Dorénavant plus grand que Trump, le trumpisme entend détruire l’ordre international hérité de la Seconde Guerre mondiale. Un ordre fondé sur le droit… auquel l’Union européenne reste très attachée. Comprendre les ressorts de ce nouvel ordre porté par D. Trump est essentiel pour saisir ce qui nous arrive, et ce qui nous attend. Pour le comprendre, Planisphère reçoit avec joie, Maya Kandel. Podcast et synthèse rédigée.
Cette émission [1] Planisphère, Comment décrypter les Etats-Unis ? Avec M. Kandel, sur RCF-ND
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Synthèse de cette émission, Planisphère, Comment décrypter les Etats-Unis ? Avec M. Kandel. Rédigée par Émilie Bourgoin pour Diploweb.com. Relue et validée par M. Kandel
PLUS qu’un homme, le trumpisme entend détruire l’ordre international né de 1945, un ordre fondé sur le droit, cher à l’Union européenne. Pour comprendre ce tournant, Maya Kandel analyse la refonte du rôle américain dans le monde opérée par « Trump 2 », qu’elle distingue nettement de « Trump 1 ». Au cœur du projet : abandon du soutien au système multilatéral au profit d’une logique strictement nationale et de rapports de force bilatéraux.
Qualifier Trump d’isolationniste est trompeur. Le débat républicain de l’après-Bush n’oppose pas isolationnisme et interventionnisme, mais interroge l’utilité de soutenir l’ordre international. Le trumpisme tranche : cet ordre n’est plus bénéfique (voire nuisible) aux États-Unis. Il faut donc redéfinir la politique étrangère sur des intérêts nationaux plus étroits, indépendamment des institutions et règles existantes.
Trump 1 avait acté la compétition des grandes puissances (Chine d’abord, puis Russie). Trump 2 invoque un retour au réalisme façon XIXe siècle : chaque grande puissance disposerait légitimement d’une sphère d’influence. Par exemple : re-tarifer le Mexique et le Canada après l’ALENA renégocié, réaffirmer l’hémisphère occidental (doctrine Monroe revisitée) et inclure le Groenland dans la responsabilité du NORTHCOM. Cette vision glisse d’une compétition à une connivence entre puissances… où l’Union européenne n’a pas de place évidente.

Rien n’est clair : l’Europe est-elle sphère d’autrui, ou bien puissance capable de gérer son « étranger proche » ? L’ambiguïté vaut côté américain, russe, chinois… et européen. Pour Maya Kandel, la question touche au statut stratégique du continent et à sa capacité à exister sans garantie américaine automatique.
Parler d’impérialisme est connoté, mais l’idée garde de la pertinence : impérialisme territorial (Russie en Ukraine), impérialisme commercial (Chine et Nouvelles Routes de la soie), et exigences de vassalisation culturelles/politiques perçues dans certains discours américains. Le terme, mis à jour pour le XXIe siècle, éclaire des pratiques actuelles.
Le vice-président J. D. Vance incarne une ascension sociale typiquement américaine (Appalaches, armée, grandes études), adossée à un parrainage de la tech (Peter Thiel / Palantir). Cette trajectoire noue droite populiste, complexe militaro-industriel et écosystème technologique, et aide à comprendre l’ADN idéologique du trumpisme au pouvoir.
Le trumpisme plonge dans la polarisation des années 1990, les échecs de l’ère Bush (guerres contre le terrorisme) et la révolte Tea Party (2010) contre l’« establishment » républicain reaganien (libre-échange, immigration ouverte, interventionnisme). Trump remplace cette trilogie par : fermeture migratoire, protectionnisme, rejet de l’interventionnisme. Son second mandat rompt plus frontalement encore avec huit décennies d’implication américaine dans le monde et accepte la multipolarité.
Trump 2 se signale par une capacité à forcer les verrous : rencontres inattendues (Syrie), levées rapides de sanctions, canaux directs (y compris avec le Hamas) tout en restant indéfectiblement pro-israélien. Là où J. Biden cherchait à freiner les surréactions, Trump met la pression (y compris sur B. Netanyahou) et déplace les lignes de négociation. Cette méthode transactionnelle et personnelle peut produire des percées autant que des déséquilibres.
Paradoxe : à force de désarticuler l’ordre existant, Washington peut faciliter la centralité chinoise, notamment en agrégeant une partie du monde non occidental autour de principes alternatifs. L’acceptation américaine d’un monde multipolaire, conjuguée à un message externe instable, brouille la stratégie d’endiguement de Pékin et recompose les alliances.
La politique étrangère du second mandat de Donald Trump se caractérise par une opacité structurelle et une personnalisation extrême du pouvoir. Les documents stratégiques officiels, souvent attendus ou contradictoires, ne permettent pas de définir une ligne claire. Le Conseil de sécurité nationale est affaibli, réduit à un rôle d’enregistrement plutôt que de conseil. Dans ce contexte, la diplomatie repose sur les relations personnelles de Trump avec les dirigeants étrangers, oscillant entre impulsivité, calcul tactique et affairisme. Cette approche engendre une imprévisibilité chronique, où les décisions dépendent davantage de l’humeur du président et de l’intérêt personnel qu’il peut en tirer que d’une vision cohérente de l’intérêt national.
Face aux droits de douane et exigences américaines, les Européens ont cru qu’en concédant sur le commerce (énergie US, pression sur DSA/DMA), ils préserveraient la garantie de sécurité (Ukraine). M. Kandel juge le pari fragile : Trump est instable, re-négocie sans cesse et instrumentalise les tarifs comme leviers de pression (énergie, tech). Céder n’implique pas la contrepartie espérée.
Le trumpisme marque la fin d’un cycle historique : celui de l’ordre international libéral né après 1945, fondé sur le droit, la coopération et la prévisibilité. En substituant à cette logique celle des sphères d’influence et des rapports de force, il consacre le retour d’un monde fragmenté, où les alliances deviennent fluctuantes et les règles secondaires. Pour l’UE, le défi est majeur : retrouver une souveraineté stratégique réelle tout en préservant ses valeurs de droit et de stabilité. Sa survie comme acteur global dépendra de sa capacité à transformer la dépendance en puissance et à définir une vision commune dans un monde sans boussole.
. Maya Kandel, « Une première histoire du trumpisme », éd. Gallimard, 2025
. Peter Turchin, « Le Chaos qui vient. Élites, contre-élites, et la voie de la désintégration politique », éd. Cherche-Midi, 2024.
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Maya Kandel, Chercheuse indépendante et consultante. Associée à l’Université Sorbonne Nouvelle, auteure d’ « Une première histoire du trumpisme », éd. Gallimard. Elle est également consultante en analyse et prospective sur les Etats-Unis pour différents ministères ainsi que pour le secteur privé.
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb, il produit Planisphère sur RCF Notre Dame. Cette émission a été diffusée en direct le 11 novembre 2025.
Synthèse par Émilie Bourgoin, étudiante en dernière année de Master Sécurité et Défense à l’Université d’Ottawa, après un BBA à l’EDHEC. Elle a travaillé en alternance au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle a la charge du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.
[1] Cette émission a été enregistrée le 10/10/2025 à Toulon dans le cadre des RSMED et diffusée le 11/10/2025.
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Date de publication / Date of publication : 11 novembre 2025
Titre de l'article / Article title : Planisphère. Comment décrypter les Etats-Unis ? Avec M. Kandel
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Dorénavant plus grand que Trump, le trumpisme entend détruire l’ordre international hérité de la Seconde Guerre mondiale. Un ordre fondé sur le droit… auquel l’Union européenne reste très attachée. Comprendre les ressorts de ce nouvel ordre porté par D. Trump est essentiel pour saisir ce qui nous arrive, et ce qui nous attend. Pour le comprendre, Planisphère reçoit avec joie, Maya Kandel. Podcast et synthèse rédigée.
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