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L'Occident, l'Europe face aux nouveaux défis. 

Par Benoît d'Aboville,

ancien ambassadeur, représentant permanent de la France à l'OTAN   

 

Dans la recomposition de la scène internationale, la France, comme ses partenaires européens, se trouve face à des enjeux majeurs qui impliquent des choix politiques à long terme. Le XXe siècle ne s’est pas achevé comme on l’avait prédit sur la « fin de l’histoire » avec la dissolution du Pacte de Varsovie et le triomphe attendu des démocraties. Bien plus qu’avec le 11 septembre 2001 à New York, c’est avec l’« après Iraq » que s’ouvre le vrai XXIe siècle.  

Les cadres dans lesquels nous avons plus ou moins confortablement vécu vont devoir être adaptés.  

Ce qui pouvait être considéré comme autant d’acquis en termes de réseaux d’influence sur la scène internationale va devoir être  repensé, notamment en ce qui concerne notre réseau diplomatique et les modalités d’une action interministérielle à l’international encore trop dispersée. Cela implique que nous conservions aussi un outil militaire adapté aux opérations extérieures. Il nous faut enfin et surtout conserver la disponibilité intellectuelle et l’ouverture sur les préoccupations et interrogations de nos partenaires : dans la plupart des cas, nous n’agiront plus seuls ni politiquement ni militairement. Cette ouverture sur l’extérieur suppose un débat qui n’est jusqu’ici que balbutiant.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, le site www.diploweb.com vous présente  sur Internet un article de Benoît d'Aboville, publié dans le numéro de mars 2007 de la revue Défense nationale et sécurité collective. Nous vous invitons à visiter son site à l’adresse http://www.defnat.com 

Biographie de l'auteur en bas de page.

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*

 

 

DOUBLE ANNIVERSAIRE

Nous fêtons un double anniversaire, celui des cinquante ans du Traité de Rome et celui des soixante ans du Plan Marshall. C’est l’occasion de s’interroger sur la pérennité des deux piliers qui ont fondé, de 1947 à nos jours, ce que nous avons jusqu’ici considéré comme constituant notre « monde occidental », l’UE et l’Otan.

 

TRAITÉ DE ROME

La signature du Traité de Rome, le 25 mars 1957 qui crée la CEE devenue Union européenne, est le point de départ d’une entreprise qui, fondée sur la réconciliation franco-allemande, est devenue l’élément structurant de notre continent, une condition de sa prospérité, et le gage de sa stabilité.  

On l’a vu, hier, avec l’association des anciens pays de l’Est à l’occasion de l’élargissement, et, aujourd’hui, avec les Balkans. La perspective européenne y est le seul facteur qui permette d’envisager une réconciliation politique et une viabilité économique de ces pays, où les conflits ethniques ou l’appropriation des pouvoirs par les mafias pourraient autrement déstabiliser notre environnement immédiat. Ce fut d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’UE est venue se substituer en 2005 à l’Otan en Bosnie, et pourrait le faire demain au Kosovo. 

Pourtant s’agit-il encore, comme le dit le traité, d’une « Union sans cesse plus étroite » et donc d’un processus fédératif irréversible qui n’en tient pas moins compte de la réalité des nations ? C’est ce concept qui fondait la démarche des Six pays fondateurs. La question n’a rien d’académique. On notera donc l’interrogation d’un Gordon Brown, successeur présumé de Tony Blair, qui se demande « si l’on a véritablement encore besoin de l’UE s’interposant entre la nation et le marché mondial globalisé ».  

Les réponses que l’on donne à ce type de question sont importantes aussi bien pour les États-Unis que pour l’Alliance. L’UE est elle vouée à devenir un partenaire institutionnel et structurel de l’Otan, qui demeurerait le lieu essentiel du partenariat transatlantique ? Les États-Unis doivent-ils envisager de traiter directement avec l’UE plutôt qu’avec quelques grandes capitales ? La question avait déjà été posée sous Kennedy et elle était sous-jacente à la question ironique de Kissinger : « l’Europe ? Quel numéro de téléphone ? ». Elle revient aujourd’hui en force dès lors que l’on évoque l’avenir d’une possible refondation de la relation transatlantique après la crise irakienne.  

Plan Marschall

C’est le 5 juin 1947 que le Secrétaire d’État américain, le général George Marshall lançait l’European Recovery Programm (ERP) plus connu sous l’appellation de Plan Marshall, qui a fondé précisément cette relation transatlantique. Celle-ci nous paraît évidente et incontournable aujourd’hui : elle ne l’était nullement pour une partie de l’opinion américaine à l’époque.  

S’agissant de l’Otan, alors destinée à répondre à la menace soviétique et à régler la question du réarmement allemand, le Congrès américain fit mille difficultés pour adopter le Traité de l’Atlantique Nord, le 4 avril 1949 à Washington. La guerre froide changea la donne, mais nous sommes dans un nouveau contexte international et là encore rien ne peut être tenu pour acquis de manière irréversible.

 

ÉTATS-UNIS ET OTAN

Aujourd’hui, aux États-Unis mêmes, le soutien à l’Otan a commencé à s’effriter à plusieurs niveaux.

Les « atlantistes » appartiennent à une génération politique qui est en train de s’effacer, notamment au Congrès. Elle n’est pas remplacée et l’on ne voit pas se profiler un nouveau consensus sur l’Otan.

Les militaires américains, constatant l’écart technologique entre leurs moyens et ceux des européens, ont tendance, comme le soulignait l’ex-secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld à préférer, la coalition de volontaires à l’Otan, au non du principe suivant lequel « la mission détermine le coalition », ce qui est l’antithèse du principe fondant l’Alliance. Aujourd’hui l’Otan, devenue expéditionnaire en Afghanistan mêle en fait les deux éléments, sans que l’on sache vraiment où s’arrête le curseur, d’où les difficultés que l’on sait pour assurer la génération de forces nécessaires.

La nouvelle génération d’analystes américains regarde ailleurs : elle a déjà procédé à la « dévaluation stratégique de l’Europe » : pour eux, à terme, le véritable défi stratégique ne se situe plus en Europe, ni même en Russie ; bien plus que le terrorisme, les désordres africains ou le gauchisme latino-américain, ce défi est devenu asiatique, en particulier, la perspective de voir la Chine contester, dans dix ou quinze ans, la place des États-Unis comme seule véritable « hyper-puissance ».

Enfin, compte tenu de leur puissance de projection militaire et de leurs intérêts mondiaux, les États-Unis ont développé des partenariats stratégiques, notamment dans le Pacifique, par exemple avec l’Australie, qui leur permettent d’agir en dehors des cadres institutionnels internationaux : les alliances ne sont plus, pour eux, une option nécessaire.

 

NOUVELLE RELATION TRANSATLANTIQUE

Or une nouvelle relation transatlantique doit tenir compte du bouleversement du monde et au changement dans le rapport des forces.

 

Puissances économiques

Au début de 2006, pour la première fois, le PNB global de l’ensemble des pays émergents a dépassé 50 % du PNB mondial (en parité de pouvoir d’achat). Comme le note The Economist cela signifie en clair que les pays occidentaux ont aujourd’hui cessé de dominer l’économie globale. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. 

Ce sont les pays émergents qui déterminent aujourd’hui largement la croissance de l’économie mondiale : ils représentent 43% des exportations mondiales contre 20 % en 1970. L’Europe continue de se situer à 17 % des exportations mondiales, mais la part de l’Amérique est passé de 2000 à 2006 de 14 % a 10 % compte tenu de la croissance de son vaste marché intérieur. 

Les pays émergents consomment la moitié des ressources énergétiques mondiales et ont été responsable des 4/5e de l’accroissement de la demande de pétrole des cinq dernières années. 

Ils détiennent déjà 70 % des réserves monétaires globales. Or il ne s’agit pas seulement de la Chine et de l’Inde : ces pays ne représentent, à eux deux, qu’un quart de l’accroissement du PNB des économies émergentes en 2005. Bien entendu la performance économique n’est pas tout. Certains aspects de la croissance dans les pays émergents sont préoccupants : la dégradation spectaculaire de l’environnement et les tensions entre zones urbaines en pleine expansion et zones de pauvreté rurale en Chine ; les risques de prolifération nucléaire en Iran, en Asie du Sud-Est pour ne pas parler des conséquences que pourraient avoir un changement d’attitude du Japon face à un environnement régional qui apparaît plus menaçant ; enfin le risque de groupes terroristes exploitant l’anarchie dans les « États faibles » pour se constituer des bases d’actions ultérieures.  

Ce bouleversement de la hiérarchie des puissances, constitue pour nous Européens une évolution aussi importante historiquement, que l’a été, au XIXe siècle, le passage à la révolution industrielle.  

 

PROBLÈMES À RÉSOUDRE

Cette évolution posera aux Européens qu’il s’agisse de l’Otan, de l’UE ou des Nations unies au moins quatre série de problèmes incontournables. 

Démographie

Le déclin démographique européen et la relativisation de la part de l’Europe dans l’économie globale amèneront inévitablement des ajustements institutionnels en termes politiques.

La structure des institutions de la société internationale n’a pas encore pris en compte le changement dans l’équilibre des forces mais cela ne saurait être indéfiniment différé. Actuellement au FMI la Belgique détient autant de votes que la Chine ! La recomposition du Conseil de sécurité, abordée officiellement en 2005, n’est retardée qu’en raison des rivalités régionales. 

Au-delà se posent bien d’autres questions : est-ce que la multipolarité est la solution aux nouveaux problèmes de la gouvernance mondiale ? Faut il mettre en place et anticiper de nouvelles structures de gouvernance mondiale avant qu’elle nous soient imposées dans un rapport de forces défavorable ? Ce sont là des options lourdes qui impliquent en particulier que l’on ait une vision claire du rôle futur de l’UE sur la scène internationale et une volonté commune de le mettre en œuvre.  

 

Énergie, environnement

Les questions énergétiques : il ne s’agit pas seulement du degré de dépendance vis-à-vis de la Russie et des pays du Golfe mais d’un problème aux implications stratégiques importantes, compte tenu de la demande des pays émergents. On le voit déjà avec l’action de la Chine en Afrique et du positionnement politique qu’elle adopte par exemple dans la crise du Darfour ou vis-à-vis de l’Iran. 

De plus, la question de l’environnement va peser de plus en plus lourd, à un moment où les énergies alternatives sont encore trop marginales par rapport à une dépendance vis-à-vis du pétrole et du gaz qui peut conduire à un doublement des prix dans quelques années avec toutes les implications que l’on peut deviner.

 

Les États-Unis

Le rôle des États-Unis demeurera un élément essentiel de l’ordre international, mais ils vivent aujourd’hui au dessus de leurs moyens comme en témoigne l’ampleur du déficit de leur balance des paiements. De l’avis de tous les experts, cela ne pourra continuer indéfiniment, même si actuellement la Chine trouve aujourd’hui son intérêt à accumuler des dollars. 

De plus l’échec irakien risque d’accentuer la réticence de l’opinion américaine à engager des forces sur le terrain pour des actions de stabilisation de longue durée. Politiquement, le déclin de la Pax Americana est déjà évident au Proche-Orient, pour la plus grande inquiétude des gouvernements pro-occidentaux de la région. Cela ne pourra qu’inciter Washington à demander aux Européens de partager le fardeau et à devenir, selon la formule consacrée, des « producteurs plutôt que des consommateurs de sécurité ».

 

Efforts financiers européens

L’Administration américaine a eu jusqu’ici tendance à critiquer, notamment à l’Otan, la faiblesse des efforts de défense Européens. La perspective est erronée: ceux-ci ont globalement un budget militaire qui représente déjà 40 % de celui des États-Unis, mais sans en avoir les ambitions, ni donc les mêmes impératifs de présence globale.

Le problème est plutôt, pour les Européens, celui de l’efficacité de ces dépenses et de leur duplication. Sur le plan militaire, on a commencé à travailler dans le bon sens: 2007 verra le démarrage d’un petit état-major européen à Bruxelles, la mise en place des premiers Battlegroups (groupes de combat) et le développement de l’Agence européenne de défense ; auxquels s’ajoutent une série d’initiatives comme celle de la formation commune de pilotes d’hélicoptères ou la gestion de la future flotte d’A400M, les frégates franco-italiennes ou encore les projets de porte-avions français et anglais construites sur les bases communes (coque, propulsion).  

Du côté de ses moyens d’intervention internationale, l’UE dispose du premier budget mondial d’aide avec près de 4 milliards d’euros dont 1 milliard pour les interventions humanitaires. Elle n’en recueille pourtant guère de visibilité politique et l’efficacité de cette aide est minée par les querelles inter-piliers entre la Commission et le Conseil, dont la solution était notamment prévue par le projet de Constitution.

 

« Nouveau colonialisme de nécessité »

Le problème majeur est, enfin, celui de la capacité des démocraties occidentales à réinventer « un nouveau colonialisme de nécessité » c’est-à-dire la prise en charge ou la mise sous tutelle internationale d’États « faibles » dont le désordre politique ou l’absence de gouvernance interne menacent la stabilité régionale ou tout simplement la vie des populations et en particulier celle des minorités ethniques. 

Ces opérations de maintien de la paix, contrairement à une idée répandue, sont loin d’être inefficaces. Intervenant en mode de prévention des crises, et, s’appuyant sur les organisations régionales, elles évitent la perte totale de contrôle de la situation : le Liberia, l’Ouganda, le Népal, l’Indonésie à Aceh en témoignent de même que tout récemment, la surveillance par l’UE des élections en RDC. Il existe certes des rechutes, Haïti en est un exemple, mais dans l’ensemble le bilan global n’est pas aussi négatif que l’impression laissée en Europe par le souvenir des échecs de l’ONU dans les Balkans.

Dans cette région l’action de l’Otan et de l’UE, en Macédoine, en Bosnie et au Kosovo, a été jusqu’ici une réussite. En Afghanistan, l’Otan et la coalition avaient bien avancé dans leur démarche de stabilisation, au moins jusqu’à l’année dernière.

 

LE RETOUR DU MULTILATÉRALISME

Aussi peut-on prévoir une certaine forme de retour en grâce du multilatéralisme, y compris de la part des États-Unis, tout simplement par ce qu’il s’agit souvent de la solution la moins coûteuse politiquement, voire la seule possible.   

Nations unies

À l’ONU d’abord, où les Américains vont, grâce à la nouvelle répartition de postes au sein du Secrétariat pouvoir mieux contrôler des opérations de maintien de la paix, dans lesquelles il n’apportent cependant pour le moment aucun moyen militaire, mais seulement un financement. L’ONU a actuellement près de 130 000 hommes, militaires et policiers, engagés dans des opérations de maintien de la paix (contre 30.000 militaires pour l’Otan, et 11 000 pour la France).

 

Alliance atlantique

À l’Otan, ensuite, qui joue actuellement sa crédibilité en Afghanistan et souffre politiquement de son identification comme nouvelle « boîte à outils américaine » (on l’a vu cet été 2006 à propos du Liban où elle n’a pu jouer le rôle dont rêvait pour elle son Secrétaire général). 

Les Américains, qui ne voient d’avenir à l’Alliance que sous sa forme expéditionnaire, cherchent à élargir le cercle des contributeurs en poussant à une « Otan globale », réunissant de nouveaux alliés comme l’Australie ou le Japon. Cela pose un double problème : la question de la valeur de l’engagement de solidarité pour la défense commune de l’article 5, ainsi que l’ont immédiatement relevé des pays nouvellement entrés à l’Otan, comme la Pologne ; le risque politique d’apparaître créer déjà en pointillé une coalition occidentale anti-chinoise, au moment où les États-Unis multiplient, de leur côté, les partenariats stratégiques avec les autres puissances de la région, et notamment l’Inde. Le souhaitons nous vraiment ?

 

Union européenne

Vis-à-vis de l’UE enfin, en insistant sur une plus grande imbrication des interventions de l’Otan et de l’UE. Cela aboutirait, en fait, si l’on n’y prend garde, à mettre les moyens de l’UE au service d’une Otan, où les États-Unis continueront de jouer évidemment les premiers rôle du fait ses structures mêmes de l’Alliance. L’idée que les européens pourraient y créer un caucus n’a jamais été très réaliste ; avec l’élargissement, les Européens représentant la grande majorité des membres, elle devient même absurde.

 

La relation transatlantique

En fait, le problème de la relation entre l’Otan et l’UE est d’abord celle de la coopération directe entre l’UE et les États-Unis. Cela implique que ceux-ci reconnaissent politiquement son rôle international autonome, un pas qu’ils n’ont toujours pas osé franchir jusqu’ici par ce qu’ils pensent, à tort, que l’Otan pourrait en être affaiblie. La refondation de la relation transatlantique en passe toutefois nécessairement par là.  

La reconnaissance de la nécessaire autonomie d’action de l’UE, qui n’exclut naturellement pas les coopérations avec les États-Unis, est d’ailleurs largement soutenue par l’opinion publique européenne : un récent sondage Ipsos/EADS[1] en juin 2006, indique que 80 % des Européens jugent nécessaire que l’Europe se dote des moyens d’intervenir indépendamment des États-Unis (87 % en France, 84 % en Allemagne, 83 % au Royaume-Uni, 76 % en Espagne, 66 % en Italie). Les opinions sont donc largement en avance sur les gouvernements et les diplomaties.  

En définitive deux questions se trouvent posées : dans quelle mesure les démocraties occidentales ont-elles la volonté et la capacité politique de mener, dans la durée, des actions de stabilisation dans le monde, y compris très loin de leurs frontières ? 

Or ces actions ne comportent pas de stratégie de sortie à court terme, car il est de plus en plus évident qu’elles doivent combiner à la fois présence militaire et actions de reconstruction civile. C’est la leçon de l’Iraq et de l’Afghanistan mais aussi celle des Balkans où les militaires européens et américains demeurent encore présents après dix ans. 

Le même sondage montre que les opinions européennes sont très largement favorables, à hauteur de 80 %, à ces interventions extérieures pour éviter des déstabilisations. Ce que le sondage ne dit pas c’est jusqu’à quel point elles sont disposées à en supporter longtemps le coût, compte tenu de la focalisation médiatique sur l’actualité et le court terme. 

Le degré de tolérance des démocraties pour des interventions extérieures qui peuvent s’avérer coûteuses est donc lié intimement à la manière dont leur justification est présentée par les politiques. 

Des anciennes puissances coloniales comme la France et la Grande-Bretagne y sont a priori mieux préparées que d’autres de nos partenaires européens ou dans l’Alliance. On peut toutefois noter que ce qui aurait été, il y a dix ans, difficilement imaginable (par exemple l’Allemagne conduisant une opération européenne en Afrique ou encore Suédois et Finlandais engagés dans les Balkans) est considéré comme normal aujourd’hui.  

Suivant les pays et l’environnement international, il existe toutefois des limites politiques évidentes, d’où la nécessité de disposer de toute la gamme des moyens d’interventions dans des cadres différents, à l’ONU, à l’UE à l’Otan et même en national. Les Canadiens ont perdu, cette année, dans le cadre de l’opération de l’Otan en Afghanistan près de 50 hommes : est ce que la lutte contre la drogue et le terrorisme seront toujours des arguments assez convaincants vis-à-vis des opinions publiques si les politiques ne s’engagent pas à fond ? Le désastre irakien aura-t-il des conséquences, à terme, sur l’engagement britannique ou américain en Afghanistan ou ailleurs ? Nos partenaires européens sont ils prêts à s’engager régulièrement en Afrique pour y faire face à des crises à répétition ?

 

EN CONCLUSION

En conclusion, dans cette recomposition de la scène internationale, notre pays, comme nos autres partenaires européens, se trouve face à des enjeux majeurs qui impliquent des choix politiques à long terme.

Le XXe siècle ne s’est pas achevé comme on l’avait prédit sur la « fin de l’histoire » avec la dissolution du Pacte de Varsovie et le triomphe attendu des démocraties. Bien plus qu’avec le 11 septembre 2001 à New York, c’est avec l’« après Iraq » que s’ouvre le vrai XXIe siècle.  

Les cadres dans lesquels nous avons plus ou moins confortablement vécu (dans le cas de la France, sa place au Conseil de sécurité, sa relation désormais apaisée avec l’Otan, le partenariat avec l’Allemagne, qui assurait jusqu’ici un co-pilotage sur les grandes options européennes) vont devoir être adaptés.  

Ce qui pouvait être considéré comme autant d’acquis en termes de réseaux d’influence sur la scène internationale va devoir être souvent repensé, notamment en ce qui concerne notre réseau diplomatique et les modalités d’une action interministérielle à l’international encore trop dispersée. Cela implique que nous conservions aussi un outil militaire adapté aux opérations extérieures (à cet égard le même sondage de l’été dernier montre un très large soutien au maintien de l’effort de défense au niveau actuel : 62 % en France contre 11 % seulement en faveur d’une diminution.) 

Il nous faut enfin et surtout conserver la disponibilité intellectuelle et l’ouverture sur les préoccupations et interrogations de nos partenaires : dans la plupart des cas, nous n’agiront plus seuls ni politiquement ni militairement. Cette ouverture sur l’extérieur suppose un débat qui n’est jusqu’ici que balbutiant, mais dont a pu constater à propos du futur de l’Union européenne, qu’il pouvait être, à l’occasion, assez décevant.

Benoît d’Aboville, ancien ambassadeur, représentant permanent de la France à l’OTAN. Il s'exprime ici à titre personnel.

NDLR: Cet article de Benoît d'Aboville, a été initialement publié dans le numéro de mars 2007 de la revue Défense nationale et sécurité collective. Nous vous invitons à visiter son site à l’adresse http://www.defnat.com 


[1] DN&SC, août-septembre 2006.

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Date de la mise en ligne: avril 2007

 

 

 

Biographie de Benoît d'Aboville

   

 

 

Ancien ambassadeur, représentant permanent de la France à l'OTAN (2001-2005), Benoît d'Aboville est conseiller-maître en service extraordinaire à la Cour des comptes. Il s'exprime ici à titre personnel.  

   

 

 

 

   

 

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