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Politique étrangère, sécurité, défense:

la lente progression de l'Europe politique,

par Fabien Terpan, Maître de conférences à l'Université de Toulouse II

 

Depuis plus de trente ans, des progrès lents, peu spectaculaires mais réguliers, sont à mettre au crédit d’une Europe qui commence à s’affirmer sur la scène internationale. Certes, on n’avance pas à pas de géant. Mais doit-on s’en étonner s’agissant de domaines relevant des « high politics » et touchant au cœur de la souveraineté nationale ? L’Union européenne (UE) n’est pas un nain politique, et sa capacité d’action extérieure, bien en-deçà de celle des Etats-Unis, ne paraît pas négligeable.  

Il reste cependant à l'UE élargie de nombreux paliers à franchir : adopter le projet de Constitution, clarifier la relation avec les Etats-Unis, renforcer la dimension stratégique de la PESC, améliorer le système institutionnel, abandonner définitivement la neutralité pour certains Etats membres, renforcer les capacités militaires, et surtout, clé de voûte de l’ensemble, raffermir la volonté politique sans laquelle rien n’est possible.   

Biographie de F. Terpan en bas de page.

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La nécessité d’une mise en perspective historique

Lors de la crise irakienne, en 2003, les Etats membres de l’Union européenne ne sont pas parvenus à définir une ligne commune. Ils se sont déchirés sur la question de l’opportunité d’une intervention militaire, les uns rejoignant la position américaine en faveur d’un renversement du régime de Saddam Hussein, les autres privilégiant les solutions diplomatiques. Pour la plupart des observateurs, le projet de voir émerger l’Union européenne en tant qu’acteur politique international était bel et bien enterré.

Que la question irakienne ait été un échec cuisant pour les Européens est incontestable. Faut-il pour autant tirer des conclusions définitives à partir de cette seule crise, aussi grave soit-elle ? L’observation, sur la durée, des efforts réalisés en vue de formuler et mettre en œuvre une politique étrangère et une politique de défense communes, offre un tableau plus contrasté. Depuis plus de trente ans, des progrès lents, peu spectaculaires mais réguliers, sont à mettre au crédit d’une Europe qui commence à s’affirmer sur la scène internationale. Certes, on n’avance pas à pas de géant. Mais doit-on s’en étonner s’agissant de domaines relevant des « high politics » et touchant au cœur de la souveraineté nationale ? L’Union européenne (UE) n’est pas un nain politique, et sa capacité d’action extérieure, bien en-deçà de celle des Etats-Unis, ne paraît pas négligeable.  

Aujourd’hui, l’UE s’efforce de mettre au point une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui comprend une dimension militaire avec la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Dans ces domaines, les difficultés et les insuffisances ne manquent pas. Il faut dire que la construction européenne, reposant sur la logique du marché intérieur et de l’intégration économique, a toujours péché sur le plan politique. Aujourd’hui, les réalisations sont modestes, mais sont rehaussées par le simple rappel des échecs du passé. Alors qu’en moins de vingt ans, de 1951 à 1968, les Européens de l’ouest créaient une communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), une communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou  Euratom) et une communauté économique européenne (CEE) atteignant rapidement le stade de l’Union douanière et développant des politiques communes (agriculture, transport), ils échouaient à deux reprises, et de manière flagrante, dans les domaines de la politique extérieure et de la défense.

L'échec de la CED

Le premier de ces échecs est celui de la communauté européenne de défense (CED), dont le projet est lancé en 1950 (plan Pleven) et concrétisé par un traité signé le 26 mai 1952. Il s’agissait d’intégrer des forces militaires nationales dans le cadre d’une organisation institutionnelle proche du modèle –supranational- de la CECA. La CED, tout comme la CECA, devait être absorbée par une communauté politique européenne ayant une compétence générale en matière de politique économique, de politique extérieure, de sécurité et de défense.  Le projet répondait à une demande américaine exprimée dans le contexte de la guerre de Corée, à savoir reconstituer l’armée allemande pour faire face à la menace soviétique. La CED aurait été subordonnée à l’OTAN du point de vue de la stratégie et de l’engagement des troupes. Inquiet devant la perspective d’un réarmement allemand et d’une intégration des forces armées dans un ensemble supranational, l’Assemblée nationale française refuse, le 30 août 1954, de procéder à la ratification du traité. Le réarmement allemand se fait quelques mois plus tard, dans le cadre de l’Union de l’Europe Occidentale, créée le 23 octobre 1954 par les accords de Paris. Jusqu’à sa réactivation au début des années 80, l’UEO reste une coquille vide, loin des espoirs qu’avaient suscités la CED.

L'échec des plans Fouchet

Fin 1961, la France, présidée par le général de Gaulle, propose, sous l’appellation de plan Fouchet, la création d’une Union dotée d’une politique étrangère commune, d’une politique de défense, et permettant une coopération dans les domaines de la science, de la culture ou des droits de l’homme. Les partenaires de la France font connaître leurs réticences concernant le caractère intergouvernemental des institutions et la concurrence que le plan ferait à l’Alliance atlantique. La conception gaullienne d’une Europe troisième force entre les Etats-Unis et l’URSS heurte les convictions atlantistes des pays du Benelux, et l’appui que ceux-ci offrent à la demande d’adhésion du Royaume-Uni à la Communauté est considéré par la France comme l’acceptation d’une domination américaine dont les britanniques seraient les principaux artisans. En janvier 1962, Paris propose une seconde mouture du plan Fouchet qui, loin de constituer une solution de compromis, accroît le sentiment que le général de Gaulle entend placer les efforts d’intégration réalisés dans le cadre des communautés européennes sous le contrôle d’une structure intergouvernementale dominée par le France. L’échec des plans Fouchet est constaté le 17 avril 1962.  

En une décennie, de 1952 à 1962, les Européens de l’ouest ont donc manqué deux occasions de compléter leur intégration économique par une construction politique. La défense européenne devient alors une question tabou qu’on soulève à l’occasion mais qui n’est pas abordée de front par les responsables politiques.  

Lorsque l’on envisage l’hypothèse d’une relance politique, à la fin des années 60, c’est sous l’angle - prudent - du rapprochement des politiques étrangères nationales. L’arrivée au pouvoir de Georges Pompidou coïncide avec une atténuation des querelles intra-européennes et rend possible la mise au point d’une coopération politique européenne (CPE). Celle-ci est ébauchée par un rapport adopté par les ministres des Affaires étrangères à Luxembourg en octobre 1970 (rapport Davignon). Instrument modeste, tant du point de vue des institutions que des buts poursuivis, la CPE se fortifiera deux décennies durant, avant que la fin de la guerre froide et la volonté de tirer les conséquences politiques de l’intégration économique communautaire n’incitent les Etats membres à la transformer en une politique étrangère et de sécurité commune, bientôt assortie d’une politique européenne de sécurité et de défense.

 

La CPE ou le rapprochement des politiques étrangères nationales

Que l’on observe son champ d’action, ses objectifs ou son organisation institutionnelle, la faiblesse de la coopération politique est patente.  

Les questions de sécurité et de défense étant volontairement laissées de côté par le rapport de Luxembourg, tandis que les relations économiques extérieures restent du ressort de la CEE, c’est le domaine de la politique étrangère stricto sensu qui est désormais le terrain privilégié de l’unification politique. « Toutes les questions importantes de politique étrangère » peuvent être invoquées dans le cadre de la CPE, l’objectif étant d’ « assurer par une information et des consultations régulières une meilleure compréhension mutuelle sur les grands problèmes de politique internationale, et de renforcer leur solidarité en favorisant une harmonisation des points de vue, la concertation des attitudes et lorsque cela paraîtra possible et souhaitable des actions communes »[1]. Le seul engagement -de nature politique et non juridique- pris par les Etats est celui de se consulter.

Comment ça marche ?

Le fonctionnement de la CPE est assuré par les ministres des Affaires étrangères, réunis deux fois par an au titre de la coopération politique, et dont les rencontres sont préparées par un Comité politique composé des directeurs des affaires politiques des différents ministères. La participation des organes communautaires est limitée. La Commission ne peut donner qu’un simple avis, uniquement dans les cas où les travaux ministériels au titre de la CPE ont des implications sur les activités de la CE. Le Parlement est associé (informé serait plus juste) par un colloque semestriel réunissant les membres de sa Commission politique et les ministres, et par une communication annuelle du président du Conseil sur les travaux de la coopération politique. Au total, cette structure légère est plus proche de celle des plans Fouchet que du système institutionnel teinté de supranationalité prévue par le traité instituant la CED.

A Luxembourg, il avait été décidé qu’un second rapport ferait le point sur les premières années de la CPE et sur les améliorations qu’il conviendrait de lui apporter. Ce rapport est adopté par les ministres des Affaires étrangères à Copenhague, le 23 juillet 1973. Il apporte quelques améliorations légères. Le nombre des réunions ministérielles est porté à trois par an. Le Comité politique dispose désormais d’un véritable réseau administratif, composé du groupe des correspondants européens (fonctionnaires chargés de la coopération politique dans chaque ministère des Affaires étrangères national), de divers groupes de travail, et d’un système de liaison telex, le COREU, chargé de faire circuler l’information entre les différents ministères dans un délai bref. La participation à la CPE de la présidence du Conseil ainsi que des ambassades nationales est définie. Quant aux objectifs, on précise que « la consultation a pour objet la recherche de lignes communes dans des cas concrets » et que « chaque Etat s’engage à ne pas fixer définitivement sa propre position sans avoir consulté préalablement ses partenaires dans le cadre de la coopération politique »[2].

La combinaison des rapports de Luxembourg et de Copenhague donne sa véritable forme à la CPE, dont l’existence est, à partir de la fin 1972, attestée par des communiqués communs publiés à la fin des séances. Durant l’année 1973, la crise au Proche-Orient amène les Etats membres à prendre régulièrement et publiquement position dans le cadre de la coopération politique. En outre, les Etats membres coordonnent leurs politiques étrangères au sein de la CSCE (conférence pour la sécurité et la coopération en Europe).

Une ambition

La CPE constitue l’un des moyens par lesquels les pays membres entendent affirmer l’identité européenne dans les affaires mondiales, ambition solennellement affichée dans un document publié le 14 décembre 1973, toujours à Copenhague[3]. L’allié américain n’approuve pas ces finalités. Certes, les Etats-Unis peuvent être satisfaits du fait que les Européens n’envisagent pas de développer un pôle militaire européen hors de l’OTAN. Mais toute entreprise européenne extérieure au cadre atlantique leur apparaît suspecte. Les Américains se détournent très vite de la CPE, préférant dialoguer avec les Etats européens sur un mode bilatéral ou à travers l’OTAN. Mieux, ils demandent à être consultés avant toute décision de coopération politique. Sans aller jusque là, les Européens mettent en place, en 1974, sous l’appellation de réunions « Gymnich », un mécanisme qui permet aux alliés de s’informer et de se consulter avant de prendre des décisions importantes. La prudence américaine, évoluant entre la franche hostilité et la réticence moins affichée, est une constante depuis le début des années 70. Aujourd’hui encore, les réunions Gymnich constituent un élément important du dialogue euro-américain.

Périodisation

Durant deux décennies, la CPE  se renforce de manière pragmatique, les progrès réalisés dans la pratique étant entérinés par des déclarations puis par un traité, l’Acte unique. Trois périodes sont à distinguer.  

La première, de 1974 à 1980, est dominée par la création du Conseil européen, qui apporte un surcroît de légitimité et tend à renforcer l’impact de la CPE vis-à-vis de l’extérieur. Chargé d’assurer sur une base régulière la cohérence de la construction communautaire, il favorise l’émergence d’un acteur européen global qui pourrait constituer un jour une nouvelle puissance mondiale. Dans sa nouvelle définition issue de la déclaration de Paris de décembre 1974, l’objectif de la CPE est d’arrêter progressivement des positions communes et de mettre en œuvre une diplomatie concertée dans tous les domaines de la politique internationale qui affecte les intérêts de la Communauté.  Aucun progrès substantiel n’est cependant réalisé. En décembre 1975, un rapport présenté par Léo Tindemans fait de la coopération politique un élément central de l’émergence d’une future Union européenne. « Notre action doit devenir commune dans tous les domaines essentiels de nos relations externes, qu’il s’agisse de politique étrangère, de sécurité, de relations économiques, de coopération »[4], écrit celui qui est alors le Premier ministre de la Belgique. Le rapport, pourtant prudent, est perçu par beaucoup comme une menace pour la souveraineté nationale, ce qui amène le Conseil européen, réuni à La Haye en novembre 1976, à écarter la plupart des propositions qui y sont inscrites.  

La coopération est alors dans une période de mise en route. Elle teste sa capacité d’action sur de nouveaux terrains (crise chypriote, problème sud-africain), commence à se positionner sur les grands problèmes internationaux, établit des relations avec des Etats ou groupe d’Etats (dialogue euro-arabe, politique méditerranéenne). Elle joue un rôle stabilisateur, tendant à réduire les tensions entre les Etats-Unis et l’URSS (au sein de la CSCE notamment), et permet aux Européens de fixer, à propos du Moyen-Orient ou de l’URSS, des positions autonomes parfois divergentes de celles prises par les Etats-Unis.

La deuxième période, de 1980 à 1985, marque le retour des projets politiques. Le 13 octobre 1981 est adopté à Londres le troisième rapport sur la coopération politique qui évoque le développement d’ « une approche cohérente et unie des questions internationales »[5] (le terme de politique extérieure commune n’est pas employé), sans toutefois modifier en profondeur les moyens institutionnels permettant de remplir cet objectif. Les éléments les plus remarquables sont la consécration de la présence de la Commission à tous les niveaux de la CPE, l’inclusion dans le champ de la coopération des aspects politiques de la sécurité, et l’établissement d’une procédure d’urgence en cas de crise. Le rapport de Londres est révélateur de la méthode employée dans le cadre de la CPE : l’adaptation du mécanisme institutionnel par petites touches, en fonction de ce que la pratique requiert.  

Le déclenchement, à la fin des années 70 et au début des années 80, de la « seconde guerre froide », avec la crise afghane, la crise polonaise, l’affaire des euromissiles, incite les Européens de l’ouest à renforcer leur position dans les relations internationales. Ce souci est présent dans le projet d’acte présenté par Hans-Dietrich Genscher et Emilio Colombo devant le Parlement européen le 19 novembre 1981. Mais la déclaration solennelle adoptée à Stuttgart le 19 juin 1983[6], issue du projet Genscher-Colombo, apporte peu d’éléments nouveaux, si ce n’est l’élargissement du champ d’action aux aspects économiques de la sécurité.  

Si le contexte international pousse à la relance de l’unification, il constitue dans le même temps un facteur inhibant : puisqu’il faut obtenir de la part des Américains la confirmation de leur rôle sur le continent, les Européens hésitent à développer la coopération politique au-delà d’un certain seuil, et font preuve de « suivisme » à l’égard des Etats-Unis dans des affaires où la CPE avait pourtant manifesté des velléités d’autonomie (Proche-Orient notamment). Du fait de leur dépendance militaire, les Européens ne peuvent faire autrement que de rentrer dans le rang et de s’aligner sur les positions américaines.  

Certes, l’option qui consisterait à développer une identité européenne de défense, dans le cadre de la CPE, autour du couple franco-allemand (relancé en 1982), au sein de l’UEO (réactivée en 1984), ou même de l’OTAN (revitalisation du Groupe européen indépendant de programmes en 1984-85), n’est pas enterrée. Mais les Américains répugnent à ce que des questions de sécurité soient évoquées dans des forums auxquels ils ne participent pas. Les activités européennes dans le domaine militaire sont tolérées tant qu’elles demeurent marginales. Dès lors, la défense de l’Europe par les Européens demeure, dans les années 80, au stade de l’idée.  

Cela étant, la coopération politique n’est pas systématiquement condamnée à un alignement sur les Etats-Unis ; elle continue même à prendre des positions suscitant la désapprobation des Américains, à propos de la crise polonaise (1982) ou du raid américain en Lybie (1986). Désormais, l’Europe occidentale prétend au statut d’acteur politique, fait part de son point de vue et prend des sanctions lors de crises internationales, étend son champ d’action à des continents jusqu’alors délaissés (Amérique du sud et Asie).

La troisième période, de 1985 à 1991, est marquée par un renforcement formel de la CPE qui dispose, pour la première fois, d’un fondement conventionnel avec l’Acte unique européen. Le projet d’Union européenne du Parlement européen (projet Spinelli), le rapport du Comité Dooge, ainsi que les projets émanant d’Etats membres vont servir de base aux négociations de la Conférence intergouvernementale réunie en 1985-86 qui débouchera sur la signature, en février 1986, de l’Acte unique. Il ne faut pas chercher d’avancée majeure dans ce traité. Tant les désaccords entre les Etats membres que le contexte international interdisent un renforcement brusque et audacieux de la coopération politique. Les Etats membres entendent poursuivre une « politique étrangère européenne » (art. 30-1) et non commune, sans  bouleverser l’organisation existante. La création d’un secrétariat de la CPE constitue la principale nouveauté. Mais c’est l’inscription du domaine de la politique étrangère dans un traité, aux côtés des questions relevant de la Communauté économique, qui est en soi l’évolution marquante.  

L’Acte unique concrétise seize années de progrès mesurés, résultats d’une volonté politique qui s’affermit progressivement, tout en restant soumise aux aléas de la vie internationale. Des limites affectent la coopération politique :  les Etats refusent d’affirmer l’ambition d’une véritable politique étrangère commune ; les questions proprement militaires ne sont pas traitées ; les mécanismes institutionnels sont peu contraignants ; peu d’actions sont menées. En créant la PESC, les Etats membres vont s’efforcer de combler ces lacunes.

La PESC ou l’ambition de la puissance globale

La création de la Politique étrangère et de sécurité commune[7], au début des années 90, répond à une logique interne à la Communauté : il s’agit de compléter un acquis principalement économique par une unification politique. Mais l’environnement international a sans doute donné une impulsion non négligeable. La guerre froide prenant fin, les Etats membres sont amenés à repenser leur propre rôle, sur le continent et au-delà. Ils vont très vite en tirer les conséquences dans le domaine de la politique extérieure, en créant, en lieu et place de l’ancienne CPE, une politique étrangère et de sécurité commune, second pilier de l’Union européenne (la Communauté européenne constituant le premier, et la justice et les affaires intérieures le second). La politique étrangère commune maintes fois réclamée par le passé, devient enfin réalité, dans les textes tout au moins.  

C’est la Belgique, dans un mémorandum du 19 mars 1990, qui la première propose la convocation d’une conférence intergouvernementale (CIG) sur l’Union politique chargée de mettre en place dans le domaine de la politique étrangère une « véritable politique commune ». Puis Helmut Kohl et François Mitterrand, dans une lettre commune du 19 avril 1990, évoquent la nécessité de « définir et mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune », estimant que la Communauté « doit s’efforcer de poursuivre une politique plutôt que de produire des déclarations sans fins »[8]. En juin 1990, le Conseil européen décide de convoquer une CIG sur l’Union politique dont l’ouverture est prévue pour décembre.

Discussions préparatoires

L’influence du couple franco-allemand est nette tout au long de la conférence. La lettre du 6 décembre 1990 adressée à la présidence italienne ou la proposition de février 1991 constituent, avec peut-être la lettre italienne du 5 février 1991 et la contribution de la Commission du 3 mars 1991, les principales sources d’inspiration du projet de traité sur l’Union européenne présenté par la présidence luxembourgeoise en juin 1991. Or, les dispositions sur la PESC contenues dans ce projet seront pour l’essentiel reprises dans le texte final adopté à Maastricht en décembre 1991.  

Entre-temps, les Pays-Bas, exerçant la présidence au second semestre 1991, remettent en cause les options retenues par le Luxembourg, en présentant le 30 septembre 1991 un projet de traité plus ambitieux sur le plan institutionnel -puisqu’on appliquerait à la PESC la méthode communautaire, plus intégrée- mais moins ambitieux sur le fond, la discussion sur une éventuelle politique de défense étant remise à plus tard.  

En matière de sécurité et de défense, le projet néerlandais est plutôt bien accueilli par le Royaume-Uni qui souhaite que l’UEO développe le pilier européen de l’OTAN mais non qu’elle devienne, comme le proposent français et allemands, l’instrument d’une défense européenne autonome. La conception britannique, mariée à celle de l’Italie dans une déclaration conjointe du 4 octobre 1991, s’effacera devant la conception franco-allemande précisée le 11 octobre 1991.  

En matière institutionnelle, les propositions néerlandaises suscitent le mécontentement d’une majorité d’Etats membres, soucieux de préserver leur souveraineté, au point que les discussions, dans la dernière phase de la CIG, reprennent sur la base du projet luxembourgeois. Le texte définitif, adopté à Maastricht le 10 décembre 1991, constitue une solution de compromis presque miraculeuse au vu des affrontements virulents de l’automne.

Le traité de Maastricht

Les dispositions du traité de Maastricht relatives à la PESC, qui font l’objet d’un Titre V, ne rompent pas avec la coopération politique. C’est au contraire sur le fondement de la CPE qu’est bâtie la politique étrangère et de sécurité commune. L’élargissement du champ d’action, le renforcement des moyens et des missions, le perfectionnement des procédures, suffisent à justifier la dénomination nouvelle de politique commune.

La disposition la plus novatrice est celle qui supprime toute limite au champ d’action de la diplomatie européenne. « Tous les domaines de la politique étrangère et de sécurité » (art. J1-1) peuvent être couverts par la PESC, « y compris la définition à terme d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune » (art. J4-1). En matière de défense, l’UEO est chargée d’élaborer et de mettre en œuvre les décisions et actions de l’Union, préparant le passage « à terme » à une défense commune. Bien que le rythme d’élaboration de la politique de défense soit plus lent, l’inclusion des questions de défense dans le champ de l’Union européenne est immédiate. C’est la fin d’un tabou qui entravait la construction politique de l’Europe depuis l’échec de la CED et des plans Fouchet.

En donnant pour la première fois une contenu concret à la notion d’action commune évoquée dès le rapport Davignon, les signataires du traité de Maastricht souhaitent que la PESC passe du déclaratoire à l’opératoire, de la parole à l’action. L’action commune est décidée, dans les domaines où les Etats membres ont des intérêts importants en commun, par le Conseil, sur la base des orientations générales du Conseil européen. La procédure est assez contraignante puisque ces actions « engagent les Etats membres dans leurs prises de position et dans la conduite de leur action » (art. J3-4). Le traité prévoit une obligation d’information préalable à toute décision nationale d’application d’une action commune (art. J3-5). A côté du domaine de l’action commune, le traité maintient un domaine de simple coopération –déclarations, positions communes et coordination au sein des organisations internationales- qui diffère peu de ce que la CPE prévoyait. L’article J1-3 souligne tout de même que la coopération devient « systématique » et l’article J2-2 évoque la nécessité pour les Etats de veiller à la conformité de leurs politiques nationales avec les positions communes. Plusieurs dispositions visent à renforcer la cohésion entre Etats membres au sein des organisations internationales, et ce même si certains Etats n’y participent pas (art. J2-3 et J5-4).

Le passage à une politique étrangère et de sécurité commune ne s’accompagne pas d’une réforme institutionnelle poussée. Le traité confère à la Commission un droit d’initiative partagé avec les Etats et réaffirme sa pleine association à la politique étrangère européenne (art. J8-3). Il confirme la nécessité de consulter le Parlement et demande à la présidence de veiller à ce que les vues des parlementaires soient « dûment prises en considération » (art. J7). A l’évidence, la participation des organes supranationaux demeure secondaire. Les dispositions permettant d’envisager une communautarisation de la PESC sont rares : fusion du Conseil des ministres et de la conférence réunissant les ministres des Affaires étrangères au titre de la coopération politique, absorption du secrétariat de la CPE par le secrétariat du Conseil, rôle accordé au COREPER (Comité des représentants permanents) dans la préparation des décisions PESC du Conseil, possibilité –limitée- de vote à la majorité qualifiée dans le cadre de la procédure d’adoption des actions communes.  

Le caractère intergouvernemental de la politique étrangère européenne est préservé, voire accentué par le rôle accordé au Conseil européen dans la définition des grandes options et le lancement des actions communes. La cohérence recherchée entre la PESC et les activités extérieures du premier pilier (Communauté européenne) est censée compenser la diversité des régimes juridiques. De même, le renforcement des engagements pris par les Etats, notamment dans le cadre des positions et des actions communes, est supposé favoriser la formation d’une volonté commune qui n’est pas générée par des mécanismes forcés (vote majoritaire, contrôle juridictionnel).

Trois nouveau progrès

Dans la foulée du traité de Maastricht, les Etats membres de l’Union européenne accomplissent trois progrès principaux en matière de politique étrangère et de sécurité.

Le lien tissé avec la politique commerciale ou la coopération au développement est plus fort que du temps de la CPE. Cela se traduit par la généralisation de pratiques telles que les sanctions économiques à des fins politiques, les dialogues politiques tenus dans le cadre d’accords de coopération ou d’association, l’émergence de politiques ou stratégies globales (inter-piliers) à l’égard de pays tiers.

La dimension sécurité-défense est renforcée. Les succès de la PESC sont cependant limités à des initiatives diplomatiques dans le domaine de la sécurité (pacte de stabilité en Europe, actions dans le cadre de la conférence de renouvellement du traité de non-prolifération nucléaire…) La gestion politique et militaire des crises par l’UE demeure une potentialité. En témoignent l’effacement progressif de l’Union dans le cadre de la crise yougoslave, au profit d’abord de l’ONU puis des Etats-Unis, ou encore le refus de s’impliquer dans la crise rwandaise en 1994.  

Enfin, la volonté de ne pas se contenter d’une politique déclaratoire, comme la CPE était souvent tentée de le faire, a débouché sur l’adoption d’actions communes par laquelle l’Union met des moyens opérationnels au service d’objectifs de politique étrangère : la promotion du traité de non prolifération, le soutien aux processus électoraux, l’assistance à l’autorité palestinienne dans sa lutte contre le terrorisme…

Un instrument perfectible

En dépit de progrès réels mais trop souvent occultés, la PESC apparaît comme un instrument perfectible. Elle tient une place importante dans les négociations de la conférence intergouvernementale ouverte à Turin le 29 mars 1996. Les principaux éléments du débat sont mis à jour avant même le lancement de la CIG dans plusieurs documents officiels : rapports sur le fonctionnement du traité sur l’UE (remis en avril-mai 1995 par la Commission et le Parlement), rapport du groupe Westendorp (remis le 5 décembre 1995), avis rendus début 1996 conformément à l’article N du traité de Maastricht par la Commission et le Parlement.  

L’absorption du pilier PESC par le pilier communautaire, même assortie de clauses dérogatoires permettant de ne pas appliquer les dispositions les plus menaçantes à l’égard de la souveraineté des Etats, a rapidement été rejetée par les Etats membres soucieux de préserver le caractère intergouvernemental de la politique étrangère européenne. Confier à la Commission le rôle central en matière de préparation et d’exécution des décisions PESC, faire du vote à la majorité qualifiée la procédure de droit commun en matière décisionnelle, conférer au Parlement un quelconque droit de veto dans les domaines de la politique étrangère et de la sécurité : ces propositions n’étaient pas recevables pour une majorité d’Etats. A défaut d’une réforme profonde, les Etats membres se sont une nouvelle fois rabattus sur des retouches d’ampleur plus modeste visant à renforcer l’efficacité des institutions aux différents stades de l’élaboration de la politique.  

Au stade de la préparation des décisions, les signataires du traité d’Amsterdam ont décidé la création au sein du secrétariat général du Conseil d’une unité d’analyse et de planification, assurant, pour le Comité politique, le suivi de la situation internationale.

La règle en matière décisionnelle demeure l’unanimité

Au stade de la décision, les deux options envisagées durant la CIG ont été –timidement- retenues. D’une part, le vote à la majorité qualifiée est possible pour les décisions d’application dans la mesure où elles interviennent après une première décision prise à l’unanimité. Un Etat peut toutefois empêcher que l’on recourt au vote en invoquant des « raisons de politique nationale importantes » (art. 13 du traité UE dans la nouvelle numérotation établie par le traité d’Amsterdam). D’autre part, une dose de flexibilité est introduite avec la possibilité offerte aux Etats membres de s’abstenir sans bloquer la décision. Toutefois, la règle en matière décisionnelle demeure l’unanimité.  

Au stade de l’exécution des décisions et de la représentation de l’Union, la nouveauté, issue d’une proposition française, réside dans la mise en place d’un Haut représentant pour la PESC. Cette personnalité, qui est en même temps le secrétaire général du Conseil, a des fonctions de représentation de la PESC et de mise en œuvre des actions communes. Son rôle doit être compatible avec celui de la présidence semestrielle qui conserve ses fonctions et avec celui du président de la Commission.  

Les missions « Petersberg »

Enfin, un nouveau type d’acte vient s’ajouter aux actions et positions communes. Il s’agit de stratégies communes qui sont censées donner une ligne directrice à l’action extérieure de l’Union. Quant aux missions de défense, dites missions « Petersberg » (missions humanitaires ou d’évacuation des ressortissants, maintien de la paix, missions de forces de combat pour la gestion des crises), qui relevaient jusqu’alors de l’UEO, elles sont intégrées au traité sur l’UE (art. 17-2 nouveau) par le traité d’Amsterdam.  

Au total, la PESC n’a pas été transfigurée par le traité d’Amsterdam. Le Haut représentant, M. Javier Solana, fait entendre la voix de l’Union européenne mais son poids politique est faible, de même que sa légitimité. Les stratégies communes sont rares (elles concernent la Russie et l’Ukraine) et peu novatrices. Il reste que le traité d’Amsterdam prolonge la dynamique lancée à Maastricht et renforce la cohérence du mécanisme de la PESC.

Quant au traité de Nice, adopté en février 2001, il offre la possibilité de prendre des décisions selon un mode opératoire différent. En effet, il est possible de mettre en œuvre une action ou un position commune sur la base d’une coopération renforcée, si elle porte sur des questions n’ayant pas d’implications en matière de défense. La coopération renforcée, décidée par le Conseil à la majorité qualifiée, implique au minimum huit Etats, et doit se déployer dans le respect des autres Etats membres. Cette possibilité offerte par le traité de Nice ne sera pas utilisée.

L’UE reste dépourvue d’une véritable capacité de coercition

Au tournant du millénaire, le problème reste entier. L’Union européenne semble capable d’exercer une certaine influence internationale en usant d’instruments politiques et économiques : son poids économique et commercial donne à ses prises de position politiques une certaine portée. Mais cette influence a des limites. L’UE est dépourvue d’une véritable capacité de coercition, elle a échoué à gérer les grandes crises, dans les Balkans ou au Proche-Orient. Elle est une « puissance douce », pour reprendre l’expression popularisée par Joseph Nye[9], ce qui ne saurait suffire dans un contexte où les menaces, plus diffuses et diversifiées, nécessitent toujours une réponse militaire. La mise au point d’une PESD permettrait donc de combler cette lacune.  

 

La PESD ou le renforcement de la dimension militaire de la PESC

A partir de 1999, les Etats membres décident de se doter des moyens nécessaires à la gestion des crises internationales. Une Politique européenne de sécurité et de défense [10] est mise au point, au sein de la PESC dont elle constitue la composante militaire. La PESD va prendre le relais de l’UEO, que les Européens n’ont pas su utiliser dans le sens indiqué par le traité sur l’Union, à savoir en tant que bras armé de l’Union européenne.

C’est le sommet franco-britannique de Saint-Malo, fin 1998, qui relance la défense européenne. A cette occasion, le Royaume-Uni accepte la construction d’une identité européenne de sécurité et de défense au sein de l’Union, alors qu’elle refusait jusqu’alors tout développement extérieur à l’OTAN. Lors du sommet de Cologne (3-4 juin 1999), les chefs d’Etat et de gouvernement décident de « doter l’Union européenne des moyens et capacités nécessaires pour assumer ses responsabilités concernant une politique européenne commune en matière de sécurité et de défense »[11].

Ceci implique tout d’abord la reprise des fonctions de l’UEO par l’Union européenne. Réunis à Marseille, le 13 novembre 2000, le Conseil de l’UEO prend acte du transfert à l’UE de la plupart de ses compétences, exception faite de l’engagement d’assistance mutuelle en cas d’attaque armée. Un mois plus tard, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union finalisent ce transfert lors de leur sommet de Nice (7-10 décembre 2000). Ainsi se trouve achevée l’évolution enclenchée par le traité d’Amsterdam qui avait transféré à l’UE les missions Petersberg.

Peser dans la gestion des crises

L’objet de la PESD n’est pas d’assurer la défense du territoire européen, qui relève des politiques nationales de défense et de l’OTAN, et qui ne compte pas parmi les missions (de Petersberg) inscrites à l’article 17-2 du traité UE. Il s’agit uniquement de permettre à l’Union de peser pour la gestion des crises. Sans instrument militaire spécifique, l’UE n’a pas pu imposer les solutions qu’elle avait avancées lors du conflit bosniaque, laissant les Etats-Unis mettre un terme au conflit sur la base d’accords (Dayton-Paris) largement inspirés par les propositions européennes (plan Juppé-Kinkel). Forte de la PESD, sera-t-elle capable de résoudre les crises de l’après-guerre froide ?  

Il faut pour cela bâtir une PESD véritablement opérationnelle. Cela passe par la mise en place de structures militaires appropriées : le Comité politique et de sécurité (COPS) assisté d’un groupe de travail politico-militaire, d’un Comité politique et d’un Etat major. Cela passe surtout par la constitution d’une force européenne de gestion des crises. C’est l’objectif qui a été fixé lors du sommet de Cologne, à travers un programme de développement des capacités opérationnelles de l’Union. Lors du sommet d’Helsinki (10-11 décembre 1999), les chefs d’Etat et de gouvernement ont fixé un objectif général –le « headline goal »-, qui est d’être en mesure de déployer sur un théâtre d’opérations, dans un délai de 60 jours et pendant au moins une année, une force d’environ 60 000 hommes, appuyée le cas échéant sur des forces aériennes et navales, et capable d’effectuer l’ensemble des missions Petersberg.

Un catalogue...

Depuis le Conseil européen de Feira, en juin 2000, les Etats membres s’efforcent de définir les moyens militaires qu’ils entendent mettre à disposition de l’Union. Un premier état des lieux a été effectué lors de la conférence d’engagements de capacités militaires, tenue à Bruxelles en novembre 2000[12]. Les capacités ont été réunies dans un « catalogue » des forces adopté lors du sommet de Nice en décembre 2000. Quelques 100 000 soldats, 400 avions de combat, 100 bâtiments de marine sont à la disposition de l’Union et de la politique de défense. L’acquis  de l’UEO est utilisé par l’Union, en particulier les FRUEO (forces relevant de l’UEO), forces nationales ou multinationales, affectées à l’OTAN ou liées à l’OTAN sans y être intégrées (l’Eurocorps, le groupe aérien franco-britannique, Eurofor et Euromarfor).  

... mais les lacunes sont criantes

Il n’est pas certain que cet effort soit suffisant. Pour être autonome dans le domaine des opérations militaires extérieures, il ne suffit pas d’afficher des quantités de forces, encore faut-il disposer, sur le plan qualitatif, des moyens adéquats. Or, les lacunes sont criantes, sur le plan du renseignement, de l’observation, de l’équipement, du transport, des systèmes de commandement et de contrôle. Le développement de la dimension opérationnelle de la PESD est, certes, conçu comme un processus, les moyens devant être réévalués à échéance régulière. Mais la PESD peut-elle déployer des troupes sur un théâtre extérieur, sans recourir à des moyens (américains) relevant de l’OTAN ? Sans doute s’il s’agit d’une opération d’ampleur limitée telle que l’intervention en 2003 dans la région d’Ituri (opération Artemis)[13] . En revanche, une intervention de maintien de la paix plus importante, ou une opération d’imposition de la paix, nécessiteraient très certainement l’appui des Etats-Unis. Dans ces conditions, les velléités d’autonomie paraissent bien vaines.  

S’il s’avère que les Européens n’ont pas les moyens militaires de leurs ambitions, il est fort possible que la PESD serve avant tout de cadre à des actions de prévention des conflits et de gestion civile des crises.

La composante civile de la PESD

La composante civile de la PESD, mise au point lors des Conseils européens de Feira (1999) et Göteborg (2001), est plus facile à mettre en œuvre, qu’il s’agisse de coopération policière (possibilité de fournir jusqu'à 5 000 policiers, dont 1 000 dans un délai de 30 jours, pour des missions qui vont du rétablissement de l'ordre en coopération avec une force militaire à l'entraînement des policiers locaux), de renforcement de l’Etat de droit (assistance judiciaire), d’administration civile (notamment en matière électorale) ou de protection civile (assistance apportée aux acteurs humanitaires). En 2003, deux opérations policières ont été menées dans le cadre de la PESD, en Bosnie-Herzégovine et en Macédoine (opération Proxima).  

La prévention des conflits est aussi un domaine où l’Union dispose d’importants atouts puisqu’elle s’appuie sur les instruments économiques et commerciaux de la Communauté. Le Conseil européen de Göteborg, en 2001, a mis au point un ambitieux programme de prévention qui mêle l’économique, le politique et le militaire, et dont le suivi est assuré régulièrement par le Conseil et la Commission.

Si les dimensions civiles et préventives revêtent une importance considérable, peut-on se satisfaire d’une politique de défense qui se déploierait principalement dans des domaines non militaires ? Assurément non. Les pays d’Europe centrale et orientale ne s’y sont pas trompés. Soucieux de rejoindre l’Union européenne pour des raisons économiques, leur priorité en matière de sécurité est clairement l’Alliance atlantique. Celle-ci s’est élargie, en 1999, à la Pologne, à la république tchèque et à la Hongrie, avant d’ouvrir ses portes à sept nouveaux membres (Bulgarie, Roumanie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie, Slovénie) en mars 2004. Conscients des réalités de la puissance militaire, les pays d’Europe centrale et orientale considèrent la défense européenne comme un complément utile dans la mesure où elle s’avère compatible avec l’OTAN, mais pas comme une priorité. La question des moyens militaires de la PESD demeure donc cruciale si l’on veut que l’UE soit prise au sérieux dans le domaine de la sécurité internationale.

Voir une carte de l'OTAN en 2004

 

La PESD souffre d'un déficit stratégique

Par ailleurs, la PESD souffre d’un déficit stratégique. En dehors de la mise en oeuvre des missions Petersberg, on est à la recherche d’un véritable concept stratégique européen. Javier Solana, Haut représentant pour la PESC, a travaillé à la mise au point d’une stratégie, baptisée « une Europe sûre dans un monde meilleur », finalement adoptée par le Conseil européen à Bruxelles en décembre 2003. Certains éléments de cette stratégie, en particulier l’insistance sur le multilatéralisme, devraient être approfondis si l’Union entend marquer sa différence sur la scène internationale. Quoiqu’il en soit, cette base de départ, utile mais insuffisante, mérite un approfondissement. L’instrument des « stratégies communes », créé par le traité d’Amsterdam, devrait être utilisé plus fréquemment, en cohérence avec la stratégie générale issue du rapport Solana. L’adoption en décembre 2003 par le Conseil européen d’une stratégie contre la prolifération des armes de destruction massive, qui s’ajoute aux stratégies sur la Russie et l’Ukraine,  va dans le bon sens. (Lire le concept de Protection stratégique proposé par F. Géré)

La PESD a été conçue pour pallier les lacunes apparues dans les années 90. Il s’agissait essentiellement de se doter des moyens qui ont fait cruellement défaut lors de la crise dans l’ex-Yougoslavie, d’être capable de gérer les crises de l’après-guerre froide. Depuis le 11 septembre 2001, un défi d’une autre nature et sans doute d’une autre ampleur doit être relevé, celui de la lutte contre le terrorisme international. La PESD doit être réorientée, de manière à relever ce défi. Si ça n’est pas le cas, l’Union risque fort d’être en retard d’une époque. Des plans inter-piliers ont été mis au point pour lutter contre le terrorisme international : des actions PESC y ont trouvé leur place, notamment celles visant à lutter contre la prolifération des armements. Mais la PESD et l’approche en termes de défense du territoire ne sont pas des éléments centraux de ces programmes.

Au-delà des apparences

Le 11 septembre 2001 et la crise irakienne semblent avoir interrompu l’élan en faveur d’une PESD. Le 11 septembre parce qu’il a montré l’inadéquation de la PESD, la crise irakienne parce qu’elle a fait éclater au grand jour les dissensions qui continuent à séparer les Etats membres (et les Etats alors candidats) sur la question de la politique étrangère et de la défense européennes. Pourtant, au-delà des apparences, le processus de construction d’une Europe de la défense n’est pas mort. Au plus fort de la crise irakienne, français et britanniques ont continué à coopérer sur le plan militaire. Lors du sommet du Touquet, en février 2003, soit quelques semaines avant l’invasion américano-britannique de l’Irak, ils ont adopté une déclaration sur le renforcement de la coopération européenne en matière de sécurité et de défense. Lors du sommet de Londres, le 24 novembre 2003, une déclaration analogue conclut la rencontre, les deux pays se situant clairement dans la logique du sommet de Saint-Malo, celle de la construction d’une identité européenne de défense[14].

Cet effort bilatéral a débouché sur un important résultat multilatéral  lors du Conseil européen du 12 décembre 2003. En effet, les quinze ont  entériné un document de la présidence italienne sur la défense européenne, qui prévoit la mise en place d’un « QG européen ». L’idée avait été lancée par la France, l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, lors d’un sommet du 29 avril 2003, afin  de relancer une PESD qui paraissait mise à mal par les dissensions européennes sur l’Irak. Après avoir manifesté quelques réticences, le Royaume-Uni a finalement admis la création d’une « capacité de planification et de conduite des opérations militaires » autonome, un QG européen indépendant de l’Alliance atlantique. Tout en faisant clairement un choix européen, les Britanniques se sont efforcés d’obtenir l’assentiment des Américains. Dans un premier temps, la priorité sera donnée aux QG nationaux, notamment français et britanniques, lesquels seront « multinationalisés ». A titre subsidiaire, lorsqu’une réponse à la fois civile et militaire est requise, lorsqu’aucun QG national n’est identifié, l’Union pourra utiliser un « noyau de capacité collective ». C’est le Haut représentant pour la PESC, M. Javier Solana, qui est chargé de mettre au point cet instrument. (NDLR. Il a été précédemment Secrétaire Général de l'OTAN) Par ailleurs, un autre signe de la volonté européenne de renforcer la capacité opérationnelle de l’UE est donné par la décision, prise le 17 novembre 2003, de créer une agence sur les capacités de défense. En somme, la coopération militaire continue à progresser entre les Européens alors même qu’ils se sont déchirés sur la question irakienne, laissant croire à la fin du projet de défense commune. Quelles leçons doit-on tirer de cette contradiction ?

Tendances

Deux tendances, en partie opposées, sont à l’œuvre de manière simultanée. La première est une tendance à la défense des souverainetés. La politique étrangère et la défense sont des domaines où les Etats membres veulent conserver leur marge de manœuvre, d’où le refus de la communautarisation du deuxième pilier de l’Union européenne. Les Européens sont prêts à trouver des compromis avec leurs partenaires, mais ils sont aussi capables de se diviser sur un sujet d’importance majeure. La question des relations avec les Etats-Unis est, aujourd’hui encore, la principale pomme de discorde. Les Etats membres les plus atlantistes considèrent qu’aucun intérêt de politique extérieure ne saurait justifier une prise de position opposée à celle des Américains. Dans ces conditions, la volonté politique ne paraît pas suffisamment ferme pour donner à la PESC et à la PESD la crédibilité dont elles ont besoin, sans compter qu’une minorité d’Etats membres –l’Autriche, la Finlande, l’Irlande, et la Suède-  tarde à sortir de leur tradition de neutralité. Il semble que les Européens ne parviennent à définir une ligne commune que dans les cas où il existe un consensus avec les Etats-Unis. Les Américains étaient, comme les Européens, favorables à une intervention au Kossovo en 1999 : la PESC a donc fait entendre sa voix. Une telle situation n’a pas pu se reproduire s’agissant de l’Irak et la PESC n’a pas eu d’existence.

A côté de cette tendance à la division, une seconde tendance est à l’œuvre, qui pousse les Etats membres à coopérer sur le plan militaire. Au risque d’être marginalisés sur la scène politique internationale, les Européens n’ont d’autre choix que de construire, pierre après pierre, cette Europe de la défense dont on parle depuis si longtemps, et qui donnerait du poids à la diplomatie européenne. La PESD est une condition de réussite de la PESC ; la PESC est une nécessité si l’Union européenne souhaite exister sur la scène internationale ; l’affirmation de l’UE en tant qu’acteur politique est le seul moyen pour les Européens d’exercer durablement une influence sur leur environnement international. Cette logique a permis de réaliser des progrès non négligeables, depuis une trentaine d’années, mais elle est contrecarrée par la tentation, toujours présente, du repli sur soi. 

 
La poursuite d’une progression vers l’Europe puissance ?

La politique étrangère, la sécurité, la défense, sont des domaines où les Européens progressent, certes avec lenteur mais de manière régulière. Cette étude avait pour but de le rappeler, à l’heure où l’on fustige l’Union pour son inexistence politique. Dans les premières années de la CPE, le fait que le président en exercice de la Communauté s’exprime, au nom des Etats membres, lors de la réunion de la CSCE, était considéré en soi comme une formidable réussite. Aujourd’hui, les prises de position communes dans les enceintes internationales sont fréquentes. Mais on demande plus à une Union qui est sommée d’agir pour résoudre les crises, d’intervenir au besoin sur le plan militaire, bref de modeler le monde qui l’entoure pour le conformer à ses propres valeurs, définies comme universelles. 

Est-on assuré que le processus, engagé au début des années 70, se poursuivra jusqu’à faire de l’Union européenne une véritable puissance internationale ? Rien n’est moins sûr. Cette finalité ne fait pas l’unanimité parmi les Etats membres. Tout le monde n’est pas prêt à payer le prix d’une telle perspective. Certains s’y refusent pour éviter tout désaccord avec les Etats-Unis. D’autres préfèrent tirer seuls leur épingle du jeu : la position pro-américaine de M. Aznar durant la crise irakienne avait aussi pour but de montrer à tous qu’on devait compter avec l’Espagne[15]. La plupart des Etats ne sont pas prêts à réaliser un effort budgétaire pour renforcer les capacités de défense.

Surtout, les  élargissements risquent de modifier la donne. On a vu que les pays d’Europe centrale et orientale considéraient la relation avec les Etats-Unis comme un objectif prioritaire. Ils sera plus difficile encore de s’entendre à 25 ou plus, dans le cadre de la PESC et de la PESD. L’émergence d’une Europe puissance mondiale est donc loin d’être assurée. Il existe, cependant, quelques raisons d’espérer une évolution positive.

Quelques raisons d'espérer 

Si l’on ne peut que déplorer la dégradation de la situation en Irak après l’intervention des Etats-Unis, force est de constater que les difficultés éprouvées sur le terrain par les militaires américains ont incité l’administration Bush à modifier son attitude et en prendre un peu plus en considération ses partenaires. Dans ce contexte, l’OTAN pourrait à nouveau jouer un rôle majeur et servir de cadre à la réconciliation transatlantique. Après tout, l’Alliance et l’Union s’élargissent, pour l’essentiel, aux mêmes pays, et ont beaucoup d’intérêts communs. Les Etats-Unis devraient comprendre qu’ils ont tout à gagner à accepter les ressources offertes par l’Union européenne ; l’UE devrait renforcer son autonomie en matière de défense dans un souci de transparence et de complémentarité avec l’OTAN. Les britanniques et les français ont un rôle clé à cet égard, les premiers parce que la PESD ne pourra se faire sans leur participation, et les seconds parce qu’ils doivent rassurer partenaires et alliés de l’importance accordée à l’OTAN. Mais si l’on veut que le partenariat UE/OTAN soit efficace, et que les relations Etats-Unis/Europe soient fructueuses, il faut avant tout que les Européens expriment une volonté politique commune.

L'apport du projet de Constitution

L’adoption du projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe devrait y aider. On y trouve des dispositions susceptibles de favoriser le développement de la PESC : mise en place d’un ministre des Affaires étrangères, qui serait en même temps vice-président de la Commission ; renforcement de l’exécutif  européen par le biais d’une présidence désignée pour plusieurs années… Dans les années 50 et 60, l’idée qu’une personnalité puisse représenter une diplomatie commune aux Européens était utopique. On mesure le chemin parcouru depuis. L’adoption du projet de Constitution aurait aussi l’avantage de mettre à nouveau l’accent sur la politique étrangère, alors que les débats sont focalisés sur la politique de défense depuis la fin des années 90. Certes, la PESD est un enjeu majeur, puisqu’elle devrait permettre à l’Union de peser dans les relations internationales. Mais c’est la politique étrangère qui doit donner la direction : la PESD ne fonctionnera pleinement qu’à la condition d’être comprise dans une politique étrangère cohérente et efficace.

Défis

Il reste donc de nombreux paliers à franchir : adopter le projet de Constitution, clarifier la relation avec les Etats-Unis, renforcer la dimension stratégique de la PESC, améliorer le système institutionnel, abandonner définitivement la neutralité pour certains Etats membres, renforcer les capacités militaires, et surtout, clé de voûte de l’ensemble, raffermir la volonté politique sans laquelle rien n’est possible.   

Fabien Terpan, Maître de conférences à l'Université de Toulouse II.

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Notes de l'article:

[1] Rapport des ministres des Affaires étrangères des Etats membres sur les problèmes de l’unification politique, dit rapport de Luxembourg ou rapport Davignon, adopté à Luxembourg le 27 octobre 1970, Bull-CE, 11-1970.

[2] Rapport sur la coopération politique européenne en matière de politique étrangère, dit rapport de Copenhague, adopté à Copenhague le 23 juillet 1973, Bull-CE 9-1973.

[3] Déclaration des chefs d’Etat et de gouvernement sur l’identité européenne, Copenhague, 14-15 décembre 1973, Bull-CE, 12-1973.

[4] Rapport Tindemans sur l’Union européenne, Bull-CE, suppl. n°1, 1976.

[5] Rapport adopté à Londres le 13 octobre 1981, Bull-CE, 10-1981.

[6] Déclaration solennelle sur l’Union européenne, Stuttgart, 19 juin 1983, in Philippe de Schouteete, La coopération politique européenne, Nathan, Labor, 1986, 2e ed., p.262.

[7] Fabien Terpan, La politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2003.

[8] François Mitterrand et Helmut Kohl, lettre conjointe au président en exercice du Conseil européen Charles James Haughey, Paris-Bonn, 19 avril 1990, Documents d’actualité internationale, n°11, 1er juin 1990, p.231.

[9] Joseph Nye, Le leadership américain, quand les règles du jeu changent, Presses universitaires de Nancy, 1992.

[10] Fabien Terpan (dir.), La politique européenne de sécurité et de défense, Presses de l’Institut d’études politiques de Toulouse, 2004.

[11] Conclusions de la présidence, « déclaration concernant le renforcement de la politique européenne commune de sécurité et de défense », Conseil européen, Cologne, 3-4 juin 1999.

[12] Déclaration du Conseil, Conférence d’engagements de capacités militaires de l’Union européenne, Bruxelles, Documents d’actualité internationale, n°1, janvier 2001, pp.16-18.

[13] La seconde opération militaire de la PESD en 2003, l’opération Concordia menée sur le territoire de l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine, a nécessité des moyens de l’OTAN.

[14] Dans la foulée, un document commun intitulé « European defence : EU/NATO consultation, planning and operations » était signé par l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni le 29 novembre 2003, à Naples, avant d’être approuvé par le Conseil européen à Bruxelles, le 12 décembre 2003.

[15] Le refus espagnol, lors du sommet de Bruxelles de décembre 2003, d’adopter le projet de traité établissant une constitution pour l’Europe l’a confirmé.

 

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Date de la mise en ligne: juin 2004

 

   

Biographie de Fabien Terpan, Maître de conférences à l'Université de Toulouse II

   

 

 

Docteur en droit, diplômé de l’IEP Grenoble et de l’Institut des hautes études européennes de Strasbourg.

Collabore au groupe de recherche en histoire immédiate (GRHI, Université de Toulouse II) et participe aux activités de l’IREDE (Institut de recherche européenne de droit économique) et du Centre Morris Janowitz « forces armées et sécurité » (IEP Toulouse).

Sur le plan européen, participe au travaux de TEPSA (Trans European Policy Studies Association).

Auteur de nombreux articles sur l’Union européenne et de 4 ouvrages :

. (direction d’ouvrage collectif) : « La politique européenne de sécurité et de défense, L’UE peut-elle gérer les crises ? », Presses de l’Institut d’études politiques de Toulouse, 2004; 

. (avec Jean-Marc Février), « Les mots de l’Union européenne, Droit, institutions, politique », PUM, 2004;

. « La politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne », Bruxelles, Bruylant, 2003;

. « Ismaïl Kadaré », Paris, Editions universitaires, 1992.  

   

 

       

 

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