Après avoir été porté par la Révolution orange en 2004, Viktor Iouchtchenko a beaucoup déçu. Ses affrontements avec son alliée, Ioulia Timochenko, ont ouvert un boulevard à son rival Viktor Ianoukovitch. Un point pour Moscou.
LE 7 février 2010, Viktor Ianoukovitch, candidat du Parti des Régions, remporte les élections présidentielles en Ukraine. Le président sortant, Viktor Iouchtchenko, porté au pouvoir par la Révolution Orange durant l’hiver 2004-2005, est éliminé dès le premier tour. C’est Ioulia Timochenko, son Premier Ministre, avec laquelle il s’est fâché peu après le début de son mandat, qui a défendu au second tour les couleurs du mouvement dont elle fut l’égérie.
Pour la presse, Viktor Ianoukovitch a pris sa « revanche ». S’agit-il pour autant de la mort de la Révolution Orange ? Après avoir rappelé le contexte dans lequel se sont déroulées les élections, puis précisé la nouvelle politique mise en œuvre, nous nous demanderons si l’esprit de la Révolution Orange survit encore en Ukraine.
Début 2010, l’Ukraine présente une situation économique inquiétante : tous les indicateurs sont brusquement passés au rouge. Elle subit de plein fouet la crise mondiale depuis la fin de l’année 2008. Sa monnaie, la hrvynia s’effondre et perd la moitié de sa valeur en trois mois par rapport au dollar. La classe moyenne émergente, qui, pour une large partie, avait effectué des emprunts en devises étrangères, se retrouve dans de grandes difficultés pour payer ses crédits. Par ailleurs, les banques commencent à manquer de liquidités et la baisse de la demande mondiale provoque une chute de la production industrielle de l’ordre 26,4% en 2009, d’où une forte hausse du chômage, particulièrement dans les bassins sidérurgiques de l’est du pays. Sans compter l’inflation galopante, de 22,3% en 2008, puis de 12,3% en 2009. Alors qu’elle affichait encore une croissance de 7,9% en 2007, puis de 2,1% en 2008, l’Ukraine voit son PIB chuter de 14,1% en 2009.
Le Fonds Monétaire International (FMI) vient en aide à l’Ukraine, parmi d’autres pays européens gravement touchés, comme la Hongrie, l’Islande, la Lettonie, plus tard la Roumanie, et lui accorde un prêt de 16,5 milliards de dollars en novembre 2008. La première tranche, de 4,5 milliards de dollars, est ainsi versée immédiatement, la deuxième, de 2,8 milliards de dollars en mai 2009, la troisième, de 3,3 milliards de dollars en août 2009. En revanche, elle se voit refuser la quatrième tranche, prévue en novembre 2009, car elle n’a pas respecté les clauses du contrat dans sa politique économique. Le FMI attendait la mise en place d’une politique d’austérité, passant par la maîtrise des dépenses et le règlement progressif de ses dettes. Mais le Président Viktor Iouchtchenko fait voter une loi à la fin du mois d’octobre 2009 pour l’augmentation de 20% des minima sociaux. Le FMI, par la voix de son président Dominique Strauss-Kahn, se dit « inquiet » face à cette mesure qui paraît déraisonnable dans une telle situation.
Un moment crucial
Cette décision intervient à un moment crucial. En effet, nous sommes alors à un peu plus de deux mois des premières élections présidentielles depuis la Révolution Orange. Viktor Iouchtchenko, qui avait incarné l’espoir de tout un peuple, est au plus bas dans les sondages, et tente le tout pour le tout. Il a beaucoup déçu et est bien mal parti pour briguer un second mandat consécutif. Son Premier Ministre, Ioulia Timochenko, se montre défavorable à cette loi. Il s’agit d’un nouveau désaccord entre ces deux figures politiques, qui s’ajoute à une liste déjà longue en 5 ans, notamment sur les relations avec la Russie.
Depuis son limogeage de ce poste de Premier Ministre en septembre 2005, Ioulia Timochenko poursuit son combat politique au sein de son propre parti et a bien l’intention de reprendre le flambeau de la Révolution Orange. Des dissensions se produisent également au sein même de la formation politique de Viktor Iouchtchenko, Notre Ukraine ; c’est le cas d’Arseni Iatseniouk, Président du Parlement, la Verkhovna Rada, de décembre 2007 à novembre 2008, et d’Anatoliy Hrytsenko, Ministre de la Défense du premier gouvernement issu de la Révolution Orange.
Face à ces divisions, le leader de l’opposition, Viktor Ianoukovitch, rival de Viktor Iouchtchenko lors des présidentielles de 2004, apparaît comme le candidat favori. En outre, il espère que les succès de sa formation, le Parti des Régions, enregistrés aux élections législatives de 2006 et de 2007 (32,12%, puis 34,18% des voix) vont lui profiter.
Enfin, Sergueï Tigipko, ancien Ministre de l’Economie, qui avait participé à la campagne présidentielle de Viktor Ianoukovitch de 2004, se présente sous l’étiquette du Parti Travailliste Ukrainien et prône pour une troisième voie.
Au total, pas moins de 18 candidats sollicitent les suffrages de près de 37 millions d’électeurs. Les Ukrainiens disposent donc d’un large choix, avec des propositions très diverses. Mais ils ne se font guère d’illusions. Une large partie de ceux qui avaient voté pour Viktor Iouchtchenko et même manifesté dans le froid en 2004 sur la Place de l’Indépendance, à Kiev, ne croient plus à ses promesses. Certains pensent se reporter sur Ioulia Timochenko, toujours apparue plus combative, ou vers d’autres candidats, mais sans grande conviction. Viktor Ianoukovitch, régulièrement en tête des sondages, compte ainsi sur le rejet des dirigeants sortants et la démobilisation du camp adverse pour tirer son épingle du jeu.
Au soir du 1er tour
Le soir du premier tour, le 17 janvier 2010, Viktor Ianoukovitch est crédité de 35,32% des suffrages, devant Ioulia Timochenko, avec 25,05%. Quant à Viktor Iouchtchenko, il arrive en cinquième position, recueillant 5,45% des voix, à quelques encablures d’Arseni Iatseniouk (6,96%). Intercalé à la troisième place, Sergueï Tigipko, avec 13,06% des voix, peut jouer les trouble-fête.
D’une part, Ioulia Timochenko est distancée de 10 points par Viktor Ianoukovitch. D’autre part, Arseni Iatseniouk et Viktor Iouchtchenko n’ont pas donné de consignes de votes en sa faveur. Mais selon les analystes politiques, elle peut l’emporter au second tour grâce au report des voix des électeurs des « oranges ». Pour Viktor Ianoukovitch, les réserves sont plus faibles mais il voit déjà le premier tour comme un « référendum pour l’équipe issue de la Révolution Orange. Le peuple a rendu son jugement et ce jugement était juste ». Ioulia Timochenko proposera même à Sergueï Tigipko de devenir son Premier Ministre en cas de victoire mais celui-ci ne se prononcera jamais sur cette offre.
Le gagnant est ...
Finalement, le 7 février 2010, Viktor Ianoukovitch recueille 48,95% des suffrages, contre 45,47% pour Ioulia Timochenko. Elle prétendra que des fraudes ont été commises, alors que les observateurs de l’OSCE présents sur place ont jugé le scrutin « transparent et honnête ». En outre, les dirigeants étrangers adressent tous des messages de félicitations, aussi bien Dmitri Medvedev, dès les premiers instants, que Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, José-Manuel Barroso et Barack Obama, pour ne citer qu’eux. Elle dépose malgré tout alors un recours devant la Cour suprême administrative le 16 février, avant d’y renoncer le 20 février, estimant que celle-ci ne sera pas en mesure de rendre un verdict équitable. Entre temps, Viktor Ianoukovitch forme un gouvernement de coalition autour du Parti des Régions, avec le Parti Communiste et le Bloc Litvine.
L’analyse géographique des élections présidentielles nous permet de distinguer, comme à chaque échéance électorale, une nette séparation du territoire en deux parties : l’ouest et le centre du pays votant à une large majorité en faveur de Ioulia Timochenko, et l’est et Crimée acquis à la cause de Viktor Ianoukovitch. Le clivage entre « deux Ukraines » se confond avec l’ouest ukrainophone plutôt pro-européen et l’est russophone et plus industrialisé. Cependant, lorsque nous étudions de plus près la carte électorale, nous pouvons remarquer que la « frontière » n’est pas si étanche que nous pourrions le croire. En effet, Viktor Ianoukovitch réalise quelques scores honorables dans certains oblasts – régions – de l’ouest comme ceux de Jitomir, de Soumy, et même en Transcarpathie, à l’extrême ouest du pays, frontalière avec la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie. Pour les analystes politiques, le clivage géographique ukrainien n’est pas figé. Il a subi des évolutions car le thème majeur du scrutin n’est plus la diplomatie, et plus particulièrement les relations avec la Russie, mais l’économie et le traitement de la pauvreté. Par un discours plus modéré vis-à-vis de la Russie, qui détient de nombreux intérêts économiques en Ukraine, Viktor Ianoukovitch a ainsi su séduire une partie de l’électorat de l’ouest.
A l’aube de la Révolution Orange, les élections présidentielles, présentées comme une étape cruciale pour l’avenir du pays, étaient suivies avec une grande attention afin de savoir de quel côté allait pencher « le pendule ukrainien » [1], entre l’UE et la Russie. Cette fois, les deux candidats principaux – Viktor Ianoukovitch et Ioulia Timochenko – ne sont pas présentés de manière réductrice, entre le premier qui bénéficierait du soutien de Moscou, et le second, uniquement tourné vers l’ouest. Par exemple, ils partagent dorénavant le même avis sur deux points essentiels : la poursuite de l’intégration européenne et le report sine die d’une adhésion à l’OTAN. Or, l’Ukraine ne semble plus constituer l’enjeu géostratégique majeur qu’elle était, sur la route du gaz entre l’Europe et la Russie. Avec une instabilité politique chronique et des querelles entre les deux têtes de l’exécutif, l’Ukraine a, il est vrai, rarement été en mesure de prouver qu’elle était un interlocuteur crédible et donc présenter une feuille de route claire. Dans son discours de victoire prononcé en russe, Viktor Ianoukovitch indique vouloir poursuivre l’ouverture de l’Ukraine à l’Europe, tout en retrouvant des relations de bon voisinage avec la Russie. Nous allons voir comment il opte pour une voie médiane dans les domaines de l’économie, de l’énergie et de la défense.
Tout d’abord, le rapprochement de l’Ukraine et de l’Union européenne connaît une certaine accélération sous l’impulsion de Viktor Iouchtchenko. Après l’Accord de Partenariat et de Coopération, en vigueur depuis 1998, un Plan d’Action bilatéral est mis en place dès 2005 dans le cadre de la Politique de Voisinage de l’UE pour renforcer les coopérations économiques et politiques. En 2008, un Accord d’Association est signé, pour prendre le relais l’année suivante. Cependant la situation se dégrade fortement, les réformes attendues ne sont pas appliquées, et l’atmosphère régnant lors du sommet UE-Ukraine de Kiev de décembre 2009 s’en ressent [2].
Comme son prédécesseur, Viktor Ianoukovitch effectue sa première visite de chef d’Etat le 1er mars 2010 à Bruxelles pour manifester son intention de relancer le processus d’intégration de l’Ukraine à l’UE, « la priorité clé de sa politique extérieure », par la création d’une zone de libre-échange. Cette volonté semble se confirmer dès les jours suivants, avec le refus du vice-Premier Ministre chargé de l’Economie, Sergueï Tigipko, d’entrer dans l’union douanière créée par la Russie, aux côtés du Kazakhstan et du Belarus.
Les crises du gaz, au cours desquelles la Russie décide de couper les vannes pour faire pression, contribuent sans doute le plus à décrédibiliser l’Ukraine.
La première crise, survenue le 1er janvier 2006, est perçue par Vladimir Poutine comme un moyen de favoriser la victoire de Viktor Ianoukovitch aux élections législatives du mois de mars. Elle est aussi une façon de rappeler à l’Ukraine que « le contrat qui lui offrait des tarifs préférentiels sur l’énergie est rompu depuis juin 2005 » [3]. Elle révèle également la dépendance et la vulnérabilité de l’Union européenne vis-à-vis de la Russie en matière d’énergie. Une politique commune est envisagée mais rien de concret n’est avancé.
La deuxième crise du gaz survient trois ans après et dure près de 3 semaines. Elle touche de plein fouet des pays totalement dépendants de la Russie, comme la Roumanie, la Bulgarie, la Slovaquie et la Bosnie-Herzégovine. L’Union européenne joue alors le rôle de médiateur dans les négociations entre l’Ukraine et la Russie, et comprend qu’il est nécessaire d’agir afin d’éviter une nouvelle fois les conséquences d’un conflit extérieur [4].
Géopolitique des tubes
La Russie, par l’intermédiaire du géant Gazprom, avait déjà proposé à l’Allemagne de contourner l’Ukraine, principal pays de transit du gaz russe vers l’Europe, dans le cadre du projet North Stream, signé le 8 septembre 2005. Ce gazoduc de près de 3000 km doit relier directement les deux pays sous la Mer Baltique, entre les ports de Wyborg (Russie) et Greifswald (Allemagne) d’ici 2011. De plus, le projet de gazoduc South Stream, en partenariat avec l’Italien ENI, prévu pour 2015, consiste au contournement de l’Ukraine par le sud, via la Mer Noire. En quelques mois durant l’année 2009, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, la Grèce et la Slovénie valident le passage du gazoduc sur leurs territoires.
En revanche, le projet concurrent Nabucco, déjà lancé en 2004 par l’Union Européenne, se heurte à quelques difficultés. Dans le cadre d’une diversification de l’approvisionnement, il doit acheminer le gaz de la Mer Caspienne vers l’Europe, plus précisément de l’Azerbaïdjan à l’Autriche. La Turquie, la Bulgarie, la Roumanie la Hongrie et l’Autriche ont signé un accord en juillet 2009. Cependant, il tarde à se concrétiser, du fait d’entraves diverses. Par exemple, des groupes énergétiques comme l’Autrichien OMV ou le Bulgare Bulgargaz sont également engagés dans le projet South Stream, alors que le Français GDF en est écarté par la Turquie pour des raisons diplomatiques en février 2008 [5].
L’évolution de la « géopolitique des tubes » dans cette région nous montre clairement que l’Union européenne est loin de diminuer de sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Bien au contraire, Moscou a su profiter du manque d’unité et de cohésion de l’Union européenne pour promouvoir auprès d’elle ses projets de contournements de l’Ukraine et renforcer ainsi ses positions. Enfin, Vladimir Poutine a proposé, le 30 avril 2010, une fusion de Gazprom avec l’opérateur ukrainien Naftogaz pour prendre le contrôle des gazoducs du pays. Viktor Ianoukovitch sera-t-il prêt à accepter ?
Les relations avec l’OTAN et avec la Russie
L’adhésion à l’OTAN faisait partie des promesses de Viktor Iouchtchenko en 2004. Un « dialogue intensifié » est alors ouvert. Le Président américain George W. Bush est tout à fait favorable à l’intégration de l’Ukraine, mais également de la Géorgie de Mikhaïl Saakachvili dans le cadre de la stratégie d’endiguement – containment - de la Russie. Tandis que la France et l’Allemagne émettent des réserves. Finalement, l’Ukraine n’obtient pas le statut de candidat pour l’adhésion lors du sommet de l’OTAN d’avril 2008 à Bucarest. Milieu 2010, Barack Obama, souhaite avant tout entretenir des relations apaisées avec la Russie, sans pour autant rejeter définitivement la perspective d’une intégration de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’Alliance Atlantique.
Pour ce qui concerne la présence de la flotte russe de la Mer Noire, Viktor Iouchtchenko avait également promis son départ du port de Sébastopol pour 2017, conformément à la Constitution. Cependant le 21 avril 2010, Viktor Ianoukovitch signe avec Dmitri Medvedev un accord de prolongement du bail de la flotte russe de 25 ans, soit jusqu’en 2042, en échange d’une réduction de 30% du tarif du gaz. La séance de ratification du texte à la Rada se déroule le 29 avril 2010 dans une atmosphère particulièrement tendue. Des députés de l’opposition étendent un drapeau ukrainien géant sur leurs bancs, lancent des œufs en direction du Président du Parlement, Volodimir Litvine, et d’autres en viennent aux mains. A l’extérieur, des manifestants protestent contre cette mesure qui, selon eux, pourrait mettre à mal la souveraineté de l’Ukraine vis-à-vis de son grand voisin russe.
Viktor Ianoukovitch a voulu rapidement restaurer la crédibilité de l’Ukraine auprès de l’Union européenne, mais l’acte politique le plus significatif a d’ores et déjà été conclu avec la Russie. Celui-ci pourrait mettre un terme aux crises du gaz qui ont envenimé la période orange. Le nouveau chef de l’Etat souhaite d’abord apporter la stabilité. Il espère ensuite tirer profit de la situation géographique particulière de l’Ukraine, par l’adoption d’une nouvelle politique étrangère qui n’est pas sans rappeler celle de Leonid Koutchma, à qui il espérait succéder en 2004. Mais la Révolution Orange en avait voulu autrement.
Il serait intéressant de savoir si l’arrivée de Viktor Ianoukovitch au pouvoir signifie que la page de la Révolution Orange est définitivement tournée, en rappelant ce qu’elle a apporté à la vie politique ukrainienne. Nous pourrions ensuite élargir la réflexion à l’ensemble des révolutions colorées qui se sont déroulées dans d’autres républiques d’ex-URSS, notamment la Géorgie.
Incontestablement, la Révolution Orange a enfin permis l’ancrage de la démocratie, ce qui en fait presque une exception dans les républiques d’ex-URSS, hormis les pays baltes. Le pluralisme politique, les débats ouverts, à la télévision comme dans la rue, et la liberté d’expression en sont les principaux marqueurs. Les citoyens ont vraiment fait preuve de véritable maturité politique et de conscience civique, avec une participation de près de 70% aux deux tours des élections présidentielles de 2010. La bonne tenue du scrutin a d’ailleurs été soulignée par les observateurs de l’OSCE présents sur place. La victoire de Viktor Ianoukovitch pourrait alors ne pas être vue comme une revanche qui remettrait l’Ukraine dans le giron russe, mais simplement comme une alternance, propre à tout système politique démocratique.
Cependant, la nature et l’évolution des autres révolutions colorées suscitent certaines questions quant à l’avenir et à la viabilité d’un tel mouvement. A l’instar de la Révolution Orange, trois d’entre elles ont été couronnées de succès : la « Révolution des bulldozers » en Serbie en 2000 qui a fait chuter Slobodan Milosevič, la Révolution des Roses en Géorgie en 2003, et la Révolution des Tulipes au Kirghizstan en 2005. A moyen terme, la première semble porter ses fruits puisque la Serbie vient d’ouvrir des négociations d’adhésion à l’UE. La deuxième provoque la frustration de la population et se retrouve confrontée à la Russie dans un conflit armé en août 2008. La troisième s’est terminée dans le sang en avril 2010, du fait des dérives autoritaires de son leader. D’autres tentatives ont eu lieu, en Azerbaïdjan en 2005 ou de la Révolution « Jean » au Belarus en 2006, mais elles ont été très vite étouffées. Le dernier soulèvement, en Moldavie en avril 2009, a eu le mérite d’aboutir à la dissolution du Parlement et à la tenue de nouvelles élections législatives en juillet 2009.
Plusieurs facteurs peuvent être mis en avant pour expliquer ce tournant. Certes la Russie revient sur la scène politique internationale et cherche à mieux contrôler son « étranger proche », mais elle a surtout freiné la contagion des révolutions colorées. En effet, elle en a saisi la méthodologie employée. Nous pourrions même leur reprocher leur caractère mécanique et leur manque de spontanéité, d’originalité. Leur analyse révèle ainsi qu’elles devaient se dérouler dans un cadre clairement déterminé au préalable et reposaient avant tout sur la mise en place de mouvements de jeunesse – Otpor (« Résistance ») en Serbie, Kmara (« Assez »), Pora (« Il est temps ») en Ukraine, Magam (« C’est le moment ») en Azerbaïdjan – financées par des ONG et des fondations américaines ou européennes. Les jeunes azéris ne pourront pas « faire leur révolution », car ils ne recevront pas de subventions. Les compagnies pétrolières occidentales sont déjà bien implantées dans le pays et profitent d’une ressource abondante ; c’est « la stabilité contre la démocratie » [6].
Le rapprochement des révolutions colorées avec les révolutions de velours de 1989 est donc plutôt hâtif car elles ne sont pas forcément endogènes [7], d’où l’échec de certaines d’entre elles.
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. Voir l’entretien de Pierre Verluise avec Florent Parmentier, "UE : quel partenariat oriental ?" publié sur le Diploweb.com en 2013
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[1] Vicken CHETERIAN, « Le pendule ukrainien », Le Monde diplomatique, n°607, octobre 2004
[2] « Grande frustration parmi un grand nombre d’Etats de l’UE envers l’Ukraine », France-Ukraine.com, 2 décembre 2009, http://www.france-ukraine.com/Grande-frustration-parmi-un-grand.html
[3] François LE MOAL, « L’Ukraine, un pays à la recherche d’une place entre l’Europe et la Russie », Diploweb.com, 7 juin 2008, http://www.diploweb.com/L-Ukraine-un-pays-a-la-recherche-d.html
[4] François LE MOAL, « De l’eau dans le gaz », Journal Europa, 22 janvier 2009, http://www.journaleuropa.info/FR_article/n457t2j0d0-europe-gazprom-russie-ukraine.html
[5] « Gazoducs : évincé du projet Nabucco, GDF se tourne vers South Stream », Les Echos.fr, 7 février 2008, http://archives.lesechos.fr/archives/2008/lesechos.fr/02/07/300240346.htm
[6] « Révolutions, mode d’emploi », ARTE France, 2006, Documentaire réalisé par Tania Rakhmanova
[7] NDLR : Les "révolutions" de 1989 ne sont pas toutes endogènes. Le cas de la Roumanie est éclairant à ce sujet puisque l’URSS y a joué un rôle déterminant. Cf. C. Durandin (dir.) Roumanie, vingt ans après : la "révolution" revisitée, publié sur le diploweb.com, 2010 http://www.diploweb.com/Roumanie-vingt-ans-apres-la.html
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