Sylvain Kahn, docteur en géographie et agrégé d’histoire, professeur à Sciences Po et chercheur au sein du Centre d’Histoire de Sciences Po. Spécialiste de la construction européenne, il publie "Histoire de la construction de l’Europe depuis 1945" aux éditions PUF. Alix Delorme, Marc Versini-Campinchi, Ghalia Triki, Pauline Odent sont étudiants en Master à l’ISIT. Orane Levert est actuellement étudiante en Master d’Études politiques internationales : monde euro-méditerranéen à l’université de Toulon.
À l’occasion de notre suivi de la présidence française du conseil de l’Union européenne (PFUE), nous questionnons M. Sylvain Kahn. Notez bien que cet entretien a été réalisé le 22 décembre 2021, soit une semaine avant l’ouverture de cette présidence semestrielle. Nous le diffusons tel qu’il a été enregistré. A cet égard, on retiendra avec attention les propos de notre invité sur le rôle d’une présidence en cas de crise, comme la précédente de 2008 en offrit un cas parlant. En 2022 c’est l’Ukraine.
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Synthèse validée par S. Kahn
À l’occasion de notre suivi de la présidence française du conseil de l’Union européenne (PFUE), nous questionnons M. Sylvain Kahn. Notez bien que cet entretien a été réalisé le 22 décembre 2021, soit une semaine avant l’ouverture de cette présidence semestrielle. Nous le diffusons tel qu’il a été enregistré. A cet égard, on retiendra avec attention les propos de notre invité sur le rôle d’une présidence en cas de crise, comme la précédente de 2008 en offrit un cas parlant. En 2022 c’est l’Ukraine. Notre invité, docteur en géographie et agrégé d’histoire, est actuellement professeur à Sciences Po et chercheur au sein du Centre d’Histoire de Sciences Po. Spécialiste de la construction européenne, c’est notamment à la lumière de son ouvrage, "Histoire de la construction de l’Europe depuis 1945" paru le 27 octobre 2021 aux éditions PUF, que Sylvain Kahn répond à nos questions pour Diploweb.com, premier site géopolitique francophone.
Que doit-on attendre de cette présidence et quels en sont les grands enjeux ? La période de réserve électorale, prenant effet à compter du mois de mars 2022, limitera-t-elle les compétences du mandat français ? Et ce mandat, par ailleurs semestriel, revêt-il un format suffisamment long pour qu’une présidence puisse réellement et effectivement influer sur le processus décisionnel face à des institutions aux présidence dites plus “permanentes” (5 ans pour la Commission européenne, 2 ans et demi pour le Parlement européen…) ? Enfin, comment nos voisins européens perçoivent-ils cette présidence et quelles seraient leurs attentes à l’égard du mandat français ? Autant de questions auxquelles Sylvain Kahn répond avec précision dans ce podcast.
Relativisant tout d’abord le rôle et le poids d’une présidence sur le travail législatif, M. Kahn affirme que la tâche d’une présidence semestrielle est d’abord et avant tout l’avancée, voire l’aboutissement des projets législatifs en pourparlers entre les 27. Dans le cadre précis de la présidence française, ceux-ci porteront vraisemblablement sur l’avancée d’une Europe de la défense ainsi que sur la réforme de l’espace Schengen dans le cadre de la politique d’asile et d’immigration. Rôle médiateur donc, entre les intérêts des représentants des États membres mais également de leurs citoyens puisqu’il s’agit, à travers cette présidence, de sensibiliser l’opinion publique - majoritairement celle du pays concerné - aux enjeux et au fonctionnement de l’Union européenne. Or, à l’aube de la campagne présidentielle française, il y a fort à parier qu’Emmanuel Macron mobilisera largement cette opinion publique comme autant d’électeurs potentiels, indépendamment de l’échec ou du succès de cette présidence tournante.
En parlant de cette campagne présidentielle française, conjointe à l’exercice du mandat français au sein du Conseil de l’Union, revenons sur cette problématique de la réserve électorale imposée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel. M. Kahn rappelle très justement à ce sujet qu’une présidence semestrielle ne concerne pas uniquement les représentants de l’exécutif du pays en question mais toutes les administrations publiques, hauts fonctionnaires et représentants des États membres qui travaillent de façon permanente à l’élaboration et à la coordination des politiques européennes. Ainsi, l’efficacité d’une présidence semestrielle repose sur le choix des dossiers prioritaires qu’elle voudrait, dans le meilleur des cas, porter à terme. Plus que le bon fonctionnement de l’Union assuré, nous l’avons vu, par ses fonctionnaires et représentants permanents, la présidence doit assurer sa bonne orientation. De la même manière, cette PFUE, relevant de l’ordre des sujets régaliens, ne saurait, dans le cadre de la campagne présidentielle française, être décomptée dans le temps de parole du président Emmanuel Macron. Voilà pourquoi, selon Sylvain Kahn, cette présidence semestrielle ne sera non seulement pas gênée par la campagne présidentielle mais pourrait même être utile au président, s’il était candidat à sa réélection. [1]
Quant à notre invité, ce dernier a au moins une attente : que cette présidence soit celle de la fin d’une certaine arrogance à la française, cliché encore répandu chez nos voisins européens.
Dans cette perspective, mieux vaudrait alors pour le candidat Emmanuel Macron que cette présidence semestrielle représente un succès et laisse, par conséquent, son empreinte dans le processus décisionnel dominé, nous l’avons vu, par des institutions aux présidences davantage “permanentes”. Il existe, selon notre invité, 3 façons pour une présidence tournante de se démarquer. La première est de lancer un sujet qui fasse l’objet d’un véritable processus législatif. Force est de constater, cependant, que de tels sujets n’aboutissent généralement qu’à long terme, ne permettant pas au mandat qui en est à l’origine d’en tirer le mérite. Ce fut le cas par exemple lors de la présidence italienne en 1985 qui joua un rôle moteur dans le lancement de l’Union économique et monétaire. La deuxième façon est justement non pas d’être le mandat de l’initiative, mais celui de la conclusion en rendant cette présidence importante à travers l’aboutissement de projets déjà amorcés. Dans le cadre de notre objet de travail : la PFUE, Sylvain Kahn pense qu’il pourrait s’agir de la stratégie française notamment sur les dossiers d’une Europe de la défense et du numérique. La même stratégie semblerait par ailleurs être envisagée sur le dossier de la politique européenne d’asile et du contrôle des frontières extérieures mais l’aboutissement de celui-ci paraît moins probable, le consensus étant recherché au sein des 27 depuis cinq années déjà. Enfin, la troisième et dernière façon évoquée par l’historien et géographe serait la confrontation à un événement imprévu, une crise et, par extension, la gestion de cette crise. Rappelons ici la guerre entre la Russie et la Géorgie suite à l’invasion de cette-dernière par les troupes russes en 2008 à laquelle avait dû faire face Nicolas Sarkozy, alors président de la France, elle-même "présidente" de l’Union européenne. En envoyant son ministre des Affaires étrangères et européennes Bernard Kouchner directement sur le lieu du conflit, celui-ci avait été considéré comme acteur notoire du cessez-le-feu négocié entre les deux pays. Toutefois, s’il est raisonnable de penser que pareille démarche pourrait être adoptée par Emmanuel Macron dans le cadre d’une crise, mieux vaut espérer une différente façon pour sa PFUE de marquer son empreinte. Nous savons depuis cet enregistrement que l’Ukraine est au coeur d’une crise majeure en février 2022.
Et d’ailleurs quelle empreinte est attendue de ce mandat français dans les autres pays membres de l’UE ? D’après Sylvain Kahn, la présidence tournante n’est en fait en grande partie suivie et discutée dans l’espace public que dans le pays qui l’assure. Exception faite des fonctionnaires et représentants, déjà évoqués plus haut, pour lesquels il est probable que le travail coïncide avec l’agenda des priorités de ladite présidence. Quant à notre invité, ce dernier a au moins une attente : que cette présidence soit celle de la fin d’une certaine arrogance à la française, cliché encore répandu chez nos voisins européens.
Copyright pour le podcast et le texte Décembre 2021-Kahn-Delorme-Versini-Campinchi-Levert-Triki-Odent/Diploweb.com
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La construction de l’Europe est une expérience unique dans l’espace mondial. Pour la première fois, des gouvernements de nations indépendantes – démocratiques, qui plus est – décident de mutualiser librement une partie de leur souveraineté au profit d’une association fondée sur la volonté politique. Dans les ruines matérielles et morales de la Seconde Guerre mondiale, les Européens épuisés de six pays décident de tourner le dos aux nationalismes et de reconstruire en commun leurs pays. Aujourd’hui, ils sont vingt-sept.
Cette Europe s’est construite dans le tapage, sinon la discorde. En soixante-dix ans, échecs, crises et défis ne manquent pas. Lorsque le choc du Covid-19 frappe l’Union européenne aux prises avec le Brexit, elle apparaît bien fragile. Toutefois, de 1950 à nos jours, les moments de mesquineries, d’égoïsmes ou de sur-place sont indissociables des moments de solidarité et des solutions inédites trouvées ensemble. Cet ouvrage raconte l’histoire d’une construction européenne vivante, globale et démystifiée.
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[1] NDLR : A moins que la gestion de la crise ne soit pas jugée convaincante par des parties conséquentes des électeurs.
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