7 - OTAN, histoire et fin ?
La France et l’OTAN, les temps qui changent

Par Catherine DURANDIN, le 16 janvier 2014  Imprimer l'article  lecture optimisée  Télécharger l'article au format PDF

Professeur des Universités, historienne, ancien élève de l’ENS, ancienne auditrice de l’IHEDN, enseigne à l’INALCO. Ex - consultante à la DAS, ministère de la Défense, elle a publié un grand nombre d’articles et d’ouvrages consacrés aux équilibres géopolitiques du monde contemporain.

Le Diploweb.com publie un livre de Catherine Durandin, OTAN, histoire et fin ?.

7 - OTAN, histoire et fin ?

Chapitre 7. La France et l’OTAN, les temps qui changent…

« Si l’Alliance Atlantique était autrefois une réponse des démocraties face à la menace soviétique, et de ce fait l’un des symboles idéologiques et militaires de la Guerre froide, elle n’est désormais qu’une structure parmi d’autres. Elle n’est plus et elle n’est pas l’expression d’une politique globale ! En 1966, en plein cœur des tensions Est-Ouest, notre retrait de l’organisation constitua un choc. En 2009, notre retour ne constitue qu’un ajustement qui, de ce fait, ne provoque aucun émoi dans le concert international. »
Jean-Louis Borloo, 17 mars 2009, Sénat.

. Voir le chapitre précédent, 6. Pour le pire ou pour le meilleur, la France solidaire de l’OTAN

Paroles et paroles, et ? Action

QUE DE MOTS dits et répétés par le gouvernement français en 1999 pour s’assurer que le France agit « avec la détermination de faire respecter le droit, la volonté de rétablir la paix, l’objectif de revenir à une solution politique négociée », selon les termes de la déclaration de Hubert Védrine au Sénat, le 26 mars 1999. Que d’énergie pour convaincre, comme en sont persuadés à Washington le Président et Madeleine Albright, « qu’il n’y avait plus moyen de faire autrement ». L’emphase est convenue en temps de guerre patente : « Par son attitude intransigeante, le Président Milosevic porte la responsabilité de l’échec du processus de Rambouillet. Au-delà de toutes les occasions hélas manquées, qui auraient pu permettre de trouver une issue politique et pacifique à cette crise, il est comptable, devant son propre peuple, comme devant l’Histoire », déclare Hubert Védrine, ce 26 mars.

Madeleine Albright entend assurer un « leadership » des Etats-Unis en Europe, Paris parle d’Europe démocratique et insiste, non pas sur la détermination de Washington mais sur le rôle décisif du Groupe de contact, c’est-à-dire sur le rôle des Européens et des Russes. « Nous voulons, affirme le ministre des Affaires étrangères, des Balkans qui deviennent pleinement une partie de l’Europe moderne ».


Catherine Durandin, OTAN, Histoire et fin ? Ed. Diploweb, 2013

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C. Durandin. L’OTAN, histoire et fin ?
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Les faits, l’usage de l’outil militaire parlent d’une autre voix.

La campagne de bombardement de l’OTAN est marquée par 38 400 sorties, et 10 484 sorties avec frappes, 78 jours de campagne. Une première étape destinée à manifester la puissance évolue vers des frappes portant sur des cibles en territoire de la Fédération de la république yougoslave, destinées à casser les moyens de Belgrade de toucher la population civile du Kosovo. Le 12 avril 1999, l’OTAN émet de Bruxelles un nouveau message clair, au nom de la « communauté internationale ». Milosevic sait ce qu’il a à faire : assurer la fin de toute action militaire, assurer le retrait du Kosovo de toutes les forces militaires, des forces de police et des forces paramilitaires, accepter le retour inconditionnel de tous les réfugiés, de toutes les personnes déplacées, faire la preuve de sa volonté de travailler sur la base des accords de Rambouillet.

L’Alliance réaffirme que la responsabilité de la crise présente incombe à Milosevic, qu’il a le pouvoir de mettre un terme à l’action de l’OTAN en acceptant les demandes légitimes de la communauté internationale… La formule, selon laquelle l’OTAN ne fait pas la guerre à la population de la Fédération est répétée, de même qu’est redite la volonté d’intégrer la Russie dans la recherche d’une solution politique au Kosovo. L’OTAN précise l’étendue de son rôle humanitaire : le rôle de l ’Alliance pour répondre à l’afflux des réfugiés en République de Macédoine et en Albanie, en association avec le Haut Comité pour les Réfugiés. La mission du Tribunal pénal International est mentionnée : « Les Alliés rappellent qu’il ne peut y avoir de paix durable sans justice ». Le 23 avril, l’OTAN lance un nouveau message en des termes similaires.

Le 10 juin 1999, Xavier Solana, secrétaire général de l’OTAN, annonce la décision prise de suspendre les opérations de l’OTAN : il a reçu confirmation du Commandant suprême que le retrait des forces de la République Yougoslave hors du Kosovo, était en cours. Le message se veut plein d’espoir. En quelques jours, la situation a basculé, comme si les buts de guerre étaient atteints. Le représentant de la Fédération de Russie, Tchernomyrdine, le représentant finlandais de l’UE, Martti Ahtisaari ont proposé un plan de paix à Belgrade, accepté dès le lendemain. Le 9 juin 1999 est donc signé à Kumanovo, à la frontière macédonienne un accord militaire qui reprend les principes proposés par la Russie et l’UE entre le général britannique Michael Jackson pour l’OTAN et deux représentants militaire et civil serbes. Xavier Solana expose : « L’OTAN aidera tous les réfugiés et toutes les personnes déplacées à rentrer dans leurs foyers. Nous aiderons tous les habitants du Kosovo - quelque soit leur origine ethnique - à reconstruire une société libre, débarrassée de la répression violente qu’elle a connue pendant si longtemps… J’espère que les Serbes du Kosovo resteront chez eux. » Le secrétaire général de l’OTAN croyait-il à ses propres déclarations ? Il se devait de refuser à priori tout processus de purification ethnique.

L’OTAN trace un bilan et invoque surtout un espoir. Espoir de société libre à venir, mais sous contrôle. L’OTAN se hâte de mettre en place la Kosovo Force, la KFOR. Elle est fondée sur la Résolution 1244 du Conseil de Sécurité de l’ONU du 10 juin. Les débats à l’ONU, ce jour là, ont été animés et de longue durée. Indigné, le représentant de la République fédérale yougoslave réclame une condamnation de l’agression de l’OTAN par l’ONU, demande que le commandement de la KFOR relève du Secrétaire Général de l’ONU. Pour la Russie, Lavrov se félicite d’un retour à l’ONU, de la fin des opérations militaires de l’OTAN et accepte l’engagement russe dans la reconstruction sociale et économique des Balkans. Selon Lavrov, la crise du Kosovo a été transformée en catastrophe humanitaire, du fait de l’intervention de l’OTAN. Du côté français, on rappelle la responsabilité de Milosevic, on souligne fortement l’importance et la légitimation par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une présence civile et militaire au Kosovo. La résolution 1244 est adoptée au Conseil de Sécurité par 14 voix, la Chine s’abstenant. Il est décidé du déploiement au Kosovo, sous l’égide des Nations - Unies, d’une présence civile et de sécurité, avec les personnels et les moyens appropriés : les missions sont déclinées, assurer le retrait des forces serbes, démilitariser les forces de l’armée de Libération du Kosovo, assurer la possibilité du retour des réfugiés, la libre circulation, superviser le déminage, soutenir la reconstruction, coopérer avec le Tribunal pénal international, protéger et promouvoir les Droits de l’Homme.

Jour béni que ce 10 juin 1999, pour l’ONU qui entérine une présence substantielle de l’OTAN ; jours qui s’avèrent difficiles, sinon maudits, pour l’OTAN au Kosovo. Bon connaisseur du terrain, Jean Arnault Dérens se souvient : « Quand l’OTAN et l’ONU arrivent au Kosovo, le terrain n’est pas vierge. Les autorités militaires, mais aussi civiles, serbes abandonnent le territoire, à l’exception du nord du Kosovo et des enclaves, mais l’UCK entend mettre en place au plus vite ses propres institutions. Partout où ils le peuvent, les combattants de la guérilla investissent les villes, essayant de prendre position avant l’arrivée des troupes de l’OTAN. L’enjeu est d’assurer une présence armée symbolique, pour prétendre au titre de « libérateurs de la ville ». A Glogovac/Glogovcë, par exemple, quelques unités de l ’UCK, descendues des proches collines, purent parader dans le centre du bourg, tandis que l’armée canadienne surveillait encore l’évacuation des blindés serbes, à quelques kilomètres de distance. » [1] Bien vite, nombre des 50 000 hommes de la KFOR se demanderont ce qu’ils font là, ignorants du terrain, des rapports de force locaux entre UCK et Albanais modérés. Bien persuadés, au bout du compte, que le Kosovo en proie à tous les trafics, en reviendrait à réclamer ce qui était en jeu déjà lors de la conférence de Rambouillet, son indépendance.

L’OTAN accusée

Le stéréotype de « guerre zéro mort » ne tient pas.

L’OTAN a gagné la campagne des frappes aériennes, en 78 jours. Cette victoire masque des déboires, suscite des débats et débouche sur de vrais questionnements. La première observation qui perturbe ou du moins dérange, porte sur l’évaluation des pertes civiles. Le stéréotype de « guerre zéro mort » ne tient pas. Venues de haute altitude pour éviter les tirs de la défense aérienne serbe, les frappes ont touché les civils au sol. L’humanitaire n’est pas toujours humain. Les tirs portant sur des installations industrielles ont engendré une importante pollution. Comment l’OTAN a-t-elle défini les cibles ? Quelle fut la portée exacte de la notion de cible militaire ? L’ONG Human Rights Watch évalue à près de 500 les pertes humaines résultant de 90 « incidents ». Les studios de la radio et de la télévision de Belgrade ont été bombardés, le 23 avril 1999. Amnesty International accuse l’OTAN de ne pas avoir alerté les populations civiles, alors qu’il semblerait que les journalistes étrangers aient été prévenus. L’ambassade de Chine a été frappée ! Erreur de tir ou cible délibérément assumée ? Des tirs de l’OTAN ont tué un groupe de réfugiés kosovars dans le village de Korisa, le 14 mai 1999. L’OTAN plaide : il y avait un camp militaire serbe dans ce village. Sans doute, les réfugiés ont-ils été utilisés comme boucliers humains. La gêne s’installe dans les coulisses. Au ministère français de la Défense, nombreux sont les officiers qui affirment n’avoir pas pu imposer aux Américains une guerre sans effets collatéraux civils.

Au Sénat, sous la houlette de Xavier de Villepin, Président de la commission des Affaires étrangères, le langage, lorsqu’il s’agit des premiers enseignements de l’opération force alliée en Yougoslavie est très « politiquement correct ». Le 30 juin 1999, les tableaux de chiffres concernant la part et le type des missions françaises circulent. 10,9% de missions pour les Français au cours de cette opération, mais « faute de moyens adaptés, nos forces n’ont pu participer ni aux missions de commandement aéroporté, ni à celles destinées à la suppression de la défense aérienne ennemie ». Suivent des considérations d’ordre technique : le regret, accompagné de projets pour l’avenir à engager avec les industriels français, porte sur la nature des systèmes radars qui manquent à la France : les Etats-Unis sont les seuls à disposer de la panoplie anti-radars (capacités de brouillage offensif et missiles spécifiques). La vision de la guerre limitée, vue par le monde politique, témoigne d’une culture de guerre qui évolue du combat avec ses risques et ses effets collatéraux, vers la précision de la chirurgie : l’une des préoccupations de l’OTAN durant la campagne de 1999, a consisté à ne pas gêner le bon fonctionnement de l’activité aérienne civile !

Une adaptation nécessaire est avancée. Elle n’est pas soutenue par une vision franco - française de la gestion de l’outil militaire, mais par une ambition qui se veut européenne : « La guerre du Kosovo a mis en lumière la carence due à l’inexistence actuelle, en dehors de l’OTAN elle - même, de capacités européennes de commandement qu’offrirait une véritable structure de commandement interarmées multinationale. La mise en place d’une structure européenne de commandement interarmées projetable, dotée de capacités adaptées aux dimensions et à la variété des forces déployées du type de celles réalisées sur le théâtre Kosovo-Albanie-Macédoine, s’inscrirait dans la logique induite par les décisions politiques, récemment prises au niveau européen d’être en mesure de préparer et de conduire des opérations en dehors du cadre OTAN. » [2]

La réflexion conduite par la commission des Affaires étrangères du Sénat après la campagne aérienne, relue aujourd’hui, mérite d’être revue : le satisfecit français quant au niveau de participation se conjugue avec le regret de l’insuffisance technologique. Quelle voie choisir et ouvrir ? Un renforcement de l’association avec l’OTAN et les Etats-Unis ? Non. C’est vers l’Europe, l’Europe seule, que la ligne est tracée. Cela, alors que l’Europe n’a eu ni la volonté politique consensuelle ni les moyens militaires de traiter une crise inter - communautaire sanglante. Cela, alors que le Président français s’est employé à impliquer Washington. Paris vit entre trois temps qui ne se rejoignent pas : se côtoient la nostalgie de la puissance, la souveraineté de la décision, l’espérance de la construction de la défense européenne alors que cette Europe repose sur la réconciliation franco - allemande et que l’Allemagne n’est pas une puissance militaire, et n’a l’ambition de n’être qu’une grande partenaire de l’OTAN auprès des Etats-Unis. Le rapport de Xavier de Villepin insiste : « Le niveau d’interopérabilité atteint doit être maintenu et même accru (…) Outre les entrainements spécifiques, cette exigence suppose une participation accrue aux exercices de l’Alliance… ».

Petits pas en arrière, petits pas en avant : la France et l’OTAN

1966, retrait de la France de l’OTAN, 2009 retour de la France dans l’OTAN… Ces deux formules trop rapides sont l’une et l’autre, erronées. En 1966, c’est seulement de l’organisation militaire intégrée que la France se retire, en 2009, ce sont les structures militaires intégrées qu’elle réinvestit. La France n’a jamais renié le traité fondateur de 1949, dont elle fut le principal demandeur avec la Grande-Bretagne, aux débuts inquiétants de la Guerre froide. L’emploi inapproprié des mots n’est pas innocent et exprime tantôt l’anti-américanisme en soulignant une rupture, tantôt un atlantisme affiché en évoquant le retour, comme si cette démarche traduisait le renoncement à un égarement historique. L’anti - américanisme de 1966 connaît bien des limites, et l’atlantisme de 2009 trouve un bémol, quand revient régulièrement l’appel à la construction de la défense européenne dans le discours politique ambiant. Cette insistance européenne pondère l’engagement « otanien » quand bien même est ressassée la complémentarité des deux structures.

C’est donc, le 7 mars 1966 que le général de Gaulle adresse une lettre explicite au Président Lyndon B. Johnson, lettre qu’il situe dans « un esprit d’amicale franchise », selon ses propres termes, pour lui faire part de sa décision de rester - le moment venu - partie au traité signé à Washington en avril 1949, de se retirer des structures militaires intégrées et de « recouvrer sur son territoire, l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé par la présence d’éléments militaires alliés ». L’expression « éléments militaires alliés » s’avère quelque peu brutale. La lettre est accompagnée d’un aide-mémoire du gouvernement français à ses partenaires du traité de l’Atlantique Nord. Durant les mois qui précèdent, de Gaulle n’a pas hésité à jouer avec les nerfs des Etats-Unis, avec l’ambassadeur Charles Bohlen à Paris, semant doutes et incertitudes quant à l’ampleur et à la portée du geste français. Il laissa d’abord entendre que le pacte multilatéral de 1949 devait être remplacé par une série d’accords bilatéraux, pour préciser le 10 février 1966, qu’il ne toucherait pas au traité lui-même mais seulement à l’organisation. Il annonçait, le 21 février, qu’il ne remettrait pas en cause l’Alliance mais bien l’intégration, comprise comme aliénation au leadership américain. La décision dont ne furent informés que les très proches collaborateurs du général s’inscrit dans un contexte international et stratégique. De Gaulle condamne la conduite de la guerre au Vietnam par Johnson, amplifiée par les bombardements du Nord - Vietnam depuis 1964 et s’oppose à l’évolution de la doctrine stratégique de Washington qui évolue vers la riposte graduée : la dissuasion est ré - évaluée par Robert McNamara. Or, cette graduation de la riposte introduit un risque de découplage entre les Etats-Unis et l’Europe. Indirectement, l’éventualité du découplage ouvre une brèche au sein de la sécurité solidaire et justifie le retour à une primauté de l’intérêt national et de la souveraineté nucléaire.

Il y longtemps déjà, dès 1958, que de Gaulle ne se satisfaisait pas de l’état des lieux de 1949. Le 17 juillet 1958, de Gaulle adressait un Memorandum à D.Eisenhower portant sur ses « vues au sujet de l’organisation du monde libre. » Il écrivait : « A la solidarité dans les risques encourus, ne correspond pas la coopération indispensable quant aux décisions prises et aux responsabilités ». Ajoutant, « La France ne saurait considérer que l’OTAN, sous la forme actuelle, satisfasse aux conditions de sécurité du monde libre et à la sienne propre. Il lui paraît nécessaire qu’à l’échelon politique et stratégique mondial soit instituée une organisation dont elle fasse directement partie ». Ce projet d’une OTAN gérée par un Directoire à trois, de Washington à Londres et à Paris, résulte-t-il de l’amertume de ne pas avoir été convié à Yalta en février 1945 ? Quoi qu’il en soit, la réflexion/ proposition/ demande, n’a pas abouti.

Alors les gestes se suivent comme autant de signaux de récupération de la pleine et entière autonomie quant à la gestion de l’outil militaire français ; la flotte française est retirée du commandement OTAN de la Méditerranée, la présence d’armes nucléaires américaines sur le sol français est refusée, les divisions retirées d’Algérie ne sont pas affectées à des commandements OTAN, la flotte française est retirée du commandement OTAN de l’Atlantique…

Mars 1966 ne constitue une surprise ni à Washington ni chez les Alliés. A Paris, les conseils de défense de mai à juin 1966, précisent les modalités et les points de négociation en temps de paix comme en temps de guerre, avec les Alliés. La France reste membre de l’Alliance et révise sa relation avec les structures militaires de l’organisation. Paris cesse sa coopération au Comité militaire et par là même au Comité des plans de Défense et au Groupe des plans nucléaires mais maintient sa participation au Conseil atlantique, organe suprême de l’ Alliance. De Gaulle est allé de l’intégration à la coopération. N’était-il pas en cette démarche fidèle à l’esprit du Memorandum de 1958 et à la loyauté dont il avait fait preuve envers Kennedy, en affirmant son entier soutien à ce dernier, lors de l’escalade de la crise de Cuba ? [3] Henry Kissinger, invité aux journées internationales organisées par l’Institut Charles de Gaulle en novembre 1990, comprend : « Je crois que, fondamentalement, de Gaulle avait une perception juste des choses, même si la façon dont il défendait ses idées pouvait parfois irriter les Anglo-Saxons. J’ai parlé de ce point dans mon ouvrage «  The trouble partnership  » dont une partie est consacrée aux différences d’approche entre les Etats-Unis et la France : « Bien que de Gaulle agisse souvent comme si l’opposition à la politique des Etats-Unis constituait un but en soi, son objectif plus profond est pédagogique : apprendre à un peuple, voire au continent européen, une attitude indépendante et dégagée de toute sujétion. La « folie des grandeurs » dont on accuse si souvent de Gaulle, est très spécifique car elle est liée à une conscience aigüe des souffrances et des déboires de son pays ».

La V ème République reste fidèle à la logique gaullienne, à ce triptyque France souveraine, loyauté au Traité et volonté de poursuivre la construction européenne autour du couple modèle franco-allemand, réconcilié en 1963, sous l’égide de De Gaulle. F. Mitterrand, candidat malheureux aux Présidentielles contre le général en décembre 1965, s’inscrit dans un tracé devenu classique quand sécurité et souveraineté sont en jeu. Le 20 janvier 1983, à Bonn, pour l’anniversaire du traité franco-allemand de 1963, le Président français souligne que l’équilibre des forces en Europe a permis de maintenir la paix et de développer les relations avec l’ Est, pour déclarer : « Le maintien de cet équilibre implique à mes yeux que des régions entières de l’Europe ne soient pas dépourvues de parade face à des armes nucléaires spécifiquement dirigées contre elles. Quiconque ferait le pari sur le découplage entre le continent européen et le continent américain, mettrait, selon nous, en cause l’équilibre des forces et donc le maintien de la paix. » L’auditoire a bien entendu l’engagement transatlantique, mais…Mais aux Nations- Unies, le 28 septembre, le même François Mitterrand proclamait : « Mon pays est indépendant. Sa force de dissuasion n’obéit qu’au commandement du Président de la République. Sa fidélité à l’Alliance atlantique n’entame pas son autonomie… »

Comment, avec un tel héritage, saisir et interpréter l’évolution - faut-il parler de mutation ?- qui se joue dans les années post-Guerre froide, alors que les Européens et l’ONU se montrent impuissants à faire cesser les guerres civiles des Balkans ? En 1995, Jacques Chirac décide du retour de la France dans le Comité militaire de l’OTAN. Est-ce le fait d’une bonne entente avec Bill Clinton, Chirac a été apprécié à la Maison Blanche durant le suspens bosniaque ? Est-ce la conséquence d’un constat : l’outil de sécurité européen n’a pas été apte à dégager Sarajevo, à faire plier les Bosno - Serbes ? Il a fallu faire intervenir la force aérienne de l’OTAN et armer, via les Etats-Unis, les Croates et les Bosniaques ? Est-ce une lecture prospective reposant sur la prise en compte de l’extension de l’OTAN vers le centre est - européen ? Face à ce processus d’élargissement, rester hors du Comité militaire risquerait d’isoler la France et de la priver d’influence en ce nouvel espace en voie « d’atlantisation »… Paris choisit de s’inscrire dans le cours de la transformation de l’OTAN et cherche conjointement, en tant que grande puissance militaire, à construire et à développer son « leadership » européen. Alors ministre de la Défense, Charles Millon prend la plume en mai 1996 pour la très officielle Revue de l’OTAN. Le titre de son article « La France et la rénovation de l’Alliance Atlantique », avec ce mot de rénovation, exprime une démarche précise. Que l’on ne se méprenne pas. La France ne se range pas, elle innove, elle inspire ! La France a annoncé au Conseil de l’Atlantique nord du 5 décembre 1995 qu’elle reprendrait sa place dans les instances militaires de l’OTAN qui respectent sa souveraineté. Désormais, elle prendra part aux réunions du Conseil des ministres de la défense et participe pleinement au Comité militaire, tout en renforçant ses relations de travail avec l’organisation militaire. » Les objectifs formulés sont clairs : contribuer à la réflexion sur la rénovation de l’Alliance, faire partager nos convictions en faveur du renforcement du contrôle politique et de l’identité européenne au sein de l’OTAN. Quand Paris penche vers l’atlantisme, ce serait pour arrimer une Europe puissance. « La prise en compte de la dimension européenne doit constituer l’une des priorités de l’ Organisation atlantique pour l’année 1996 et au-delà », écrit Charles Millon. Le thème du pilier européen, la formule de « l’européanisation de l’alliance » s’installent pour plus de quinze ans dans le langage officiel, évoluant petit à petit en quasi langue de bois. Le ministre décline d’autre part ce que sont et seront les nouvelles missions de l’Alliance : à la défense collective des Alliés, viennent s’ajouter les missions expéditionnaires. Le ministre tire ainsi les leçons de l’expérience bosniaque. De son côté, Jacques Chirac a estimé comme un geste positif, la venue à Paris de Bill Clinton pour signer le traité de Paris, en 1995, à la suite des négociations de Dayton.
Bientôt les perspectives de Paris et de Washington divergent : là où la présidence française entend se voir attribuer un grand commandement OTAN au sud, à Naples, Washington fait la sourde oreille. Quant au pilier européen de l’OTAN, les Etats - Unis demeurent sceptiques : où est la politique étrangère commune qui porterait une véritable défense commune ? Alors « le retour » de 1995 débouche sur la désillusion de Paris et l’irritation de Washington : « Alors que Chirac, de son propre aveu, fait de la réorganisation des commandements une affaire personnelle, Clinton en fait, par nécessité, une affaire nationale. Il n’est absolument pas question pour lui de faire suite à des demandes qui réduiraient le rôle américain à celui d’une solution de dernier recours- société de louage de matériel nécessaire en cas d’action européenne ou brigade de pompiers en cas d’échec à la suite d’une telle action. » [4] La nouvelle avancée de la France vers l’OTAN fin 1995, fut sans doute hâtive et prématurée. A Paris, l’on se mordait les doigts du fait de l’intervention tardive en Bosnie, et sous commandement des Etats-Unis. De là à faire un bond en prétendant inspirer une nouvelle OTAN, et européaniser ses commandements, il y avait une ambition de trop, sans oublier qu’au même temps, en splendide isolement, la France décide de la réaffirmation de sa puissance nucléaire en annonçant la reprise des essais nucléaires en juin 1995 ! La campagne de tirs qui débute le 5 septembre 1995 soulève une vague de protestations internationales. L’arrêt survient très vite, annoncé par le Président français, le 29 janvier 1996…

Les va-et-vient de 1995 - 1996 contrastent avec le suivi de la logique gaullienne des années 1958-1966. Là où il y avait avec de Gaulle, un projet en cohérence identitaire et stratégique, c’est un flou qui domine les années de la fin de la présidence Mitterrand et des débuts de l’ère Chirac. ONU d’abord pour le Président socialiste, OTAN au service de l’Europe et de la France en Europe pour Jacques Chirac. L’intention est respectable, elle est au service de l’intérêt national français mais les malentendus ou non - entendus transatlantiques sont tels que ces espoirs butent sur un échec. La difficile expérience de politique commune et solidaire au Kosovo, le vécu du ressentiment français post - opération contre la Serbie, la culture du mépris ouvert manifestée bientôt par l’administration Bush à l’adresse de la Vieille Europe, - une Europe pointée du doigt comme décadente suite à ses pertes et efforts trop lourds en 1914 – 1918 - la fracture des années 2002 - 2003 entre le Président des Etats - Unis et l’ Elysée quant à la conduite à tenir contre l’Irak de Saddam, la remise en cause et l’effacement de l’influence française en Europe centrale et orientale, tous ces facteurs de crise et de tension vont repousser à une échéance lointaine le vrai réengagement français dans toutes les instances de l’ Alliance. Dans son blog du 20 février 2009, Alain Juppé, revenant sur les moments 1995, formule une mise au point : « En 1995, le Président Chirac et le gouvernement que je dirigeais ont engagé un processus de rapprochement entre la France et l’OTAN. Nous y avions mis deux conditions clairement énoncées : d’abord parvenir à un partage équitable des responsabilités, c’est-à-dire des commandements entre Américains et Européens ; ensuite obtenir de nos partenaires européens le lancement d’une politique européenne de sécurité et de défense (PESD) qui en soit une, ce qui supposait à la fois une volonté réelle de leur part et la levée de la réserve, voire du veto américain. »

A l’époque, ces conditions ne furent pas remplies et la démarche fit long feu.

Mars 2009 : la réintégration

Supposons que le 17 mars 2009, lorsque l’Assemblée nationale vote à 329 voix contre 238 le retour de la France dans le commandement intégré dans l’OTAN, les conditions de partage des responsabilités et de réelle avancée de la politique européenne de sécurité et de défense aient été remplies. Le 11 mars, Nicolas Sarkozy a annoncé la décision de retour et demandé un vote. Il y a longtemps qu’il caresse ce projet, il lui faut tenir compte des susceptibilités nationales qui vont de la gauche républicaine à la droite gaulliste. Le premier ministre François Fillon engage le gouvernement. Vue la présence de la majorité UMP au Parlement, le risque pris est quasiment nul mais le geste se veut solennel. Cette démarche est paradoxale car les autorités politiques s’emploient, par ailleurs, à bien faire comprendre aux Français que la France s’est fortement ré - introduite dans les structures de l’OTAN depuis les guerres des Balkans. Qu’il s’agirait d’un non - évènement. Alors pourquoi tant de précautions ? Durant quelques semaines et en ce jour du 17 mars, les passions politiques se déchainent au Sénat et à la Chambre. En dépit des formules choc de Martine Aubry ou de Dominique de Villepin contre ce retour, l’opinion publique ne s’émeut pas profondément : selon un sondage IFOP/ Paris Match du 10 mars, 58% des Français sont favorables au retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Chiraquiens, Villepin, le Modem, les Socialistes, les Verts s’indignent de cette réintégration conçue comme abandon de l’indépendance, comme alignement atlantiste quand le monde a besoin d’une France libre et potentiellement médiatrice. La France allait se lier les mains, perdre toutes ses marges de manœuvre. Laurent Fabius pour le PS plaide et pose la question : si la France s’était en 2003 trouvée réintégrée à part entière dans l’OTAN, aurait-elle pu faire entendre sa voix et récuser la position belliciste de Washington contre l’Irak ? François Bayrou parle d’amputation… Malgré les qualités oratoires de Fabius, son argument peut être retourné : l’Allemagne, en dépit de son statut de membre intégré, s’est bien permis de ne pas suivre la position de la Maison Blanche sur l’Irak, en 2003 !

La déclaration de politique générale du gouvernement relative à la politique étrangère, lue au Sénat, ce 17 mars 2009, par le ministre d’Etat Jean-Louis Borloo, est d’une remarquable facture. Le propos insère la décision de « retour » dans le cadre global de la politique française, de sa tradition et de ses perspectives. Le facteur - réintégration dans toutes les structures de l’OTAN - se trouve à la fois relativisé et légitimé. Tous les contre - arguments de la gauche, perte de l’indépendance, atlantisme… sont, l’un après l’autre, démontés. La position de la gauche socialiste est attaquée avec humour : « Il est toujours piquant de voir l’opposition faire appel aux mânes du Général, elle qui le combattit sans relâche ! », lance Jean Louis Borloo. A droite, l’on rit et l’on applaudit. Perte d’indépendance ? Mais allez donc dire aux Allemands ou aux Espagnols membres de l’OTAN, ironise le ministre, qu’ils ont abdiqué leur souveraineté !

La tradition est respectée : une nation française à vocation universelle. Avec le retour dans l’OTAN, la France n’abdique pas cette vocation. Pourquoi ? Parce que l’Alliance de 2009 a changé et qu’elle est devenue une structure de sécurité parmi d’autres, elle est une coalition d’Etats volontaires à participation variable : « Elle n’est plus et elle n’est pas l’expression d’une politique globale », précise le ministre. L’orateur décline les priorités de la nation, ses fidélités, soulignant la primauté de l’intérêt national. Au premier rang, l’Europe, « nos intérêts se conjuguent avec ceux de l’Europe » ; est rappelé le projet de l’Union pour la Méditerranée ; est mentionnée la solidarité de la France avec l’Afrique… La formulation, soigneusement mesurée, de la solidarité avec les Etats-Unis devrait rassurer les tenants de l’héritage gaulliste : « Solidarité ensuite avec nos alliés, notamment Américains. De la crise de Cuba à la première guerre en Irak, de la crise des euromissiles au 11 septembre 2001, la France ne s’est jamais départie de son amitié à l’égard du peuple américain. » Le terme d’amitié est ici bien choisi, les relations d’amitié n’aliènent pas. Viennent les mots qui font plaisir : « Alliée mais pas vassale, fidèle mais insoumise, toujours fraternelle mais jamais subordonnée : voilà la nature de notre relation avec l’Amérique (…) L’amitié ne se confond pas avec la naïveté ! » Quant aux dynamiques communes, elles sont connues : l’Iran et la contagion nucléaire, l’Afghanistan, et du côté français : « Nous voulons que la Russie soit traitée en partenaire. » Une telle déclaration est en parfaite harmonie avec le «  reset  » (la relance) des relations entre Washington et Moscou, voulue par Obama.

Les 3 et 4 avril 2009, à Strasbourg - Kehl où se réunissent, les Alliés de l’OTAN, autour de la France et de l’Allemagne, en présence de Barack Obama et de Michèle radieuse, l’ambiance est autre. Si les 50 ans de l’Alliance ont été célébrés à Washington en 1999, c’est en Vieille Europe réconciliée - le symbole de Strasbourg/ Kehl est bien posé - que se tient l’anniversaire des soixante ans, dans une tonalité d’autosatisfaction. Les principaux sujets abordés : l’Afghanistan, la relation avec la Russie et la transformation de l’OTAN qui doit déboucher sur un nouveau concept. Au premier plan, le Président français en entretien bilatéral avec Obama, avant que ne s’ouvre officiellement le sommet, le 3 avril au soir. « Enfin, un mot pour les Français, déclare Sarkozy, c’est tout de même extraordinaire, cela fait des années que l’on envoie des soldats sous la bannière de l’OTAN en refusant de participer au comité qui met en œuvre la stratégie d’emploi de ces soldats. J’ai voulu être transparent et honnête vis-à-vis de mes compatriotes. J’ai voulu assumer mes choix. L’OTAN, cela fait 60 ans que cela existe. S’il y a la paix, ce n’est pas un hasard, c’est parce que l’on est ensemble. Les Etats-Unis, ce sont des alliés et des amis. Ils savent parfaitement que la France sera composée d’amis, d’alliés debout, indépendants parce que l’on fait le choix des convictions ». La formule est significative d’un affichage bilatéral, France et Etats-Unis. Il y a des mois que Sarkozy s’emploie à négocier cette pleine réintégration par le haut. Il aurait déjà évoqué ses intentions auprès de G.W. Bush, lors d’un déjeuner détendu avec la famille du Président américain, le samedi 11 août 2007 à Kennebunkport, la résidence des vacances des Bush dans le Maine. D’un coup, le refrain européen semble étouffé. Cette formulation bilatérale, la tenue du dialogue hissent le niveau de la France. Les informations circulent, les chiffres pleuvent témoignant de la position de bonne élève de la France : le pays n’est-il pas l’un des premiers contributeurs en troupes dans les opérations de l’OTAN ? Au Kosovo, la France compte 1 600 hommes, elle figure comme troisième contributeur, en Afghanistan, près de 3 000 hommes comme quatrième contributeur. La France soutient l’effort des Alliés comme contributeur au budget civil et militaire : elle se trouve au 4ème rang des contributeurs, c’est-à-dire au nombre des 5 pays qui assument à eux seuls les ¾ du budget de l’Alliance ! La France s’est engagée après le sommet de l’Alliance à Prague en 2002 dans le processus de modernisation militaire et coopère activement à la création d’une force de réaction de l’OTAN (NRF), interopérable, prête à se transporter partout où il le faudra… L’allocution du Président Sarkozy à Strasbourg martèle : « La France reprend donc toute sa place dans l’ Alliance parce que la position de la France n’était plus comprise. Nous sommes de la famille, nous sommes dans la famille. » D’où émane cette incompréhension à l’égard de la France ? De la Nouvelle Europe, des nouveaux partenaires qui se sont engagés auprès de George W. Bush en 2003, suspectant Paris d’ anti-américanisme primaire. Cette suspicion a bel et bien existé : nombre de mes interlocuteurs roumains alors me demandaient pourquoi la France souhaitait l’affaiblissement des Etats-Unis, seul Big Brother protecteur, crédible. Il est vrai que l’action des lobbys néo - conservateurs dans les capitales centre est européenne avait porté ses fruits.

Comment comprendre le calendrier de 2009 ? En saisissant que l’Europe n’est pas oubliée par le Président français. Il fut chargé de la présidence européenne en 2008 et amené à négocier la crise géorgienne de l’été 2008, avec les Russes, en tant qu’Européen. Cette gestion, très médiatisée, d’une situation de guerre entre Géorgiens et Russes, lui assure une aura sinon une crédibilité européenne. D’autre part, l’enlisement de la guerre en Afghanistan et les évolutions successives des stratégies sur ce terrain, impose d’être en mesure de participer à une réflexion commune. Enfin, la nécessité de réviser le concept OTAN en fonction de la déclinaison très ouverte et élargie des menaces nouvelles implique d’avoir une voix pleine et entière en la matière : l’expert français Bruno Racine fera partie de l’équipe des conseillers réunis autour de Madeleine Albright à Washington pour élaborer ce nouveau concept. Certains politiques doutent de ce regain d’influence française : « Si, malgré notre position spécifique dans l’OTAN, nous en sommes un membre si actif, quel avantage allons nous retirer à perdre cette spécificité ? Une influence accrue dans l’Alliance ? Nous y pesons déjà lourd et toutes les décisions s’y prennent à l’unanimité », fait savoir Alain Juppé, le 20 février 2009. Toujours dans ce même blog, Alain Juppé souligne ce qu’il nomme « les notables avancées de la PESD ». Selon ce propos, le retour dans l’OTAN ne serait pas bénéfique à la politique européenne de défense ?

Officiellement, c’est le contraire qui doit être démontré : chacun s’attache à redire la complémentarité OTAN - UE qu’ il s’agisse du Président américain ou encore du secrétaire général de l’OTAN, le 11 mars, 2009 déclarant : « Je pense qu’elle ( la participation de la France) ouvrira aussi de nouvelles perspectives pour une relation OTAN-UE plus solide, plus confiante, plus complémentaire. » Le 4 avril 2009, à Strasbourg, Nicolas Sarkozy confirme : « Parce que les Etats-Unis ont besoin d’alliés forts et les mots que lui-même, Président des Etats -Unis a prononcés à l’endroit de l’Europe de la défense montrent qu’il a compris que l’Europe de la défense, ce n’était pas en opposition avec l’OTAN, c’était en complément de l’OTAN. Nous voulons les deux : le lien transatlantique et l’Europe de la défense. » Le cadre est posé, lien transatlantique et Europe de la défense vont de pair.

Nous voulons plus : des responsabilités, c’est-à-dire des commandements. Conseiller auprès de Nicolas Sarkozy, Jean-David Levitte a effectué de nombreux voyages à Washington pour discuter concrètement des postes attribués à la France avec le conseiller sécurité d’Obama, le général James Jones. Paris souhaite une visibilité maximale. A l’OTAN, les deux postes stratégiques sont en 2008 occupés par des Américains, celui de Supreme Allied Commander, Europe (SACEUR) et celui de Supreme Allied Commander Transformation (SACT) basé à Norfolk en Virginie. Pour certains analystes français, le Supreme Allied Commander Transformation ne serait qu’une coquille vide, les Etats-Unis ne prenant pas en compte les résolutions du SACT pour élaborer leurs décisions visant la prospective. Quoi qu’il en soit, le poste de SACT sera transmis à un Français : c’est un commandement d’excellence qui relève du Comité militaire, la plus haute instance de l’OTAN. La France se voit, en outre, confier l’un des trois grands commandements régionaux de l’OTAN à Lisbonne qui gère la zone atlantique et contrôle le rôle de l’OTAN, en Afrique. Diplomatiquement, l’on se félicite à Paris de ce que l’OTAN s’européanise… Le nombre des officiers français en poste dans les services de l’OTAN devait atteindre jusqu’à 1250 dont 17 généraux. Ils ne seront que 925 en 2012, selon les informations fournies par le rapport de Hubert Védrine pour le Président de la République sur les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN.

Le parcours français post - Guerre froide dans sa relation à l’OTAN est étonnant. Alors que le discours politique largement majoritaire clame Europe et solidarité européenne, que l’on se doit dans les bureaux du ministère de la Défense de suivre soigneusement les progrès de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) et de ne jamais omettre de rappeler l’engagement de nos nouveaux partenaires de l’OTAN dans cette construction, Paris s’est fortement tourné vers l’OTAN, avec Jacques Chirac puis avec Nicolas Sarkozy. Nécessité ou ambition nouvelle ?

Au cours d’une conférence donnée à Lille, le 26 mai 2010, le général Michel Yakovleff s’exprime sur le thème, « La France et l’OTAN : retour ou renouveau ? ». Il met l’accent sur le renouveau, exposant : « D’abord en admettant que la France contribue fortement à transformer l’OTAN, il faudra accepter que l’OTAN nous transforme… Le point le plus immédiat me parait celui de la mise aux normes de l’OTAN de tout notre appareil militaire… Il y aura des moments où l’audit OTAN nous reviendra avec des conclusions qui ne nous plairont pas. Il faudra bien les accepter, pourtant. D’ici quelques années, par le fait de la circulation entre postes OTAN et postes nationaux, c’est tout notre appareil militaire qui sera profondément transformé. » Quant à l’évolution de la culture militaire française dans un cadre otanien, Michel Yakovleff l’estime positive : l’égalité du politique et du militaire dans l’institution OTAN devrait amener le militaire français à se repositionner dans le débat stratégique. Espoir, illusion ou véritable défi ! En effet, rappelons que toute la grande pensée stratégique française date des années de Guerre froide et de distance prise par rapport aux structures militaires de l’OTAN.

Quant à la thèse selon laquelle le retour dans l’OTAN aidera à l’affirmation d’une politique de sécurité et de défense européenne, elle mérite d’être débattue ! Car depuis 2009, les avancées de la construction de l’Europe de la Défense se sont avérées nulles. Lorsque les coopérations se renforcent, comme entre Paris et Londres en novembre 2010 c’est dans un cadre bilatéral. La vocation globale européenne est étrangère à ces démarches.

Les personnalités françaises les plus attachées à l’Europe de la Défense, au-delà de la rhétorique, en font le constat : l’Europe de la défense serait dans le coma, pour reprendre le titre d’une conférence du général Jean Cot donnée le 7 novembre 2012 au Club Démocraties à Paris. Le rapport Védrine du 14 novembre 2012 prend acte : « Le bilan des efforts déployés depuis vingt-cinq ans notamment par la France est finalement très décevant(…) Il y a certes des traités, des textes, des institutions, des procédures, des réunions, des documents, des initiatives, des discours, des relances, des responsables (quelques centaines de fonctionnaires civils et militaires qui s’acquittent de leurs tâches avec conviction et dévouement). Il y a eu quelques coopérations industrielles, réussies (...) Au total, mises à part quelques actions ou coopérations, le bilan est maigre. Aucun pays d’Europe n’a rejoint l’ambition et la conception française d’une Europe de la défense, même redéfinies avec de plus en plus de réalisme et de pragmatisme. » [5]

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Voir l’introduction et le sommaire de l’ouvrage de Catherine Durandin, OTAN, histoire et fin ?


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. Catherine Durandin, Sommet de l’OTAN, New Port, 2014
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[1Jean Arnault Dérens, Kosovo, année zéro, Paris Méditerranée, 2006, p.249.

[2senat.fr/rap/r98-464/r98-4642.html

[3Sur ce dossier voir sous la direction de Maurice Vaïsse, Pierre Mélandri et Frédéric Bozo, La France et l’OTAN 1949 -1966, Editions Complexe, 1996.

[4Simon Serfaty, France- Etats Unis : la querelle permanente in Relations Internationales et Stratégiques n°25 printemps 1997.

[5Hubert Védrine, « Rapport pour le Président de la République Française sur les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la Défense », 14 novembre 2012, p.14-17.

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