des ténors de l’administration Bush à la croisade de démocratisation qui irait du limes occidental russe, à l’espace mer Noire, au Moyen - Orient et aux Balkans, ne faiblit pas. C’est ainsi que, sans froncer les sourcils et en assumant le risque de n’être pas crus, les membres de l’Alliance saluent en l’Albanie un pays ayant réalisé des progrès significatifs, jouant un rôle constructif pour la stabilité régionale… C’est oublier que l’Albanie est une plaque tournante de tous les trafics, armes, drogue, prostitution qui n’a pour rival sur ce terrain que le Kosovo ! Un pays profondément divisé qui n’est pas en mesure de proposer quelle que stabilisation que ce soit. Ce volontarisme optimiste nourrit de nouveau la déclaration du sommet de Riga, en 2006 : l’Alliance assure son soutien au Président Karzaï en Afghanistan et déclare que « les Afghans ont accompli beaucoup ces dernières années. Des institutions démocratiquement élues sont en place et avec la mise en œuvre de stratégies nationales de reconstruction et de développement, des millions de personnes voient leur vie améliorée. » La patte de l’administration Bush, ses ambitions et sa rhétorique sont encore très lisibles dans le communiqué officiel qui suit le sommet de l’OTAN à Bucarest, le 3 avril 2008. La Roumanie de Traian Basescu affiche un atlantisme sans faille en 2008, le Président Basescu se présente comme un partenaire privilégié de Washington et caresse des rêves de grande politique « otanienne » en mer Noire, au nom de la gestion de la sécurité, soutenu par des conseillers américains très présents. L’été 2007 a vu l’installation de la première base américaine sur le sol roumain, aux termes d’un accord passé en décembre 2005. La préparation du sommet suscite fièvre et grand émoi à Bucarest : le Palais du Parlement accueille les participants qui se souviendront des temps où Ceausescu, fidèle au Pacte de Varsovie, menait des travaux pharaoniques pour sa construction. Trois étages du Palais transformés en centre de presse sont ouverts à 3 500 journalistes. 7 000 militaires sont requis pour garantir la sécurité. Victor Micula, chargé d’organiser l’évènement se félicite : « La désignation de la Roumanie, un membre relativement récent de l’OTAN, pour organiser un évènement de ce genre est une preuve de la reconnaissance de notre contribution aux opérations de l’OTAN ». A Bucarest, en dépit des incertitudes quant au futur de la politique étrangère de Washington, dues à la campagne Présidentielle aux Etats-Unis, l’euphorie est de bon ton. C’est cette ambiance, peut être, qui pousse les membres de l’Alliance à présenter un état angélique des lieux au Kosovo, porteur de bons espoirs pour l’établissement d’un Kosovo stable, démocratique, multi - ethnique et pacifique. Une fois encore, crime organisé, corruption et gouvernement aux mains de clans proches des milieux maffieux sont oubliés. Le décalage entre les réalités du terrain et l’espoir affiché de paix et de démocratie est flagrant et dérangeant.
Tout va toujours pour le mieux, deux ans plus tard, en 2010, au sommet de Lisbonne. Le Président russe D. Medvedev, invité, a accepté d’être présent. Il a rencontré quelques semaines plus tôt Nicolas Sarkozy et Angela Merkel à Deauville. La Guerre froide est bien finie, les grands Européens traitent avec la Russie tout en rappelant l’existence du lien euro - atlantique et le respect du droit international sous l’égide de l’ONU. Varsovie recevra, à son tour, Medvedev sur le mode de la réconciliation le 7 décembre, une réconciliation entre les deux pays, affichée depuis l’été. A Lisbonne, est dite et redite la solidarité des membres de l’Alliance qui parlent d’une seule voix et proclament l’indivisibilité de la sécurité.
Le sommet qui doit accoucher d’un nouveau concept, près de 10 ans après la prise de conscience de la nouvelle menace terroriste et alors que l’OTAN s’est étendue par vagues depuis 1997 en Europe centrale et orientale, a fait l’objet d’une préparation intense et soigneuse. Car l’élaboration du nouveau concept OTAN - le précèdent date de 1999 - est en cours : une OTAN destinée à être plus agile et plus performante qui aura un meilleur rapport coût - efficacité et restera un instrument essentiel pour la paix, selon les termes de la déclaration du 20 novembre 2010. La formule de coût - efficacité pourrait alerter en ce qu’elle annonce de contraintes économiques et d’une approche nouvelle quant à la gestion de la sécurité.
La décision a été prise à Strasbourg -Kehl en avril 2009, de former un large groupe d’experts pour préparer le nouveau concept stratégique de l’OTAN. Le groupe d’experts se met au travail en septembre 2009 sous la direction de Madeleine Albright, très attachée à l’Alliance. Elle l’a prouvé. Les experts, parmi eux Bruno Racine pour la France, sont en contact avec des analystes civils et militaires des pays de l’Alliance et des pays non membres. Des contacts sont pris avec Moscou, les 10 - 11 février 2010, avec l’OSCE en mars – avril 2O10. Les experts s’appliquent à évoluer dans la transparence et à afficher leur entente. Le travail débouche sur un rapport final, remis au secrétaire général de l’OTAN.
Volumineux, le rapport est construit en deux parties, bilan et perspectives. A suivre l’exposé de l’état des lieux du monde tel qu’il est et de la sécurité telle qu’elle est pensée, une vague de pessimisme, sinon de peur mêlée d’impuissance, envahit le lecteur ! Le 11 septembre a mis en lumière la relation entre terrorisme et technologie, la nécessité du partage du renseignement. L’alerte est sonnée pour cause de prolifération nucléaire. Si le sujet n’est pas neuf, il prend des dimensions nouvelles. La piraterie, les risques qui pèsent sur les approvisionnements énergétiques, sur l’environnement sont devenus palpables. La crise économique et financière est mère de tous les dangers. Et l’Alliance, dont le fonctionnement repose sur le consensus, compte maintenant 28 membres ! Il y a les membres fondateurs et les nouveaux venus, rescapés du Pacte de Varsovie. Ces facteurs impliquent de revoir le concept de l’Alliance, ses missions, ses procédures et sa planification.
Le tableau sombre du monde tel qu’il est en 2010 n’est pas contestable. Ces éléments de crise et de dysfonctionnement sont connus de tous et s’imposent comme introduction à toute réflexion sur la gestion de l’avenir. L’objectif fondamental consiste à ajuster l’Alliance, née d’un besoin de sécurité occidentale anti-soviétique, à un monde de chaos, proche de l’apocalypse. Les experts n’ont pas froid aux yeux et le champ spatial des interventions de l’OTAN est rappelé pour bien signifier l’extension des zones d’action de l’Alliance : combat contre le terrorisme en Afghanistan, combat contre la piraterie dans le golfe d’Aden, sécurité à assurer en Méditerranée, formation et équipement des forces de défense iraquiennes, construction de sociétés plus stables en Bosnie - Herzégovine et au Kosovo… Cela, pour les tâches présentes qui ne vont manquer de s’étendre. Il est clair, les experts s’emploient à le répéter au fil des pages de leur rapport, qu’une défense effective contre des menaces non - conventionnelles ouvre le champ d’action de l’Alliance bien au-delà de l’espace territorial de ses 28 membres. Cette ouverture est un fait acquis. Le poids de ces missions devient vertigineux. Le rapport, avec prudence, en revient au texte fondateur de 1949 pour relire les engagements qu’impliquent les articles 4 et 5 du traité.
L’article 5 impose une réaction d’assistance en faveur d’un membre de l’Alliance agressé en une formulation précise qu’il importe de rappeler : « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elle dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations-Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. »
Jusqu’où irait alors la solidarité face à une menace venue de la Russie, par exemple, et comment cette menace serait-elle appréciée, évaluée ?
L’article 5 est donc limpide. Mais et ce mais est de taille, il est précédé de l’article 4, en retrait, qui chiffonne certains des nouveaux membres. Car cet article, nuancé en sa brièveté, évoque la phase éventuelle de consultations préalables à la reconnaissance de l’agression dont traite l’article 5 : « Les parties, est-il exposé, se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée. » Jusqu’où irait alors la solidarité face à une menace venue de la Russie, par exemple, et comment cette menace serait-elle appréciée, évaluée ? A Bucarest ou à Varsovie, les inquiétudes persistent. Y aura-t-il bien volonté de passer à l’article 5 ? L’équilibre est précaire : d’un côté l’OTAN renforce le dialogue avec les Russes, de l’autre les puissances régionales, Pologne et Roumanie en l’occurrence, penchent, pour plus de sureté, vers des liens bilatéraux avec Washington. La Roumanie se réconforte : elle accueille sur son sol des bases américaines… De son côté, le jour qui précède la réunion de Lisbonne, le ministre de la défense polonais Bogdan Klich, annonce que son pays est prêt à accueillir des avions américains F 16. En dépit de la normalisation de ses relations avec Moscou, Varsovie tient à développer une relation bilatérale avec les Etats-Unis. La Roumanie va dans le même sens, comptant plus pour sa sécurité sur les Etats-Unis que sur la machine de l’OTAN. Que les Européens de l’Ouest accusent Polonais et Roumains de paranoïa anti - russe, ne change rien à une conviction ancrée à Varsovie comme à Bucarest : pas de salut hors du lien privilégié avec le grand frère américain. Car Moscou demeure imprévisible allant du « reset » avec Washington à des prises de position hostiles à l’adresse des Etats-Unis et de l’OTAN, au grès des besoins politiques intérieurs, quand souffle l’esprit du retour à la grande patrie russe que Poutine manie avec un grand art. Sans prendre de gants.
Le rapport Albright fascine de par son va - et - vient entre l’ambition et la prudence, entre l’ubris et la modestie. Essentiel et ambitieux, le projet de Défense Anti - Missile - Balistique, (ABM) avancé par l’administration Bush et repris, sous une forme modifiée, par la présidence Obama, défense assurée contre des agressions potentielles de l’Iran et de la Corée du Nord. L’idée serait de déployer par phases un système ABM dans le contexte de l’OTAN, donc avec la participation des membres de l’OTAN, en proposant une participation à la Russie qui reste à définir. L’ouverture faite aux Russes de participer à la mise en place du système ABM est vague. A Lisbonne, le Président Medvedev exprime sa satisfaction : l’invitation faite à la Russie illustre, selon ses propres termes, le respect de principes d’égalité et de transparence, puis il avance l’idée de créer une défense sectorielle. Qu’entend- il par là ? Ne serait-ce pas, derrière cette notion de secteur, tenter de dessiner une sphère d’influence ? Pour ce qui est de la politique nucléaire, les principes de lutte contre la prolifération, de réduction des forces nucléaires en coopération avec la Russie sont réaffirmés. L’avenir repose sur une coopération avec la Russie mais rien n’est joué, car le pragmatisme russe est nourri par la volonté de restauration de puissance. Rien n’est acquis, lorsque pour obtenir plus, Moscou joue l’Ours en colère, lance des propos agressifs : l’extension de l’OTAN est comparée à la politique de poussée vers l’ Est du Troisième Reich.
A l’avenir, l’implication des civils sera de plus en plus forte dans le cadre de l’accomplissement des missions de l’OTAN et, nouveauté à souligner, le futur verra la multiplication des partenariats avec des membres hors OTAN. Le rapport décline soigneusement ces partenariats : avec l’Union européenne, avec l’ONU, avec l’OSCE, avec la Russie, avec la Géorgie et l’Ukraine, avec le Dialogue méditerranéen, avec l’Initiative de coopération d’Istanbul, avec des partenaires à travers le globe. L’Australie contribue largement à la mission de l’OTAN en Afghanistan, la Nouvelle - Zélande est présente, la Corée s’est engagée à envoyer un contingent, le Japon s’implique financièrement dans la reconstruction.
A ce point du rapport, à ce moment de l’exposé concernant les partenariats, les experts ont-ils été saisis par le doute ? Avec ces nouvelles liaisons excentrées, que devient la légitimation fondamentale d’une Alliance fondée sur des valeurs euro-atlantistes ? Mesurant le risque de dérapage, les experts se veulent rassurants et s’empressent de déclarer que « ces démocraties ne sont pas seulement des partenaires en raison du besoin, mais qu’ils partagent des valeurs communes quand bien même ils n’entrent pas dans des cadres formels et institutionnalisés de dialogue avec l’OTAN. » En réalité, le lien intrinsèque entre OTAN et civilisation occidentale est quasiment évacué. Ce trop rapide rappel d’un attachement à des valeurs communes laisse également de côté le fondement du partenariat si fortement souhaité avec la Russie ! Car il serait peu aisé de démontrer que la Russie post - soviétique souscrit aux valeurs libérales et démocratiques occidentales ! Le trouble né de ce flou de la réflexion quant à l’articulation entre sécurité et démocratie, augmente avec le chapitre 4 du rapport portant sur les aspects politiques et organisationnels de l’Alliance, comme si, d’un coup, la valeur ajoutée et bénéfique des partenariats se trouvait remise en cause. Le retour à l’expérience des opérations en Afghanistan, sous l’égide de l’OTAN, pose de difficiles problèmes : l’Alliance, sur le terrain manque d’unité de commandement et les restrictions (caveats) voulues par certaines nations, lorsque les modalités de l’emploi de leurs contingents est en jeu, entraînent des dysfonctionnements tactiques. Au sein d’une coalition, chaque nation entend préserver son mode d’opération ! Ces dysfonctionnements sont parfois responsables de pertes civiles. Alors, les experts tournent en rond : oui, des partenariats tous azimuts, il en faut, mais pas aux dépens de l’unité de la chaîne de commandement, aux dépens d’une culture de guerre commune. Enfin, concrètement, la coopération des civils sur un terrain de crise ou sur un lieu de conflits, est bienvenue, mais il faut entraîner ces civils.
Pour lutter contre ces désordres, au niveau des terrains d’action, et pour masquer un vide de pensée stratégique fondamentale due à l’absence de définition de la mission occidentale, les experts se débattent avec les grands principes organisationnels. L’accent mis sur cet aspect pratique permet de proposer des mesures précises : il est urgent de revoir, avec 28 membres, le processus de prise de décision. L’OTAN repose sur une logique consensuelle. Le principe du consensus doit être préservé, mais étant donné qu’il s’avère non opérationnel et handicapant en cas de crise, alors déléguons une autorité prioritaire au secrétaire général, en le laissant décider sur une base de règles d’engagement préalablement fixées.
Viennent les considérations attendues, mais inquiétantes : les capacités manquent, les investissements européens dans l’outil militaire sont insuffisants. Le message est clair : le fossé entre l’investissement américain et européen pourrait bien miner la cohésion de l’Alliance. Les niveaux de crises redoutées différent : la cacophonie sur le champ de bataille est une chose, le désaccord sur les missions et la hiérarchie des urgences, en est une autre.
A court terme, l’OTAN ne peut échapper à des coupures budgétaires : le nombre des quartiers généraux passera de 11 à 6, l’Alliance compte réduire à 3, ses agences et bureaux de communication contre 14. A la veille du sommet de Lisbonne, le premier ministre britannique David Cameron annonce des diminutions drastiques du budget de la Défense. A Washington, l’avenir du budget du Pentagone s’annonce sombre : Obama lance un processus de forte réduction des dépenses pour les dix années qui viennent.
Le sommet de Lisbonne a débouché, dans le cadre d’un registre de communication qui s’est voulu tout à fait positif, sur une déclaration finale très ambitieuse : l’Alliance se veut apte à promouvoir la stabilité internationale. L’Alliance entonne le langage de la globalité. Comment échapper à cette représentation du monde global ? Mais que signifie ce global entre spécificités culturelles, nationales et universalisme des valeurs occidentales ? La notion de mission globale se veut comme l’envers positif du chaos contemporain. Comme le préconisait le rapport dirigé par Madeleine Albright, la coopération avec la Russie, l’extension des partenariats ont été repris. Mais, le sommet se tient tandis que s’enlise la guerre en Afghanistan. Alors, signe nouveau des temps, la déclaration de l’OTAN salue les 143 000 personnels militaires et civils engagés en mission. Elle évoque les morts et les blessés, affirme son soutien aux vétérans, comme pour ne pas évacuer la réalité de la guerre, de la souffrance et du deuil. Les buts affichés pour l’Afghanistan ont changé, plus question de démocratiser mais bien d’assurer sécurité et stabilité, et d’entrer dans un processus de transition qui, à l’horizon 2014, devrait voir les forces afghanes endosser la responsabilité de la sécurité de l’Afghanistan.
Comme le laissait longuement et explicitement entendre le rapport Albright, l’appel à d’autres acteurs que les forces militaires est renouvelé sous l’égide de cette notion de global : « Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la zone euro-atlantique, l’OTAN doit travailler avec d’autres acteurs pour contribuer à une approche globale qui combine efficacement les instruments politiques, civils et militaires de gestion de crise… » Le vocabulaire choisi, « gestion de crise » renvoie à l’utilisation de l’article 4 du traité de l’Atlantique Nord, c’est- à - dire au temps privilégié de la négociation et du politique.
La déclaration n’est pas dépourvue de contradictions.
La plus flagrante porte sur l’énoncé de la relation à la Russie : partenaire stratégique sollicité mais dont les intérêts nationaux spécifiques, dont les points de vue quant à sa sécurité ne sont pas respectés. En effet, l Alliance, déclarant que la porte de l’OTAN reste ouverte, se dirige vers l’Ukraine et vers la Géorgie pour se féliciter de l’ouverture récente du Bureau de liaison de l’OTAN en Géorgie, et du dialogue politique de haut niveau au sein de la Commission OTAN - Ukraine. N’est-ce pas agiter un chiffon rouge, au regard de Moscou, en tout cas ?
La déclaration n’est pas exempte d’imprécision lorsqu’elle évoque la coopération avec l’UE… L’OTAN et l’UE travaillent côte à côte, nous dit-on, en expliquant que « nous sommes déterminés à améliorer le partenariat stratégique OTAN/UE. » A chacun, partis politiques et gouvernements des pays de l’UE, de se positionner.
Sur un point annoncé dans le rapport Albright, les données tombent, sèchement incontournables : la nouvelle structure représente une diminution importante du nombre des quartiers généraux et une réduction des effectifs de 35% soit de 5000 postes, voire plus si et où cela sera possible…En dépit de cette nécessité d’économies à réaliser, l’OTAN se lance dans la construction d’un nouveau siège à Bruxelles, d’ici à 2015. Le coût de la construction devrait s’élever aux environs d’un milliard d’euros. Sur la durée du projet, la participation française s’élèvera à 110, 112 millions d’euros. Jean Dominique Merchet, pour son site Marianne 2, Secret Défense commente, le 17 février 2011 : « Alors que les responsables de l’Alliance atlantique et notamment le secrétaire général de l’OTAN ne cesse de dénoncer, souvent à juste titre, la faiblesse des dépenses militaires en Europe, le choix de consacrer un milliard d’euros pour abriter la bureaucratie de l’Alliance pourrait au moins être discuté… »
Bruno Racine a travaillé comme expert français dans le groupe Albright sur le nouveau concept stratégique de l’OTAN. Le 12 mai 2010, il est auditionné par la Commission des Affaires Etrangères du Sénat présidée par Josselin de Rohan.
Plusieurs interrogations se font alors jour. La première question porte tout naturellement sur les missions de l’OTAN que le rapport Albright a définies ou a tenté de décliner comme globales, civiles et militaires. Les inquiétudes énoncées signalent un urgent besoin de précision. « Dans quelle mesure l’OTAN doit-elle intervenir hors de la zone euro-atlantique ? » demande Josselin de Rohan. Que cette question puisse sembler dépassée ne devrait pas interdire de formuler une réponse, car la mission d’une Alliance Militaire dotée de moyens d’intervention est chose sérieuse. Pourquoi cette insistance à interroger alors que le rapport Albright a déjà donné la réponse en impliquant l’OTAN en ces tâches diverses de gestion de la sécurité ? Dernière ombre née de l’insuffisance ou d’une discrétion trop grande du rapport Albright, celle que suscite la formulation laconique portant sur le partenariat entre l’OTAN et l’Union européenne. Sur ce plan là, pourrions nous rétorquer, est- ce à l’OTAN de répondre ? Car la balle est dans le camp de l’Union européenne.
Ce jour là, au Sénat, Bruno Racine a d’abord voulu calmer les esprits et rassurer les sénateurs français. La France, les Européens n’ont pas été mis de côté lors de l’élaboration du rapport Albright : le général français Stéphane Abrial, à la tête du commandement de l’OTAN pour la transformation a été consulté. Mieux, le groupe d’experts plaide pour le renforcement de ce commandement en vue d’en faire un think tank » de l’Alliance. La pensée stratégique française serait prise en considération… C’est à partir de cette information que Bruno Racine souligne le fait que l’OTAN est le seul lien contractuel entre l’Europe et l’Amérique du Nord, en revenant aux valeurs fondatrices et fondamentales de 1949. C’est à partir de ces fondamentaux que doit être pensé l’élargissement : le caractère euro - atlantique de l’Alliance ne doit pas être remis en cause et son élargissement ne peut être poursuivi que dans la limite de ce critère géographique. La formulation de « critère géographique » semble, à première lecture, claire. En seconde lecture, elle l’est moins : quelles sont les frontières de l’euro-atlantisme ? Englobent-elles l’Ukraine, la Géorgie, la République de Moldavie ? Sans oublier que la Turquie est membre de l’OTAN, hors du champ de l’Europe continentale…
Bruno Racine reprend quelques points sur lesquels s’interrogent experts et politiques français : à l’ordre du jour, le système de protection contre les missiles balistiques (ABM). Le projet de parapluie anti - missile est américain. Il trouve ses origines dans l’annonce par Ronald Reagan en 1983, de la guerre des Etoiles. Ce projet est resté américain, géré en bilatéral, au temps de l’administration Bush, avec les Polonais, les Tchèques et plus tard, les Roumains. Moscou l’a condamné, contesté. En vain. Ce projet de protection verra le jour, contre le risque de missiles nord - coréen ou iranien. Le pas à franchir est celui de l’intégration de ce système dans le cadre de l’Alliance. Pour la France, qui dès 1954 avec la décision de Pierre Mendès France de lancer la recherche nucléaire militaire, et de se doter de l’arme atomique souveraine afin d’assurer une dissuasion d’auto - suffisance, cette ambition ABM se substituerait - elle à la dissuasion nucléaire ? Ce serait la remise en cause d’une posture nationale vieille de plus de cinquante ans. Bruno Racine fait savoir : « Nous avons reconnu l’intérêt de développer au profit des alliés un système de protection contre les missiles balistiques. Il a été clairement souligné qu’une telle protection venait en complément de la dissuasion, mais ne pouvait s’y substituer. » La posture nucléaire de la France est dite et redite. Lors d’un entretien du 16 octobre 2010 avec le secrétaire général de l’OTAN, en vue de la préparation du sommet de Lisbonne, Nicolas Sarkozy rappelle le soutien de principe de la France à la nouvelle approche de défense anti - missile proposée par le Président des Etats - Unis et débattue à l’OTAN. Il annonce « qu’une décision pourra être prise à Lisbonne sur la base d’un projet réaliste, adapté à l’évolution de la menace balistique que font peser certains programmes au Moyen-Orient et accompagné d’un dialogue avec la Russie en vue d’une coopération. » De son côté, le secrétaire général de l’OTAN souligne que la défense anti - missile se conçoit comme un complément à la dissuasion nucléaire et non comme un substitut. Ce chapitre reste ouvert en dépit de propos conjoncturellement lénifiants.
A la commission des Affaires étrangère du Sénat, reste à évoquer la Russie, la relation entre l’OTAN et la Russie. En dépit du climat optimal des relations entre Moscou et Paris depuis le printemps 2010, sur ce sujet qui demeure fluide en fonction des évolutions des intérêts russes, les doutes s’expriment de la part des sénateurs : doutes quant aux intentions de Moscou à moyen terme, quant à la stratégie de Washington au-delà de la conjoncture d’une détente, dite « reset » (relance) de l’amélioration des relations avec la Russie. Qui dit vrai ? Qui ment ? Quelle est la réalité de ce « reset » avec une Russie qui s’emploie à se reconstruire en puissance ? Bruno Racine, sur cette approche du sujet Russie, avance avec prudence. Il reconnaît, que lors de la consultation avec les Russes, menée dans le cadre de la mise en œuvre de son rapport, Albright n’a pas été accueillie à bras ouverts à Moscou. Mais il affirme, d’autre part : « Nous avons eu le sentiment que les Russes étaient tout à fait ouverts à une collaboration réelle sur les menaces communes… » Bruno Racine se dit persuadé de la sincérité du « reset » voulu par les dirigeants américains.
En 2010/2011, l’hypothèse de travail à Washington, à l’OTAN et à Paris repose donc sur une coopération avec la Russie. Cette coopération est dans l’intérêt de Moscou. La Russie, à Lisbonne, pouvait être rassurée par les termes de la déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement. Les mots sont pesés mais l’intention est parfaitement claire : « La coopération OTAN-Russie revêt une importance stratégique (…) Ayant avec elle des intérêts de sécurité communs, nous sommes déterminés à construire de concert avec la Russie une paix durable et inclusive dans la région euro-atlantique (...) Nous cherchons activement à coopérer avec la Russie dans le domaine de la défense anti -missile. »
L’OTAN se félicite de plus de projets de coopération pratique concernant l’Afghanistan : lutte anti - drogue, non - prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, lutte contre la piraterie, lutte contre le terrorisme et réponse aux catastrophes. En phase de crise financière et démographique grave, la Russie entreprend la restructuration de ses forces armées. Le défi est majeur. Toutes les ouvertures sont bonnes à cultiver pour gagner le temps de paix et de détente nécessaire à la restauration de la puissance : avec Washington, Moscou a signé puis ratifié le traité de réduction des armes stratégiques (START) entré en vigueur le 5 février 2011. Le ministre des Affaires étrangères déclare alors : « Tant la Russie que les Etats - Unis partagent la responsabilité de la sécurité du monde ». Ce langage binaire, en un climat qui se veut de détente, sonne comme un rappel du temps de la Guerre froide où se faisaient face les deux adversaires. A l’invitation de l’OTAN pour le sommet de Lisbonne, Medvedev a su répondre, de bonne grâce. Les sujets qui fâchent, et pourraient fâcher dangereusement, Washington s’emploie à les éviter. Certains dossiers ont été rappelés dans la déclaration finale de Lisbonne, listés, sans qu’un traitement immédiat ne soit demandé.
Lors du sommet de Lisbonne, Medvedev a misé sur la détente et l’entente. Les limites du « reset » entre Moscou et Washington sont toutefois présentes, en arrière plan. Ces limites nourrissent, avec les perspectives des élections Présidentielles russes de 2012, le jeu compétitif entre le Président russe et son Premier ministre, Vladimir Poutine. Car les dossiers, restés suspendus à un traitement futur, suscitent des prises de position tantôt en souplesse et tantôt en raideur selon que les déclarations dont ils sont l’objet émanent de l’un ou l’autre des acteurs politiques russes.
Du côté de Washington, le ton n’est pas toujours amène à l’adresse de Moscou. C’est ainsi qu’en visite en Russie, les 9 - 11 mars 2011, le vice - Président américain Joe Biden n’a pas hésité à pratiquer le langage de la fermeté, lors d’un discours prononcé le 10 mars face aux étudiants de l’université d’état de Moscou. Oui, répète-t- il, Washington soutient l’entrée de la Russie dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) mais, et le mais est bien appuyé :« Vous ne réaliserez pas de modernisation industrielle sans modernisation politique ». Joe Biden expose ce que doit être cette modernisation politique : renforcer les institutions démocratiques, laisser les journalistes libres de leurs propos et de leurs publications, accepter la compétition politique et l’existence d’une opposition viable, combattre la corruption…La leçon est directe en dépit du soutien non - démenti à la candidature russe pour l’OMC.
Les négociations ont débuté en 1993… et ont traîné. Or la Russie avait besoin d’entrer dans l’OMC qui comporte 153 membres dont la Chine et représente 96% du commerce mondial. Ce besoin est d’ordre économique, et politique. Faire partie de l’OMC impliquait que la Russie observe un minimum de règles dans les échanges commerciaux, afin de rassurer les investisseurs étrangers. Ses propres capitalistes ont tendance à protéger leurs fortunes dans des niches et des investissements à l’étranger. Politiquement, ce pas franchi figurait comme une nouvelle étape d’intégration « normalisée » de la Russie dans la communauté internationale, alors que l’extension de l’OTAN fut vécue comme une volonté d’exclusion menaçante de la part des Occidentaux. Politiquement encore, l’entrée dans l’OMC supposait que Washington lève un vestige de Guerre froide, l’amendement de 1974, dit Vanick-Jackson qui liait les rapports d’échanges avec l’URSS à sa politique d’autorisation d’émigration des citoyens juifs soviétiques.
Restait une ombre sur cette négociation entre la Russie et l’OMC, une ombre qui provenait du veto que la Géorgie, en tant que membre de l’OMC, prononçait contre la présence de la Russie. Novembre 2011, via une médiation suisse, l’accord est trouvé, la Géorgie recule et retire le veto. Mais, la complexité et la lenteur des négociations portant sur le contrôle des marchandises en circulation aux frontières de l’Abkhazie et de l’ Ossétie du Sud témoignent de l’éventualité des tensions futures. Le cas de la Géorgie et son avenir disent bien l’incertitude, née du flou des projets d’extension de l’OTAN. Rappelons, en effet, qu’en avril 2008, lors du sommet de l’Alliance à Bucarest, Washington soutenait l’intégration de la Géorgie dans l’OTAN. Ce projet d’intégration n’est plus à l’ordre du jour. Il pourrait cependant être évoqué de nouveau, en fonction de l’évolution des équilibres politiques à Washington et de l’état des lieux en Géorgie, cernée par les entités sécessionnistes et russifiées de l’Ossétie du Sud et de l ’Abkhazie.
Sur ce terrain que la Russie considère comme sa zone d’influence, les relations futures avec l’OTAN ne sont pas stabilisées.
Sur le chemin du retour, après sa visite à Moscou, Joe Biden s’est arrêté - surprise, car le choix de cette étape semble avoir été tardif - en République de Moldavie, à Chisinau. Pour évoquer un conflit gelé, le sort de la partie Est de la Moldavie, la Transnistrie, dont la capitale Tiraspol fait figure de musée du stalinisme. Cette Transnistrie s’est séparée de la Moldavie, de manière brutale accompagnée d’un conflit de plus de trois mois autour du Dniestr, entre mars et juillet 1992. En Transnistrie, Moscou conserve une présence militaire, héritage des forces de la XIV ème armée du Pacte de Varsovie. En dépit des promesses faites en 1999 par la Russie, ces forces sont toujours présentes de même que se perpétue la production d’armements… Toutes les négociations pour débloquer cet état des lieux, quel que soit leur format, ont échoué : la Transnistrie s’accroche à son indépendance non reconnue et vit, avec ses 400 000 habitants, du soutien de la Russie. Or, contrairement aux plans de fédéralisation de la Moldavie -Transnistrie avancés par Moscou au fil des années, Joe Biden vient d’énoncer la position radicalement inverse de Washington, c’est-à-dire, la reconnaissance de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Moldavie ! Russes et Américains se retrouvent aux antipodes l’un de l’autre.
Un clivage analogue se fait jour s’il s’agit de s’entendre sur la distribution et les seuils reconnus pour la disposition des armements conventionnels. La fin de la Guerre froide, en novembre 1990, avait abouti à un accord entre Washington et M. Gorbatchev, avec le Traité sur les Forces Conventionnelles en Europe (FCE) : le traité a été complété par le compromis officiel du 14 juin 1991 et le Document final du 5 juin 1992 sur la nouvelle répartition des quotas d’équipements militaires de l’ex- URSS. La zone d’application du Traité s’étend de l’Oural à l’Atlantique. Le traité limite cinq systèmes d’armes ou d’équipements militaires choisis en raison de leurs caractéristiques propres d’armes offensives dont la concentration pourrait être déstabilisatrice. L’inédit de ce Traité, témoignant de l’esprit nouveau fin de Guerre froide, réside dans le système de vérification fondé sur l’échange régulier d’informations et de procédures d’inspection. L’entente initiale s’est peu à peu brisée, au fur et à mesure des étapes de la révision du traité, rendue nécessaire par la fin du Pacte de Varsovie et l’éclatement de l’URSS : la négociation bloc à bloc se trouve obsolète, les signataires optent pour une logique étatique territoriale, les Russes demandent que les seuils de plafonnement soient revus à la hausse. En 1999, lors de la conférence de l’OSCE, le traité initial FCE est adapté. Trois préoccupations se font jour : trop de forces russes sur le flanc sud, une présence militaire russe en Géorgie supérieure à ce que consent Tbilissi, une présence militaire russe en Transnistrie. Les Russes se montrent conciliants et s’engagent à réduire leurs forces. Mais en juin 2007, Moscou réclame une conférence extraordinaire à Vienne, alors que les Alliés insistent pour une réelle application des décisions de 1999. Moscou réplique en annonçant suspendre l’application du traité à partir de décembre 2007. Ce geste intervient dans le contexte de préparation du sommet de l’OTAN d’avril 2008 à Bucarest, avec une logique d’extension de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie pensée et voulue par l’administration Bush. Depuis 2007, le blocage se perpétue. Moscou souhaite sortir de cette situation par le haut, avec une nouvelle proposition, celle d’une architecture européenne de la Sécurité. Quelle serait alors l’articulation entre l’OTAN et l’architecture européenne de sécurité ? Habilement, la Russie déstabilise et l’OTAN et le processus de construction d’une politique européenne de sécurité et de défense. Indirectement, Moscou renforce les failles et fractures existantes au sein de l’UE en attendant de ses membres une réponse, une prise en compte de son initiative. La réaction à cette offre dépendra, pour chaque capitale européenne, de ses relations spécifiques avec la Russie…
Que l’UE se divise, force est de le constater. Elle fut divisée en 2002-2003 face à la décision de Washington d’intervenir militairement en Irak… Elle le fut de nouveau en ce qui concerne les positions à adopter vis-à-vis du régime de Kadhafi et des exactions perpétrés contre ses opposants. Sous la pression de la France, au nom du droit d’ingérence humanitaire, de la Grande - Bretagne et des Etats - Unis, préoccupé par la détérioration de la situation, l’escalade de violence et la lourdeur des pertes civiles, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte le 17 mars 2011 la résolution 1973. La résolution est présentée par la France, le Liban et le Royaume Uni. L’Alliance atlantique, l’UE ne sont pas partie prenante en tant que telles. Cinq membres du Conseil de sécurité s’abstiennent, l’Allemagne, le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie. OTAN et UE sont divisées. La Russie ne partage pas la position des Etats - Unis qui votent cette résolution. La résolution autorise les Etats membres qui agissent à titre national ou dans le cadre d’organismes ou d’arrangements régionaux et en coopération avec le secrétaire général à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque. Mais, et ce mais interroge sur la représentation que la communauté internationale se fait aujourd’hui de la guerre qui n’est pas dite comme telle mais cachée derrière la formule d’opérations militaires. Elle exclut le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelle que forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen. Par contre, elle décide d’interdire tous les vols dans l’espace libyen afin d’aider à protéger les civils…
La mise en place rapide, dès le 19 mars, des modalités d’application de la résolution soulève bientôt la question de la coordination future du commandement. Paris, Londres et Washington sont les acteurs décisifs des premières frappes au dessus de la Libye contre des blindés de l’armée de Kadhafi notamment. Paris rechigne à voir intervenir un commandement OTAN. Orgueil national et prudence afin d’éviter une levée hostile des opinions du monde arabe contre l’Alliance, expliquent cette réticence. La Turquie, pays musulman membre de l’OTAN, se trouve bien embarrassée : le pouvoir mesure la capacité de nuisance de Kadhafi mais se refuse à participer militairement au conflit.
En quelques jours et alors que Washington et Paris s’emploient à associer le monde arabe à leur intervention afin qu’elle n’apparaisse pas comme une agression occidentale, toutes les ambiguïtés identitaires d’une OTAN, relancée comme globale lors du sommet de Lisbonne de novembre 2010, se sont révélées. En effet, les premiers signaux d’une intervention contre les forces de Kadhafi n’ont pas émané de l’OTAN mais d’une coalition de puissances volontaires que boudent des membres de l’Alliance tels que la Turquie et l’Allemagne. Quant à la bonne entente entre Russie et Etats - Unis, les déclarations de Vladimir Poutine la mettent à mal. Le Russe déclare, le 20 mars 2011 : « A l’époque de Bill Clinton, on a bombardé la Yougoslavie et Belgrade, Bush a envoyé des troupes en Afghanistan, ensuite, sous des faux prétextes, on a envoyé des troupes en Irak… Aujourd’hui, c’est au tour de la Libye… Cela devient une tendance forte et une constante dans la politique des Etats-Unis. » Le Président Medvedev intervient pour recadrer son premier ministre mais à un an de la Présidentielle, la posture future de la Russie en sa relation à l’OTAN demeure bien incertaine.
Ajoutons que des membres bienveillants de l’OTAN tel que la Roumanie se sont inquiétés. Le Président N. Basescu est demeuré dans l’attentisme, non pas faute de bonne volonté, mais faute de moyens. Le 20 mars, Basescu prudent a fait savoir que la Roumanie n’avait pas les forces militaires nécessaires pour participer à une action indépendante.
Le débat autour du rôle et de la mission de l’OTAN dans le cas de l’application de la résolution de l’ONU est inquiétant pour l’avenir de l’Alliance. Un pays comme la France, revenue sous la présidence de Nicolas Sarkozy, dans les instances militaires de l’OTAN, aurait tendance à ne pas vouloir agir sous commandement de l’OTAN. On peut arguer de motivations de politique intérieure, expliquer que le chef de l’Etat, avec une opération présentée comme humanitaire au service d’insurgés menacés par Kadhafi, tente de redorer une popularité qui s’est effondrée et s’attribuer un rôle de leader. Si cette explication est fondée, elle n’en demeure pas moins partielle. En fait, alors que le sommet de Lisbonne l’a doté d’une mission multiple et internationale, l’OTAN est si mal perçue dans le monde arabe, en Russie, en Afghanistan et ailleurs, qu’elle se voit imposée de se placer au second rang, de se cacher derrière des commandements supposés acceptables pour n’être ni américain ni par trop atlantiste. L’on glisserait de la défense et de la garantie de valeurs de civilisation occidentale à un rôle humanitaire…
Le débat difficile, lors du drame libyen, autour de la distribution des responsabilités entre OTAN ou coalition de volontaires, membres de l’OTAN et autres, illustre clairement que la grosse machine née en 1949, élargie, alourdie depuis 1997, est bien confrontée à un problème de légitimité qui remet en cause son efficacité. Il aura fallu près d’une semaine de négociations en mars 2011 pour que le commandement OTAN finisse par s’imposer, alors que Paris plaidait pour la mise en place d’un groupe opérationnel réduit à quelques décideurs. Les temps qui changent, les guerres et les conflits qui viennent font de l’OTAN un outil en voie d’être contourné…
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. Catherine Durandin, Sommet de l’OTAN, New Port, 2014
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