Recteur Gérard-François Dumont, géographe, économiste et démographe. Professeur émérite à Sorbonne Université (Paris). Président de la revue Population et Avenir. Pierre Vermeren, ancien élève de l’École normale supérieure et agrégé d’histoire, historien et professeur des universités à Paris 1/Panthéon-Sorbonne. Ingrid Therwath, diplômée de l’université de Cambridge et titulaire d’un doctorat de sciences politiques avec pour thèse " L’État face à la diaspora : stratégie et trajectoire indiennes" effectué à Sciences Po Paris. Images et son : Jérémie Rocques. Photographies : Pierre Verluise et ADEA MRIAE. Montage : Jérémie Rocques et Pierre Verluise. Une production SAS Diploweb.com. Résumé par Aude Pepinster pour Diploweb.com
Cette conférence exceptionnelle attire l’attention sur les diasporas, acteurs internationaux à prendre en compte dans l’analyse des situations et les jeux des acteurs. De nombreux exemples. Et un résumé en bonus.
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Résumé par Aude Pepinster pour Diploweb.com
L’emploi du terme « diaspora » n’est pas stable. Dans son édition de 1965, le Larousse donne une définition unique de « Diaspora », désignant à l’époque l’ensemble de la communauté juive installée en dehors de la Palestine. En 1992, le Larousse inclut dans « les diasporas » toute ethnie ou communauté dispersée, qu’elles qu’en soient les causes. Ce passage du singulier au pluriel a pu opérer grâce au progrès technique et technologique qui a joué un rôle crucial dans le processus de diasporisation. Auparavant, une personne qui migrait vers un autre pays ne pouvait pas conserver de relation avec des proches de son pays d’origine. Aujourd’hui, les immigrants et leurs descendants peuvent conserver des liens réels ou mythifiés avec leur pays souche et développer des relations spécifiques dans le pays d’accueil avec ceux qui partagent la même situation. Une fois constituées, les diasporas peuvent devenir de véritables acteurs géopolitiques. Comment les diasporas se construisent-elles et en quoi sont-elles stratégiques ?
Les pays n’ont pas immédiatement perçu l’intérêt stratégique des diasporas. Dans les années 1960, les migrations maghrébines vers l’Europe sont perçues comme un phénomène purement conjoncturel. Dans le contexte de décolonisation de l’époque, l’immigration concerne principalement d’anciens travailleurs des colonies qui suivent les capitaux français rapatriés en métropole. Les pays, émetteur comme récepteur, présupposent le retour de ces populations dans leur pays d’origine. Cependant, dans le cas de la France, les décisions prises par le gouvernement dans les années soixante-dix participent de l’installation pérenne de la migration maghrébine dans le pays. Le regroupement familial, autorisé en 1978, donne lieu à l’arrivée massive de femmes et d’enfants maghrébins qui rejoignent les pères en émigration. Bien que l’installation pérenne de populations en dehors du territoire national ait été longtemps ressentie comme une humiliation par les pays maghrébins, l’immigration des années 1960 et 1970 ont ouvert la voie à une prise de conscience par ces pays de l’importance des diasporas, dont ils ont rapidement pressenti l’intérêt économique pour les populations restées dans le pays. Aujourd’hui, l’intégration économique du Maghreb resterait très faible sans l’apport des diasporas installées en Europe. Les revenus des 14 millions de personnes d’origine maghrébine installées en Europe correspondent à l’ensemble du PIB maghrébin.
De son côté, la diaspora indienne est un acteur géopolitique de longue date. Son importance a été cruciale dans la construction de l’idée contemporaine de l’Inde. A l’époque coloniale, les élites indiennes expatriées ont été les principaux médiateurs des mauvais traitements qui touchaient les sujets indiens au sein-même de l’Empire. Cela a motivé leurs revendications en faveur de l’indépendance de l’Inde. Pourtant, en 1947, lorsque le pays obtient son indépendance, la perception des Indiens de l’étranger change en même temps que l’idée de l’Inde se réduit à l’idée d’un Etat-Nation fondé sur ses frontières continentales. Le pays prend ses distances avec la diaspora, alors perçue comme des complices de la Grande-Bretagne s’adonnant au jeu des « blancs ». L’arrivée au pouvoir du parti nationaliste en 1998 puis sa réélection en 2014 ont instauré une nouvelle vision de la nationalité indienne, fondée sur le sang, l’ethnie et la religion. Ce changement de politique intérieure modifie de facto le statut de la diaspora, qui se voit à nouveau inclue au sein de l’Etat-Nation, pendant que les nationaux d’appartenance ethnique ou religieuse différente en sont exclus.
Aujourd’hui, au-delà de l’Inde et du Maghreb, nombreux sont les pays qui ont compris l’importance des diasporas. En matière géopolitique interne d’une part, les diasporas bousculent les décisions politiques de leur pays de résidence. Par exemple, en 1990, pendant la Guerre du Golfe, le Koweït a exclu les Palestiniens du territoire national suite au soutien apporté à Sadam Hussein par Yasser Arafat. A l’inverse, certains pays étrangers utilisent leurs diasporas à des fins politiques. Ainsi, le Président turc Recep Tayyip Erdoğan s’est rendu plusieurs fois en Europe pour susciter le vote de ses diasporas en sa faveur. Ses déplacements semblent d’ailleurs efficaces, puisque les Turcs français votent plus massivement pour l’AKP que les Turcs de Turquie. Les diasporas permettent aussi aux pays d’origine d’exercer leur influence culturelle à l’étranger, à travers, par exemple, Jamel Debbouze et Zinedine Zidane pour les pays du Maghreb. Enfin, les diasporas constituent un relai d’influence politique à l’étranger. Ainsi, New Delhi s’appuie sur un lobby hindou pour faire valoir ses objectifs en matière de politique étrangère aux Etats-Unis. Il est dès lors tentant pour les pays de résidence d’instrumentaliser les diasporas pour influencer les rapports de force avec leur pays d’origine comme l’a fait Hugo Chavez, ancien président de la République du Venezuela, en menaçant la Colombie d’expulser la diaspora colombienne de son pays si la Colombie refusait de modifier sa politique étrangère.
Bien que la question des diasporas soit aujourd’hui encore méconnue et peu étudiée, elles constituent des acteurs internationaux non négligeables. La diaspora française, quant à elle, compte plus de deux millions de personnes à travers le monde et participe du « hard » et de « soft power » de la France en dehors de ses frontières.
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